Surveillance de la grippe en France, saison 2022-2023

// Influenza surveillance in France, 2022–2023 season

Sibylle Bernard-Stoecklin (sibylle.bernard-stoecklin@santepubliquefrance.fr)
Équipes de surveillance de la grippe / Influenza surveillance teams*

Santé publique France : Joséphine Cazaubon, Christine Campèse, Thibault Boudon, Anne Fouillet, Bernadette Verrat, Cécile Forgeot, Isabelle Parent du Châtelet, Sibylle Bernard-Stoecklin (Saint-Maurice) et l’ensemble des épidémiologistes des cellules régionales de Santé publique France ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Centre coordonnateur, Unité de génétique moléculaire des virus à ARN, UMR 3568 CNRS, Université Paris Cité, Institut Pasteur, Paris : Vincent Enouf, Naël Zemali, Sylvie van der Werf, G5 Génomique évolutive des virus à ARN, Université Paris Cité, Institut Pasteur, Paris : Vincent Thonier, Etienne Simon-Lorière ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Laboratoire associé, Centre de biologie & pathologie Nord, Lyon : Martine Valette, Maud Bouscambert, Laurence Josset, Bruno Lina ; Réseau Sentinelles, UMR S 1136 Inserm UPMC, Paris : Aubane Renard, Titouan Launay, Ana-Maria Vilcu, Noémie Sève, Thierry Blanchon, Caroline Guerrisi EA 7310 Université de Corse, Corte : Alessandra Falchi, Ornella Carta, Marie Chazelle, Shirley Masse.
Soumis le 11.07.2023 // Date of submission: 07.11.2023
Mots-clés : Grippe | Surveillance | Épidémie | Vaccination
Keywords: Influenza | Surveillance | Outbreak | Vaccination

Résumé

Cet article présente un bilan de l’épidémie de grippe saisonnière survenue en France au cours de la saison 2022-2023.

Méthodes –

Cette synthèse s’appuie sur l’analyse descriptive des données cliniques et virologiques issues de la surveillance des syndromes grippaux en médecine de ville, des données issues de la surveillance de la grippe et des syndromes grippaux aux urgences, des données virologiques issues des hôpitaux, des données cliniques sur les cas graves de grippe hospitalisés en services de réanimation, des signalements d’épisodes d’infections respiratoires aiguës (IRA) dans les établissements médico-sociaux, dont les collectivités de personnes âgées, ainsi que des données de mortalité issues de la certification électronique des décès.

Résultats –

En France métropolitaine, l’épidémie de grippe 2022-2023 a démarré fin novembre 2022 (S47-2022), a atteint son pic fin décembre et s’est achevée début avril (S13-2023), soit une durée totale de 19 semaines. Elle a été caractérisée par la survenue de deux vagues successives. La première vague épidémique, principalement liée au virus A(H3N2), a été de très forte intensité et marquée par un impact important chez les moins de 65 ans à l’hôpital, particulièrement chez les 15-64 ans. Elle a été suivie par un rebond épidémique fin janvier, de moindre ampleur, majoritairement dû au virus B/Victoria. Cette seconde vague a touché principalement les moins de 15 ans et a eu un faible impact en termes de sévérité.

Conclusion –

L’épidémie de grippe 2022-2023, précoce et exceptionnellement longue, a été marquée par la survenue de deux vagues successives dominées par des virus grippaux différents (A(H3N2) et B/Victoria, respectivement). La première vague épidémique est survenue de façon concomitante avec une circulation importante d’autres virus respiratoires, notamment le virus respiratoire syncytial (VRS) et le SARS-CoV-2, et a été marquée par une sévérité inhabituellement élevée chez les jeunes adultes. Les impacts respectifs en termes de morbidité et de mortalité de ces différentes épidémies virales (bronchiolite, Covid-19 et grippe) se sont donc additionnés, essentiellement en décembre 2022, occasionnant de fortes tensions sur l’offre de soins et une surmortalité élevée. Dans la perspective de la saison hivernale 2023-2024, il convient de rappeler l’importance de la prévention, notamment par la vaccination antigrippale chez les personnes à risque, complétée par des mesures barrières pour limiter la diffusion des virus dans l’entourage des cas.

Abstract

This article describes the seasonal influenza epidemic in France during the 2022–2023 winter season.

Methods –

This overview is based on the descriptive analysis of different sources of surveillance data collected in France: clinical influenza-like illness (ILI) in the community reported by primary care networks, virological data analysed by reference laboratories, data on emergency department visits and hospital admissions for influenza/ILI, reporting of severe influenza cases admitted to intensive care units (ICU), reporting of acute respiratory infection (ARI) clusters in nursing homes, and mortality data from electronic death certificates.

Results –

 In mainland France, the 2022–2023 influenza epidemic started at the end of November 2022 (W47-2022), peaked in late December, and ended in early April (W13-2023), with a total duration of 19 weeks. A first wave, mainly due to A(H3N2) viruses, was characterised by very high intensity and strong hospital-level impact in people aged 0–64 years, particularly young adults (15–64 years). From the end of January, there was an epidemic rebound of lower magnitude but longer duration, mainly due to B/Victoria viruses. This second wave concerned mainly children below 15 years and had a lower impact in terms of severity.

Conclusion –

The 2022–2023 influenza epidemic, with an exceptionally early start and long duration, was marked by the occurrence of two successive epidemic waves dominated by different influenza viruses (A(H3N2) and B/Victoria, respectively). This first epidemic wave occurred amid significant circulation of other respiratory viruses, including respiratory syncytial virus (RSV) and SARS-CoV-2, and was characterised by atypical severity in young adults. In terms of morbidity and mortality, the combined impact of these different viral epidemics (bronchiolitis, Covid-19 and influenza) culminated in severe pressure on healthcare provision and a high level of excess mortality, particularly in December 2022. In view of the upcoming 2023–2024 winter season, it is important to stress the role of prevention, including influenza vaccination for individuals at risk, complemented by non-pharmaceutical prevention measures to limit virus spread around cases.

Introduction

La grippe est une maladie infectieuse virale contagieuse qui survient généralement de manière saisonnière, entre les mois de décembre et mars en France métropolitaine 1. Les épidémies grippales ont un coût socio-économique important, puisqu’on estime qu’elles représentent en moyenne 3 à 5 millions de cas graves de grippe 2 et 290 000 à 650 000 décès 3 dans le monde chaque année. La mortalité due à la grippe saisonnière concerne essentiellement les sujets vulnérables : les personnes âgées de 65 ans et plus et les personnes ayant des facteurs de risque de forme grave (maladies chroniques, sujets immunodéprimés, etc.) 2,4.

La surveillance de la grippe en France a pour objectifs la détection précoce et le suivi de la dynamique épidémique, de la morbidité et de la mortalité dues aux virus grippaux. De plus, le suivi de l’évolution génétique et antigénique des virus circulants contribue à la surveillance internationale des virus grippaux et permet de contrôler l’adéquation entre la composition vaccinale et les virus circulants, puis la sélection des souches virales entrant dans la composition du vaccin antigrippal pour la prochaine saison. Enfin, elle aide à estimer le fardeau de la grippe sur la population française et contribue à l’élaboration et à l’évaluation des stratégies de prévention et de contrôle de la maladie, notamment la vaccination et la promotion des mesures barrières.

Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques de la surveillance de la grippe de la saison 2022-2023 en France. L’essentiel des données concerne la France métropolitaine, mais un paragraphe spécifique est dédié à l’épidémie de grippe dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

Méthodes

La surveillance de la grippe en France, coordonnée par la Direction des maladies infectieuses de Santé publique France, s’appuie sur un large réseau de partenaires. Elle est réalisée en médecine ambulatoire à partir des données des médecins du réseau Sentinelles et des associations SOS Médecins. La surveillance hospitalière est effectuée à partir des données du réseau de l’Organisation de la surveillance coordonnée des urgences (réseau Oscour®) et du réseau de surveillance sentinelle des cas graves de grippe admis en services de réanimation adulte et pédiatrique, piloté par les cellules régionales de Santé publique France. La surveillance est complétée par les données des épisodes d’infections respiratoires aigües (IRA) provenant des établissements médico-sociaux, dont les collectivités de personnes âgées, et par les données de mortalité issues du dispositif de certification électronique des décès qui couvrait, fin 2022, 35% des décès de la mortalité nationale 5. La surveillance virologique est effectuée par le Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires (dont la grippe, le virus respiratoire syncytial (VRS) et le SARS-CoV-2) et pour la Corse, par le laboratoire de virologie de l’Université de Corse. Elle s’appuie sur des prélèvements virologiques provenant des médecins Sentinelles (données de médecine de ville) et du réseau Renal (données hospitalières). La semaine du pic épidémique est définie comme étant la semaine durant laquelle l’activité pour syndrome grippal était la plus élevée en médecine de ville (réseaux Sentinelles et SOS Médecins).

Les objectifs et méthodes des différents réseaux de surveillance de la grippe en France métropolitaine et en outre-mer ont été précédemment décrits 6 et certains d’entre eux ont été adaptés dans le contexte de la pandémie de Covid-19 7.

La description des données de surveillance de la grippe dans les DROM porte sur la période de surveillance de la grippe au niveau métropolitain, de la semaine 40-2022 (début octobre) à la semaine 17-2023 (fin avril).

Analyse

La détermination des périodes pré-, post- et inter-épidémiques, ainsi que de la période épidémique aux niveaux national et régional s’effectue à partir des données historiques, depuis la saison 2016-2017, des trois sources de consultations pour syndrome grippal (réseaux Sentinelles, SOS Médecins et Oscour®). Ces données sont analysées selon trois méthodes statistiques différentes (régression périodique, régression périodique robuste et modèle de Markov caché). Un maximum de 9 alarmes statistiques peut donc être généré chaque semaine dans chaque région et au niveau national. Selon le nombre d’alarmes statistiques générées, chaque région et la France métropolitaine sont considérées sans alerte statistique (ou phase inter-épidémique, <4 alarmes), en phase pré- ou post-épidémique (entre 4 et 8 alarmes) ou en phase épidémique (9 alarmes). Ainsi, pour une semaine donnée, la métropole peut être classée en épidémie, sans que l’ensemble des régions métropolitaines ne le soit nécessairement, et la durée de l’épidémie peut différer entre chaque région et la métropole. Cette approche statistique est complétée au niveau régional par l’analyse réalisée par les cellules régionales de Santé publique France, sur la base de leur connaissance de la qualité des données ou de données complémentaires (virologiques, etc.), pouvant les conduire à proposer, après consensus d’experts, un niveau d’alerte épidémiologique différent de celui produit par l’approche statistique. Ce classement au niveau régional permet d’adapter l’offre de soins au niveau d’alerte généré 8.

L’approche standardisée PISA (Pandemic Influenza Severity Assessment), développée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plusieurs années et à laquelle la France participe, a été intégrée à la surveillance de la grippe depuis la saison 2021-2022. Cette approche permet d’évaluer l’intensité d’une épidémie de grippe selon trois indicateurs : la transmissibilité de la grippe au sein de la population générale, la sévérité de la maladie et l’impact sur le système de soins et la société 9. Les seuils d’intensité pour les indicateurs de transmissibilité (part des consultations pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des consultations SOS Médecins) et d’impact (part des hospitalisations après passage aux urgences pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des hospitalisations après passage dans les services d’urgence du réseau Oscour®) ont été fixés par Santé publique France en utilisant la méthode statistique « Moving Epidemic Method ». Les données utilisées pour déterminer ces seuils d’intensité sont celles des saisons 2015-2016 à 2021-2022 (saisons 2019-2020 et 2020-2021 exclues), entre les semaines 40 et 20. Des travaux sont en cours concernant l’indicateur de sévérité de la maladie.

Durant la période de surveillance de la grippe (S40-2022 à S17-2023), une synthèse de l’évolution de l’épidémie était publiée chaque semaine dans le Bulletin hebdomadaire grippe, ainsi que dans les points épidémiologiques régionaux disponibles sur le site de Santé publique France 10.

Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques de la saison 2022-2023 de la grippe en France. Ces données ont été comparées à celles des saisons précédentes, de 2017-2018 à 2021-2022. Les saisons 2019-2020 et 2020-2021 ont été exclues de ces analyses, en raison de l’impact majeur de la pandémie de Covid-19 sur l’épidémiologie de la grippe saisonnière, ainsi que sur les indicateurs de surveillance syndromique utilisés pour la grippe 11,12.

Résultats

L’épidémie de grippe 2022-2023 a commencé dans la métropole en S47-2022 (du 21 au 27 novembre). L’épidémie, débutée en Bretagne et en Normandie, s’est rapidement propagée à l’ensemble de la France métropolitaine, et l’intégralité des régions était en épidémie en S49-2022. Début janvier (S03-2023), 3 régions sont passées en phase post-épidémique : les Hauts-de-France, la Normandie et la Bretagne. Cette dernière, de façon exceptionnelle, est repassée à nouveau en phase épidémique deux semaines plus tard (S05-2023). Les 11 autres régions sont progressivement passées en phase post-épidémique à partir de mi-mars (S11-2023). Toutes les régions étaient revenues en phase inter-épidémique fin avril (S17-2023) (figure 1). Au niveau métropolitain, l’épidémie a duré 19 semaines, de la semaine 47-2022 (du 21 au 27 novembre) à la semaine 13-2023 (du 27 mars au 2 avril), avec un pic épidémique atteint en ville en S51. Cette épidémie de grippe est la plus précoce et la plus longue observée au cours de la période 2011-2022 (figure 2).

Figure 1 : Évolution hebdomadaire des niveaux d’alerte en région en France, S44-2022 à S17-2023
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Figure 2 : Niveau d’alerte hebdomadaire de la grippe, saisons 2011-2012 à 2022-2023, de S40 à S20,
en France métropolitaine
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Surveillance clinique et virologique en médecine de ville

Durant les 19 semaines épidémiques, le nombre de consultations pour syndrome grippal a été estimé à 2 073 000 et le taux d’incidence cumulé tous âges à 3 122 pour 100 000 habitants, à partir des données du réseau Sentinelles. Le pic d’activité en médecine de ville a été observé en S51-2022 (du 19 au 25 décembre), avec un taux de consultations pour syndrome grippal de 374 pour 100 000 habitants (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [350-398]) (figure 3). Les consultations pour syndrome grippal en médecine de ville durant l’épidémie de grippe ont concerné très majoritairement les enfants de moins de 15 ans, avec un taux d’incidence cumulé de 6 280/100 000 chez les moins de 5 ans et de 5 621/100 000 chez les 5-14 ans. Ce taux était nettement inférieur chez les 15-64 ans (3 033/100 000) et chez les personnes âgées de 65 ans et plus (1 378/100 000) (figure 4).

Selon les données du réseau SOS Médecins, la proportion de syndromes grippaux parmi tous les actes médicaux disposant d’un diagnostic médical codé était de 25,4% au pic épidémique (S51-2022), versus 17,4% en 2021-2022 et 23,3% en 2018-2019 (figure 3). En comparaison des données recueillies durant les saisons 2015-2016 à 2021-2022 (saisons 2019-2020 et 2020-2021 exclues), l’activité en médecine de ville pour syndrome grippal (SOS Médecins) a atteint un niveau d’intensité très élevé tous âges confondus (figure 5a) et chez les 15-64 ans, et élevé chez les moins de 15 ans et les 65 ans et plus (figure 5b). Néanmoins, au cours du rebond d’activité observé entre S04 et S13-2023, le niveau d’intensité est demeuré faible tous âges confondus (figure 5a) et dans l’ensemble des classes d’âge (figure 5b).

Figure 3 : Évolution hebdomadaire des taux de consultations pour syndrome grippal en France métropolitaine de S40 à S15 pour les saisons 2017-2018 à 2022-2023
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Figure 4 : Évolution hebdomadaire des taux de consultations pour syndrome grippal en France métropolitaine, pour 100 000 habitants et par classe d’âge, 2017-2018 à 2022-2023
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Figure 5 : Part hebdomadaire des consultations SOS Médecins pour syndrome grippal parmi l’ensemble des consultations et niveau d’intensité associé (approche PISA) en France métropolitaine, saison 2022-2023
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Au cours de la période de surveillance (S40-2022 à S17-2023), 4 413 prélèvements ont été réalisés par les médecins du réseau Sentinelles et testés pour la grippe chez des patients consultant pour une infection respiratoire aiguë. Parmi ces 4 413 prélèvements, 4 400 ont été testés et 1 410 étaient positifs pour un virus grippal (32%). Parmi les virus grippaux, 851 (60%) étaient de type A (666 (47%) de sous-type A(H3N2), 174 (12%) de sous-type A(H1N1)pdm09 et 11 non sous-typés) et 559 (40%) étaient de type B (dont 368 de lignage Victoria et 191 non caractérisés). Aucun virus de type B/Yamagata n’a été détecté. La part relative des virus de type B par rapport aux virus de type A a progressivement augmenté à partir de fin décembre (S52-2022) pour devenir majoritaire dès fin janvier (S04-2023), (figure 6). La proportion de prélèvements positifs pour un virus grippal a atteint un pic en S51-2022 à 66%, valeur comparable au taux de positivité observé lors du pic épidémique de 2021-2022 (67%) et inférieure à celui de 2018-2019 (79%). Il y a eu 103 cas de co-infection virus influenza/autre virus respiratoire identifiés durant la saison, dont 27 cas de virus influenza/SARS-CoV-2, 22 cas de virus influenza/VRS, 1 cas de virus influenza A/virus influenza B, 1 cas de virus influenza/SARS-CoV-2/VRS et 1 cas de virus influenza/SARS-CoV-2/rhinovirus.

Figure 6 : Taux de positivité pour la grippe et distribution des types et sous-types de virus grippaux identifiés en France métropolitaine de S40-2022 à S17-2023 en médecine de ville et à l’hôpital
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Surveillance des passages aux urgences et des hospitalisations survenues après passage aux urgences pour grippe

Durant les 19 semaines épidémiques, le réseau Oscour® a enregistré 110 918 passages aux urgences pour grippe/syndrome grippal, valeur la plus élevée depuis la saison 2017-2018. Les passages aux urgences pour grippe/syndrome grippal ont représenté 9/1 000 passages aux urgences sur la totalité de l’épidémie. Cette valeur est nettement inférieure aux données observées lors des saisons précédentes (18/1 000 passages aux urgences en moyenne entre 2015-2016 et 2021-2022, saisons 2019-2020 et 2020-2021 exclues). Cette diminution de la part des passages pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des passages aux urgences par rapport aux saisons antérieures peut être expliquée, d’une part par la triple épidémie de grippe, de Covid-19 et de bronchiolite survenue cet hiver qui a pu avoir pour effet de diminuer le poids relatif de chaque agent pathogène sur le système hospitalier, et d’autre part par la durée exceptionnellement longue de l’épidémie cette saison, marquée par un fort impact à l’hôpital de la première vague (principalement liée au virus A(H3N2)), puis par un faible impact lors de la seconde vague (principalement liée au virus de type B). En revanche, cet indicateur a atteint un niveau exceptionnellement élevé au pic épidémique par rapport aux saisons antérieures avec 57/1 000 passages en S51-2022, versus 27/1 000 au pic en 2021-2022 et 45/1 000 en 2018-2019.

Au cours de l’épidémie, 15 828 hospitalisations après passage aux urgences pour grippe/syndrome grippal ont été enregistrées, valeur la plus élevée observée au cours de la période 2017-2022 (à établissements constants) (figure 7). La majorité des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal après passage aux urgences durant l’épidémie concernait les personnes âgées de 65 ans et plus, avec 54% des hospitalisations, versus 15% chez les moins de 5 ans, 7% chez les 5-14 ans et 24% chez les 15-64 ans. La proportion d’hospitalisations après passage aux urgences pour grippe/syndrome grippal durant l’épidémie était de 14% tous âges confondus, valeur plus élevée que celles atteintes lors des épidémies de 2017-2018 (13%) et 2021-2022 (12%), mais inférieure à celle de l’épidémie de 2018-2019 (16%). La valeur de cet indicateur était de 15% lors de la première vague épidémique (S47-2022 à S03-2023, A(H3N2) prédominant) et de 13% lors de la seconde (S04 à S13, B/Victoria prédominant), tous âges confondus.

La part des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal après passage aux urgences parmi l’ensemble des hospitalisations après passage aux urgences a été de 13/1 000 tous âges confondus pendant la période épidémique, valeur supérieure à celles de 2021-2022 et 2017-2018 (11,5/1 000 et 11,3/1 000 respectivement), mais inférieure à celle de 2018-2019 (22,1/1 000). Cette proportion a atteint sa valeur maximale (44/1 000 hospitalisations) en semaine 52-2022, valeur la plus élevée jamais observée pour cet indicateur. C’est chez les enfants de moins de 5 ans et les 5-14 ans que cet indicateur a été le plus élevé (respectivement 62/1 000 et 56/1 000 hospitalisations en S51-2022), suivis des 65 ans et plus (54/1 000 hospitalisations en S52-2023) (figure 8).

En comparaison des données recueillies durant les saisons 2015-2019 et 2021-2022 2, l’activité pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des hospitalisations après passage aux urgences a atteint un niveau d’intensité très élevé au pic d’activité tous âges confondus (42% en S51 et 44% en S52) (figure 9a), chez les moins de 15 ans et chez les 15-64 ans, et un niveau élevé chez les 65 ans et plus (figure 9b). Au pic de la seconde vague épidémique (S04 à S13-2023), le niveau d’intensité à l’hôpital a été modéré dans l’ensemble des classes d’âge (figures 9a et 9b).

Figure 7 : Effectifs cumulés des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal au cours des épidémies de grippe (établissements constants), tous âges, en France métropolitaine saisons 2017-2018 à 2022-2023
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Figure 8 : Évolution hebdomadaire de la part des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal
parmi l’ensemble des hospitalisations après passage aux urgences, par classe d’âge et semaine d’admission, en France métropolitaine de 2017-2018 à 2022-2023
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Figure 9 : Part hebdomadaire des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des hospitalisations après passage aux urgences (réseau Oscour®) et niveaux d’intensité associés (approche PISA), en France métropolitaine, saison 2022-2023
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Surveillance virologique à l’hôpital

En milieu hospitalier (réseau Renal), parmi les 486 657 résultats virologiques transmis au CNR pendant la saison, 36 927 prélèvements se sont avérés positifs pour un virus grippal (8%). Parmi ces virus grippaux, 27 133 (73%) étaient des virus de type A (5 261 de sous-type A(H3N2), 1 366 de sous-type A(H1N1)pdm09, et 20 506 non sous-typés) et 9 794 (27%) étaient de type B. De façon comparable aux données de ville, la part relative des virus de type B par rapport aux virus de type A a progressivement augmenté à l’hôpital à partir de la semaine 51-2022, pour devenir majoritaire à partir de la semaine 07-2023 (figure 6b). La proportion de prélèvements positifs pour un virus grippal a atteint son pic en S51-2022 avec 22%, valeur supérieure à celle observée au pic épidémique en 2021-2022 (11%), mais inférieure à celle de la saison 2018-2019 (34%).

Caractérisation antigénique des virus en médecine de ville et à l’hôpital

Parmi les 395 virus A(H3N2) dont la caractérisation antigénique a été réalisée par test d’inhibition de l’hémagglutination par le CNR, 90% étaient antigéniquement apparentés à la souche vaccinale présente dans le vaccin de l’hémisphère nord (HN) 2022-23 (souche vaccinale A/Darwin/9/202, clade 3C.2a1b.2a2). Parmi les 103 virus A(H1N1)pdm09 dont la caractérisation antigénique a été réalisée, 96% étaient antigéniquement apparentés à la souche vaccinale présente dans le vaccin HN 2022-2023 (souche A/Victoria/2570/2019, clade 6B.1A.5a1.2). Enfin, les 158 virus B/Victoria caractérisés étaient tous antigéniquement apparentés à la souche vaccinale présente dans le vaccin HN 2022-2023 (souche B/Austria/1359417/2021, clade V1A.3a2), lignage Victoria.

Surveillance des cas graves admis en service de réanimation

La surveillance des cas graves de grippe admis en réanimation a été fortement affectée par la survenue de la pandémie de Covid-19, avec une baisse importante du nombre de services participant au moins une fois à cette surveillance lors des saisons 2021-2022 et 2022-2023, à la suite de leur forte mobilisation depuis mars 2020 pour déclarer les cas graves de Covid-19. Ainsi, le nombre de cas signalés pour cette saison ne peut pas être comparé aux données des épidémies précédant la pandémie. Les données de la saison 2022-2023 (S40-2022 à S17-2023) décrivant les caractéristiques des cas admis en réanimation sont présentées dans le tableau.

Tableau : Caractéristiques des cas graves de grippe admis en réanimation et comparaison des cas liés aux virus A(H3N2) et de type B, S40-2022 à S17-2023, France métropolitaine (Santé publique France)
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Au total, 987 cas graves de grippe ont été signalés par les 119 services de réanimation sentinelles ayant participé à la surveillance des cas graves de grippe cette saison, dont 946 admis au cours de l’épidémie. Le pic d’admissions a été observé en semaine 52-2022, durant laquelle 213 cas ont été déclarés (figure 10).

Figure 10 : Évolution hebdomadaire des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal en France métropolitaine de 2017-2018 à 2022-2023 : nombre de cas graves admis en réanimation (Santé publique France) et part des hospitalisations pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des hospitalisations après passage aux urgences (réseau Oscour®), par semaine d’admission
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Parmi l’ensemble des cas, 54% étaient des hommes, et l’âge médian était de 59 ans. La majorité des cas était âgée de 15 à 64 ans (493 cas, soit 50%). Le type de virus grippal a été identifié pour 926 patients : 785 infections par un virus de type A (85%), 139 par un virus de type B (15%) et 2 co-infections par un virus de type A et un virus de type B. Parmi l’ensemble des cas, 29 patients (3%) étaient co-infectés par le virus de la grippe et le SARS-CoV-2. Il y avait 70% des cas qui présentaient au moins une comorbidité ou un facteur de risque de grippe grave. Une vaccination contre la grippe saisonnière pour la saison en cours a été rapportée pour 14% des cas. Au cours du séjour en réanimation, 48% des patients ont présenté un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), allant de mineur à sévère et 45% ont nécessité une aide ventilatoire invasive. Au total, 123 décès ont été rapportés (létalité de 14% parmi les cas pour lesquels l’issue du séjour était renseignée).

En comparaison des patients infectés par un virus de type A(H3N2), les patients infectés par un virus de type B étaient plus souvent des femmes, étaient plus jeunes (92% de patients âgés de moins de 65 ans parmi les cas liés à un virus de type B, versus 61% parmi les cas liés à un virus A(H3N2)), et présentaient moins souvent de comorbidités (45% versus 77%, respectivement).

Surveillance des épisodes d’infections respiratoires aigües en établissements médico-sociaux

Entre les semaines 40-2022 et 17-2023, 719 foyers d’infections respiratoires aiguës (IRA) survenus en établissements médico-sociaux ont été signalés à Santé publique France (1), dont 313 (44%) ont été attribués à la grippe. Le nombre hebdomadaire d’épisodes d’IRA signalés a atteint sa valeur maximale en S50-2022, avec 99 épisodes signalés (figure 11). Une diminution de la participation des établissements médico-sociaux à cette surveillance volontaire ayant été observée depuis la pandémie de Covid-19, le nombre de foyers d’IRA signalés cette saison est difficilement comparable aux données historiques.

La couverture vaccinale moyenne contre la grippe des résidents dans les Ehpad était de 87% et celle du personnel de 28%, valeurs identiques à celles de la saison 2021-2022 et comparables à celles des saisons 2018-2019 (87% et 33%, respectivement) et 2019-2020 (90% et 32%, respectivement) 13.

Figure 11 : Évolution hebdomadaire du nombre d’épisodes de cas groupés d’IRA en établissements médico-sociaux par semaine de début de l’épisode en France métropolitaine, saisons 2017-2018 à 2022-2023
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Mortalité issue de la certification électronique

Au cours de la saison 2022-2023 (S40-2022 à S17-2023), parmi les 147 141 décès déclarés en métropole par certificat électronique de décès, 1 505 (1,0%) l’ont été avec une mention de grippe comme affection morbide ayant directement provoqué ou contribué au décès. Cette valeur est supérieure à celle observée en 2019-2020 et 2021-2022 (0,4%), et proche de celles des saisons 2017-2018 (1,1%) et 2018-2019 (1,2%). L’augmentation de la part des décès liés à la grippe a débuté mi-décembre (S50-2022) pour atteindre 4,5% à son maximum en S52. Cette valeur est supérieure à celles observées en 2017-2018 (3,0%), 2019-2020 (1,4%), et 2021-2022 (1,7%), mais inférieure à celle de 2018-2019 (5,5%) (figure 12). À l’instar des indicateurs grippe en ville et à l’hôpital, la part de la grippe parmi les décès certifiés électroniquement lors de la seconde vague épidémique (S04 à S13-2023) a été nettement inférieure à celle de la première vague (S47-2022 à S03-2023) : 1% versus 2,1%, respectivement.

Parmi les 1 505 décès liés à la grippe recensés, 14 (1%) concernaient des patients âgés de moins de 15 ans, 167 (11%) entre 15 et 64 ans et 1 324 (88%) de 65 ans ou plus. La valeur maximale atteinte pour la part des décès liés à la grippe parmi l’ensemble des décès certifiés électroniquement chez les 15-64 ans (4,2%) a dépassé celles atteintes au pic au cours des saisons 2019-2020 et 2021-2022 (1,7% et 2,1%, respectivement) et a été comparable à celles atteintes en 2017-2018 (4,2%) et 2018-2019 (4,3%), deux saisons marquées par une sévérité importante de l’épidémie dans cette classe d’âge.

Ce dispositif de surveillance des causes de décès ne permet pas de comptabiliser de façon exhaustive les décès liés à la grippe certifiés électroniquement, en raison de la couverture toujours incomplète de ce dispositif et du fait que, contrairement aux certificats de décès en version papier, la cause du décès n’est disponible que pour seulement une partie de l’ensemble des décès toutes causes confondues. De surcroît, quel que soit le certificat de décès utilisé (papier ou électronique), seule une partie des décès liés à la grippe est attribuée à celle-ci dans les causes de décès.

Figure 12 : Part des décès certifiés par voie électronique avec une mention de grippe dans les causes médicales de décès parmi les décès toutes causes confondues, saisons 2017-2018 à 2022-2023
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Épidémie de grippe en outre-mer

À l’instar de la métropole, l’épidémiologie de la grippe 2022-2023 a été marquée par une temporalité atypique dans les DROM, excepté en Guyane.

Antilles

Aux Antilles, les épidémies grippales surviennent habituellement entre les mois de novembre et d’avril. Après deux années de faible circulation des virus grippaux (2020 et 2021), les Antilles ont connu une première période inhabituelle de recrudescence de la grippe (virus grippaux de type A), d’un impact modéré, entre mai et juillet 2022. En Guadeloupe, l’épidémie saisonnière a débuté en décembre (S49-2022) pour atteindre son pic en janvier (S03-2023). Les indicateurs de la grippe sont revenus à leur niveau de base en avril (S15-2023), soit une durée de 19 semaines (épidémie de grippe la plus longue observée sur une période de 10 ans). L’impact de cette épidémie a été très important en ville et à l’hôpital, avec un total de 17 500 consultations de médecine générale et 300 passages aux urgences pour grippe/syndrome grippal (dont 20% suivis d’une hospitalisation) pendant la période épidémique. Au total, 10 cas graves admis en service de réanimation ont été signalés. En Martinique, l’épidémie est survenue de septembre à avril (de S38-2022 à S15-2023) et a été caractérisée par deux vagues épidémiques successives. Près de 22 800 patients ont consulté un médecin généraliste durant cette période et 3 cas graves admis en réanimation ont été signalés. Une co-circulation des virus de type A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 a été identifiée au cours de la saison 2022-2023, les virus de type A ayant représenté plus de 75% des virus grippaux identifiés en Martinique et 62% en Guadeloupe. Toutefois, le virus de type B/Victoria a également circulé aux Antilles, en particulier en fin de saison, où il a prédominé par rapport aux virus de type A. Aucun virus de type B/Yamagata n’a été détecté. À l’instar de la métropole, cette circulation successive de différents virus grippaux au cours de la saison peut expliquer au moins en partie la durée inhabituellement longue de l’épidémie de grippe 2022-2023 dans les Antilles 14.

Mayotte

À Mayotte, les épidémies de grippe adviennent habituellement entre les mois de décembre et mars. La saison 2022-2023 a été marquée, comme la saison 2021-2022, par la survenue de deux épidémies de grippe distinctes. La première, précoce, s’est déroulée de début novembre (S44) à mi-janvier (S02), soit un total de 11 semaines, et a été caractérisée par la détection d’une circulation majoritaire de virus de type A(H1N1)pdm09. Seize admissions en service de réanimation pour grippe ont été enregistrées au cours de cette période. La seconde épidémie a été de plus courte durée, de mi-mars (S11) à début avril (S14) (soit 4 semaines épidémiques), avec l’identification majoritaire de virus de type B/Victoria et la notification de 5 admissions en réanimation. La surveillance de la grippe en ville et à l’hôpital ayant évolué cette saison, les données recueillies sont difficilement comparables à celles des saisons précédentes. Néanmoins, un nombre plus important d’hospitalisations pour grippe, notamment lors de la première vague, a été rapporté par rapport aux saisons précédentes. Contrairement à la saison 2021-2022, aucune surmortalité toutes causes n’a été observée lors de ces deux épidémies 15.

La Réunion

À La Réunion, l’épidémie de grippe survient habituellement entre juin et septembre. Cette saison, l’épidémie a débuté très tardivement en septembre (S36-2022) et s’est terminée début janvier (S01-2023), soit une durée de 18 semaines. Elle a été caractérisée par une co-circulation de virus de type A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 et un impact sanitaire modéré 16.

Guyane

En Guyane, l’épidémie a démarré mi-décembre (S50-2022) et s’est terminée fin février (S09-2023), soit une durée de 12 semaines avec un pic épidémique fin janvier (S04), suivant une temporalité typique de la grippe dans cette région. Au cours de l’épidémie, les centres de santé ont enregistré 1 133 consultations pour syndrome grippal. Au total, 714 passages aux urgences pour grippe/syndrome grippal ont été recensés, représentant au pic de l’épidémie 5% de passages pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des recours aux urgences. Au total, 9 cas graves admis dans les services de réanimation du Centre hospitalier de Cayenne et 3 décès ont été notifiés. Une co-circulation des virus de type A (majoritairement A(H1N1)pdm09) et B/Victoria a été observée. Cette épidémie a été particulièrement intense sur le territoire par rapport aux 10 dernières saisons 17.

Compte tenu de la différence de saisonnalité dans ces territoires, la surveillance de la grippe s’est poursuivie après la S17-2022 dans certains DROM (La Réunion, Antilles). Des bulletins épidémiologiques régionaux sont disponibles sur le site de Santé publique France (2).

Discussion – Conclusion

L’épidémie de grippe 2022-2023, la seconde survenant en France depuis le début de la pandémie de Covid-19, s’est révélée atypique sous plusieurs aspects. Tout d’abord, elle est survenue particulièrement tôt dans la saison (dès fin novembre 2022) et a duré 19 semaines, ce qui en fait l’épidémie de grippe la plus longue observée en France métropolitaine depuis 2011. Ensuite, elle a été caractérisée par la succession de deux vagues épidémiques. La première vague, majoritairement due au virus A(H3N2), a duré 9 semaines et a été marquée par une intensité très élevée au pic survenu fin décembre 2022 et une forte sévérité. La seconde vague, majoritairement due au virus B/Victoria, a duré 10 semaines. Elle a été marquée par une intensité faible en ville et modérée à l’hôpital, et une moindre sévérité. Cette circulation épidémique successive de deux virus grippaux différents a contribué à la durée inhabituellement longue de l’épidémie 2022-2023. Si l’épidémie 2017-2018 avait également été marquée par la succession d’une première vague due au virus A(H1N1)pdm09, puis d’une seconde due au virus B/Yamagata, ce profil d’épidémie bimodale très marqué demeure plutôt inhabituel pour la grippe en France métropolitaine. Une temporalité atypique et/ou la succession de deux vagues épidémiques dues à des virus différents ont également été observées dans d’autres pays en Europe 18 et dans tous les DROM, excepté en Guyane, où l’épidémie de grippe est survenue à la période habituelle avec une co-circulation de virus de type A et B. En revanche, en Amérique du Nord, l’épidémie de grippe a été quasi-exclusivement due au sous-type A(H3N2) 19.

L’impact global de l’épidémie de grippe 2022-2023 a été important dans l’ensemble des classes d’âge, mais particulièrement chez les moins de 15 ans et les 15-64 ans, en comparaison avec les épidémies de grippe précédentes. Les niveaux d’intensité de l’activité grippale observés fin décembre 2022 en ville et à l’hôpital dans ces tranches d’âge indiquent une circulation de la grippe et un impact sur le système de soins plus importants qu’habituellement observés. L’absence d’épidémie de grippe en 2020-2021 et les épidémies d’ampleur modérée en 2019-2020 et 2021-2022 ont eu comme conséquence une moindre exposition de la population française aux virus grippaux durant ces trois dernières années et pourraient, au moins en partie, expliquer l’impact particulièrement intense de la grippe cette saison. D’autres facteurs immunologiques et virologiques peuvent également avoir contribué à ce phénomène. Toutefois, il est impossible d’étayer cette hypothèse en l’absence d’études ad hoc, très complexes à mettre en œuvre. Par ailleurs, les conséquences multiples de la pandémie de Covid-19 sur les comportements de recours aux soins et aux tests diagnostiques rendent plus complexe l’analyse des données épidémiologiques concernant les autres virus respiratoires, dont la grippe, et notamment la comparaison des données avec les saisons précédant la pandémie.

Globalement, l’épidémie de grippe 2022-2023 s’est traduite par une sévérité marquée, proche de celle des épidémies 2017-2018 et 2018-2019, et nettement supérieure à celle des épidémies 2019-2020 et 2021-2022.

Le recours plus systématique aux tests de la grippe aux urgences depuis la pandémie de Covid-19 a pu contribuer à augmenter artificiellement la part d’activité pour grippe de cette saison par rapport aux saisons pré-pandémiques. Cette source de données présente des limites dans sa capacité à capturer la sévérité d’une épidémie de grippe. Des analyses complémentaires, basées sur les données issues du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et sur l’utilisation de modèles statistiques sont nécessaires pour mieux comprendre l’impact de l’épidémie de grippe 2022-2023, en comparaison des données historiques. Des travaux sont notamment en cours afin d’adapter le modèle développé par Santé publique France pour estimer la mortalité attribuable à la grippe, au SARS-CoV-2 et au VRS, pour être en mesure de caractériser le fardeau relatif de chacun de ces trois agents pathogènes en termes de mortalité.

L’impact de la grippe sur la morbidité (recours aux soins en ville et à l’hôpital) et la mortalité n’a pas été constant au cours de l’épidémie. Il a en effet nettement diminué entre la première et la seconde vague épidémique. Le virus dominant lors de chaque vague (A(H3N2) versus B/Victoria) a très probablement joué un rôle dans ces différences d’impact entre les deux vagues épidémiques. Le virus A(H3N2) est en effet généralement à l’origine d’épidémies de grippe plus sévères que le virus B/Victoria, comme en témoignent l’analyse des données épidémiologiques des épidémies 2015-2016 (dominée par le virus B/Victoria) versus 2016-2017 et 2018-2019 (dominées par le sous-type A(H3N2)) 20,21,22. Toutefois, d’autres facteurs que la nature du virus prédominant ont également pu contribuer à la plus grande sévérité de la première vague par rapport à la seconde. En particulier, l’activité grippale très intense fin décembre en ville et à l’hôpital a été concomitante d’une co-circulation à des niveaux élevés du SARS-CoV-2 et du VRS 23. Cette « triple épidémie », survenue dans un contexte de congés de fin d’année et de grève de médecins généralistes, a occasionné de fortes tensions sur l’offre de soins.

Dans une étude multicentrique européenne (6 pays/régions participant, dont la France), l’efficacité du vaccin contre la grippe (3) 2022-2023 vis-à-vis du virus A(H3N2) a été estimée à 44% (IC95%: [32-54]) pour prévenir une infection grippale symptomatique conduisant à une consultation médicale tous âges confondus et à 39% [11-57] chez les personnes de 65 ans ou plus 24. Ces estimations sont supérieures à celles des années précédentes pour ce sous-type. L’efficacité du vaccin vis-à-vis du virus de type B a été estimée à 64% [32-83] tous âges confondus 24. Par ailleurs, la couverture vaccinale vis-à-vis de la grippe en France, estimée à 56,2% chez les 65 ans et plus et à 31,6% chez les moins de 65 ans à risque de forme grave en 2022-2023 par Santé publique France 25, est certes légèrement inférieure à celle de la saison 2021-2022 (56,8%), mais demeure supérieure à celles des saisons précédant la pandémie de Covid-19 (≤52% sur la période 2013-2014 à 2019-2020). Ces deux facteurs peuvent avoir contribué à limiter l’impact de la grippe chez les 65 ans et plus. De plus, il est utile de suivre l’adhésion des personnes à risque aux gestes barrières et autres mesures de prévention en période hivernale depuis la pandémie de Covid-19. Cette adhésion a été très forte lors des premières vagues de Covid-19 en population générale, mais semble avoir nettement diminué en 2022 par rapport aux deux années précédentes 26. L’impact des mesures de prévention pourrait s’avérer différent selon les populations, aussi des études complémentaires sont nécessaires pour l’évaluer.

Il est très probable qu’une co-circulation des différents virus respiratoires (notamment les virus grippaux, le SARS-CoV-2 et le VRS) survienne à nouveau au cours de l’hiver 2023-2024, même s’il est difficile d’en anticiper la temporalité et l’impact. La vaccination des personnes à risque et des professionnels de santé contre la grippe et la Covid-19, ainsi que l’adoption systématique des autres mesures de prévention (hygiène des mains, aération régulière des espaces clos, port du masque et limitation des contacts en cas de symptômes, etc.) restent donc essentielles pour réduire l’impact des épidémies hivernales en population générale et sur les structures de soins. Enfin, une surveillance intégrée des virus respiratoires sera menée par Santé publique France et l’ensemble de ses partenaires pour analyser en continu l’impact différentiel de ces virus respiratoires sur la santé publique et l’offre de soins.

Remerciements

Nous remercions l’ensemble des acteurs des différents réseaux pour leur implication dans la surveillance de la grippe, notamment les médecins des réseaux de médecine de ville (le réseau Sentinelles, ainsi que la Fédération SOS Médecins France et tout particulièrement Pascal Chansard, Céline Falco, Patrick Guérin, Pierre-Henry Juan, Jean-Christophe Masseron, Serge Smadja et Romain Varnier) ; l’ensemble des urgentistes membres du réseau Oscour®, de la Société française de médecine d’urgence et de la Fédération des observatoires régionaux des urgences ; les réanimateurs et leurs sociétés savantes (Société de réanimation de langue française, Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques, Société française d’anesthésie et de réanimation) ; les agences régionales de santé ; les équipes techniques des laboratoires du CNR Virus des infections respiratoires ; les laboratoires de virologie hospitaliers, dont le réseau Renal.
Au sein de Santé publique France, nous remercions également pour leur contribution à la surveillance de la grippe : Yann Savitch, Didier Che et Bruno Coignard (Direction des maladies infectieuses) ; Guillaume Spaccaferri (Direction des régions) ; Isabelle Pontais et Jérôme Naud de l’équipe Sursaud ainsi que Jérôme Guillevic et Céline caserio-Schönemann (Direction appui, traitements et analyses des données) ; l’équipe de surveillance des cas de grippe et Covid-19 admis en réanimation ; la Direction de la communication et du dialogue avec la société.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Bernard-Stoecklin S, Campèse C, Parent du Châtelet I. Fardeau de la grippe en France métropolitaine, bilan des données de surveillance lors des épidémies 2011-2012 à 2021-2022. Saint-Maurice: Santé publique France; 2023. 16 p. https://www.santepubliquefrance.fr/import/fardeau-de-la-grippe-en-france-metropolitaine-bilan-des-donnees-de-surveillance-lors-des-epidemies-2011-12-a-2021-22
2 World Health Organization. Global Influenza Strategy 2019-2030. Geneva: WHO ; 2019. 34 p. https://www.who.int/publications-detail-redirect/9789241515320
3 Iuliano AD, Roguski KM, Chang HH, Muscatello DJ, Palekar R, Tempia S, et al. Estimates of global seasonal influenza-associated respiratory mortality: A modelling study. Lancet. 2018;391(10127):1285-300.
4 Thompson WW, Weintraub E, Dhankhar P, Cheng PY, Brammer L, Meltzer MI, et al. Estimates of US influenza-associated deaths made using four different methods. Influenza Other Respir Viruses. 2009;3(1):37-49.
7 Équipes de surveillance de la grippe. Surveillance de la grippe en France, saison 2021-2022. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(21):362-75. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/21/2022_21_1.html
8 Pelat C, Bonmarin I, Ruello M, Fouillet A, caserio-Schönemann C, Levy-Bruhl D, et al. Improving regional influenza surveillance through a combination of automated outbreak detection methods: The 2015/16 season in France. Euro Surveill. 2017;22(32):30593.
9 Organisation mondiale de la santé. Évaluation de la sévérité de la grippe pandémique (PISA). Guide de l’OMS pour évaluer la sévérité de la grippe pendant les épidémies saisonnières et les pandémies. Genève: OMS; 2017. 24 p. https://apps.who.int/iris/handle/10665/272872
10 Santé publique France. Bulletin épidémiologique grippe, semaine 18. Bilan préliminaire. Saison 2022-2023. Saint-Maurice: Santé publique France; 2023. 10 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-18.-bilan-preliminaire.-saison-2022-2023
11 Santé publique France. Bulletin épidémiologique grippe. Bilan de la surveillance, saison 2019-2020. Saint-Maurice:Santé publique France; 2020. 10 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2019-2020
12 Santé publique France. Bulletin épidémiologique grippe. Bilan de la surveillance, saison 2020-2021. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 6 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2020-2021
13 Santé publique France. Quelle est la couverture vaccinale contre la grippe des résidents et des professionnels en établissements médico-sociaux ? Point au 1er juin 2022. Saint-Maurice: Santé publique France; 2022. 9 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/enquetes-etudes/quelle-est-la-couverture-vaccinale-contre-la-grippe-des-residents-et-des-professionnels-en-etablissements-medico-sociaux-point-au-1er-juin-2022
14 Santé publique France. Surveillance de la COVID-19, de la grippe et de la bronchiolite aux Antilles. Point au 5 mai 2023. Saint-Maurice: Santé publique France; 2023. 10 p. https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/bulletin-regional/2023/surveillance-de-la-covid-19-de-la-grippe-et-de-la-bronchiolite-aux-antilles.-point-au-5-mai-2023
15 Santé publique France. COVID-19 et autres virus respiratoires à Mayotte : point épidémiologique du 13 février 2023. Saint-Maurice: Santé publique France; 2023. 6 p. https://www.santepubliquefrance.fr/regions/ocean-indien/documents/bulletin-regional/2023/covid-19-et-autres-virus-respiratoires-a-mayotte-point-epidemiologique-du-13-fevrier-2023
17 Santé publique France. Surveillance de la COVID-19, de la grippe et de la bronchiolite en Guyane. Point au 27 avril 2023. https://www.santepubliquefrance.fr/regions/guyane/documents/bulletin-regional/2023/surveillance-de-la-covid-19-de-la-grippe-et-de-la-bronchiolite-en-guyane.-point-au-27-avril-2023
18 ECDC–WHO/Europe weekly influenza update. Flu News Europe. Season 2022-2023. https://flunewseurope.org/Archives
19 Centers for Disease Control and Prevention. Weekly U.S. Influenza Surveillance Report. https://www.cdc.gov/flu/weekly/index.htm
20 Équipes de surveillance de la grippe. Surveillance de la grippe en France métropolitaine, saison 2015-2016. Bull Épidémiol Hebd. 2016; (32-33):558-63. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/32-33/2016_32-33_1.html
21 Équipes de surveillance de la grippe. Surveillance de la grippe en France, saison 2016-2017. Bull Épidémiol Hebd. 2017;(22):466-75. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2017/22/2017_22_1.html
22 Équipes de surveillance de la grippe. Surveillance de la grippe en France, saison 2018-2019. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(28):552-63. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/28/2019_28_1.html
23 Santé publique France. Bulletin national d’information OSCOUR du 27 décembre 2022. Saint-Maurice: Santé publique France; 2022. 24 p. https://www.santepubliquefrance.fr/surveillance-syndromique-sursaud-R/documents/bulletin-national/2022/bulletin-national-d-information-oscour-du-27-decembre-2022
24 Kissling E, Maurel M, Emborg HD, Whitaker H, McMenamin J, Howard J, et al. Interim 2022/23 influenza vaccine effectiveness: six European studies, October 2022 to January 2023. Euro Surveill. 2023;28(21):2300116.
25 Santé publique France. Données de couverture vaccinale grippe par groupe d’âge. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/vaccination/donnees-de-couverture-vaccinale-grippe-par-groupe-d-age
26 Santé publique France. CoviPrev : une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de COVID-19. https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/coviprev-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie-de-covid-19

Citer cet article

Équipes de surveillance de la grippe. Surveillance de la grippe en France, saison 2022-2023. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(19):382-97. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/19/2023_19_1.html

(1) Environ 25 500 établissements médico-sociaux sont recensés en France (dont 10 000 collectivités de personnes âgées). Ce dispositif de signalement n’est pas censé recenser les épisodes dus au Covid-19, notifiés à Santé publique France via un autre dispositif.
(3) Le réseau Sentinelles et le CNR Virus des infections respiratoires participent, pour la France, à un réseau européen évaluant l’efficacité vaccinale du vaccin contre la grippe.