Surveillance de la grippe en France, saison 2021-2022
// Influenza activity in France, 2021-2022 season
* Santé publique France : Joséphine Cazaubon, Christine Campèse, Sibylle Bernard-Stoecklin, Anne Fouillet, Cécile Forgeot, Isabelle Parent du Châtelet, Yann Savitch (Saint-Maurice) et l’ensemble des épidémiologistes des cellules régionales de Santé publique France ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Centre coordonnateur, Unité de génétique moléculaire des virus à ARN, UMR 3568 CNRS, Université Paris Cité, Institut Pasteur, Paris : Sylvie Behillil, Vincent Enouf, Sylvie van der Werf ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Laboratoire associé, Centre de biologie & pathologie Nord, Lyon : Bruno Lina, Martine Valette ; Réseau Sentinelles, UMR S 1136 Inserm UPMC, Paris : Hayat Benamar, Camille Bonnet, Thierry Blanchon, Titouan Launay, Ana-Maria Vilcu ; EA 7310 Université de Corse, Corte : Alessandra Falchi, Shirley Masse, Julie Sevila.Résumé
Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques de la grippe en France, au cours de la saison 2021-2022.
Méthode –
Cette synthèse s’appuie sur l’analyse descriptive des données de surveillance de la grippe ou des syndromes grippaux transmises par les réseaux de médecine de ville, les analyses virologiques des laboratoires partenaires, la surveillance des passages aux urgences et des hospitalisations codées grippe, la surveillance des cas graves de grippe hospitalisés en services de réanimation, les signalements d’épisodes d’infections respiratoires aiguës dans les collectivités de personnes âgées et les données de mortalité issues de la certification électronique.
Résultats –
Une circulation active des virus grippaux a été détectée dès décembre 2021, et s’est maintenue à un niveau faible pendant environ deux mois, avec des disparités régionales importantes. Une recrudescence épidémique a été détectée à partir du mois de mars. L’épidémie a débuté en semaine 09 (début mars), a atteint son pic au niveau national début avril et s’est terminée en semaine 17 (fin avril), soit neuf semaines d’épidémie. Aucune autre épidémie de grippe n’avait atteint son pic aussi tardivement au cours de la période 2009-2022. Une co-circulation des virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 (1) a été observée, avec une diversité de souches virales détectées.
Conclusion –
L’épidémie de grippe 2021-2022, exceptionnellement tardive, a été caractérisée par une dynamique atypique et une co-circulation des virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09. Son impact a été modéré en population générale, mais important chez les enfants de moins de 15 ans. Cette circulation épidémique de virus grippaux a été concomitante d’une vague importante de Covid-19. Dans ce contexte, il convient de rappeler l’importance de la prévention, à savoir la vaccination chez les personnes à risque, complétée de mesures barrières, afin de limiter la diffusion du virus dans l’entourage des cas.
Abstract
This article summarizes epidemiological and virological data on influenza activity in France for the 2021-2022 season.
Method –
This report is based on the descriptive analysis of different sources of surveillance data collected in France: clinical influenza-like illness (ILI) in the community reported by primary care networks, virological data analysed by reference laboratories, emergency department visits and hospitalisations for clinical influenza, reporting of severe influenza cases hospitalised in intensive care units (ICU), reporting of acute respiratory infection (ARI) clusters in nursing homes, and mortality data from electronic death certificates.
Results –
The 2021-2022 influenza epidemic was characterized by atypical dynamics. Active circulation of influenza viruses was detected from December 2021 onwards, then influenza activity remained at a low level for 2 months, with significant regional disparities. The epidemic started in week 09 (early March), reached its peak at national level in early April and ended in week 17 (late April), i. e. 9 weeks of epidemic. This is the latest epidemic peak recorded for the period 2009-2022. Co-circulation of A(H3N2) and A(H1N1)pdm09 viruses was observed, with genetic diversity.
Conclusion –
The 2021-2022 influenza epidemic, which was exceptionally late, was characterized by atypical dynamics and co-circulation of A(H3N2) and A(H1N1)pdm09 viruses. The impact was moderate in the general population but high in children under 15 years old. The influenza epidemic occurred at the same time as an important wave of COVID-19. Prevention measures remain of major importance, especially vaccination of at-risk individuals, combined with precautionary measures to limit the spread of the virus.
Introduction
La grippe est une maladie infectieuse virale contagieuse qui survient généralement de manière saisonnière, entre les mois de décembre et d’avril pour la France métropolitaine. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que les épidémies grippales ont un coût socioéconomique important, avec environ 4 millions de cas graves de grippe et 290 000 à 650 000 décès dans le monde chaque année. La mortalité due à la grippe saisonnière concerne essentiellement les sujets vulnérables : les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes ayant des facteurs de risques (maladies chroniques, sujets immunodéprimés, etc.) 1.
La surveillance de la grippe en France a pour objectifs la détection précoce, le suivi de la dynamique épidémique, l’estimation de la morbidité et de la mortalité dues aux virus grippaux, ainsi que l’identification et le suivi de l’évolution génétique et antigénique des virus circulants, contribuant à la surveillance internationale des virus grippaux et au choix des souches virales entrant dans la composition du vaccin antigrippal. Elle permet également d’estimer le fardeau de la grippe dans la population et de contribuer à l’élaboration et à l’évaluation des stratégies de prévention et de contrôle de la maladie, notamment la vaccination et les mesures barrières.
Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques sur la grippe au cours de la saison 2021-2022 en France. L’essentiel des données concernent la France métropolitaine, mais un paragraphe spécifique est dédié à l’épidémie de grippe dans les régions d’outre-mer.
Méthode
La surveillance de la grippe en France, qui s’appuie sur un large réseau de partenaires, est coordonnée par la Direction des maladies infectieuses de Santé publique France. Les objectifs et méthodes des différents réseaux de surveillance de la grippe en métropole et outre-mer ont été précédemment décrits 2. Certains d’entre eux ont été adaptés dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Cette surveillance, habituellement mise en place entre les semaines 40 et 15, a été prolongée cette saison jusqu’à la semaine 20, compte-tenu d’une épidémie tardive. Lorsqu’une comparaison est réalisée entre les données de cette saison et la moyenne des données des saisons antérieures, les saisons 2019-2020 et 2020-2021 ont été exclues de l’analyse, compte-tenu de l’impact majeur de la pandémie de Covid-19 sur l’épidémiologie de la grippe lors de ces deux saisons 3,4.
En médecine de ville, les données de l’activité grippale sont issues de deux réseaux complémentaires :
–le réseau Sentinelles estime les incidences nationales et régionales des cas de syndromes grippaux vus en consultation de médecine générale à partir des cas déclarés par les médecins inscrits au réseau (représentant en 2020 près de 1 300 médecins généralistes, soit 2,2% de l’ensemble des médecins généralistes libéraux, et environ 120 pédiatres, soit 4,5% de l’ensemble des pédiatres en métropole) 5. À la suite de l’émergence du SARS-CoV-2 en mars 2020, cette surveillance a évolué pour s’adapter au mieux à la Covid-19, en utilisant une définition de cas plus sensible pour détecter les infections respiratoires aiguës (IRA) dues au SARS-CoV-2 que celle utilisée historiquement, très spécifique de la grippe. Ainsi la surveillance des « syndromes grippaux » (fièvre supérieure à 39° C, d’apparition brutale, accompagnée de myalgies et de signes respiratoires) a été remplacée par celle des « IRA » (apparition brutale de fièvre, ou sensation de fièvre, et de signes respiratoires). Pour chaque cas d’IRA déclaré et décrit par les médecins Sentinelles, il est demandé si ce cas répond également à la définition d’un syndrome grippal (2), ce qui permet de continuer à produire l’indicateur historique dans le cadre de la surveillance de la grippe ;
–les associations SOS Médecins assurent une permanence des soins permettant de disposer de données relatives aux consultations réalisées sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, y compris les jours fériés et pendant les vacances scolaires. La proportion hebdomadaire de patients présentant un syndrome grippal est calculée à partir de l’ensemble des actes codés. En 2021-2022, l’intégralité des 61 associations SOS Médecins ont participé à cette surveillance.
En milieu hospitalier, la surveillance s’appuie sur deux systèmes existants : le réseau Oscour® (près de 700 services d’urgence participants) basé sur le suivi des passages aux urgences et des hospitalisations après passages aux urgences pour grippe (confirmée par un test diagnostique : codes de la 10e révision de la Classification internationale des maladies CIM-10 J09-J10, ou non confirmée : codes J11) 2,6 et la surveillance sentinelle des cas graves de grippe (admis en services de réanimation adulte ou pédiatrique), pilotée par les cellules régionales de Santé publique France. En 2021-2022, 211 services de réanimation adulte et pédiatrique ont été sollicités pour cette surveillance en métropole.
La surveillance virologique en médecine de ville est réalisée à partir de prélèvements effectués par les médecins généralistes et les pédiatres participant au réseau Sentinelles, selon un protocole de prélèvement bien défini, et analysés par les deux laboratoires du Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires (dont la grippe) et, pour la Corse, par le laboratoire de virologie de l’Université de Corse. Durant la saison 2021-2022, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les prélèvements naso-pharyngés jusque-là utilisés par les praticiens ont été remplacés par des prélèvements salivaires, afin d’augmenter le nombre de prélèvements en médecine de ville. En médecine hospitalière, la surveillance est réalisée via les laboratoires du Réseau national des laboratoires hospitaliers (Renal) qui envoient au CNR chaque semaine un bilan de leurs analyses virologiques recherchant des virus respiratoires (dont la grippe). Ces données sont complétées par les analyses virologiques des prélèvements de patients admis en réanimation, ainsi que par une expertise (antigénique et génétique) réalisée par le CNR, sur un échantillonnage de prélèvements respiratoires en provenance de la médecine de ville et de l’hôpital.
Dans les collectivités de personnes âgées, la surveillance porte sur les épisodes de cas groupés d’IRA (hors Covid-19) signalés par les établissements aux agences régionales de santé (ARS) et rapportés à Santé publique France 7. Depuis la saison 2019-2020, les signalements de ces épisodes sont à effectuer en ligne via le portail des signalements du ministère de la Santé (3).
Jusqu’en 2019-2020, la surveillance de la mortalité liée à la grippe s’appuyait sur deux modèles différents permettant d’estimer l’excès de mortalité et le nombre de décès attribuables à la grippe. Pour la saison 2021-2022, en raison de la pandémie de Covid-19 et de ses répercussions sur les systèmes de surveillance, cette surveillance a évolué et s’appuie désormais sur les décès issus de la certification électronique des décès (CED) avec une mention de grippe comme affection morbide ayant directement provoqué ou contribué au décès 8. Ce dispositif a progressé ces dernières années et couvrait, fin 2021, 32% de la mortalité nationale, mais il demeure hétérogène selon les régions et le type de déclarants.
L’approche standardisée Pisa (Pandemic Influenza Severity Assessment), développée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) depuis plusieurs années et à laquelle la France participe, a été intégrée à la surveillance de la grippe cette saison. Cette approche permet d’évaluer l’intensité d’une épidémie de grippe selon trois indicateurs : la transmissibilité de la grippe au sein de la population générale, la sévérité de la maladie et l’impact sur le système de soins et la société 9. Les seuils d’intensité pour les indicateurs de transmissibilité (part d’activité pour grippe/syndrome grippal parmi l’ensemble des actes SOS Médecins) et d’impact (part d’activité pour grippe/syndrome grippal parmi les hospitalisations après passage dans les services d’urgence du réseau Oscour®) ont été fixés par Santé publique France, en utilisant la méthode statistique « Moving Epidemic Method » à partir des données des saisons 2014-2015 à 2018-2019, entre les semaines 40 et 20. Les saisons 2019-2020 et 2020-2021 ont été exclues de cette analyse, en raison de l’impact majeur de la pandémie de Covid-19 sur l’épidémiologie de la grippe saisonnière ainsi que sur les indicateurs de surveillance syndromique utilisés pour la grippe. Des travaux sont en cours concernant l’indicateur de sévérité de la maladie.
Certains indicateurs utilisés pour la surveillance de la grippe sont syndromiques (réseau Sentinelles, SOS Médecins et Oscour®). Ils ne reposent donc pas sur une confirmation biologique de l’infection par la grippe. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, il est possible qu’une partie des cas de syndromes grippaux rapportés dans le cadre de la surveillance de la grippe soit due au Covid-19 et non à la grippe.
La description des données de surveillance de la grippe dans les territoires d’outre-mer porte sur la période de surveillance de la grippe au niveau métropolitain (S40-2021 à S20-2022).
Analyse
La détermination des périodes pré-, post- et inter-épidémiques, ainsi que de la période épidémique au niveau national et régional s’effectue à partir des données historiques depuis la saison 2016-2017 des trois sources de consultations pour syndrome grippal décrites précédemment (réseau Sentinelles, SOS Médecins et Oscour®), aux niveaux métropolitain et régional. Ces données sont analysées selon trois méthodes statistiques différentes (régression périodique, régression périodique robuste et modèle de Markov caché). Un maximum de neuf alarmes statistiques peut donc être généré chaque semaine dans chaque région et au niveau national. Selon le nombre d’alarmes statistiques générées, chaque région et la métropole sont considérées sans alerte statistique (<4 alarmes), en phase pré- ou post-épidémique (entre 4 et 8 alarmes) ou en phase épidémique (9 alarmes) 10. Ainsi, pour une semaine donnée, la métropole peut être classée en épidémie, sans que l’ensemble des régions métropolitaines soit en épidémie, et la durée de l’épidémie peut différer entre chaque région et la métropole. Cette approche statistique est complétée, au niveau régional, par l’analyse réalisée par les cellules régionales de Santé publique France, sur la base de leur connaissance de la qualité des données ou de données complémentaires (virologiques, etc.), pouvant les conduire à proposer, après consensus d’experts, un niveau d’alerte épidémiologique différent de celui produit par l’approche statistique. Ces classements permettent d’adapter l’offre de soins au niveau d’alerte généré.
Durant la période de surveillance de la grippe (de la semaine 40-2021 à la semaine 20-2022), une synthèse de l’évolution de l’épidémie a été publiée chaque semaine dans le bulletin épidémiologique grippe, ainsi que dans les points épidémiologiques régionaux, disponibles sur le site de Santé publique France 11.
Cet article présente une synthèse des données épiémiologiques et virologiques de la saison 2021-2022 de la grippe en France. Ces données ont été comparées aux saisons précédentes, jusqu’à la saison 2018-2019, afin évaluer l’impact de cette épidémie.
Résultats
La circulation active des virus grippaux a débuté mi-décembre 2021 en métropole, s’est propagée lentement à l’ensemble des régions et a pris fin mi-mai 2022. À la suite du passage en phase épidémique de la première région métropolitaine mi-décembre (Occitanie, S50-2021), des disparités territoriales marquées ont été observées durant plusieurs semaines, avant la diffusion de l’épidémie à l’ensemble des régions début mars (S10-2022). Parmi les 13 régions, 7 sont sorties de la phase épidémique fin avril (S17-2022), suivies par les autres régions en S18-2022, et toutes les régions étaient revenues en phase inter-épidémique en S20-2022 (mi-mai). Au niveau national, l’épidémie a duré neuf semaines, de la semaine 09-2022 (du 28 février au 6 mars) à la semaine 17-2022 (du 25 avril au 1er mai), avec une durée de l’épidémie très hétérogène selon les régions, variant de 7 semaines (régions Grand Est et Hauts-de-France) à 120 semaines en Occitanie (figure 1). Le pic épidémique a été atteint début avril (S13-2022 ou S14-2022 selon les sources de données) au niveau métropolitain, ce qui fait de cette épidémie de grippe 2021-2022 l’épidémie la plus tardive observée au cours de la période 2009-2022.
Surveillance clinique et virologique en médecine de ville
Pendant l’épidémie (S09-2022 à S17-2022), le nombre de consultations pour syndrome grippal a été estimé à 961 000 à partir des données du réseau Sentinelles. Le pic d’activité a été observé en semaine 13-2022 (du 28 mars au 3 avril) selon les données Sentinelles avec un taux de consultations pour syndrome grippal de 289 pour 100 000 habitants (intervalle de confiance à 95% : IC95%: [270-308]) (figure 2). Les consultations pour syndrome grippal en médecine de ville ont concerné très majoritairement les personnes âgées de moins de 15 ans (figure 3), avec un taux d’incidence cumulé de 3 624/100 000 chez les moins de 5 ans et de 2 926/100 000 chez les 5-14 ans. Ce taux était nettement inférieur chez les 15-64 ans (1 312/100 000) et chez les personnes âgées de 65 ans et plus (524/100 000).
Selon les données du réseau SOS Médecins, le pic d’activité a été observé en semaine 14-2022 (du 4 au 10 avril) avec une proportion de syndromes grippaux parmi tous les actes codés de 17,4%, versus 23,2% en 2018-2019 (figure 2). En comparaison des données recueillies durant les saisons 2014-2015 à 2018-2019, l’activité en médecine de ville pour syndrome grippal (SOS Médecins) a atteint un niveau d’intensité (approche PISA) modéré en S12, est resté à ce niveau d’intensité durant 3 semaines, puis est revenu à un niveau faible en S15 (figure 4).
Au cours de la période de surveillance (S40-2021 à S20-2022), 2 633 prélèvements ont été réalisés en médecine de ville par les médecins du réseau Sentinelles, dont 799 positifs pour un virus grippal (30%), de type A dans tous les cas (figure 5). Parmi ces 799 virus grippaux, 535 étaient du sous-type A(H3N2), 246 du sous-type A(H1N1)pdm09, et 18 n’ont pas pu être sous-typés. La proportion de prélèvements positifs pour un virus grippal a atteint un pic en semaine 11, avec 67%, valeur proche de ce qui a été observé au pic des épidémies précédentes. La part relative des virus A(H3N2) par rapport aux virus A(H1N1)pdm09 a progressivement augmenté et les virus A(H3N2) sont devenus nettement majoritaires en médecine de ville à partir de la semaine 08-2022. En médecine de ville, 12 cas de co-infection grippe/SARS-CoV-2 ont été détectés (5 avec un virus A(H1N1)pdm09, et 7 avec un virus A(H3N2)), dont 5 présentaient au moins un facteur de risque. Aucun de ces cas n’a été hospitalisé. Trois cas de co-infection grippe A(H1N1)pdm09 et A(H3N2) ont également été identifiés.
Surveillance des passages aux urgences et des hospitalisations survenues après passage aux urgences pour grippe
Au cours de l’épidémie (S09-2022 à S17-2022), le réseau Oscour® a rapporté 56 742 passages aux urgences pour grippe, soit 18/1 000 passages aux urgences, valeur comparable à la moyenne de 19/1 000 passages aux urgences lors des épidémies de 2015-2016 à 2018-2019. La part de la grippe parmi les passages aux urgences a atteint son pic en semaine 14 avec 27/1 000 passages. Une part importante des passages aux urgences pour grippe durant l’épidémie concernait les enfants de moins de 15 ans : 35% concernait les moins de 5 ans, 26% les 5-14 ans, 30% les 15-64 ans et 9% les 65 ans et plus (en moyenne sur les saisons 2015-2016 à 2018-2019, 31% concernaient les moins de 5 ans, 17% les 5-14 ans, 39% les 15-64 ans et 13% les 65 ans et plus).
Parmi les passages aux urgences pour grippe, 12% (6 712 passages) ont donné lieu à une hospitalisation, valeur comparable à la moyenne de 13% observée lors de épidémies de 2015-2016 à 2018-2019. La part des enfants de moins de 15 ans parmi les hospitalisations était de 30% (versus 18% en 2018-2019) et la part des personnes âgées de 65 ans et plus parmi les hospitalisations était de 45% (versus 62% en 2018-2019).
La part des hospitalisations pour grippe parmi l’ensemble des hospitalisations à la suite d’un passage aux urgences a été de 12/1 000 hospitalisations tous âges confondus, valeur comparable à la moyenne de 11/1 000 hospitalisations lors des épidémies de 2015-2016 à 2018-2019. Cette proportion a dépassé 18/1 000 hospitalisations lors du pic en semaine 14. La part des syndromes grippaux parmi les hospitalisations a été la plus importante chez les enfants âgés de moins de 15 ans (31/1 000 hospitalisations chez les moins de 5 ans et 20/1 000 hospitalisations chez les 5-14 ans) (figure 6).
En comparaison des données observées durant les saisons 2014-2015 à 2018-2019, la part des syndromes grippaux parmi l’ensemble des hospitalisations a atteint un niveau d’intensité (approche Pisa) modéré en S11, est restée à ce niveau d’intensité durant 5 semaines consécutives, puis est revenue à un niveau faible en S16 (figure 7).
Surveillance virologique à l’hôpital
En milieu hospitalier (réseau Renal), parmi les 401 333 résultats virologiques transmis au CNR pendant la saison, 21 481 prélèvements se sont avérés positifs pour un virus grippal (5%). Parmi eux, le sous-typage était disponible pour uniquement 2 675 virus (12%) : 2 590 virus de type A (62% de A(H1N1)pdm09 et 38% A(H3N2)), et 85 virus de type B. La proportion de prélèvements positifs pour un virus grippal a atteint son pic en semaine 13 avec 11%.
Caractérisation génétique et antigénique des virus en médecine de ville et à l’hôpital
Les 200 virus A(H1N1)pdm09 dont la caractérisation génétique a été réalisée appartenaient tous au groupe génétique 6B.1A.5a.1. La quasi-totalité (99%) de ces virus est antigéniquement analogue à la souche vaccinale A/Guangdong/Maonan/SWL1536/2019, différente de celle présente dans le vaccin antigrippal pour l’hémisphère nord, saison 2021-2022. Les 246 virus A(H3N2), dont la caractérisation génétique a été réalisée, appartenaient au groupe génétique 3C.2a1b et la très grande majorité (91%) de ces virus est antigéniquement analogue à la souche vaccinale A/Darwin/9/2021, différente de celle présente dans le vaccin antigrippal pour l’hémisphère nord, saison 2021-2022. Deux virus B/Victoria ont été caractérisés et sont antigéniquement analogues à la souche B/Austria/1359417/2021, différente de celle présente dans le vaccin antigrippal pour l’hémisphère nord, saison 2021-2022. Plusieurs souches virales ont donc circulé en métropole cette saison, et une grande majorité d’entre elles n’était pas apparentée aux souches présentes dans le vaccin pour l’hémisphère nord 2021-2022.
Surveillance des cas graves admis en service de réanimation
Cette saison (semaines 40-2021 à 20-2022), 479 cas graves de grippe ont été signalés parmi les 211 services de réanimation invités à participer à cette surveillance, dont 333 cas au cours de la période épidémique (semaines 09-2022 à 17-2022), avec un pic d’admissions en semaine 13 durant laquelle 63 cas ont été signalés (figure 8). Ce nombre est nettement inférieur à celui observé lors des épidémies précédentes et fait de cette saison la deuxième année la moins importante en nombre de cas admis en service de réanimation (1 092 cas graves de grippe signalés en moyenne sur la période 2009-2022). Toutefois, du fait de la pandémie de Covid-19, les services de réanimation ont participé à cette surveillance de façon moins active cette année que les années précédentes. Le nombre de cas graves de grippe notifiés au cours de cette saison est donc difficilement comparable aux données historiques.
L’âge moyen des cas était de 48 ans, valeur inférieure à celle de la saison 2018-2019 (60 ans). Parmi l’ensemble des cas observés sur la période de surveillance, une proportion élevée (92 cas, soit 19%) concernait des enfants de moins de 15 ans (avec 45% des cas chez les moins de 2 ans, 18% chez les 2-4 ans, et 37% chez les 5-14 ans).
La majorité des cas (72%) présentait au moins un facteur de risque de grippe grave : l’âge au-delà de 65 ans (35% des cas, dont 78% présentaient aussi au moins une pathologie chronique) et la présence d’une ou plusieurs pathologie(s) chronique(s) chez des sujets de moins de 65 ans (35% des cas) étaient principalement rapportés. Seuls 31% des cas pédiatriques (moins de 15 ans) présentaient au moins une comorbidité, contre 71% chez les plus de 15 ans. Les comorbidités les plus fréquentes étaient des pathologies pulmonaires (61%), des pathologies cardiaques (36%) ou un diabète (25%).
Le type de virus grippal était précisé pour 440 patients : 438 (99,5%) personnes étaient infectées par un virus de type A (12% de A(H1N1)pdm09, 9% d’entre elles par un virus A(H3N2), 79% par un virus de type A (non sous-typé) et 2 patients (0,5%) étaient infectés par un virus de type B. Chez ceux âgés de moins 15 ans, 20 virus ont été sous-typés, dont 13 A(H1N1)pdm09 et 7 A(H3N2).
Un patient présentait une co-infection par deux virus grippaux et 23 patients (5%) une co-infection grippe/SARS-CoV-2, dont 3 avaient moins de 15 ans, 11 entre 15-64 ans et 10 plus de 65 ans. Parmi les patients présentant une co-infection grippe/SARS-CoV-2, 75% présentaient au moins une comorbidité (principalement des pathologies pulmonaires, cardiaques, neuromusculaires ou un cancer), et un décès a été rapporté chez un patient résidant en collectivité de personnes âgées.
Parmi les 51 patients pour lesquels le statut vaccinal était renseigné (51/479, soit 11% des cas), tous étaient vaccinés contre la grippe au cours de la saison 2021-2022. La proportion très élevée de données manquantes sur le statut vaccinal doit inciter à la prudence quant à l’interprétation de cette donnée.
Un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) était rapporté chez 45% des patients (versus 45% en 2018-2019) et 0,4% ont nécessité une oxygénation par membrane extracorporelle (versus 4% en 2018-2019). Un SDRA était rapporté chez 24% des cas pédiatriques et 92% d’entre eux ont eu besoin d’une ventilation assistée.
Cinquante-quatre décès ont été rapportés au total, dont 80% présentaient au moins un facteur de risque. Parmi ces décès, 3 (5%) sont survenus chez des enfants de moins de 2 ans dont aucun ne présentait de facteur de risque, 22 (40%) chez des personnes âgées de 15 à 64 ans dont 67% présentaient au moins un facteur de risque, et 29 (55%) chez des personnes âgées de 65 ans ou plus.
Surveillance des épisodes d’infections respiratoires aiguës (IRA) hors Covid-19 en collectivités de personnes âgées
Entre les semaines 40-2021 et 20-2022, pour environ 25 500 établissements médico-sociaux recensés en France (dont 10 000 collectivités de personnes âgées), 415 foyers d’infections respiratoires aiguës (IRA) survenus en collectivités de personnes âgées ont été signalés à Santé publique France, dont 172 (42%) ont été attribués à la grippe.
Le nombre de signalements cette saison était nettement inférieur à celui habituellement observé (1 537 en 2018-2019 et 1 433 en 2017-2018). Toutefois, du fait de la pandémie de Covid-19, il est probable que la participation des établissements médico-sociaux à cette surveillance ait été plus faible que les années précédentes. Le nombre hebdomadaire d’épisodes d’IRA a atteint son pic début avril (semaine 13-2022), avec 46 épisodes signalés (figure 9). La couverture vaccinale moyenne contre la grippe des résidents dans les Ehpad était de 87% et celle du personnel de 28%, valeurs légèrement inférieures à celles des saisons 2019-2020 (90% et 32%) et 2018-2019 (87% et 33%) 12.
Mortalité issue de la certification électronique
Au cours de la saison 2021-2022, (S40-2021 à S20-2022), parmi les 143 685 décès déclarés en métropole par certificat électronique de décès, 594 (0,4%) l’ont été avec une mention de grippe comme affection morbide ayant directement provoqué ou contribué au décès. Toutefois, ce dispositif ne permet pas de comptabiliser de façon exhaustive les décès liés à la grippe certifiés électroniquement, en raison de la couverture toujours incomplète de ce dispositif. Parmi ces 594 décès, 14 étaient âgés de moins de 15 ans, 73 avaient entre 15 et 64 ans et 507 étaient âgés de 65 ans ou plus. L’augmentation de la part des décès liés à la grippe a débuté fin février (semaine 08-2022) pour atteindre 1,7% à son pic en S14 (figure 10). Ce pic est inférieur à celui habituellement observé lors des épidémies de grippe, excepté celui de la saison 2015-2016 dominée par le virus B/Victoria, qui avait particulièrement affecté les enfants.
Épidémie outre-mer
À Mayotte, les épidémies de grippe surviennent habituellement entre les mois de décembre et mars. La saison 2021-2022 a été marquée par la survenue de deux épidémies de grippe distinctes. La première s’est caractérisée par la détection d’une circulation de virus grippaux de mi-août à début janvier (S32-2021 à S02-2022) de façon inhabituellement précoce pour la saison, avec une identification quasi-exclusive de virus de type A(H3N2) parmi les 482 échantillons confirmés biologiquement par le laboratoire hospitalier. Le pic de passages aux urgences a été observé mi-octobre, avec 29 passages aux urgences pour syndrome grippal en S42-2021, soit 3,6% des passages. Au total, 14 cas graves ont été hospitalisés en réanimation au cours de cette période, dont un est décédé, chiffres supérieurs à ceux généralement observés (2 cas graves et 1 décès par saison en moyenne entre 2015-2016 et 2019-2020).
Une seconde vague a débuté début avril (S14-2022), cette fois très tardivement pour la saison. L’épidémie a duré 7 semaines, entre début-mai (S18) et mi-juin (S24), avec identification majoritaire de virus de type A(H1N1)pdm09. Depuis la S11-2022, 135 cas de grippe ont été confirmés biologiquement (104 virus de type A(H1N1)pdm09, 9 virus de type B et 22 de type A non sous-typés). Le pic de passages aux urgences était de moindre intensité que celui observé lors de la première épidémie, avec 14 passages début mai (S18-2022), soit 1,8% des passages 13.
À La Réunion, l’épidémie de grippe survient habituellement entre juin et septembre. Cette saison a été marquée par l’observation dès décembre 2021 (S48-2021) d’une recrudescence du nombre de passages aux urgences pour syndrome grippal, accompagnée d’une augmentation de
l’identification de virus grippaux en milieu hospitalier, majoritairement de type A(H3N2). Cette vague épidémique de courte durée (4 semaines), s’est déroulée de mi-décembre à début janvier et a eu un impact sanitaire limité (moyenne hebdomadaire de seulement 3 hospitalisations et 2 cas graves recensés). Entre avril et fin mai 2022, une co-circulation à bas bruit des virus de type A, majoritairement des virus A(H3N2), a été observée en médecine de ville, sans impact conséquent sur le système hospitalier (moyenne hebdomadaire de 12 passages aux urgences pour grippe et aucun cas grave recensé) 14.
Aux Antilles, aucune épidémie de grippe n’est survenue durant la période de surveillance d’octobre à avril. Toutefois, des virus grippaux ont été détectés de manière sporadique. En Martinique, une augmentation des indicateurs a été observée en médecine de ville et aux urgences pédiatriques depuis début mai (S18) avec un taux de positivité passant de 15% en S18 à 23% en S19, avec une détection majoritaire de virus A(H1N1)pdm09, justifiant le passage de la Martinique en phase pré-épidémique en S19. En Guadeloupe, la même tendance a été observée en S19 en médecine de ville et aux urgences hospitalières, accompagnée de l’identification de virus grippaux de type A (taux de positivité de 20% en S20), impliquant le passage en phase pré-épidémique de la Guadeloupe en S20. À Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, les indicateurs étaient à leur niveau de base fin mai 15.
En Guyane, l’épidémie est survenue à une période habituelle, avec un début de la phase épidémique début février et une fin mi-mars, avec une co-circulation des virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 16.
Compte tenu de la différence de saisonnalité dans ces territoires et de la dynamique inhabituelle de la circulation des virus grippaux cette saison, la surveillance de la grippe y reste effective et des bulletins régionaux postérieurs à la S20-2022 sont disponibles sur le site Internet de Santé publique France.
Discussion-conclusion
Le système français de surveillance de la grippe permet grâce à sa transversalité, sa robustesse et son adaptabilité, un suivi performant du fardeau lié à la grippe chaque année en France. Cependant, plusieurs dispositifs de surveillance de la grippe ont été perturbés par la pandémie de Covid-19, notamment en médecine de ville, en collectivités de personnes âgées, en réanimation ou encore le suivi des décès liés à la grippe. Par conséquent, l’interprétation des données 2021-2022 et leur comparaison avec celles des saisons antérieures a été plus complexe. Il est très probable que le SARS-CoV-2 continue de circuler dans les années à venir. Afin de s’adapter aux perturbations que celui-ci occasionne dans l’épidémiologie des virus responsables d’infections respiratoires (par exemple la grippe, le virus respiratoire syncytial, ou encore les rhinovirus), une intégration des différents systèmes de surveillance de ces agents pathogènes dans un dispositif commun est nécessaire, afin de caractériser plus précisément leur fardeau respectif.
Contrairement à la saison hivernale 2020-2021 durant laquelle il n’y a pas eu d’épidémie de grippe en France, la saison 2021-2022 a été marquée par la survenue d’une épidémie atypique, avec une circulation active des virus grippaux sur une période particulièrement longue et un pic épidémique exceptionnellement tardif en France métropolitaine. La détection de virus grippaux s’est intensifiée à partir de mi-décembre, se maintenant à un niveau limité en janvier-février, avant d’atteindre un niveau épidémique à partir de mars, puis de revenir à son niveau de base mi-mai, soit près de 5 mois de circulation active. Le passage de la première région en phase épidémique mi-décembre 2021 (Occitanie) a été suivi d’un long plateau avant la diffusion de l’épidémie à l’ensemble des régions début mars (S10-2022). Le pic épidémique a été atteint début avril (S13-2022 ou S14-2022 selon les sources de données). Il s’agit du pic épidémique le plus tardif observé au cours de la période 2009-2022. Sept des 13 régions sont sorties de la phase épidémique fin avril, suivies par les autres régions début mai. Toutes les régions étaient revenues en phase inter-épidémique en S20-2022. Au niveau national, l’épidémie a débuté en métropole en semaine 09 (du 28 février au 6 mars), et s’est terminée en semaine 17 (du 25 avril au 1er mai), soit une durée de 9 semaines. La durée de la phase épidémique a été très hétérogène selon les régions, variant de 7 semaines (Grand Est et Hauts-de-France) à 20 semaines en Occitanie.
Une épidémiologie atypique de grippe a également été observée dans les DROM (départements et régions d’outre-mer), excepté en Guyane. À Mayotte, deux vagues épidémiques sont survenues, l’une dès octobre 2021, à une période de l’année où il est rare d’observer une recrudescence épidémique, et l’autre tardivement dans la saison, en mai 2022. À La Réunion, une épidémie est survenue de fin-décembre à début-janvier, à une période de l’année où l’on n’observe habituellement pas de circulation de virus grippaux. Aux Antilles, une circulation tardive et croissante de virus grippaux a été détectée début mai 2022 en Martinique et en Guadeloupe, justifiant leurs passages en phase pré-épidémique. En revanche, l’épidémie de grippe est survenue à une période habituelle en Guyane, de fin-janvier à fin-mars 2022.
Au niveau européen, l’activité grippale a atteint des niveaux nettement supérieurs à ceux observés au cours de la saison 2020-2021. Des différences de temporalité et de niveaux d’activité grippale ont été enregistrées selon les pays, mais une épidémie de grippe tardive a été détectée dans la très grande majorité des pays 17.
Cette dynamique inhabituelle pourrait en partie être expliquée par les mesures de contrôle de la pandémie de Covid-19, encore en vigueur cet hiver, et même renforcées dès fin décembre 2021 pour faire face à la vague due au variant Omicron. Ces mesures ont sans doute contribué à maintenir la circulation des virus grippaux en janvier-février 2022 à un niveau modéré, et leur levée début mars a été immédiatement suivie du démarrage de l’épidémie au niveau national.
L’impact de la grippe en médecine de ville a été modéré selon les données SOS Médecins, mais faible selon les données du réseau Sentinelles. Le recours aux soins en médecine générale a probablement été affecté par la pandémie de Covid-19, diminuant le nombre de consultations pour syndrome grippal en médecine générale, contrairement aux recours à SOS Médecins. À l’hôpital, les données de passages aux urgences et d’hospitalisations après passage pour grippe/syndrome grippal indiquent un impact modéré de l’épidémie. En revanche, le nombre de signalements de cas graves de grippe admis en réanimation et d’épisodes d’infection respiratoire aiguë dans les collectivités de personnes âgées est demeuré faible au cours de cette épidémie. Il est probable que la participation à ces dispositifs de surveillance ait été plus faible que les années précédentes, du fait de la surveillance conjointe de la pandémie de Covid-19, demandant un doublement des efforts pour les professionnels chargés du signalement de ces événements.
L’ensemble des indicateurs en ville et à l’hôpital indiquent que l’impact de cette épidémie a été plus marqué chez les enfants de moins de 15 ans, avec un niveau d’intensité élevé à l’hôpital au pic de l’épidémie, alors qu’un impact plus important en terme de sévérité est généralement observé chez les adultes. Il est possible que l’absence d’épidémie grippale en 2020-2021, entraînant une exposition des enfants en bas âge aux virus grippaux moindre par rapport à ce qui est constaté habituellement, ait contribué à cet impact plus marqué chez les enfants que chez les adultes au cours de la saison 2021-2022, notamment à l’hôpital.
Enfin, les données issues de la certification électronique indiquent un impact faible de l’épidémie de grippe 2021-2022 en terme de mortalité, notamment chez les personnes âgées de 65 ans et plus, et ce malgré la circulation de virus de type A(H3N2) et de la faible efficacité du vaccin 2021-2022 contre ce sous-type 18. Il est possible que les personnes à risque de complications liées à la grippe aient cette année davantage adopté les mesures barrières que lors des saisons hivernales précédant la pandémie de Covid-19, en raison du contexte sanitaire. A contrario, 14 décès ont été recensés chez des enfants de moins de 15 ans, ce qui constitue une part non négligeable de décès liés à la grippe sur l’ensemble des décès certifiés par voie électronique sur la période (en moyenne sur les années 2015-2016 à 2020-2021, 7 décès liés à la grippe sont certifiés par voie électronique par an chez des enfants de moins de 15 ans). Ce dispositif de surveillance des décès liés à la grippe n’est pas comparable à celui utilisé jusqu’en 2019-2020, qui reposait sur un modèle permettant d’estimer le nombre de décès attribuables à la grippe. En effet, la certification électronique des décès permet de recenser et de suivre la tendance temporo-spatiale des décès avec mention de grippe dans la cause du décès, mais ne permet d’identifier que de façon très parcellaire les décès imputables à la grippe. En effet, ceux-ci ne font pas systématiquement l’objet d’une recherche diagnostique, ni d’une mention de la grippe dans les causes de décès (notamment les décès liés à une décompensation d’une pathologie chronique ou à une surinfection bactérienne déclenchées par l’infection par un virus grippal), ni d’une déclaration par certificat électronique, ce dispositif ne couvrant aujourd’hui qu’un tiers de la mortalité nationale.
Cette épidémie de grippe a été caractérisée par une co-circulation des deux virus de type A, A(H1N1)pdm09 et A(H3N2), avec une certaine diversité génétique. Différents lignages du sous-type H3N2 ont été détectés, avec toutefois une prédominance de virus apparentés à la souche vaccinale A/Darwin/9/2021, différente de celle présente dans le vaccin utilisé cet hiver dans l’hémisphère nord. Pour le sous-type A(H1N1)pdm09, la quasi-totalité des virus ayant circulé cet hiver en métropole était apparentée à la souche vaccinale A/Guangdong/Maonan/SWL1536/2019, différente de celle présente dans le vaccin utilisé cet hiver. En médecine hospitalière, les taux de positivité pour grippe sur la totalité de la saison (5%) et au pic de l’épidémie (11%) ont été très inférieurs à ce qui est habituellement observé, ce qui n’a pas été le cas en médecine de ville (réseau Sentinelles). Il est possible que cette observation soit due, au moins en partie, à l’activité hospitalière liée à la Covid-19 qui a été observée au cours de l’hiver 2021-2022, notamment en raison de pratiques diagnostiques différentes. Par ailleurs, le fait que seule une faible proportion de prélèvements soit sous-typée à l’hôpital est vraisemblablement dû aux kits utilisés par les laboratoires hospitaliers, dont la plupart ne permettent pas de déterminer le sous-type des virus de type A, ni le lignage des virus de type B.
Malgré cette diversité génétique et la distance antigénique entre les souches ayant circulé et celles présentes dans le vaccin, les estimations en vie réelle de l’efficacité du vaccin antigrippal 2021-2022 du réseau Sentinelles au 19 juillet 2022 indiquent, tous âges confondus, une efficacité globale modérée (42%, IC95% : [15-61]), élevée contre le sous-type H1N1 (81% [54-92]) et faible contre le sous-type H3N2 (26% [-13-52]). L’étude européenne I-Move, à laquelle le réseau Sentinelles et le CNR des virus des infections respiratoires participent pour la France, produit une estimation de l’efficacité du vaccin à éviter une infection grippale conduisant à une consultation chez un médecin généraliste entre octobre 2021 et mars 2022. D’après les résultats préliminaires de l’étude I-Move, qui incluent les données provenant de 7 sites européens dont la France, l’efficacité vaccinale (EV) du vaccin pour l’hémisphère nord 2021-2022 contre les virus de type A est estimée à 36% [13-53], tous âges confondus, et à 35% [6-54] contre les virus A(H3N2) 18. La circulation du sous-type A(H1N1)pdm09 en France a pu contribuer à l’impact plus marqué de l’épidémie grippale chez les enfants de moins de 15 ans, de par sa capacité à causer des formes sévères dans cette population ainsi que chez les jeunes adultes 19. Au niveau européen, le sous-type A(H3N2) a été largement dominant dans la quasi-totalité des pays, à l’exception des Pays-Bas qui ont également détecté une circulation de virus A(H1N1)pdm09 17.
Les estimations de la couverture vaccinale (CV) au 28/02/2022 chez les personnes à risque ciblées par la vaccination contre la grippe indiquaient une CV à 52,6%, avec 56,8% chez les 65 ans et plus, et 34,3% chez les moins de 65 ans à risque de grippe sévère. Ces données indiquent une CV supérieure à la CV estimée pour la saison 2019-2020 (47,8% avec 52,0% chez les 65 ans et plus, et 31,0% chez les moins de 65 ans à risque de grippe sévère), mais inférieure à la CV estimée pour la saison 2020-2021 (55,8% avec 59,9% chez les 65 ans et plus, et 38,7% chez les moins de 65 ans à risque de grippe sévère). La couverture vaccinale contre la grippe reste très insuffisante en France, loin de l’objectif des 75% de couverture visés par l’OMS pour les personnes à risque.
L’épidémie de grippe 2021-2022 est survenue de façon concomitante à une forte circulation du SARS-CoV-2. Ces deux virus peuvent avoir un impact important en termes de morbidité et de mortalité. Dans un contexte de couverture vaccinale contre la grippe toujours insuffisante (52,6% chez les personnes à risque) et d’une efficacité du vaccin qui peut atteindre des niveaux modérés à élevés vis-à-vis de certains virus grippaux, il est important d’inciter les populations à risque à se faire vacciner contre la grippe, afin de réduire le risque de forme grave et de mortalité, particulièrement chez les personnes âgées. La vaccination contre la grippe peut être réalisée de façon concomitante de celle contre la Covid-19. Les mesures barrières (réduction des contacts potentiellement contaminants entre les malades et leur environnement, renforcement de l’hygiène en population générale) et l’utilisation des antiviraux indiqués contre la grippe pour les sujets à risque doivent compléter la vaccination, afin de protéger les personnes les plus vulnérables et de réduire l’impact de la grippe sur le système de soins 20.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des acteurs des différents réseaux pour leur implication dans la surveillance de la grippe, notamment les médecins des réseaux de médecine de ville (le réseau Sentinelles, ainsi que la Fédération SOS Médecins France et tout particulièrement Pascal Chansard, Patrick Guérin, Pierre-Henry Juan, Jean-Christophe Masseron et Serge Smadja) ; l’ensemble des urgentistes membres du réseau Oscour®, de la Société française de médecine d’urgence et de la Fédération des observatoires régionaux des urgences, et tout particulièrement Laurent Maillard et Patrick Miroux ; les réanimateurs et leurs sociétés savantes (Société de réanimation de langue française, Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques, Société française d’anesthésie et de réanimation) ; les agences régionales de santé ; les laboratoires de virologie. Nous remercions également au sein de Santé publique France, pour leur contribution dans la surveillance de la grippe, la Direction de la communication et du dialogue avec la société, l’équipe Sursaud de la Direction appui, traitements et analyses des données, Isabelle Pontais, Marie-Michèle Thiam, Jérôme Naud et Céline Caserio-Schönemann, ainsi que l’équipe de surveillance des cas de grippe et Covid-19 admis en réanimation, Lucie Fournier et Thibault Boudon.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2019-2020
maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2020-2021
publiquefrance.fr/surveillance-syndromique-sursaud-R/reseau-oscour-R
domaine?clefr=288
maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-22.-bilan-preliminaire.-saison-2021-2022
documents/enquetes-etudes/quelle-est-la-couverture-vaccinale-contre-la-grippe-des-residents-et-des-professionnels-en-etablissements-medico-sociaux-point-au-1er-juin-2022
bulletin-regional/2022/surveillance-de-la-grippe-a-mayotte.-point-au-19-mai-2022
surveillance-de-la-grippe-aux-antilles.-point-au-2-juin-2022
2022/situation-epidemiologique-de-la-grippe-en-guyane.-point-au-3-juin-2022