La mortalité maternelle en France, évolutions récentes et défis actuels : résultats marquants de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, 2013-2015

// Maternal deaths in France, recent changes and current challenges: Results of the National Confidential Enquiries on Maternal Mortality, 2013-2015

Monica Saucedo1 (monica.saucedo@inserm.fr), Aude Almeras1, Eugênia Gomes2, Catherine Deneux-Tharaux1, pour le Comité national d’experts sur les morts maternelles*
1 Université Paris Cité, Inserm, UMR 1153 Cress, Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé), Paris
2 Santé publique France, Saint-Maurice

* Comité national d’experts sur les morts maternelles (Cnemm) : Estelle Morau (anesthésiste-réanimateur, vice-présidente du Cnemm), Michel Dreyfus (gynécologue-obstétricien, président du Cnemm), Étienne Beaumont (gynécologue-obstétricien et médecin légiste), Marie Bruyère (anesthésiste-réanimateur), Henri Cohen (gynécologue-obstétricien), Jean-Claude Ducloy (anesthésiste-réanimateur), Marie Jonard (réanimateur), Jean-Pierre Laplace (gynécologue-obstétricien), Véronique Le Guern (spécialiste de médecine interne), Sylvie Leroux (sage-femme), Alain Proust (gynécologue-obstétricien), Agnès Rigouzzo (anesthésiste-réanimateur), Mathias Rossignol (anesthésiste-réanimateur), Véronique Tessier (sage-femme), Marie-Noëlle Vacheron (psychiatre), Éric Verspyck (gynécologue-obstétricien), Philippe Weber (gynécologue-obstétricien).
Soumis le 05.07.2022 // Date of submission 07.05.2022
Mots-clés : Mortalité maternelle | Enquête confidentielle | Suicide maternel | Maladies cardiovasculaires | Hémorragie du post-partum
Keywords: Maternal mortality | Confidential enquiry | Maternal suicide | Cardiovascular diseases | Postpartum haemorrhage

Résumé

Le 6e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) apporte des enseignements sur la fréquence, les facteurs de risque, les causes, l’adéquation des soins et l’évitabilité des morts maternelles survenues en 2013-2015 en France. Si le ratio de mortalité maternelle (RMM) global reste stable, le profil des causes évolue : la mortalité par hémorragie obstétricale continue de diminuer ; les maladies cardiovasculaires et les suicides deviennent les deux causes les plus fréquentes de mort maternelle. Ce profil met en lumière de nouvelles priorités, en rappelant que la santé maternelle ne se limite pas à la sphère obstétricale, ainsi que l’importance de la prévention et de l’éducation en santé pour les futures mères. Le rapport montre la persistance d’inégalités sociales et géographiques de mortalité maternelle. Ces inégalités concernent notamment les départements et régions d’outre-mer (DROM) : 1 décès maternel sur 7 survient dans les DROM, et le RMM est plus de trois fois supérieur à celui de la France métropolitaine (32 contre 9,5 décès/100 000 naissances vivantes). La surmortalité des femmes migrantes reste une réalité : 2,5 fois celle des femmes nées en France.

Abstract

The sixth report of the National Confidential Enquiries on Maternal Deaths (ENCMM for Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles) provides insights into the frequency, risk factors, causes and preventability of maternal deaths from 2013 to 2015 in France. While the overall ratio of maternal mortality remains stable, the profile of its causes is changing, including a continued decrease in mortality due to obstetric haemorrhage. A striking result of the 2013-2015 period is the preponderance of suicides and cardiovascular diseases, the two leading causes of maternal mortality. This profile points to new priorities for mobilization, in particular around the mental and cardiovascular health of women during pregnancy and in the year following childbirth. The sixth report highlights persisting social and geographical inequalities in health. The maternal mortality ratio in the French overseas departments is over 3 times as high as that in metropolitan France (32 vs 9.5 deaths/100 000 live births). Mortality among migrant women remains higher than among women born in France, particularly for women born in sub-Saharan Africa whose risk is 2.5 times higher.

Introduction

La mortalité maternelle, malgré sa rareté dans les pays riches, reste un indicateur fondamental de santé maternelle. Elle est considérée comme un « événement-sentinelle » dont la survenue témoigne de dysfonctionnements, souvent cumulés, du système de soins 1. Outre les enseignements classiques de la surveillance épidémiologique (nombre de décès, ratio de mortalité maternelle, et identification des sous-groupes de femmes à risque), son étude permet, par une analyse précise du parcours de chaque femme décédée, une mise en évidence d’éléments améliorables du contenu ou de l’organisation des soins, dont la correction permettra la prévention des décès, mais aussi des événements morbides d’amont relevant des mêmes dysfonctionnements 2.

La France est dotée d’un système renforcé et permanent pour étudier les décès maternels depuis 1966, l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), coordonné par l’équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique Épopé, de l’Inserm, avec le soutien de Santé publique France 3. Peu de pays sont dotés d’un tel système. Ce dispositif est rendu possible grâce à l’implication collective des professionnels de santé et des réseaux de santé périnatale, qui contribuent à son fonctionnement. Il identifie les morts maternelles en France de manière exhaustive, extrait toutes les informations disponibles pour comprendre la séquence des événements menant à la mort et en tirer des enseignements pour l’avenir.

Chaque année en France, près de 100 femmes meurent d’une cause liée à la grossesse, à l’accouchement ou à leurs suites, soit une tous les quatre jours. Les résultats du 6e rapport de l’ENCMM pour la période 2013-2015, montrent une évolution dans le profil des causes et suggèrent des moyens d’améliorer les soins maternels sur la base de l’analyse de ces décès. Son contenu est accessible au public dans son intégralité 4.

L’objectif de cet article est de synthétiser les résultats épidémiologiques marquants du 6e rapport de l’ENCMM et les pistes qu’il ouvre pour des travaux futurs.

Méthodes

Le dispositif de l’ENCMM

L’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) étudie l’ensemble des décès maternels en France (métropole et DROM). La méthode développée assure une identification exhaustive et une analyse confidentielle des morts maternelles 3.

Elle est organisée en trois étapes :

1) tous les décès survenus pendant la grossesse ou jusqu’à un an suivant sa fin, quels que soient la cause et le mode de terminaison, sont inclus (identifiés via le signalement spontané par les réseaux de santé périnatale, le certificat de décès, le chaînage des naissances avec le statut vital des mères dans l’année qui suit la naissance, et les données nationales des séjours hospitaliers du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) ;

2) un binôme d’assesseurs bénévoles (sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, psychiatres) est chargé de la collecte d’information (antécédents de la femme, déroulement de sa grossesse, circonstances de survenue de l’évènement ayant conduit au décès et prise en charge) ;

3) le Comité national d’experts sur la mortalité maternelle (Cnemm) passe en revue et classe les décès, il porte un jugement consensuel sur la cause du décès, sur l’adéquation des soins prodigués et sur le caractère évitable du décès, selon l’existence de circonstances dont la correction aurait pu éviter l’issue fatale.

Définitions

Le Cnemm retient comme mort maternelle « le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai d’un an après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle, ni fortuite ». Dans ce groupe, seront distinguées les morts maternelles tardives survenues à plus de 42 jours, mais moins d’un an après la terminaison de la grossesse. Cependant, et notamment dans une perspective de comparaison internationale, la mortalité maternelle survenant dans les 42 jours reste à distinguer, car la majorité des décès maternels surviennent pendant cette période, et l’homogénéité d’identification des décès maternels tardifs est plus aléatoire. Certains des résultats épidémiologiques de l’ENCMM sont présentés pour la mortalité maternelle à 42 jours et d’autres pour celle jusqu’à un an. À partir de 2013, le périmètre de l’enquête a été élargi, géographiquement avec l’inclusion de Mayotte, et conceptuellement par une approche inclusive des suicides, telle que recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 5,6.

Indicateurs

Les données sur les naissances vivantes, nécessaires à l’estimation du ratio de mortalité maternelle (RMM : rapport du nombre de décès maternels sur le nombre de naissances vivantes pour la même période), proviennent de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (1).

Dans cet article, nous rappelons les principaux résultats épidémiologiques de la France entière du 6e rapport de l’ENCMM 4.

Résultats

Pour la période 2013-2015, 262 décès maternels ont été identifiés pour la France entière, soit 1 mort maternelle tous les 4 jours. Ce chiffre correspond à un RMM jusqu’à 1 an de 10,8 décès pour 100 000 naissances vivantes (NV) (intervalle de confiance à 95% (IC95%): [9,5-12,1]). Ce taux est stable par rapport aux deux triennia précédents (2010-2012 et 2007-2009) (figure 1), et dans la moyenne des pays européens. La mortalité maternelle limitée à 42 jours entre 2013 et 2015 représente un RMM de 8,1 pour 100 000 NV. Ce RMM est passé de 11,1 en 2007 à 7,6 en 2015, diminution statistiquement non significative (figure 1). Globalement, 58% des décès maternels sont considérés comme probablement ou possiblement évitables par le Cnemm, et dans 66% des cas, les soins dispensés n’ont pas été optimaux. Ces proportions doivent être regardées comme des marges d’amélioration. L’analyse détaillée du Cnemm, par cause, ouvre des pistes spécifiques dans cet objectif 4.

Figure 1 : Évolution du ratio de mortalité maternelle 42 jours et 1 an après la fin de la grossesse, France, 2001-2015. Données de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles
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Disparités territoriales

L’analyse de la mortalité maternelle selon la région de résidence des femmes montre que les DROM et l’Île-de-France se distinguent par un RMM plus élevé (différences statistiquement significatives) (figure 2) : la différence la plus marquée est observée pour les DROM, région de résidence de 14% des femmes décédées (pour 4,6% des naissances vivantes) et dont le RMM est 3,4 fois celui de la métropole. Le nombre limité de décès maternels ne permet pas d’estimer de façon fiable la mortalité maternelle pour chaque DROM. Les raisons qui pourraient expliquer cette disparité régionale dans les DROM sont étayées dans l’encadré.

Figure 2 : Ratio de mortalité maternelle jusqu’à un an, après la fin de grossesse selon la région du domicile des femmes décédées, France, 2013-2015. Données de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles
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Le profil des causes de mortalité maternelle

Pour la première fois depuis le premier rapport de l’ENCMM en 1996, l’hémorragie obstétricale n’est plus la première cause de mortalité maternelle (8% des décès maternels jusqu’à 1 an après la fin de grossesse, 11% jusqu’à 42 jours) et la fréquence de cette cause de décès a été divisée par 2 entre 2007 et 2015, passant d’un RMM de 1,6 à 0,9. Les maladies cardiovasculaires et le suicide sont devenus les deux principales causes de mortalité maternelle (jusqu’à 1 an après la fin de la grossesse) pour la période 2013‑2015 (figure 6). Les maladies cardiovasculaires sont responsables de 36 décès sur le triennium, soit 13,7% des morts maternelles, et ils sont également la cause dominante de mortalité maternelle jusqu’à 42 jours. Parmi les 36 décès maternels de cause cardiovasculaire, les causes les plus fréquentes sont les cardiomyopathies préexistantes (10 femmes), les dissections aortiques (9 femmes) et les cardiomyopathies du péri-partum (6 femmes).

Au total, 35 suicides maternels ont été enregistrés pour la période, soit 13,4% des morts maternelles, soit environ 1 par mois, la grande majorité survenant après l’accouchement (34/35, 1 seul pendant la grossesse) avec une médiane de survenue à 4 mois post-partum. Enfin, pour 14% des morts maternelles, l’étiologie n’a pas été établie ; dans plus de la moitié des cas, ces décès sont survenus dans un tableau de mort subite.

Facteurs de risque de mortalité maternelle

Le risque de mortalité maternelle augmente avec l’âge maternel, en particulier à partir de 30 ans (figure 7). Par rapport à la classe d’âge la moins à risque, 25-29 ans, le risque est multiplié par 2,9 pour les femmes âgées de 35-39 ans ([2,0-4,3]), et par 4 au-delà de 40 ans ([2,6-6,6]). Ce profil par âge est globalement le même que celui observé sur la période 2007-2009 (figure 7).

Encadré :
La mortalité maternelle en outre-mer

L’analyse plus détaillée des données de mortalité maternelle dans les DROM, au-delà du constat de son niveau 3 fois plus élevé qu’en métropole (figure 2), ouvre quelques pistes pour expliquer cette disparité marquée.

Des parturientes plus souvent à risque de complications maternelles

Le tableau montre, par rapport à la métropole, une place particulière des grossesses chez les femmes adolescentes, ce groupe étant à la fois plus fréquent parmi l’ensemble des parturientes (8% versus <1%), et avec un ratio de mortalité maternelle (12,3/100 000 naissances vivantes) plus grand que celui des femmes des DROM âgées de 20-24 ans, et également plus grand que celui observé chez les adolescentes en métropole. La proportion de femmes migrantes, autre sous-groupe vulnérable, est également plus grande dans les DROM qu’en métropole parmi les parturientes (27% versus 21%). De plus, le surrisque de mortalité maternelle chez les migrantes par rapport aux femmes natives est plus marqué dans les DROM (facteur 2,5) qu’en métropole (facteur 1,5). Les DROM se caractérisent donc par une prévalence plus importante des groupes à risque de complications maternelles parmi les parturientes, et par un différentiel de risque de mortalité maternelle pour ces sous-groupes plus grand dans les DROM qu’en métropole.

Des éléments suggérant une implication des soins

D’autres éléments suggèrent que des mécanismes en lien avec le système de soins pourraient aussi contribuer au surrisque de mortalité maternelle dans les DROM. Comme le montre la figure 3, la disparité de niveau de mortalité maternelle entre DROM et métropole est particulièrement marquée pour la mortalité maternelle dans les 42 jours post-partum, une période où la mortalité maternelle est considérée comme un marqueur particulier de la qualité des soins obstétricaux, et ce, sans réduction de l’écart DROM – métropole depuis 2007. Dans le même sens, la proportion de décès maternels pour lesquels le Comité d’Experts a jugé les soins prodigués non optimaux, et celle des décès jugés évitables, sont plus grandes dans les DROM qu’en métropole, sans réduction de l’écart au cours du temps, voire une augmentation (figure 4). Enfin, le profil des causes de mortalité maternelle, s’il ne montre pas de différence évidente par rapport à la métropole, montre surtout la grande proportion des décès dont la cause reste inconnue (près de 50% dans les DROM versus 10% en métropole) (figure 5), ceci témoignant d’un défaut du suivi des femmes et de qualité du dossier médical, contribuant à l’absence d’information contributive disponible.

Tableau : Mortalité maternelle jusqu’à un an après l’accouchement selon les caractéristiques des femmes, selon le lieu de résidence des femmes décédées, France métropolitaine et DROM, 2013-2015
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Figure 3 : Évolution de la mortalité maternelle à 42 jours du post-partum de 2007 à 2015, selon le lieu de résidence des femmes décédées, France métropolitaine et DROM
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Figure 4 : Évolution de 2007 à 2015 de la proportion de soins sous-optimaux et de morts évitables parmi les décès maternels, selon le lieu de résidence des femmes, France métropolitaine et DROM
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Figure 5 : Causes de mortalité maternelle jusqu’à un an, selon le lieu de résidence des femmes décédées, France métropolitaine et DROM, 2013-2015
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Figure 6 : Mortalité maternelle à 42 jours et à un an après la fin de grossesse par cause, France entière, 2013-2015. Données de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles
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Figure 7 : Risque de mortalité maternelle par groupe d’âge des femmes en France, 2007-2009 et 2013-2015
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La mortalité maternelle en France montre également des disparités sociales, en particulier la surmortalité des femmes migrantes (figure 8). Ceci est particulièrement marqué pour les femmes nées en Afrique subsaharienne, dont la mortalité équivaut à 2,5 fois celle des femmes nées en France (RMM de 25 contre 9 pour les femmes nées en France/100 000 NV). Un groupe plus hétérogène, celui des « autres pays », montre également un excès de risque de mortalité maternelle, multiplié par 3,1 par rapport aux femmes nées en France. Pour les femmes nées en Afrique du Nord, le surrisque de mortalité maternelle par rapport aux femmes nées en France qui avait été trouvé en 2007-2009 (risque multiplié par 2), n’existe plus en 2013-2015 (figure 8). Cette variété des profils de risque selon l’origine géographique des femmes migrantes souligne l’importance de distinguer des sous-groupes de statut migratoire et d’explorer les hypothèses explicatives.

L’obésité figure également parmi les facteurs de risque ; globalement 24% des décès maternels sont survenus chez des femmes obèses, soit une prévalence de l’obésité deux fois plus grande dans les décès maternels que dans la population générale des parturientes (11,8%, Enquête nationale périnatale 2016) 7.

Figure 8 : Risque de mortalité maternelle par pays de naissance des femmes en France, 2007-2009 et 2013-2015
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Discussion

Que nous dit le 6e rapport sur la mortalité maternelle en France ?

Entre 2013 et 2015, en France, une mort maternelle est survenue tous les quatre jours d’une cause liée à la grossesse, à l’accouchement ou à leurs suites. Le RMM France entière, de 8,1 jusqu’à 42 jours (la fenêtre considérée dans les comparaisons internationales), se trouve dans la moyenne européenne, sans changement significatif au cours du temps pour les dernières années disponibles.

Cette stabilité, à première vue décourageante, peut être considérée comme un succès, en raison de changements concomitants qui tendent à augmenter la mortalité maternelle. D’une part, les caractéristiques des femmes enceintes changent, les plaçant de plus en plus dans des catégories à risque accru de décès maternel. L’âge maternel en particulier ne cesse d’augmenter et l’âge avancé est un facteur de risque connu. Ainsi, les femmes âgées de 35 ans et plus, un groupe où le risque de mortalité maternelle est trois fois plus élevé que celui des femmes âgées de 25-29 ans, représentaient 12% des femmes enceintes en 1995, 16% en 2003 et 21% en 2016 7. D’autre part, le périmètre de l’enquête a été élargi, géographiquement avec l’inclusion de Mayotte pour ce dernier rapport, territoire comptant 11 morts maternelles et 23 000 naissances (RMM 47,8/100 000 NV) pour la période 2013-2015 ; et conceptuellement par une approche inclusive des suicides, suivant la recommandation de l’OMS depuis 2014, de classer tous les suicides survenant pendant la grossesse et jusqu’à un an du post-partum comme mort maternelle sans essayer d’isoler le rôle causal joué par la grossesse 5. Enfin, cette stabilité contraste avec l’augmentation de la mortalité maternelle observée dans certains pays, notamment aux États-Unis, où le RMM a atteint un niveau record de 23,8/100 000 NV en 2020, soit trois fois le niveau français 8.

La diminution majeure de la mortalité par hémorragie obstétricale est un réel succès. Pour la première fois depuis la première enquête confidentielle, ce n’est plus la première cause de mortalité et la fréquence de cette cause de décès a été divisée par 2 en 10 ans. Cette claire amélioration montre que l’alerte donnée par les premiers résultats de l’ENCMM, mettant en évidence une forte contribution des hémorragies à la mortalité, a permis à l’ensemble de la communauté obstétricale de se mobiliser efficacement pour améliorer sa prise en charge. Ce succès illustre le rôle d’« événement sentinelle » que joue la mortalité maternelle, justifiant son étude approfondie, et montre la voie afin que d’autres succès de ce type soient obtenus pour les causes actuellement préoccupantes. Enfin, une part non négligeable des morts maternelles demeure sans étiologie identifiée. Ce résultat est à mettre en rapport avec le faible taux d’autopsies maternelles en France, 30% pour la période 2013-2015, ce qui est très peu par rapport à d’autres pays d’Europe 4. Ceci souligne l’importance de promouvoir et faciliter la pratique de l’autopsie maternelle, notamment dans un contexte de mort subite. En France, des obstacles organisationnels, financiers et culturels limitent actuellement la pratique de l’autopsie en cas de décès maternel.

Inégalités territoriales et sociales persistantes

Certaines inégalités de mortalité maternelle restent inchangées et sont préoccupantes dans le contexte français, qui repose sur le principe de l’accès universel à des soins de qualité, en particulier pour les femmes enceintes, ce qui doit conduire à une plus grande mobilisation. Ce sont des disparités métropole – DROM : 1 décès maternel sur 7 survient dans les DROM, et le RMM dans les DROM considérés ensemble est plus de trois fois celui de la France métropolitaine 4. Ce surrisque s’inscrit dans un contexte d’indicateurs de santé périnatale globalement plus défavorables dans les DROM, dont les causes semblent multiples. Si l’on schématise les mécanismes possibles du surrisque en deux volets, non exclusifs, que seraient d’une part un profil spécifique des parturientes dans les DROM qui les rendraient plus à risque de complications graves, et d’autre part une moins bonne qualité des soins prodigués, les informations issues de l’analyse des données de mortalité maternelle suggèrent que ces deux mécanismes sont vraisemblablement impliqués. Pour mieux cerner les leviers d’amélioration dans les DROM, au-delà des morts maternelles qui restent un évènement rare, il est nécessaire de disposer de données en amont sur les caractéristiques des femmes enceintes et de la prise en charge de leur grossesse et de leur accouchement, y compris en cas de complication. Cette analyse est à mener dans chacun des DROM, tant les contextes géographiques, humains et sanitaires sont variés. Dans cette perspective, les résultats à venir des extensions de l’ENP 2021 conduites dans chaque DROM seront très probablement éclairants 9.

La surmortalité des femmes migrantes reste également une réalité. Des travaux conduits dans le contexte français ont montré l’implication possible d’un suivi prénatal inadéquat chez ces femmes, mais aussi celui du statut légal 10 ou des comorbidités 11. L’hypothèse de soins différenciés selon le statut migratoire a été documentée dans le cadre de la pré-éclampsie 12 et a fait l’objet d’un programme de recherche en cours, le programme BIP 13. Dans ce numéro, l’article de Sauvegrain et coll. relate une analyse spécifique, parmi les morts maternelles, du parcours de soins des femmes migrantes.

Nouveaux défis

Les maladies cardiovasculaires et le suicide sont les deux principales causes de mortalité maternelle (jusqu’à un an après la fin de la grossesse). Ce profil montre l’importance de considérer la santé maternelle au-delà de la sphère directement obstétricale, et la nécessité pour les soignants de ne pas limiter l’entretien et l’examen des femmes enceintes, ou qui viennent d’accoucher, à cette sphère.

Les maladies cardiovasculaires sont responsables de 14% des décès maternels. Bien que leur contribution demeure plus faible que dans d’autres pays, l’évolution du profil des femmes enceintes, en particulier l’augmentation de l’âge et de l’indice de masse corporelIe (IMC), souligne la nécessité d’intégrer cet aspect de la santé dans la préparation et l’accompagnement des grossesses et leurs suites.

Le suicide devient la co-première cause de mortalité maternelle, 13% des décès maternels, avec une survenue médiane à 4 mois post-partum. Le 6e rapport de l’ENCMM est le premier à fournir une image fiable des suicides maternels en France. Il met en évidence la priorité que constitue la santé mentale maternelle, dont l’importance pour le développement de l’enfant a été également soulignée dans le « rapport sur les 1 000 premiers jours » 14.

Pour ces deux causes dominantes de mortalité maternelle, l’analyse du Cnemm 5 distingue les femmes ayant des maladies préexistantes connues (maladies cardiovasculaires ou psychiatriques), pour lesquelles les pistes d’amélioration concernent la mise en place effective pour chaque femme d’un parcours coordonné de soins multidisciplinaires entre équipes d’obstétrique, de spécialistes concernés et les médecins généralistes et sages-femmes de ville, tout au long de la période du préconceptionnel au post-partum. En l’absence de maladie connue, les facteurs d’évitabilité sont souvent liés à des défauts ou retards diagnostiques pour ces pathologies, soulignant la nécessité de formation des soignants de l’obstétrique aux aspects de la santé cardiovasculaire et mentale de la mère.

Dans tous les cas, l’organisation d’une offre de soins graduée et de parcours de soins coordonnés pour les femmes enceintes et récemment accouchées sur un territoire, semble un enjeu majeur.

Conclusion

Au travers de la description des morts maternelles survenues en France, le 6e rapport de l’ENCMM fournit des informations sur les priorités actuelles pour améliorer la santé maternelle, en particulier les disparités DROM – métropole : sociales, santé cardiovasculaire et santé mentale. C’est maintenant à chacun de s’emparer de ces résultats pour les décliner en travaux de recherche, et en actions d’amélioration des soins et de leur organisation, aux différents échelons. L’exemple historique de la diminution de la mortalité maternelle par hémorragie illustre qu’un tel succès est possible, et doit être recherché dans ces domaines de la santé non strictement obstétricaux.

Remerciements

Aux assesseurs anesthésistes réanimateurs, gynécologues-obstétriciens, sages-femmes et psychiatres qui ont consacré leur temps et leur expérience au recueil des informations relatives aux décès maternels et sans qui l’ENCMM n’aurait pas été possible. Aux réseaux de santé périnatale pour leur aide au repérage des décès et à la préparation du travail des assesseurs. Aux cliniciens, aux équipes de soignants et aux directions d’établissements, qui facilitent la bonne mise en œuvre de l’enquête sur le terrain par leur coopération.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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2 Berg CJ, Harper MA, Atkinson SM, Bell EA, Brown HL, Hage ML, et al. Preventability of pregnancy-related deaths: Results of a state-wide review. Obstet Gynecol. 2005;106(6):1228-34.
3 Deneux-Tharaux C, Saucedo M, Comité national d’experts sur la mortalité maternelle. Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles en France, contexte et méthode. Gynecol Obstet Fertil Senol. 2021;49(1):3-8.
4 Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. 6e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), 2013-2015. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 237 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-cardiovasculaires-et-accident-vasculaire-cerebral/maladies-vasculaires-de-la-grossesse/documents/enquetes-etudes/les-morts-maternelles-en-france-mieux-comprendre-pour-mieux-prevenir.-6e-rapport-de-l-enquete-nationale-confidentielle-sur-les-morts-maternelles
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13 Azria E, Sauvegrain P, Anselem O, Bonnet MP, Deneux-Tharaux C, Rousseau A, et al. Implicit biases and differential perinatal care for migrant women: Methodological framework and study protocol of the BiP study part 3*,**. J Gynecol Obstet Hum Reprod. 2022;51(4):102340.
14 Les 1 000 premiers jours. Là où tout commence. rapport de la commission des 1 000 premiers jours. Paris: ministère de la Solidarité et de la Santé; 2020. 130 p. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-1000-premiers-jours.pdf

Citer cet article

Saucedo M, Almeras A, Gomes E, Deneux-Tharaux C, pour le Comité national d’experts sur les morts maternelles. La mortalité maternelle en France, évolutions récentes et défis actuels : résultats marquants de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, 2013-2015. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(3-4):44-52. http://beh.sante
publiquefrance.fr/beh/2023/3-4/2023_3-4_1.html

(1) Insee. Statistiques et études. Démographie. Thèmes Naissance – Fécondité. https://www.insee.fr/fr/statistiques?debut=0&idprec=6524912&theme=
2&categorie=5