Analyse comparative des profils de mortalité maternelle entre pays européens avec système renforcé de surveillance*

// Comparative analysis of maternal mortality in European countries with enhanced surveillance systems

Catherine Deneux-Tharaux1 (catherine.deneux-tharaux@inserm.fr), Caroline Diguisto1,2, Monica Saucedo1, pour le groupe « International Network Obstetrical Surveillance System » (Inoss)
1 Université Paris Cité, Inserm, UMR 1153 Cress, Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé), Paris
2 Pôle de gynécologie obstétrique, médecine fœtale, médecine et biologie de la reproduction, centre Olympe de Gouges, CHRU de Tours

* Cet article est une adaptation de l’article :
Diguisto C, Saucedo M, Kallianidis A, Bloemenkamp K, Bødker B, Buoncristiano M, et al. Maternal mortality in eight European countries with enhanced surveillance systems: Descriptive population based study. BMJ 2022;379:e070621.

Soumis le 08.11.2022 // Date of submission 11.08.2022
Mots-clés : Mortalité maternelle | Grossesse | Europe
Keywords: Maternal mortality | Pregnancy | Europe

Résumé

Introduction –

La mortalité maternelle demeure un indicateur clé de santé maternelle et de performance du système de soins maternels, même dans les pays riches, où elle est devenue rare. Les comparaisons entre pays peuvent mettre en lumière des profils communs ou des singularités, et alors révéler des mécanismes causaux et des pistes d’amélioration possibles. Les données de routine de mortalité ne permettent pas une caractérisation fiable des morts maternelles. Notre objectif était de comparer la mortalité maternelle entre pays européens dotés de dispositifs renforcés d’étude de cette mortalité.

Méthodes –

Une étude descriptive comparative a été menée à partir des données de huit pays européens dotés de dispositifs renforcés pour identifier, documenter et examiner les décès maternels (Danemark, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Norvège, Slovaquie et Royaume-Uni). Les ratios de mortalité maternelle (RMM), jusqu’à 42 jours après la fin de la grossesse et définis comme le nombre de décès maternels pour 100 000 naissances vivantes au cours d’une période donnée, ont été calculés puis comparés à ceux obtenus avec les statistiques officielles de mortalité. Les RMM par âge, par origine géographique/ethnicité des femmes et par cause de décès ont également été calculés.

Résultats –

Les RMM, jusqu’à 42 jours après la fin de la grossesse, variaient d’un facteur 4, allant de 2,7 en Norvège et 3,4 au Danemark à 9,6 au Royaume-Uni et 10,9 en Slovaquie pour 100 000 naissances vivantes. Les statistiques officielles de mortalité sous-estimaient la mortalité maternelle de 36% ou plus partout sauf au Danemark. Les RMM par âge étaient plus élevés pour les mères les plus jeunes et les plus âgées (Risques relatifs (RR) poolés : 2,17, avec un intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,38-3,43] pour les femmes âgées de plus de 20 ans, 2,10 [1,54-2,86] pour celles âgées de 35 à 39 ans, et 3,95 [3,01-5,19] pour celles âgées de 40 ans et plus, par rapport aux femmes âgées de 20 à 29 ans). Excepté en Norvège, les RMM étaient généralement plus élevés chez les femmes nées à l’étranger ou d’origine ethnique minoritaire, définies différemment selon les pays. Les maladies cardiovasculaires étaient une des principales causes de mortalité dans tous les pays. Seulement deux pays, la France et le Royaume-Uni, disposent d’un système fiable de mesure de la mortalité maternelle jusqu’à un an après la fin de la grossesse ; dans ces deux pays, le suicide maternel était la deuxième cause de mortalité maternelle jusqu’à un an après la fin de la grossesse, après les maladies cardiovasculaires.

Conclusion –

Des dispositifs renforcés d’étude de la mortalité maternelle, comme l’Enquête nationale confidentielle sur la mortalité maternelle en France, sont essentiels pour recueillir des données fiables sur la mortalité maternelle. Parmi les pays européens avec de tels dispositifs, il existe des différences de niveau et de causes de mortalité maternelle jusqu’à 42 jours, non liées à des variations de mesure de la mortalité maternelle. Des analyses approfondies des différences de qualité des soins et des performances des systèmes de santé au niveau national sont nécessaires pour réduire davantage la mortalité maternelle en tirant des enseignements des meilleures pratiques et de l’expérience des autres pays. Les maladies cardiovasculaires et la santé mentale des femmes pendant et après la grossesse doivent être considérées comme des priorités dans tous les pays.

Abstract

Introduction –

Maternal mortality remains a key indicator of maternal health and of the performance of the maternal care system, even in rich countries where it has become rare. Cross-country comparisons can highlight common patterns or singularities, shedding light on causal mechanisms and possible opportunities for improvement. Routine mortality data do not allow a reliable characterization of maternal deaths. Our objective was to compare maternal mortality between European countries with enhanced maternal mortality surveillance systems.

Methods –

A comparative descriptive study was conducted using data from eight European countries with enhanced systems for identifying, documenting, and reviewing maternal deaths (Denmark, Finland, France, Italy, the Netherlands, Norway, Slovakia, and the United Kingdom). Maternal mortality ratios (MMRs) up to 42 days after the end of pregnancy, defined as the number of maternal deaths per 100 000 live births in a given period, were calculated and compared with those obtained from routine mortality statistics. MMR by age, geographic origin/ethnicity of women, and cause of death were also calculated.

Results –

MMRs up to 42 days after the end of pregnancy varied by a factor of 4, ranging from 2.7 in Norway and 3.4 in Denmark to 9.6 in the United Kingdom and 10.9 in Slovakia per 100 000 live births. Routine mortality statistics underestimated maternal mortality by at least 36% in every country except Denmark. Age-specific MMRs were higher for the youngest and oldest mothers, compared with women aged 20-29 years: pooled relative risk = 2.17 (95% CI 1.38-3.43) for women aged of more than 20 years, 2.10 (1.54-2.86) for women aged 35-39 years, and 3.95 (3.01-5.19) for women aged of 40 years and above. Except in Norway, MMRs were generally higher among foreign-born women or women of minority ethnicity (defined differently according to study country). Cardiovascular disease was a leading cause of death in all countries. Only two countries, France and the United Kingdom, have a reliable system for measuring maternal mortality up to 1 year after the end of pregnancy. In these two countries, maternal suicide was the second leading cause of maternal death up to 1 year after the end of pregnancy, after cardiovascular disease.

Conclusion –

Strengthened maternal mortality study systems, such as the National Confidential Enquiries on Maternal Mortality (ENCMM, for Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles) in France, are essential for collecting reliable data on maternal mortality. Among European countries with such systems, there are differences in the level and causes of maternal mortality up to 42 days, unrelated to variations in maternal mortality measurement. In-depth analyses of differences in quality of care and health system performance at the national level are needed to learn from best practices and experience in other countries and further reduce maternal mortality. Cardiovascular disease and women’s mental health during and after pregnancy should be considered priorities in all countries.

Introduction

La mortalité est un indicateur fondamental de santé maternelle, y compris dans les pays riches, où elle est à un niveau historiquement bas. Dans ces pays, les décès maternels sont de plus en plus liés à des pathologies non obstétricales, mais ils demeurent en majeure partie évitables, soulignant la nécessité d’identifier les axes d’amélioration 1,2. Comparer la mortalité maternelle entre les pays peut mettre en évidence des similitudes ou des différences, suggérant des spécificités nationales et pouvant notamment étayer des hypothèses sur d’éventuelles prises en charge inadéquates. Cela a été le cas pour la mortalité par hémorragie du post-partum en France et en Italie 3,4 et par maladie thromboembolique au Royaume-Uni 5. Ces comparaisons internationales permettent ainsi de déterminer les priorités en matière de santé maternelle, communes à tous les pays, ou spécifiques d’un contexte national.

Historiquement, les comparaisons de mortalité maternelle entre pays ont quasi-exclusivement été réalisées avec les données de statistiques officielles de mortalité établies à partir des certificats de décès. Cependant, ces données sont suspectées de sous-estimer la mortalité maternelle et de fournir des informations erronées sur la cause du décès, empêchant ainsi des comparaisons internationales pertinentes 6,7,8,9,10,11,12,13. Pour pallier ces limites, plusieurs pays ont mis en place des systèmes renforcés de surveillance de la mortalité maternelle, dont l’objectif est d’optimiser et de standardiser les étapes d’identification, de documentation, et d’analyse des décès maternels 14. Ces systèmes renforcés fournissent des données fiables et comparables, et permettraient ainsi de garantir que la variabilité de mortalité maternelle observée entre pays n’est pas due à des différences de méthodes de collecte de données. Le réseau « International Network Obstetrical Surveillance System » (Inoss), fondé en 2011, est une collaboration internationale de chercheurs et de cliniciens recueillant des données de morbidité maternelle sévère et de mortalité maternelle en population, grâce à laquelle il a été possible de rassembler et de comparer ces données 15.

Notre objectif était de comparer le profil de mortalité maternelle entre pays européens dotés de dispositifs renforcés d’étude de cette mortalité.

Méthodes

Sources de données

Huit pays disposant d’un dispositif renforcé de la mortalité maternelle ont participé à l’étude : le Danemark, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, la Slovaquie et le Royaume-Uni 15. Les dispositifs de surveillance étaient définis comme renforcés sous trois conditions :

l’exhaustivité de l’identification des cas de décès assurée par au moins un type de chainage entre le registre de mortalité et une des autres bases de données parmi le registre des naissances, celui des avortements/fausses-couches ou la base nationale des séjours hospitaliers (en France, base nationale du Programme de médicalisation du système d’information (PMSI)), excepté pour le système néerlandais, considéré comme renforcé malgré l’absence de chaînage, car il s’agit d’un pays relativement petit où la déclaration des décès maternels est obligatoire jusqu’à un an après la fin de la grossesse, ce qui pouvait garantir l’exhaustivité du repérage ;

la documentation de chaque cas, qui nécessite d’aller au-delà du simple contenu du certificat de décès et d’inclure des données provenant des dossiers médicaux ou d’une enquête confidentielle ;

l’étude des cas, qui doit être menée par un comité auditant tous les décès maternels 5,16,17,18,19,20,21.

Données collectées

Les données agrégées les plus récentes ont été collectées sur une période dont la durée variait selon le nombre de naissances dans chaque pays : une période de trois ans pour la France, l’Italie et le Royaume-Uni, et une période de cinq ans pour le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège et la Slovaquie.

Seuls deux pays, la France et le Royaume-Uni, identifiaient de façon fiable les morts maternelles tardives, survenues à plus de 42 jours mais moins d’un an après la fin de la grossesse de façon fiable 22. Dans les autres pays, soit il n’y avait pas du tout d’identification des morts associées à la grossesse au-delà de 42 jours après la fin de celle-ci, soit il n’y avait pas d’enquête confidentielle pour ces morts tardives, ce qui ne permettait donc pas d’identifier les morts maternelles dans ce sous-groupe.

Les données agrégées provenant des dispositifs de surveillance renforcés ont été recueillies pour chaque pays : les décès associés à la grossesse (décès survenus à tous termes de la grossesse et jusqu’à un an après la fin de la grossesse, quelle que soit la durée et/ou la localisation de la grossesse), les morts maternelles (le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou jusqu’à 42 jours après la fin de celle-ci, ou jusqu’à 1 an pour les dispositifs étudiant aussi les morts maternelles tardives, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque liée ou aggravée par la grossesse, mais ni accidentelle ni fortuite), les morts maternelles par âge et selon l’origine géographique et l’ethnicité définie par les catégorisations disponibles dans chaque pays ; enfin, le nombre de morts maternelles par cause, selon la Classification internationale des maladies – Mortalité maternelle adaptée aux pays développés, a aussi été recueilli 22.

Analyses

Les ratios de mortalité maternelle (RMM) définis comme le nombre de morts maternelles survenues pendant la grossesse jusqu’à 42 jours pour 100 000 naissances vivantes 23 et leurs intervalles de confiance à 95% ont été calculés à partir des données des dispositifs renforcés de surveillance et comparés à ceux obtenus avec les statistiques officielles de mortalité. Les RMM par âge et selon l’origine géographique et l’ethnicité (sur la base de la nationalité, le pays de naissance ou du groupe ethnique) ont été calculés pour chaque pays. Pour l’âge, nous avons également calculé les risques relatifs poolés et leurs IC95% par groupe d’âge maternel, en incluant les données de tous les pays ayant recours au chaînage pour l’identification des cas, avec les femmes âgées de 20 à 29 ans comme groupe de référence, et en utilisant un modèle de méta-analyse à effets aléatoires avec pondération de la variance inverse et la méthode de DerSimonian et Laird 24. Enfin, dans chaque pays, les RMM par cause ont été calculés. Les analyses ont été réalisées avec Stata® v13 (StataCorp, College Station, TX, USA).

Résultats

Les données finlandaises correspondaient à la période 2008-2012, et les autres pays ont fourni des données à partir de 2013 (tableau 1). Les RMM jusqu’à 42 jours variaient d’un facteur 4 entre les pays. Les RMM les plus bas étaient pour la Norvège (2,7, IC95%: [1,2-5,4]) et le Danemark (3,4 [1,6-6,2]), et les plus élevés au Royaume-Uni (9,6 [8,4-11,0]) et en Slovaquie (10,9 [7,4-15,5]), tous pour 100 000 naissances vivantes. Les statistiques officielles de mortalité sous-estimaient de 36% ou plus le nombre de décès maternels et le RMM correspondant dans tous les pays, sauf au Danemark.

Tableau 1 : Décès maternels et ratios de mortalité maternelle pour 100 000 naissances vivantes selon les dispositifs renforcés de surveillance et les statistiques de l’état civil
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La figure 1 illustre les RMM par âge avec une courbe en U dans la plupart des pays, les RMM les plus élevés étant observés chez les femmes les plus jeunes et les plus âgées. Dans l’analyse poolée utilisant les données de tous les pays, à l’exception des Pays-Bas, les femmes âgées de moins de 20 ans avaient un risque plus élevé de mortalité maternelle que celles âgées de 20 à 29 ans (risque relatif (RR) : 2,17 [1,38-3,43]), tout comme les femmes âgées de 35 à 39 ans (RR : 2,10 [1,54‑2,86]) et celles âgées de plus de 40 ans (3,95 [3,01-5,19]). En Finlande et en Slovaquie, tous les décès sont survenus chez des femmes ayant la nationalité du pays et nées dans le pays. Pour les autres pays, des disparités de mortalité maternelle selon l’origine des femmes ont été observées quelle que soit la catégorisation utilisée, avec des RMM supérieurs de 50% ou plus dans les sous-groupes des minorités par rapport aux sous-groupes de référence, sauf en Norvège (figure 2). Parmi les 3 pays disposant de données sur la nationalité, les RMM étaient plus élevés pour les femmes de nationalité étrangère en France et en Italie, mais pas en Norvège. Les femmes nées à l’étranger avaient un RMM plus élevé que celles nées au Danemark et en France ; ce n’était pas le cas au Royaume-Uni et en Norvège. Dans les 2 pays recueillant des données sur l’origine ethnique, les femmes qui n’étaient pas caucasiennes avaient des RMM plus élevés.

Figure 1 : Ratios de mortalité maternelle selon l’âge des femmes, dans les pays avec systèmes renforcés de surveillance*
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Figure 2 : Ratios de mortalité maternelle selon l’origine des femmes, selon diverses catégorisations, dans les pays avec systèmes renforcés de surveillance*
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Les maladies cardiovasculaires étaient une des principales causes de décès maternels avant 42 jours dans tous les pays (figure 3).

Figure 3 : Ratios de mortalité maternelle par cause, dans les pays avec systèmes renforcés de surveillance*
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En outre, des causes spécifiques contribuaient notablement plus à la mortalité maternelle dans certains pays que dans d’autres. Il s’agit notamment des maladies thromboemboliques au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, des troubles hypertensifs aux Pays-Bas, des embolies amniotiques en France, des hémorragies en Italie, des accidents vasculaires cérébraux en Slovaquie et des suicides en Finlande. Au Royaume-Uni et en France, les 2 seuls pays participants avec des données fiables sur la mortalité maternelle jusqu’à 1 an après la fin de la grossesse, les 2 causes dominantes étaient les maladies cardiovasculaires et le suicide (figure 4).

Figure 4 : Ratios de mortalité maternelle jusqu’à 1 an après la fin de la grossesse par cause, en France et au Royaume-Uni*
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Discussion

Cette comparaison de la mortalité maternelle provenant de dispositifs renforcés de surveillance dans huit pays européens montre que les taux de mortalité maternelle jusqu’à 42 jours après la fin de la grossesse variaient d’un facteur 4 : de 2,7 pour 100 000 naissances vivantes en Norvège et 3,4 au Danemark à 9,6 au Royaume-Uni et 10,9 en Slovaquie. L’analyse montre des similitudes entre les pays pour les sous-groupes de femmes à haut risque (les femmes plus âgées et issues de minorité ethnique) dont les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès, mais aussi des disparités entre les pays pour d’autres causes de mortalité maternelle. Notre analyse confirme que les statistiques officielles de mortalité ne sont pas une source valable pour la surveillance de la mortalité maternelle dans les pays développés, comme indiqué précédemment par des données plus anciennes de certains de ces pays 6,8,9,10. La sous-estimation substantielle de la mortalité maternelle par les statistiques officielles de mortalité montre que les rapports précédents sur la mortalité maternelle dans le monde utilisant cette source de données pour les pays développés sont peu informatifs pour cette catégorie de pays 25,26. Ceci conforte l’initiative actuelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visant à intégrer les données des systèmes renforcés de surveillance, dans les pays où ils existent, pour les comparaisons internationales de mortalité maternelle 1,12.

Le profil particulier de mortalité maternelle constaté aux Pays-Bas pourrait s’expliquer par l’absence de chaînage (rendu impossible pour des questions d’autorisation règlementaire) qui pourrait entraîner l’omission de certains décès, en particulier les morts maternelles tardives ou les morts de causes non obstétricales. Nous faisons aussi le constat que le soutien financier des agences nationales de santé pourrait aider à améliorer le fonctionnement de ces systèmes ; en effet, les deux pays qui ont étendu la surveillance renforcée jusqu’à un an après la fin de la grossesse, la France et le Royaume-Uni, reçoivent un financement public spécifique pour faire fonctionner le système 27.

Nos résultats montrent que la mortalité maternelle, jusqu’à 42 jours après la fin de la grossesse, variait d’un facteur 4 entre les pays participants. Les méthodes d’identification et de classification des décès maternels jusqu’à 42 jours étant très similaires d’un pays à l’autre (à l’exception des Pays-Bas), nous estimons donc que les différences de niveau et de profil des causes de mortalité maternelle ne sont pas ou que très peu liées à des variations de mesure. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces variations. Premièrement, elles pourraient être liées à des différences de distribution des caractéristiques des femmes enceintes, et notamment de la prévalence des facteurs de risque de mortalité maternelle entre les pays. Ainsi, les comparaisons entre pays de l’âge et de l’origine des femmes parmi l’ensemble des naissances vivantes montrent des différences 27. Une standardisation des variables sociodémographiques recueillies pour chaque décès maternel et chaque naissance, non seulement sur l’origine géographique, mais aussi sur d’autres dimensions du statut social, permettrait d’approfondir cette hypothèse. D’autres caractéristiques des femmes, non étudiées dans notre étude, telles que l’indice de masse corporelle (IMC), varient également d’un pays à l’autre, ce qui pourrait expliquer aussi les variations de mortalité maternelle, notamment de cause cardiovasculaire, dans notre étude 28. Alternativement, les variations du RMM jusqu’à 42 jours entre les pays pourraient aussi refléter des différences dans la qualité des soins prodigués ou la performance des systèmes de soins entre les pays. Les différences de mortalité maternelle attribuées à des causes qui ne sont pas fortement liées aux caractéristiques individuelles, telles que l’hémorragie ou l’embolie amniotique, sont en faveur d’une hypothèse de différence de qualité de soins. Enfin, l’organisation des soins dans les pays avec un nombre important de naissances et de maternités est probablement plus difficile qu’au sein de ceux où la communauté périnatale est plus petite. Des recherches futures portant sur les données individuelles seront nécessaires pour explorer ces hypothèses explicatives non exclusives.

Bien que des différences dans les principales causes de décès aient été mises en évidence dans certains pays, des similitudes ont également été notées. En particulier, les maladies cardiovasculaires qui constituaient les principales causes de décès maternels dans la plupart des pays. Même si l’importance croissante des causes cardiovasculaires dans les décès maternels a déjà été soulignée dans les rapports nationaux individuels, la principale contribution de notre analyse consiste à comparer ces profils nationaux avec des données homogènes. Par exemple, la mortalité cardiovasculaire est la première cause de mortalité maternelle jusqu’à 42 jours en France et au Royaume-Uni, mais le RMM spécifique dû à cette cause est deux fois plus important au Royaume-Uni (2,2/100 000 versus 1,2 naissances vivantes). Ce profil commun souligne l’importance actuelle de la santé cardiovasculaire des femmes et la nécessité de développer des stratégies avant, pendant et après la grossesse pour prévenir la morbidité et la mortalité qu’elles peuvent entraîner 29. Il s’agit d’un défi de taille, puisque la prise en charge de ces pathologies implique une coordination de différentes disciplines médicales et niveaux de soins, de la préconception au post-partum.

Conclusion

Nous rapportons des variations des taux de mortalité maternelle jusqu’à 42 jours après la fin de grossesse entre les pays européens dotés de systèmes renforcés de surveillance qui minimisent la variabilité des mesures. Bien que ces variations puissent résulter de différences dans les caractéristiques sociodémographiques des femmes entre les pays, elles soulèvent également des questions sur la qualité des soins et la performance des systèmes de santé. La prévention et la prise en charge des maladies cardiovasculaires des femmes pendant et après la grossesse apparaissent comme une priorité dans tous les pays.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Deneux-Tharaux C, Diguisto C, Saucedo M, pour le groupe International Network Obstetrical Surveillance System. Analyse comparative des profils de mortalité maternelle entre pays européens avec système renforcé de surveillance. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(3-4):53-60. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/3-4/2023_3-4_2.html