Surveillance de la grippe en France, saison 2018-2019
// Influenza activity in France, season 2018-2019
* Santé publique France : Sibylle Bernard-Stoecklin, Christine Campèse, Yann Savitch, Anne Fouillet, Cécile Sommen, Daniel Lévy-Bruhl (Saint-Maurice, France) et l’ensemble des épidémiologistes des Cellules régionales de Santé publique France ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Centre coordonnateur, Unité de génétique moléculaire des virus à ARN, UMR3568 CNRS, Université Paris Diderot Sorbonne Paris Cité, Institut Pasteur, Paris, France : Sylvie Behillil, Vincent Enouf, Sylvie van der Werf ; Centre national de référence des virus des infections respiratoires (dont la grippe), Laboratoire associé, Centre de biologie & pathologie Nord, Lyon, France : Martine Valette, Maude Bouscambert-Duchamp, Bruno Lina ; Réseau Sentinelles, UMR S 1136 Inserm UPMC, Paris, France : Caroline Guerrisi, Cécile Souty, Clément Turbelin, Titouan Launay, Ana-Maria Vilcu, Thomas Hanslik, Thierry Blanchon ; EA 7310 Université de Corse, Corte, France : Shirley Masse, Natacha Villechenaud, Alessandra Falchi.
Résumé
Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques concernant l’épidémie grippale en France durant la saison 2018-2019.
Méthodes –
Cette synthèse s’appuie sur l’analyse descriptive des données de surveillance de la grippe ou des syndromes grippaux transmises par les réseaux de médecine ambulatoire, les analyses virologiques des laboratoires partenaires, la surveillance des passages aux urgences et des hospitalisations codées grippe, la surveillance des cas graves de grippe hospitalisés en services de réanimation, les signalements d’épisodes d’infections respiratoires aiguës (IRA) dans les collectivités de personnes âgées et les données de mortalité.
Résultats –
L’épidémie de grippe a débuté début janvier en France métropolitaine, a atteint son pic au cours de la première semaine de février et s’est terminée fin février, soit 8 semaines d’épidémie. Une co-circulation des virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 a été observée pendant l’épidémie, avec un très faible nombre de virus de type B détectés. L’épidémie a été d’intensité modérée en médecine ambulatoire, mais a été caractérisée par un nombre élevé d’hospitalisations après recours aux urgences pour syndrome grippal (>10 700) et de cas graves admis en réanimation (>1 800). Cette épidémie a également été marquée par une surmortalité importante compte tenu de sa courte durée, avec environ 8 100 décès attribués à la grippe.
Conclusion –
L’épidémie de grippe 2018-2019 a été caractérisée par une importante sévérité, malgré sa courte durée, liée à la co-circulation des virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 dans un contexte de couverture vaccinale insuffisante et d’efficacité vaccinale variable selon les virus. Son impact important sur les hospitalisations et la mortalité rappelle la gravité de la maladie et l’intérêt de la prévention, à savoir la vaccination chez les personnes à risque, complétée de mesures barrières afin de limiter la diffusion du virus dans l’entourage des cas, ainsi que l’utilité d’un traitement antiviral précoce, particulièrement chez les sujets à risque.
Abstract
This article summarizes epidemiological and virological data on influenza activity in France for the 2018-19 season.
Methods –
This report is based on the descriptive analysis of different sources of surveillance data collected in France: clinical influenza-like illness (ILI) in the community reported by the primary health care networks, virological data analysed by reference laboratories, emergency unit’s visits and hospitalizations for clinical influenza, reporting of severe influenza cases hospitalised in intensive care units (ICU), reporting of acute respiratory infections (ARI) clusters in nursing homes, and mortality data.
Results –
In mainland France, the 2018-19 season started early-January, peaked early February and lasted 8 weeks, ending at the end of February. The epidemic was characterized by the co-circulation of A(H3N2) and A(H1N1)pdm09 viruses, with almost no detection of type B viruses. Its impact was moderate in the community, but high numbers of hospitalizations (>10,700) and severe cases admitted to IUC (>1,800) were recorded for influenza-like illness. During the epidemic, excess mortality was observed, with about 8,100 deaths attributed to influenza.
Conclusion –
The 2018-19 influenza epidemic was characterized by a marked severity, considering its short duration. The co-circulation of A(H3N2) and A(H1N1)pdm09, together with insufficient vaccine coverage and varying vaccine effectiveness according to strains, have contributed to this severity. It confirms the high impact
of the disease for the population at risk and strengthens the need for prevention especially higher vaccine coverage among people at risk, and the implementation of non-pharmaceutical control measures to limit the spread of the virus, as well as the utility of early antiviral treatment for subjects at risk.
Introduction
La grippe est une maladie infectieuse virale contagieuse qui survient généralement de manière saisonnière, en France entre les mois de décembre et d’avril. En moyenne, près de 2,5 millions de personnes sont touchées chaque année. La mortalité due à la grippe saisonnière concerne essentiellement les sujets vulnérables : les personnes âgées de plus de 65 ans et les personnes ayant des facteurs de risques (maladies chroniques, sujets immunodéprimés, etc.) 1.
La surveillance de la grippe en France a pour objectifs la détection précoce, le suivi de la dynamique et l’estimation de la morbidité et de la mortalité dues aux virus grippaux, ainsi que l’identification et le suivi de l’évolution génétique et antigénique des virus circulants. Elle permet également d’estimer le poids de la grippe dans la population et de contribuer à l’élaboration et l’évaluation des stratégies de prévention et de contrôle de la maladie.
Cet article présente une synthèse des données épidémiologiques et virologiques de la grippe en France métropolitaine lors de la saison 2018-2019. Un paragraphe spécifique est dédié à l’épidémie de grippe dans les régions d’outre-mer.
Méthodes
La surveillance de la grippe en France, qui s’appuie sur un réseau de partenaires, est coordonnée par la direction des maladies infectieuses de Santé publique France. Elle est réalisée à partir des données de médecine ambulatoire (réseau Sentinelles et les associations SOS Médecins) et hospitalière (réseau OSCOUR® : Organisation de la surveillance coordonnée des urgences), des données provenant des collectivités de personnes âgées ainsi que des données de mortalité 2. La surveillance virologique est effectuée par le Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires (dont la grippe) et, pour la Corse, par le laboratoire de virologie de l’Université de Corse. Les objectifs et méthodes spécifiques des différents réseaux de surveillance de la grippe ont été précédemment décrits 2.
En 2018-2019, seule la surveillance des cas graves de grippe admis en service de réanimation (adulte et pédiatrique) de centres hospitaliers, pilotée par les cellules régionales de Santé publique France a changé, passant d’un système à visée exhaustive à un mode sentinelle, avec 192 services de réanimation adulte et pédiatrique sollicités en métropole pour participer à cette surveillance. En effet, des travaux menés par Santé publique France sur la période 2009-2013 ont montré que l’exhaustivité de ce dispositif de surveillance n’était que de 47% au niveau national, avec d’importantes disparités régionales, et que la grande majorité des cas était rapportés par 20% des établissements hospitaliers participant à la surveillance 3. Ces constats ont conduit à faire évoluer la surveillance vers un dispositif sentinelle, centré sur les services volontaires notifiant le plus grand nombre de cas. Les comparaisons historiques ont porté sur les seuls services participant à cette surveillance depuis 2014-2015.
Les définitions de cas de syndrome grippal, grippe grave et infection respiratoire aiguë (IRA) utilisées dans les différents réseaux participant à la surveillance ont été précisées dans la synthèse de la saison 2017-2018 4.
Analyse
La détermination des périodes pré- et post-épidémiques, ainsi que de la période épidémique, aux niveaux national et régional, s’effectue à partir des données historiques issues des trois sources de consultations pour syndrome grippal (Sentinelles, SOS Médecins et OSCOUR®) depuis la saison 2010-2011. Ces données sont analysées selon trois méthodes statistiques différentes : régression périodique, régression périodique robuste et modèle de Markov caché. Cette approche statistique est complétée par l’analyse réalisée par les cellules régionales sur la base de leur connaissance de la qualité des données ou de données complémentaires (virologiques, etc.). Ces classements contribuent à adapter l’offre de soins au niveau d’alerte généré.
Outre-mer, le système de surveillance est comparable à celui de la métropole 2.
Une analyse descriptive des données de la saison 2018-2019 a été réalisée et les résultats ont été comparés aux saisons précédentes. Durant cette période (de la semaine 40/2018 à 15/2019), une synthèse des caractéristiques de l’épidémie a été publiée chaque semaine dans le « Bulletin hebdomadaire grippe » ainsi que dans les points épidémiologiques régionaux, disponibles sur le site de Santé publique France 5.
Résultats
L’épidémie de grippe a débuté en Occitanie en semaine 01/2019 (du 31 décembre au 6 janvier) et s’est étendue en trois semaines à l’ensemble de la métropole. L’épidémie était terminée dans toutes les régions de métropole en semaine 11/2019 (du 11 au 17 mars). Au niveau national, l’épidémie a débuté en semaine 02/2019 (du 7 au 13 janvier) et s’est terminée en semaine 09/2019 (du 25 février au 3 mars), soit une durée de 8 semaines (figure 1).
Surveillance en médecine ambulatoire
Pendant l’épidémie, le nombre de consultations pour syndrome grippal a été estimé à près de 1,8 millions à partir des données du réseau Sentinelles. Le pic d’activité a été observé en semaine 06/2019 (du 4 au 10 février) avec un taux de consultations pour syndrome grippal de 599 pour 100 000 habitants (Intervalle de confiance à 95%, IC95%: [572-626]) selon les données Sentinelles, et une proportion de syndromes grippaux parmi les actes codés par SOS Médecins de 23% (figure 2). Le taux d’attaque a été le plus élevé chez les enfants, avec un taux d’incidence cumulé de 6 616/100 000 chez les moins de 5 ans et de 5 021/100 000 chez les 5-14 ans. Ce taux est nettement inférieur chez les 15-64 ans (2 536/100 000) et les personnes âgées de 65 ans et plus (859/100 000).
Comparée aux données historiques du réseau Sentinelles, l’épidémie se place en 26e position pour le nombre de consultations cumulées parmi les 35 épidémies surveillées par le réseau depuis 1984 6,7, ce qui indique que l’épidémie a été d’une ampleur modérée cette saison.
Surveillance des passages et hospitalisations aux urgences pour grippe
Pendant l’épidémie (semaines 02 à 09/2019), le réseau OSCOUR® a rapporté 65 622 passages pour grippe aux urgences, soit 27/1 000 passages aux urgences. La part de la grippe parmi les passages aux urgences a atteint son pic en semaine 06 avec 44,5/1 000 passages. Parmi ces passages, 31% concernaient les moins de 5 ans, 24% les 15-44 ans et 17% les 5-14 ans.
Parmi les passages aux urgences pour grippe, 10 723 (16%) ont donné lieu à une hospitalisation, proportion supérieure à celle observée lors des épidémies de 2017-2018 (13%) et 2014-2015 (10%) et comparable à celle de 2016-2017 (16%). La majorité (62%) des patients hospitalisés était âgée de 65 ans et plus, proportion moindre par rapport à la saison 2016-2017 (69%) mais plus élevée qu’en 2017-2018 (53%).
La part des hospitalisations pour grippe parmi l’ensemble des hospitalisations à la suite d’un passage aux urgences a été de 22,1/1 000 hospitalisations tous âges confondus, valeur très élevée puisque généralement inférieure à 10/1 000, excepté en 2016-2017 (10,3/1 000) et en 2017-2018 (15,4/1 000). Cette proportion a dépassé 35/1 000 hospitalisations au cours des semaines 06 et 07/2019, avec un pic en semaine 06 (36/1 000) (figure 3). La part de la grippe parmi les hospitalisations post-urgence a été la plus importante chez les enfants de moins de 5 ans (38,4/1 000 hospitalisations) et les 65 ans et plus (26,7/1 000) (figure 4).
Surveillance des cas graves admis en service de réanimation
Cette saison (semaines 45/2018 à 15/2019), 168 des 192 services ont signalé au moins un cas grave de grippe à Santé publique France, avec un total de 1 886 cas. Ce nombre est moins élevé que lors de la saison 2017-2018 (2 450 cas), mais supérieur à ceux des saisons 2014-2015 et 2016-2017 qui avaient été marquées par une sévérité importante de l’épidémie de grippe (1 327 et 1 176 cas, respectivement). Pendant l’épidémie (semaines 02 à 09/2019), 1 590 cas graves ont été admis en réanimation, avec un pic d’admissions en semaine 07 durant laquelle 303 cas ont été signalés (figure 3). D’autre part, le nombre cumulé de cas graves admis par semaine épidémique a été chaque semaine supérieur à ceux observés lors des quatre dernières épidémies grippales (figure 5).
Plus de la moitié des patients était des personnes âgées de 65 ans ou plus. L’âge moyen des cas était de 60 ans, valeur inférieure à celle de la saison 2016-2017 (66 ans), identique à celle des saisons 2014-2015 et 2017-2018.
La majorité des cas (83%) présentait au moins un facteur de risque de grippe grave : l’âge au-delà de 65 ans (52% des cas, dont 83% présentaient au moins une pathologie chronique), la présence d’une ou plusieurs pathologie(s) chronique(s) chez des sujets de moins de 65 ans (29% des cas), une grossesse (1%) ou encore une obésité morbide (1%). Les comorbidités les plus fréquentes étaient des pathologies pulmonaires (53% des cas présentant au moins une pathologie chronique), un diabète (15%) ou des pathologies cardiaques (14%).
Parmi les patients pour lesquels le statut vaccinal était connu (1 435/1 886, soit 76% des cas), 30% étaient vaccinés. La couverture vaccinale chez les patients éligibles à la vaccination antigrippale était de 36% (427/1 179).
Un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) était rapporté chez 45% des patients (versus 59% en 2017-2018 et 64% en 2015-2016) et 4% ont nécessité une oxygénation par membrane extracorporelle (versus 1% en 2016-2017 et 7% en 2015-2016).
Parmi les 335 décès répertoriés, 8 (2%) sont survenus chez des enfants âgés de moins de 15 ans (dont 4 sans facteur de risque, 3 avec au moins un facteur de risque et 1 sans information disponible), 113 (34%) chez des personnes âgés de 15 à 64 ans (dont 66% présentaient au moins un facteur de risque) et 214 (64%) de 65 ans ou plus. Parmi les patients décédés, 90% présentaient au moins un facteur de risque, proportion inférieure à celle de la saison 2016-2017 (96%), mais proche de celle de 2017-2018 (88%). La létalité observée parmi les cas graves admis en réanimation était de 19%, comparable à celle des saisons précédentes (entre 16% et 22%).
La quasi-totalité (98%) des cas admis en réanimation a été infectée par un virus de type A, 13 cas (0,7%) par un virus de type B et 12 cas (0,6%) par un virus grippal non typé. Par ailleurs, 1 patient a présenté une co-infection par des virus de type A et B. Parmi les virus de type A pour lesquels le sous-type était connu (n=1 035, 56%), 57% étaient de sous-type A(H3N2) et 43% de sous-type A(H1N1)pdm09.
Les cas graves de grippe présentaient des caractéristiques différentes selon qu’ils étaient infectés par le virus A(H1N1)pdm09 ou par le virus A(H3N2). Les patients pour lesquels un virus A(H3N2) a été identifié étaient en moyenne plus âgés, présentaient plus souvent des facteurs de risque de complications liées à la grippe et étaient plus souvent vaccinés contre la grippe que ceux infectés par A(H1N1)pdm09. Par ailleurs, chez les patients infectés par A(H1N1)pdm09, la fréquence des SDRA était plus élevée et une prise en charge ventilatoire invasive était plus souvent rapportée. Enfin, la létalité était plus élevée chez ces patients que ceux infectés par A(H3N2) (tableau).
Surveillance virologique
Cette saison a été marquée par la circulation quasi-exclusive de virus de type A (plus de 99% des virus détectés en médecine ambulatoire), avec une co-circulation des virus grippaux A(H3N2) et A(H1N1)pdm09. La part relative des virus A(H3N2) par rapport aux virus A(H1N1)pdm09 a progressivement augmenté et les virus A(H3N2) sont devenus nettement majoritaires à partir de la semaine 05/2019 (figure 6).
En médecine ambulatoire, parmi les 2 520 prélèvements réalisés entre les semaines 40/2018 et 15/2019, 1 295 virus grippaux ont été détectés dont plus de 99% étaient de type A (1 293/1 295), avec 65% de sous-type A(H3N2), 34% de sous-type A(H1N1)pdm09 et 1% de type A non sous-typés. Seuls deux virus de type B ont été détectés chez des cas de grippe importés de l’étranger, tous deux de lignage B/Victoria.
La proportion la plus importante de prélèvements positifs pour un virus grippal a été atteinte en semaine 06 avec 79%.
En milieu hospitalier, parmi les 148 144 prélèvements réalisés entre les semaines 40/2018 et 15/2019, 24 074 virus grippaux ont été détectés, avec 99% de virus grippaux de type A et 1% de virus de type B. Seuls 19% des virus de type A ont été sous-typés. En effet, les laboratoires hospitaliers utilisent des kits qui ne permettent généralement pas de déterminer le sous-type des virus de type A, ni le lignage des virus de type B. Parmi les virus de type A sous-typés, 67% appartenaient au sous-type A(H3N2) et 33% au sous-type A(H1N1)pdm09.
La proportion de prélèvements positifs pour les virus grippaux a augmenté dès la semaine 50/2018 et s’est maintenue à un niveau élevé jusqu’à la fin de l’épidémie en semaine 09/2019.
L’ensemble des virus A(H1N1)pdm09 dont la caractérisation génétique a été réalisée appartient au groupe génétique 6B.1 et la grande majorité de ces virus est antigéniquement analogue à la souche vaccinale A/ Michigan/45/2015. Au sein de ce groupe 6B.1, des virus porteurs de la mutation S183P ont émergé cette saison, d’où un changement dans la composition vaccinale pour la saison 2019-2020. La situation est plus complexe pour les virus A(H3N2), avec la circulation de différents groupes génétiques durant la saison 2018-2019. Le groupe 3C.2a1b est resté majoritaire toute la saison (55%), alors que deux autres groupes (3C.2a2 et 3C.2a3) étaient très minoritaires. Un nouveau groupe génétique 3C.3a, apparu à partir de novembre 2018 en France, a pris de l’ampleur au cours de la saison ; 35% des virus A(H3N2) ayant circulé appartiennent à ce groupe, dont un représentant sera inclus dans le vaccin 2019-2020. La majorité des virus A(H3N2) ayant circulé cette saison était antigéniquement variant par rapport à la souche vaccinale A/Singapore/INFIMH-16-0019/2016 inclus dans le vaccin 2018-2019.
Surveillance des épisodes d’infections respiratoires aiguës (IRA) en collectivités de personnes âgées
Entre les semaines 40/2018 et 15/2019, 1 537 épisodes d’IRA survenus en collectivités de personnes âgées ont été signalés à Santé publique France, dont 1 082 (70%) ont débuté pendant l’épidémie. Le nombre hebdomadaire d’épisodes a considérablement augmenté en semaine 52/2018 pour atteindre son pic début février (semaine 06/2019), avec 212 épisodes signalés (figure 7). Le nombre d’épisodes d’IRA signalé cette saison était inférieur à celui de la saison 2016-2017 (1 903) mais supérieur aux saisons 2014-2015 (1 328) et 2017-2018 (1 433).
Parmi les 1 380 (90%) épisodes pour lesquels une synthèse finale a été réalisée, le taux d’attaque moyen d’IRA par épisode parmi les résidents était de 25%, valeur similaire à celle observée lors de la saison 2017-2018 mais légèrement inférieure à celle de 2016-2017 (28%). Le taux d’attaque moyen d’IRA par épisode parmi le personnel était de 6%. Le taux d’hospitalisation était de 9% parmi les résidents, valeur supérieure à celle des quatre dernières saisons (6-7%). La létalité était de 3% parmi les résidents et la durée moyenne des épisodes était de 13 jours, valeurs habituellement retrouvées.
D’après les informations transmises par les collectivités concernées, des mesures de contrôle ont été mises en place dans la quasi-totalité (99%) des épisodes signalés. Pendant l’épidémie, une chimioprophylaxie antivirale a été mise en œuvre dans 37% des épisodes. Cette proportion était plus élevée lors des épisodes pour lesquels un diagnostic de grippe a été posé (369/725 épisodes, soit 51%).
Un diagnostic de grippe a été confirmé pour 676 des 1 123 épisodes signalés ayant fait l’objet d’une recherche étiologique (60%), quasi-exclusivement de type A (452/458 foyers avec typage connu). Le virus respiratoire syncytial (VRS) a été détecté lors de 38 épisodes (3% des épisodes signalés ayant fait l’objet d’une recherche étiologique).
La couverture vaccinale moyenne des résidents contre la grippe était de 87% et celle du personnel de 33%, valeurs supérieures à celles des deux dernières saisons (83% et 21% respectivement en 2016-2017, et 86% et 28% en 2017-2018).
Surveillance de la mortalité globale toutes causes confondues
Au niveau national, un excès de mortalité toutes causes et tous âges confondus a été observé entre les semaines 01/2019 et 09/2019, estimé à environ 13 100 décès. Parmi ces décès toutes causes en excès, 12 300 décès sont survenus au cours de l’épidémie de grippe (semaines 02 à 09), nombre inférieur à celui observé en 2016-2017 (21 200 décès) et 2017-2018 (17 900 décès). L’excès de mortalité, estimé à +11,8% au niveau national, a concerné essentiellement les personnes âgées de plus de 65 ans et a particulièrement touché les régions Bourgogne-Franche-Comté (+12,3%), Corse (+13,9%), Hauts-de-France (+14,2%), Île-de-France (+13,7%), Normandie (+15,7%), Occitanie (+14,8%) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (+14,5%).
Surveillance de la mortalité attribuable à la grippe
Le modèle statistique développé par Santé publique France depuis la saison grippale 2016-2017, a permis d’estimer à 8 117 (IC95%: [6 854-9 380]) le nombre de décès attribuables à la grippe au cours de l’épidémie (semaines 02 à 09), dont 84% sont survenus chez des personnes âgées de 75 ans et plus, soit 6 784 [5 605-7 963] décès. Comparé à l’excès de mortalité toutes causes observé au cours de l’épidémie de grippe, le modèle permet d’estimer qu’environ 70% des décès en excès survenus pendant l’épidémie grippale 2018-2019 peuvent être attribués à la grippe, valeur comparable à ce qui a été observé au cours des précédentes épidémies grippales.
Ces estimations du nombre total de décès attribuables à la grippe lors de l’épidémie 2018-19 étaient nettement inférieures à celles obtenues par le même modèle pour les épidémies de 2016-2017 (14 358 décès) et 2017-2018 (12 982 décès). Toutefois, le nombre de décès cumulés par semaine épidémique était chaque semaine supérieur à celui estimé tous âges confondus au cours des huit premières semaines de l’épidémie 2017-2018 (figure 8a), et à celui estimé au cours des huit premières semaines des épidémies 2016-2017 et 2017-2018 chez les personnes âgées de moins de 75 ans (figure 8b).
Épidémie en Outre-mer
Dans les Antilles, l’épidémie a débuté en semaine 03 (mi-janvier 2019) en Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Barthélemy, et en semaine 04 (du 21 au 27 janvier) à Saint-Martin. En Martinique, le pic épidémique a été atteint mi-février et l’épidémie s’est poursuivie jusqu’à mi-avril. En Guadeloupe, le pic épidémique a été atteint en semaine 08 (du 18 au 24 février), et l’épidémie s’est terminée en semaine 13 (du 25 au 31 mars). À Saint-Barthélemy et Saint-Martin, l’épidémie de grippe s’est terminée en semaine 14 (du 1 au 7 avril) 8. Le nombre total de consultations pour syndrome grippal en médecine ambulatoire a été estimé à 15 075 en Martinique, 8 510 en Guadeloupe, 241 à Saint-Martin et 142 à Saint-Barthélemy. Pendant la période de surveillance des cas graves (S2018-45 à S2019-15), 16 cas graves ont été admis en réanimation en Guadeloupe et 6 sont décédés. En Martinique, 13 cas graves ont été admis en réanimation et 4 sont décédés 9.
Pendant l’épidémie, une co-circulation des virus grippaux de type A a été identifiée dans les Antilles. En médecine ambulatoire, un seul virus de type B a été détecté en Martinique depuis le début de l’année 2019 tandis que les virus A(H3N2) et A(H1N1)pdm09 ont été détectés chacun à 13 reprises. En Guadeloupe, sur les 46 virus de type A pour lesquels le sous-type était connu, 23 étaient des virus A(H3N2) et 23 des virus A(H1N1)pdm09.
En Guyane, une augmentation des indicateurs de l’activité grippale en médecine de ville et en centre de prévention et de soins (CDPS) a été observée à partir de mi-février 2019, sans que les effectifs habituellement observés en période épidémique en médecine de ville ne soient atteints par la suite. Ces indicateurs ont oscillé à un niveau modéré pour décroître à partir de fin avril 2019 (semaine 16). Une augmentation des taux de positivité des prélèvements ambulatoires et hospitaliers a été constatée entre les semaines 07 (44%) et 17 (51%). Sur cette période, 47% des virus grippaux détectés appartenaient au sous-type A(H3N2), 34% étaient de type A non sous-typés, 18% du sous-type A(H1N1)pdm09 et 1% de type B/Victoria. Depuis le début de l’année 2019,
2 cas graves de grippe ont été admis en réanimation, dont 1 décès. Ceci est en faveur d’une circulation modérée de la grippe durant les quatre premiers mois de l’année 2019.
À La Réunion, l’épidémie de grippe saisonnière a démarré tardivement, avec un dépassement du seuil épidémique en médecine de ville en semaine 36 (3 au 9 septembre 2018). Elle a été caractérisée par une seule vague épidémique de courte durée (6 semaines). Parmi les virus grippaux détectés, les virus de type A ont été nettement majoritaires, avec une prédominance de virus A(H3N2). Au cours de l’année 2018, 44 personnes ont été hospitalisées en réanimation pour une forme sévère de grippe, dont 3 décès. Parmi eux, 28 (64%) ont été admis pendant l’épidémie.
L’épidémie de grippe 2018 a été de moindre intensité en termes de durée, d’impact et de gravité par rapport à l’année 2017 10.
À Mayotte, une augmentation de l’activité grippale a été constatée aux urgences à partir de la semaine 04 (du 21 au 27 janvier 2019), avec un démarrage de l’épidémie en médecine de ville à partir de la semaine 09 (du 25 février au 3 mars). L’épidémie s’est terminée en semaine 19 (du 6 au 12 mai) après avoir atteint un pic d’activité en semaine 12 (du 18 au 24 mars). Parmi les virus grippaux détectés au cours de l’année 2018, les virus de type A étaient majoritaires.
Discussion – conclusion
En France métropolitaine, l’épidémie de grippe 2018-2019 a été de courte durée (huit semaines) et marquée par un impact modéré en ville, mais important à l’hôpital et en collectivités de personnes âgées, témoignant d’une certaine gravité. Les virus de type B n’ayant quasiment pas circulé, cette saison a été caractérisée par la co-circulation des virus de type A, A(H1N1)pdm09 et A(H3N2), ce dernier devenant progressivement majoritaire au cours de l’épidémie. Cette dynamique était comparable à ce qui a été observé dans les autres pays européens 11.
Une des principales limites des données de surveillance est liée au fait qu’elles reposent le plus souvent sur des diagnostics cliniques de grippe sans confirmation virologique. Toutefois, la proportion de grippe parmi les syndromes grippaux est élevée : durant la saison 2018-2019, la proportion de prélèvements positifs pour la grippe parmi les prélèvements réalisés par les médecins Sentinelles sur un échantillon aléatoire de syndromes grippaux était supérieure à 50% tout au long de l’épidémie, avec un maximum de 79% en semaine 06.
Une étude récente, réalisée sur la période 2012-2017, montre que le nombre d’hospitalisations après passage aux urgences pour grippe rapporté par le réseau OSCOUR® représente une faible proportion du nombre total d’hospitalisations codées « grippe » observé dans le Programme de médicalisation des systèmes d’information (24% en 2016-2017) 12. La part de la grippe parmi les passages aux urgences et les hospitalisations post-urgences est donc vraisemblablement sous-estimée dans les données de surveillance présentées ici. Toutefois, l’activité grippale observée aux urgences a atteint des niveaux très élevés lors des deux dernières épidémies (2017-2018 et 2018-2019), dépassant les niveaux maximum enregistrés depuis 2010. Le fait d’avoir atteint de tels niveaux d’activité pourrait être en partie expliqué par l’usage de plus en plus fréquent ces dernières années dans les services d’urgences de tests de diagnostic rapide. Ces tests « au chevet du patient » permettent de réaliser un diagnostic de grippe dans un délai très court (15 minutes environ), se traduisant potentiellement par un recours plus fréquent aux codes liés à la grippe dans les résumés de passage aux urgences. Si cette hypothèse était confirmée, l’impact particulièrement important de la grippe aux urgences observé ces deux dernières années serait à moduler en regard notamment de celui des saisons 2014-2015 et 2016-2017, caractérisées par une surmortalité très élevée et des tensions hospitalières marquées. Des analyses complémentaires vont être conduites prochainement afin d’explorer cette hypothèse.
Néanmoins, le nombre de cas graves de grippe cumulés au cours de l’épidémie 2018-2019 a été chaque semaine supérieur à ceux observés lors des quatre dernières saisons à services constants, témoignant de sa gravité. L’impact de cette épidémie en termes de nombre total de cas graves a cependant été limité par sa faible durée. De même, l’excès de mortalité toutes causes et le nombre de décès attribuables à la grippe au cours de cette épidémie sont restés inférieurs à ceux estimés lors des saisons précédentes, du fait de la brièveté de l’épidémie. La part de la grippe dans la surmortalité enregistrée est proche des valeurs observées en 2016-2017 et 2017-2018. Dans la plupart des pays participant au projet européen de surveillance de la mortalité, un excès de mortalité a été également mis en évidence, bien que moins élevé que lors de la saison 2017-2018 13.
La co-circulation des deux sous-types de virus de type A a probablement contribué à l’impact important de l’épidémie grippale 2018-2019 en termes de gravité, malgré sa courte durée. La capacité du virus A(H1N1)pdm09 à causer des formes sévères, particulièrement chez les personnes de moins de 65 ans, a été observée depuis son émergence en 2009. Par ailleurs, les virus A(H3N2) se caractérisent généralement par leur sévérité chez les personnes âgées de 65 ans et plus. Cet impact différentiel en termes de populations touchées et de gravité entre les deux sous-types de virus de type A est observé chez les cas graves admis en réanimation cette saison, et justifie de poursuivre les efforts entrepris pour améliorer la caractérisation virologique des formes les plus sévères de grippe : une part importante (44%) des virus grippaux identifiés chez ces patients ne sont pas sous-typés, limitant les analyses.
L’étude cas-témoins multicentrique européenne I-MOVE, à laquelle le réseau Sentinelles et le réseau I-REIVAC participent pour la France, ont estimé cette année, en Europe, une efficacité vaccinale de 59% tous virus confondus pour l’ensemble des groupes à risque (IC95%: [32-78]). Elle est estimée à 71% [38-86] contre le virus A(H1N1)pdm09 et à -3% [-100;47] contre le virus A(H3N2) tous âges confondus. L’efficacité du vaccin à éviter une forme sévère de grippe conduisant à une hospitalisation chez les adultes de 65 ans et plus a été estimée à 38% [-12;65] tous virus confondus 14. Ces estimations sont préliminaires et s’appuient sur des données collectées jusqu’à janvier 2019, et non sur la totalité de la saison hivernale.
L’absence d’efficacité du vaccin contre le virus A(H3N2) suggérée par les données européennes, ainsi que la couverture vaccinale toujours insuffisante bien qu’en légère hausse (estimée par Santé publique France à 46,8% chez les personnes ciblées par la vaccination antigrippale), ont probablement contribué à la sévérité de l’épidémie 2018-2019 15.
Malgré une efficacité du vaccin antigrippal le plus souvent modérée, particulièrement chez le sujet âgé, l’impact positif de la vaccination contre la grippe saisonnière sur la mortalité des personnes âgées peut être conséquent, au vu de l’incidence très élevée de la maladie durant la période épidémique. Le vaccin étant bien toléré, il est important de convaincre la population à risque de se vacciner afin de réduire le risque de forme grave. La très légère hausse de la couverture vaccinale des personnes à risque observée cette année est certes encourageante, mais reste très insuffisante au regard de la cible de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 75% de couverture vaccinale chez les personnes à risque, cible quasiment atteinte chez les personnes âgées de 65 ans et plus dans quelques pays européens, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas 16. Dans les collectivités de personnes âgées, la couverture vaccinale des résidents est élevée, mais celle du personnel demeure très insuffisante malgré la légère hausse constatée cette année par rapport aux saisons précédentes. Bien que la vaccination soit la première mesure de prévention, les mesures barrières (réduction des contacts potentiellement contaminants entre les malades et leur environnement, renforcement de l’hygiène en population générale) et l’utilisation des antiviraux pour les sujets à risque doivent la compléter pour permettre de protéger les personnes les plus vulnérables. À cet égard, le fait que seule la moitié des épisodes de cas groupés de grippe dans les collectivités de personnes âgées ayant été signalés aux Agences régionales de santé au cours de la saison 2018-2019 aient conduit à la prescription d’une chimioprophylaxie antivirale est préoccupant.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des acteurs des différents réseaux pour leur implication dans la surveillance de la grippe, notamment les médecins des réseaux de médecine ambulatoire (le réseau Sentinelles, Fédération SOS Médecins France) et des structures d’urgence du réseau OSCOUR®, la SFMU, la FEDORU, les réanimateurs et leurs sociétés savantes (SRLF, GFRUP, SFAR), les ARS, les laboratoires de virologie et l’ensemble des professionnels de santé qui participent à la surveillance de la grippe, ainsi que Météo-France et l’Insee. Nous remercions également au sein de Santé publique France pour leur contribution dans la surveillance de la grippe les personnes du service communication, Vanessa Lemoine et l’équipe de DATA-ABISS, Isabelle Pontais, Cécile Forgeot et Céline Caserio-Schönemann.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
https://www.urml-oi.re/Infos/images/pe_grippe_reunion_071218.pdf
Citer cet article
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/28/2019_28_1.html