Tendances de mortalité intra et extrahospitalière
par syndrome coronaire aigu chez les 35-74 ans dans les trois registres français de cardiopathies ischémiques : résultats sur la période 2004-2018

// Trends of in-hospital and out-of-hospital mortality due to acute coronary syndrome among 35-74 years-old: Results from the three french ischemic heart disease registries for the period 2004-2018

Katia Biasch1 (kbiasch@unistra.fr), Stefy Gbokou1, Samantha Huo Yung Kai2,3, Carine Blanc-Garin4, Philippe Amouyel4, Aline Meirhaeghe4, Jean Ferrières2,5, Jean Dallongeville4, Marie Moitry1,6
1 Laboratoire d’épidémiologie et de santé publique, Université de Strasbourg
2 Centre d’épidémiologie et de recherche en santé des populations de Toulouse (Cerpop), Université Paul Sabatier, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) UMR 1295, Toulouse
3 Service d’épidémiologie, Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse
4 Université de Lille, Inserm, CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille, U1167 – RID-AGE – Facteurs de risque et déterminants moléculaires des maladies liées au vieillissement, Lille
5 Service de cardiologie, CHU de Toulouse
6 Service de santé publique, Hôpitaux universitaires de Strasbourg
Soumis le 17.06.2022 // Date of submission: 06.17.2022
Mots-clés : Syndrome coronaire aigu | Cardiopathie ischémique | Mortalité intrahospitalière | Taux de mortalité | Mortalité extrahospitalière | Registres
Keywords: Acute coronary syndrome | Coronary heart disease | In-hospital mortality | Mortality rate | Out-of-hospital mortality | Registries

Résumé

Contexte –

Ces dernières décennies, l’amélioration de la prise en charge des syndromes coronaires aigus (SCA) s’est accompagnée d’une diminution nette de la mortalité intrahospitalière. L’évolution de la mortalité extrahospitalière par SCA en France est moins bien connue. L’objectif était d’estimer les tendances de mortalité intra et extrahospitalière par SCA dans les trois registres français des cardiopathies ischémiques entre 2004 et 2018, d’étudier leur contribution respective à la mortalité globale par SCA et décliner ces résultats par zone géographique.

Matériel et méthode –

 Tous les événements coronaires aigus fatals survenant entre janvier 2004 et décembre 2018 ont été enregistrés chez les patients âgés de 35 à 74 ans dans les trois registres français Monica (Monitoring trends and determinants in cardiovascular disease). Les tendances des taux de mortalité standardisés selon l’âge ont été exprimées en pourcentage de variation annuelle (PVA).

Résultats –

Entre 2004 et 2018, 17 487 événements mortels ont été enregistrés, dont 70% sont survenus à l’extérieur de l’hôpital. Près de 90% des décès extrahospitaliers se sont produits à domicile. Les diminutions des taux de mortalité par SCA étaient plus importantes en intra- qu’en extrahospitalier à Lille (PVA -3,9% vs -2,6%) et Strasbourg (PVA -3,9% vs -2,4%), mais l’inverse était observé à Toulouse (PVA -3,5% en intra vs -5,5% en extrahospitalier). Cela se traduisait, à Toulouse, par une diminution de la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA de 74,9% à 67,7%.

Conclusion –

Entre 2004 et 2018, la mortalité intrahospitalière par SCA a diminué plus rapidement que la mortalité extrahospitalière à Lille et Strasbourg. L’inverse était observé à Toulouse, où la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA était initialement à un niveau plus élevé. Dans les trois centres, la mortalité extrahospitalière reste majoritaire, ce qui souligne la nécessité de développer davantage les moyens de la réduire, notamment par la promotion des gestes de premiers secours dans la population.

Abstract

Context –

Improvements in medical care of acute coronary syndrome (ACS) events in recent decades have led to a consistent decrease in in-hospital mortality. There is little data about trends of out-of-hospital mortality in France. The purpose was to estimate trends regarding in- and out-of-hospital ACS mortality rates from 2004 to 2018 and their respective contributions to total ACS mortality in the three geographical areas covered by the French MONICA registries (Monitoring trends and determinants in cardiovascular disease).

Method –

All fatal ACS among 35-74 year-olds that occurred between January 2004 and December 2018 were recorded in three French registries for Lille, Strasbourg and Toulouse. Trends in age-standardized mortality rates were expressed as annual percentage changes (APC).

Results –

Between 2004 and 2018, 17,487 fatal ACS were recorded, of which 70% occurred out-of-hospital. Almost 90% of out-of-hospital deaths occurred at home. Decreases in ACS mortality rates were greater in-hospital than out-of-hospital in Lille (APC -3.9% vs -2.6%) and Strasbourg (APC -3.9% vs -2.4%). An inverse trend was found in Toulouse (APC -3,5% for in-hospital vs -5,5% for out-of-hospital), resulting in a decrease in the contribution of out-of-hospital mortality to total ACS mortality, from 74.9% to 67.7%.

Conclusion –

Between 2004 and 2018, in-hospital mortality due to ACS decreased more rapidly than out-of-hospital mortality in Lille and Strasbourg. An inverse trend was observed in Toulouse, where the contribution of out-of-hospital mortality to total ACS mortality was initially higher. The contribution of out-of-hospital mortality to total ACS mortality remains predominant, highlighting the extent to which out-of-hospital mortality drives global ACS mortality rates and the need to further investigate ways to reduce it, particularly by promoting first-aid knowledge among the general population.

Introduction

La mortalité par cardiopathie ischémique (CI) a considérablement diminué en Europe et dans le monde au cours des dernières décennies, en relation probable avec les progrès thérapeutiques et les progrès de la prise en charge 1,2,3,4,5,6. Cependant, au cours d’un épisode coronaire aigu, une complication fatale peut survenir avant une intervention médicale ou, plus rarement, au cours de l’hospitalisation lorsque l’évènement est particulièrement sévère. L’amélioration des habitudes de vie, un meilleur contrôle des facteurs de risque et une accessibilité accrue aux services de secours d’urgence sont susceptibles de diminuer la mortalité extrahospitalière. Dans le même temps, les progrès de la prise en charge à la phase aiguë contribuent à la diminution de la mortalité pendant l’hospitalisation. Ainsi, l’étude des décès coronaires d’origine intra- et extrahospitalière permet-elle de mieux identifier les leviers auxquels recourir pour réduire davantage la mortalité par syndrome coronaire aigu (SCA) 7.

Les travaux datant des années 1990 à 2000 ont montré une diminution plus marquée de la mortalité coronaire à l’hôpital qu’en dehors de l’hôpital 8,9,10, se traduisant par une augmentation relative des décès extrahospitaliers dans la population 10,11. Depuis lors, la définition et les critères diagnostiques de l’infarctus du myocarde (IDM) ont considérablement évolué, ce qui a pu affecter, au moins partiellement, les indicateurs épidémiologiques de suivi de la pathologie 12,13. Des informations précises et récentes sur la mortalité coronaire, sur la base de définitions standardisées, déclinées selon le lieu de décès sont par conséquent nécessaires pour adapter au mieux les stratégies de santé publique.

L’objectif de cette étude était donc d’estimer les tendances de mortalité intra et extrahospitalière par SCA dans les trois registres français de cardiopathies ischémiques entre 2004 et 2018, d’étudier leur contribution respective à la mortalité globale par SCA et de décliner ces résultats par zone géographique.

Matériel et méthode

Population d’étude

Les données sont issues des trois registres français de CI. Ceux-ci enregistrent de façon exhaustive l’ensemble des cas de SCA fatal ou non fatal survenant chez les personnes âgées de 35 à 74 ans et résidant dans l’une des trois aires géographiques couvertes par les registres de Lille (métropole de Lille), Strasbourg (Bas-Rhin), et Toulouse (Haute-Garonne). Ces registres couvrent à eux trois approximativement 1 700 000 personnes âgées de 35 à 74 ans en 2018. Tous les décès par SCA survenus entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2018 ont été inclus dans l’étude.

Sources de données et classification des événements

La méthodologie d’enregistrement des registres Monica a été largement décrite dans des publications antérieures 6,14. Tous les décès (à l’hôpital ou hors hôpital) dans la population âgée de 35 à 74 ans sont identifiés et sélectionnés à partir des certificats de décès. Des détails sur les circonstances des décès hors hôpital sont recueillis grâce à des entretiens avec les médecins en charge du patient. Les dossiers du Samu et des services d’urgence, ainsi que les rapports d’autopsie sont également consultés lorsqu’ils sont disponibles. À l’hôpital, l’identification des cas est effectuée sur la base des lettres de sortie, des certificats de décès et des listings annuels des départements d’information médicale (DIM). L’existence d’un antécédent de CI est vérifiée dans la base de données Monica. Après ces recherches, chaque décès est classé dans une catégorie de diagnostic, en fonction des éléments cliniques des sujets décédés : IDM certain, décès coronaire probable, décès coronaire possible, décès avec données insuffisantes, décès non coronaire.

Pour cette étude, les décès avec des données insuffisantes ou les décès non coronaires ont été exclus, ainsi que les événements pour lesquels le lieu de décès ne peut pas être clairement identifié (N=50).

Lieu de décès

En accord avec le protocole initial Monica, les décès extrahospitaliers sont définis comme les décès survenant à domicile, dans les lieux publics ou dans une ambulance, ainsi que dans les services de soins non équipés pour les interventions en urgence qui nécessitent le recours au Samu et le transfert des malades (établissements psychiatriques ou services de soins de suite et de réadaptation). Les décès à l’hôpital sont les décès survenus en cardiologie, en soins intensifs ou dans d’autres unités médicales d’un centre hospitalier. Les personnes amenées à l’hôpital en arrêt cardio-respiratoire et chez lesquelles les tentatives de réanimation ont échoué sont définies comme décédées hors de l’hôpital. Les patients décédés hors de l’hôpital pour lesquels une hospitalisation pour SCA avait été enregistrée dans les 28 jours précédant le décès ont été considérés comme décès extrahospitaliers en lien avec un SCA (N=221).

Analyses statistiques

Les caractéristiques des sujets ont été décrites par centre en effectifs et pourcentages, et comparées avec des tests du Chi2. Les données des populations annuelles de 2004 à 2018 fournies par l’Insee ont été utilisées pour le calcul des personnes-années à risque. Les taux de mortalités standardisés (TMS) intra- et extrahospitaliers ont été estimés par centre, sexe, année calendaire et lieu de décès. Ils ont été standardisés sur l’âge par une méthode directe en prenant comme référence la population française de 2011 (Insee). Des modèles de régression de Poisson ont été utilisés pour estimer les tendances des TMS intra- et extrahospitalières en pourcentages de variation annuelle (PVA). La linéarité des tendances en intra et extrahospitalier a été étudiée grâce au programme de régression Joinpoint, avec un maximum de 2 joinpoints 15. Enfin, les interactions entre l’année, le centre, le sexe et le lieu de décès ont été testées grâce à des modèles de Poisson. Les analyses ont été effectuées à l’aide des logiciels SAS 9.4® et Joinpoint 4.7.0.0® (National Cancer Institute, Statistical Research and Applications Branch). Le seuil de significativité a été fixé à 0,05.

Résultats

Entre 2004 et 2018, 17 487 décès coronaires ont été enregistrés. Dans l’ensemble, les taux de mortalité standardisés (TMS) ont diminué d’environ 40% au cours de la période, passant de 150,1 à 96,4 pour 100 000 habitants chez les hommes et de 52,6 à 32,2 pour 100 000 habitants chez les femmes.

Dans les trois registres, plus de deux tiers des décès étaient extrahospitaliers (70,4%) et, parmi ceux-ci, près de 90% se produisaient à domicile ou dans un service de long séjour (tableau 1). Les patients décédés à l’extérieur de l’hôpital étaient plus jeunes (âge médian : 62 ans vs 66 ans à l’hôpital), et plus de 50% décédaient dans l’heure suivant le début des symptômes. En intrahospitalier, cette proportion était de 15%. Plus de 75% des décès extrahospitaliers se produisaient chez des sujets sans antécédents de CI (76,0% vs 48,2% pour les décès intrahospitaliers, p<0,001).

Tableau 1 : Caractéristiques des patients décédés à l’hôpital et hors hôpital d’un syndrome coronaire aigu
(patients âgés de 35 à 74 ans, 2004 à 2018, 3 centres)
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Entre registres, la proportion d’hommes décédés était légèrement supérieure à Toulouse par rapport à Lille et Strasbourg, en intrahospitalier (78,5%, 73,0% et 73,0% respectivement, p<0,001) comme en extrahospitalier (76,2%, 72,5% et 72,1%, p<0,001) (tableau 2). En intrahospitalier, la part des décès dans les services d’urgences était plus faible à Strasbourg (3,2%) qu’à Lille (9,2%) et Toulouse (9,4%), p<0,001. En extrahospitalier, la proportion de sujets décédés sans antécédents de CI était plus élevée à Strasbourg (79,8%) qu’à Lille (73,0%) et Toulouse (74,5%). La figure 1 présente les caractéristiques les plus notables des cas selon le lieu de décès.

Tableau 2 : Caractéristiques des patients décédés à l’hôpital et hors hôpital d’un syndrome coronaire aigu par centre (patients âgés de 35 à 74 ans, 2004 à 2018)
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Figure 1 : Caractéristiques des patients décédés d’un syndrome coronaire aigu selon le lieu de décès
(patients âgés de 35 à 74 ans, 2004 à 2018)
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Globalement, la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA a augmenté sur la première période d’étude de 2004 et 2010, de 68,9% à 72,0%, puis s’est stabilisée autour de 70% (figure 2 et annexes). Le tableau 3 et la figure 3 présentent les analyses de tendances par sexe, centre et lieu de décès de 2004 à 2018. Tous registres confondus, la baisse de la mortalité était similaire en extrahospitalier et en intrahospitalier (PVA -3,4% vs -3,9%, p=0,21).

Figure 2 : Contribution des taux de mortalité intra et extrahospitalière à la mortalité globale par syndrome coronaire aigu, standardisés sur l’âge, pour 100 000 personnes-années, par centre (patients âgés de 35 à 74 ans, 2004 à 2018)
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Tableau 3 : Variation annuelle des taux de mortalité par syndrome coronaire aigu standardisés par région
et par lieu de décès (patients âgés de 35-74 ans, 2004 à 2018)
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Figure 3 : Évolution annuelle des taux standardisés de mortalité par syndrome coronaire aigu selon le lieu de décès et le centre (patients âgés de 35 à 74 ans, 2004 à 2018)
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Si l’on observe chaque registre séparément, la mortalité intrahospitalière diminuait plus rapidement que la mortalité extrahospitalière à Lille et Strasbourg (PVA -3,9% et -2,6% à Lille, p=0,05 ; -3,9% et -2,4% à Strasbourg, p=0,03). À Strasbourg, cela se traduisait par une augmentation de la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA (de 66,7% à 74,1%). À Toulouse en revanche, l’inverse était observé : la mortalité extrahospitalière diminuait plus rapidement que la mortalité intrahospitalière (PVA -5,5% vs -3,5%, p=0,046). Dans ce registre, la même tendance était retrouvée dans les analyses par sexe (PVA -5,3% en extra vs -3,2% en intra chez les hommes, p=0,05 ; PVA -6,1% en extra vs -4,8%, en intra chez les femmes, p=0,47). On observait en parallèle une diminution de la contribution de la mortalité extrahospitalière, particulièrement chez les femmes (de 80,1% à 71,0%).

Hors hôpital, comparativement à Strasbourg, la baisse de la mortalité par SCA était plus importante à Toulouse chez les hommes (PVA -5,3% vs -2,5% respectivement, p<0,0001) comme les femmes (PVA -6,1% vs -2,2% respectivement, p=0,001). En revanche, les PVA n’étaient pas significativement différents à Lille par rapport à Strasbourg.

Parmi les décès intrahospitaliers, 68,8% se produisaient dans des services de réanimation, Usic (unités de soins intensifs cardiologiques) ou cardiologie. Les sujets décédant dans d’autres services (tels que des services de pneumologie, de gastroentérologie etc.) étaient plus âgés (médiane : 67 vs 65 ans, p<0,001), avec une proportion plus élevée de sujets de plus de 65 ans (61,3% vs 54,0%, p<0,001). Alors que seuls 7% des décès en réanimation, Usic ou cardiologie se produisaient en moins d’une heure, cette proportion était de 35% dans les autres services. Sur l’ensemble de la période, alors que la mortalité dans les services de réanimation, Usic et cardiologie, les taux de mortalité standardisés diminuaient de -1,9% par an, la baisse était beaucoup plus marquée dans les autres services (PVA -8,2%, p<0,0001). Cela s’accompagnait d’une augmentation de la contribution de la mortalité en réanimation, Usic et cardiologie à la mortalité globale, de 61,6% à 77,6%.

Dans l’ensemble, les tendances de mortalité intra et extrahospitalières observées étaient linéaires, hormis à Toulouse. Dans cette région, on observait une remontée des taux en extrahospitalier après 2016. Ceci était davantage marqué chez les hommes, avec une reprise à la hausse des taux à partir de 2016 hors hôpital et 2014 à l’hôpital.

Discussion

Dans cette étude des registres français Monica des cardiopathies ischémiques, plus de deux tiers des décès enregistrés entre 2004 et 2018 sont survenus en dehors de l’hôpital, dont près de 90% au domicile des sujets. Les analyses des tendances ont mis en évidence des disparités régionales concernant les tendances de mortalité intra et extrahospitalière.

Dans cette étude, une proportion élevée de décès par SCA (70%) est survenue en dehors de l’hôpital. Ces cas comprennent à la fois des personnes décédées subitement de leur tout premier événement coronaire aigu (événement incident) et des personnes décédées d’un événement récurrent. Dans ces deux situations, les décès sont évitables par la mise en place d’un niveau de prévention adaptée. Chez des sujets jeunes et sans antécédents de coronaropathie, la plupart des décès extrahospitaliers surviennent moins d’une heure après le début des symptômes, ce qui correspond au diagnostic de mort subite 16. Du fait de leur âge et de l’absence d’antécédents, ils présentent un risque plus faible et sont donc moins susceptibles d’être dépistés et traités préventivement. Ils sont aussi moins au fait des symptômes de l’infarctus et donc moins susceptibles de recourir rapidement à des soins d’urgence. Dans cette population, les décès pourraient être évitables grâce à des campagnes de prévention et un dépistage ciblé. En ce qui concerne les patients ayant des antécédents de coronaropathie, la prévention secondaire et tertiaire, avec le suivi de l’observance du traitement et la promotion d’une bonne hygiène de vie doivent être intensifiés.

Au total, 90% des décès extrahospitaliers surviennent au domicile du sujet (très peu sur le lieu de travail, dans les lieux publics ou dans l’ambulance), et majoritairement dans l’heure suivant l’apparition des premiers symptômes. En présence d’un témoin, l’usage d’un défibrillateur est essentiel, et leur déploiement dans les lieux publics est certainement utile. Cependant, comme la majorité des décès surviennent au domicile, l’utilisation d’un défibrillateur ne peut être envisagée. Dès lors, la capacité des témoins, et plus généralement du public, à réaliser les gestes de premiers secours est primordiale, car la survie et le pronostic fonctionnel à long terme des patients en arrêt cardiaque dépendent grandement d’une intervention précoce 17.

Globalement, les taux de mortalité intra et extrahospitaliers par SCA ont diminué chez les hommes et les femmes entre 2004 et 2018, dans le prolongement de nos travaux antérieurs 18. Ceci s’explique probablement par la combinaison d’une baisse de l’incidence globale des évènements coronaires aigus et d’une baisse de la létalité, déjà observées dans nos registres sur une période contemporaine 4. En ce qui concerne la mortalité extrahospitalière, différentes campagnes de prévention, portant notamment sur la reconnaissance des symptômes de l’infarctus, pourraient avoir permis de sensibiliser la population et accéléré le recours aux soins d’urgence. Par ailleurs, depuis 2007, en France, toute personne, même non-médecin, est habilitée à utiliser un défibrillateur automatique externe, dont le déploiement s’est progressivement mis en place sur l’ensemble du territoire. En complément des campagnes de promotion des « gestes qui sauvent », ceci a également pu contribuer à la diminution de la mortalité extrahospitalière.

Des disparités entre zones géographiques ont été relevées : alors que la mortalité intrahospitalière par SCA a diminué plus vite que la mortalité extrahospitalière à Lille et Strasbourg, l’inverse a été observé à Toulouse. Cependant, la proportion relative de la mortalité extrahospitalière était initialement plus élevée à Toulouse, aux alentours de 75% en 2004, contre 65% dans les deux autres régions. Le registre de Toulouse couvre toute la Haute-Garonne, dont le sud du département qui comporte une zone rurale montagneuse plus difficile d’accès pour les secours et donc défavorisée pour l’accès aux soins d’urgence, ce qui pourrait expliquer une proportion relative de la mortalité extrahospitalière initialement plus élevée. Il est donc possible qu’une amélioration des délais de prise en charge, particulièrement dans ces zones au cours de la période d’étude, ait contribué à la diminution de la mortalité extrahospitalière par SCA, jusqu’à arriver au niveau observé dans les deux autres centres. Ainsi, à la fin de la période d’étude, la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA était de l’ordre de 70% dans les trois centres.

En intrahospitalier, les taux de mortalité diminuent de façon significativement moins marquée dans les services de réanimation, Usic et cardiologie comparativement aux autres services. Cela peut sembler en contradiction avec les progrès majeurs effectués dans la prise en charge des évènements coronaires aigus. Cependant, ce phénomène s’accompagne d’une forte augmentation de la contribution des services de réanimation et cardiologie à la mortalité intrahospitalière en général. Cela suggère que les patients, au lieu de décéder dans des services non adaptés, sont désormais pris en charge dans les unités permettant de délivrer les soins appropriés. Les décès survenant dans ces autres services touchent des personnes plus âgées, avec dans 30% des cas une évolution très rapide, empêchant probablement le transfert et la prise en charge.

Cette étude fournit des données récentes et complètes sur la mortalité coronaire sur une période de quinze ans, avec un effectif total de plus de 17 000 événements mortels enregistrés par les trois registres français Monica. Ces registres, qui recueillent des données sur les événements coronaires aigus depuis les années 1980, ont un degré élevé d’exhaustivité, avec de multiples sources d’identification des cas. La définition des cas est inchangée depuis le début du recueil, indépendamment des nouveaux critères de définition des épisodes coronaires aigus, notamment depuis l’utilisation des troponines à visée diagnostique. Les registres permettent aussi d’enregistrer tous les événements fatals, quel que soit le lieu de décès. Contrairement aux registres Monica, les données hospitalières des systèmes d’information médico-administratifs ou les bases de données de soins intensifs enregistrent uniquement les événements hospitaliers et ne peuvent donc pas fournir d’informations sur les décès hors hôpital.

Dans le protocole Monica, les services de psychiatrie, soins de suite et réadaptation (SSR) sont assimilés aux foyers et maisons de retraite. Les cas survenus dans ces services sont donc considérés comme des décès extrahospitaliers, ce qui peut être discuté. Ceci se justifie par le fait que les possibilités de prise en charge des pathologies somatiques y sont le plus souvent limitées, avec un recours fréquent aux services du Samu. Ainsi, la prise en charge des malades à la phase aiguë s’apparente davantage à celle d’un cas extrahospitalier, notamment en termes de délais. Par ailleurs, parmi l’ensemble des cas décédés en SSR/psychiatrie/long séjour/maison de retraite/foyer (N=612), nous avons pu identifier que plus des deux tiers sont décédés sans soins médicaux (patients retrouvés morts) ou décédés très rapidement après l’intervention d’une aide médicale (dans l’ambulance, par exemple, ou après une courte réanimation). Dans tous les cas, qu’elle qu’ait été la prise en charge initiale, ces malades n’ont pas pu bénéficier d’un transfert en service de cardiologie, Usic ou réanimation. S’il n’est donc pas impossible qu’une intervention médicale efficace, avec des mesures de réanimation adaptées, ait pu être effectuée chez les sujets décédés dans les services de SSR ou psychiatrie, ce qui aurait pu modifier le pronostic, cela concerne vraisemblablement un très faible nombre de cas. Il est donc peu probable qu’un classement erroné de ces sujets dans la catégorie « décès extrahospitaliers » ait pu biaiser nos résultats.

L’une des limites de cette étude concerne l’enregistrement des cas par les registres chez les 35-74 ans, sans aucune évaluation de tendance pour des âges plus élevés. Cependant, cette tranche d’âge est optimale pour promouvoir précocement les mesures de prévention des maladies cardiovasculaires et ainsi éviter la survenue d’événements coronaires à un âge plus avancé. Bien que moins touchés par les maladies coronaires, le ciblage des jeunes les plus à risque pourrait être important en termes de qualité de vie, d’années potentielles de vie perdues et de conséquences pour les familles et la société 19.

Comme dans la plupart des études portant sur les décès subits, une classification erronée de la cause de décès est possible, et la question de l’étiologie des décès extrahospitaliers doit être soulevée. Cependant, les cardiopathies ischémiques sont à l’origine de la majorité des arrêts cardiaques extrahospitaliers 19, et, chez les plus jeunes, jusqu’à deux tiers des décès soudains pourraient être liés à une cardiopathie ischémique 20. Seules les autopsies systématiques, rarement pratiquées en France, permettraient d’identifier la cause du décès de façon certaine.

Conclusion

Au cours de la période 2004-2018, la mortalité intra et extrahospitalière par SCA a diminué, avec des tendances hétérogènes selon les régions. Alors que la mortalité intrahospitalière diminuait plus rapidement que la mortalité extrahospitalière à Lille et Strasbourg, l’inverse était observé à Toulouse, où la contribution de la mortalité extrahospitalière à la mortalité globale par SCA était initialement plus élevée. La mortalité hors hôpital reste donc encore aujourd’hui largement majoritaire, avec une très grande part se produisant au domicile. Cela souligne la nécessité de développer davantage les moyens de réduire ces décès évitables, notamment par la promotion des gestes de premiers secours dans la population.

Remerciements

Nous tenons à remercier les enquêteurs pour leur précieuse contribution à la collecte et à la validation des données, les médecins et les cardiologues qui ont contribué à ce processus.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financements

Ces travaux ont été financés par Santé publique France, l’Institut Pasteur de Lille et l’Inserm.

Références

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Citer cet article

Biasch K, Gbokou S, Huo Yung Kai S, Blanc-Garin C, Amouyel P, Meirhaeghe A, et al. Tendances de mortalité intra et extrahospitalière par syndrome coronaire aigu chez les 35-74 ans dans les trois registres français de cardiopathies ischémiques : résultats sur la période 2004-2018. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(26):488-97. http://beh.
santepubliquefrance.fr/beh/2022/26/2022_26_3.html

Annexes

Tableau supplémentaire 1 : Taux de mortalité standardisés par syndrome coronaire aigu, par sexe et lieu de décès (patients âgés de 35-74 ans, 2004 à 2018)
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Tableau supplémentaire 2 : Taux de mortalité standardisés par syndrome coronaire aigu, par région et lieu de décès (patients âgés de 35-74 ans, 2004 à 2018)
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Tableau supplémentaire 3 : Taux de mortalité standardisés par syndrome coronaire aigu, par région et lieu de décès (patients âgés de 35-74 ans, 2004 à 2018, hommes)
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Tableau supplémentaire 4 : Taux de mortalité standardisés par syndrome coronaire aigu, par région et lieu de décès (patients âgés de 35-74 ans, 2004 à 2018, femmes)
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