Réflexions sur le sixième rapport sur les morts maternelles en France, 2013-2015
// Reflections on the sixth report on maternal deaths in France, 2013-2015
La France est l’un des rares pays disposant d’un système renforcé de surveillance de la mortalité maternelle, l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), qui identifie chaque décès survenant pendant la grossesse, le travail et l’accouchement et jusqu’à un an après l’accouchement. Ce système permet de produire des rapports nationaux détaillés sur les causes et les disparités régionales des décès maternels liés à la grossesse 1. Il permet également de procéder à des comparaisons avec d’autres pays à revenu élevé qui possèdent des systèmes de surveillance similaires 2. L’objectif de ce système est d’améliorer la qualité des soins pendant la grossesse et l’accouchement et de prévenir tout décès maternel évitable. Cet éditorial met l’accent sur les principales conclusions du 6e rapport de l’ENCMM, et sur la comparaison entre la France et d’autres pays européens dotés de systèmes renforcés de surveillance de la mortalité maternelle.
Le 6e rapport de l’ENCMM rapporte 262 décès maternels survenus en France entre 2013 et 2015, correspondant à un ratio de mortalité maternelle (RMM) de 10,8 décès pour 100 000 naissances vivantes 1,3. Si le RMM n’a pas changé depuis les précédentes éditions du rapport, deux constats importants sont à retenir : une évolution des principales causes de décès maternel et la persistance d’un taux de mortalité élevé parmi les groupes sociodémographiques défavorisés. Ces deux constats méritent une réflexion plus approfondie.
Selon le 6e rapport de l’ENCMM, et pour la première fois depuis le début de ces enquêtes, l’hémorragie obstétricale n’est plus la première cause de mortalité maternelle 3,4. Cependant, cette baisse de la mortalité due à des causes « directes » (obstétriques) est masquée par une hausse du nombre des décès dus à des causes « indirectes », en particulier les maladies cardiovasculaires et le suicide, qui représentent les principales causes de décès dans de nombreux pays à revenu élevé 2. Ainsi, en France, les décès dus aux maladies cardiovasculaires représentaient 14% (36 cas) des décès maternels, soit 30% si l’on inclut les accidents vasculaires cérébraux, les embolies pulmonaires et l’hypertension durant la grossesse 4. Bien que ces taux restent plus faibles que dans les autres pays à revenu élevé 2, ils reflètent probablement l’évolution démographique des femmes enceintes en France. Les suicides représentaient 13,4% (35 cas) sur l’ensemble des décès, dont la majorité (77%) survenue après le 42e jour post-partum, la moyenne se situant à 4 mois post-partum 5. Ces résultats rejoignent ceux des enquêtes confidentielles sur la mortalité maternelle au Royaume-Uni 6 et soulignent l’importance d’inclure tous les décès maternels jusqu’à un an après l’accouchement. Les facteurs de risque de décès maternels fréquemment identifiés comprenaient la précarité, l’isolement, les antécédents de maladie mentale, les événements stressants et les complications pendant la grossesse ou l’accouchement 5. De plus, par comparaison aux autres pays à revenu élevé, la mortalité maternelle à la suite d’une embolie du liquide amniotique était plus élevée en France (28/196 décès, soit 14,3% des décès jusqu’à 42 jours post-partum) 2.
Le deuxième constat important est lié aux disparités régionales et sociales de la mortalité maternelle, qui persiste au fil du temps. Les disparités régionales sont attestées par une mortalité maternelle trois fois plus élevée dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), à savoir la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion et Mayotte, par rapport à la France métropolitaine 1. Des disparités sociales sont observées également au niveau de la France métropolitaine. Une analyse de Sauvegrain et coll. 7, réalisée à partir des 254 décès maternels survenus en France de 2010 à 2012, s’est focalisée sur les 110 cas de décès pour lesquels une des causes identifiées était la qualité des soins. Les auteurs ont utilisé le critère de qualité des soins défini par l’Organisation mondiale de la santé sur la base de trois retards de prise en charge : le retard de type 1 concernant la décision de consulter, le retard de type 2 l’arrivée dans un établissement de santé et le retard de type 3 la délivrance d’une offre de soins adaptée. Bien que cela soit statistiquement non significatif, les auteurs montrent que les retards de type 1 et 2 étaient plus fréquents chez les femmes nées en Afrique subsaharienne que chez les femmes nées en France ou dans d’autres pays (respectivement 41%, 29% et 29%, p=0,33). De plus, dans ces trois groupes, ces retards ont entraîné le décès de la femme dans 41% des cas, contre respectivement 10% et 24% des cas (p=0,14). Cette situation d’un RMM plus élevé chez les personnes nées à l’étranger n’est pas spécifique à la France, mais n’est pas observée dans certains pays à revenu élevé comme la Norvège 2. Les liens entre les caractéristiques sociodémographiques et les indicateurs de santé maternelle dans les DROM 1 et les obstacles à l’accès aux soins chez certaines populations en France 7 suggèrent que seule la mise en œuvre de mesures pour lutter contre ces inégalités en matière de santé permettrait de réduire le RMM au sein de ces populations.
Contrairement aux statistiques nationales qui sous-estiment de 36% la mortalité maternelle en France, le rapport de l’ENCMM permet d’identifier les décès liés à la grossesse, y compris les décès maternels tardifs (entre 43 et 365 jours post-partum), qui représentent 25% du total des décès en France 2. Le RMM en France est stable et inférieur à celui de certains pays à revenu élevé tels que le Royaume-Uni, l’Italie et la Slovaquie, mais il reste plus élevé que ceux rapportés en Norvège, au Danemark et aux Pays-Bas. Parmi les constats du 6e rapport de l’ENCMM qui donnent à réfléchir : les soins ont été jugés insuffisants dans deux cas de décès sur trois et dans plus de la moitié des cas (58%), les décès auraient probablement été évités en modifiant les stratégies de prévention, l’organisation des soins ou les soins eux-mêmes 4. En fournissant des détails précis sur les événements ayant entraîné les décès liés à la grossesse, le rapport de l’ENCMM a pu formuler 30 messages clés pour les professionnels de santé et les familles, afin de réduire les causes évitables de décès maternels, en se basant sur le principe d’une « meilleure compréhension pour une meilleure prévention » 2. Ces messages appellent à repenser les priorités en matière de politiques de santé en se concentrant sur la santé cardiovasculaire et la santé mentale pendant et après la grossesse, et sur la réduction des inégalités de soins liés à la grossesse.
Le dernier rapport de l’ENCMM suggère que la France est entrée au stade IV de la transition obstétricale 8, dans laquelle les causes indirectes de mortalité maternelle, en particulier celles liées aux maladies non transmissibles, ont remplacé les problèmes obstétriques proprement dits comme principales causes de décès. En mettant l’accent sur la réduction des retards de soins au sein du système de santé, le déploiement universel des mesures clés proposées pour améliorer et maintenir la qualité des soins, progresser dans la lutte contre la violence structurelle et fournir des soins efficaces et équitables aux populations vulnérables, la France pourrait prétendre accéder au stade V de la transition obstétricale, l’objectif ultime étant de prévenir tous les décès maternels évitables.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr Isabelle Malhamé pour la vérification de l’exactitude de la traduction française.
Références
uk/assets/downloads/mbrrace-uk/reports/maternal-report-2021/MBRRACE-UK_Maternal_Report_2021_-_FINAL_
-_WEB_VERSION.pdf
3-4/2023_3-4_3.html