L’hypertension artérielle à Mayotte : prévalence, connaissance, traitement et contrôle en 2019, étude Unono Wa Maore

// Hypertension in Mayotte, 2019: prevalence, awareness, treatment and control, Unono Wa Maore study

Clémence Grave1 (clemence.grave@santepubliquefrance.fr), Lucinda Calas1, Marion Subiros2, Marc Ruello1, Hassani Youssouf2, Amélie Gabet1, Odile Pointeau3, Marion Angue3, Valérie Olié1 pour le groupe Unono Wa Maore*
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Santé publique France – Mayotte, Mamoudzou
3 Centre hospitalier de Mayotte, Mamoudzou

* Groupe Unono Wa Maore : Marc Ruello, Marion Fleury, Jean-Baptiste Richard, Jean-Louis Solet, Laurent Filleul, Delphine Jezewski-Serra, Julie Chesneau, Hassani Youssouf (Santé publique France)

Soumis le 27.10.2021 // Date of submission: 10.27.2021
Mots-clés : Hypertension artérielle | Épidémiologie | Prévalence | Connaissance | Mayotte
Keywords: Hypertension | Epidemiology | Prevalence | Awareness | Mayotte

Résumé

Introduction –

En 2008, la prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) a été estimée à 44% chez les personnes âgées de 30 à 69 ans vivant à Mayotte, avec deux hypertendus sur trois qui ne connaissaient pas leur diagnostic d’HTA. L’objectif de cette étude était de donner une nouvelle estimation de la prévalence de l’HTA à Mayotte en 2019, du niveau de connaissance du diagnostic et de la prise en charge ainsi que de décrire les caractéristiques de la population hypertendue.

Méthodes –

Les données sont issues de l’enquête transversale Unono Wa Maore, menée à Mayotte. Les analyses ont porté sur la population adulte âgée de 18 à 69 ans ayant répondu au questionnaire et ayant bénéficié d’un examen de santé incluant au moins deux mesures de pression artérielle (n=2 620). L’HTA était définie par une déclaration d’hypertension ou par des valeurs de pression artérielle systolique≥140 mmHg et/ou de pression artérielle diastolique≥90 mmHg à l’examen clinique.

Résultats –

En 2019, la prévalence de l’HTA a été estimée à 38,4% (IC95% : [36,1-40,7]) dans la population de Mayotte âgée de 18 à 69 ans. La prévalence était similaire chez les hommes (38,5%) et les femmes (38,3%, p=0,95). La prévalence de certains facteurs de risque était élevée avec 75% des hypertendus qui étaient en surpoids ou obèses (vs 53% des non hypertendus), 13% qui déclaraient être diabétiques (vs 4%) et 69% qui étaient inactifs professionnellement (vs 63%).

Parmi les hypertendus, 48% connaissaient leur diagnostic d’HTA. Les femmes connaissaient plus souvent leur diagnostic que les hommes (56% des femmes hypertendues vs 38% des hommes hypertendus, p<0,0001). Parmi les personnes connaissant leur diagnostic d’HTA, 45% étaient traitées pharmacologiquement. Le taux de contrôle était de 30,2% chez les hypertendus traités pharmacologiquement. Au total, 80% des hypertendus avaient une pression artérielle trop élevée lors de l’examen clinique de l’enquête.

Conclusion –

La prévalence de l’HTA reste importante à Mayotte, où certains facteurs de risque tel que l’obésité sont particulièrement fréquents dans la population. La connaissance du diagnostic d’HTA, le traitement et le contrôle restent insuffisants. Des mesures de prévention primaire, mais aussi de dépistage et de traitement des hypertendus ciblant les populations les plus touchées doivent être encouragées.

Abstract

Introduction –

In 2008, the prevalence of hypertension was estimated at 44% among people aged 30 to 69 years living in Mayotte, with two out of three hypertensives unaware of their hypertension diagnosis. The aim of this study was to estimate the prevalence of hypertension in Mayotte for 2019, to assess the levels of awareness, treatment, and control for this disease, and to describe the characteristics of the hypertensive population.

Methods –

Data were taken from the cross-sectional Unono Wa Maore survey conducted in Mayotte in 2019. Analyses were based on the adult population aged 18 to 69 years who responded to the questionnaire and underwent a clinical examination to provide at least two blood pressure measurements (n=2620). Patients were considered hypertensive if they declared being hypertensive and/or if the average of the last two systolic BP measurements taken during the clinical examination was 140 mm Hg and/or diastolic BP90 mm Hg.

Results –

In 2019, the prevalence of hypertension was estimated at 38.4% (CI95%: [36.1%-40.7%]) in the Mayotte population aged 18 to 69 years. The prevalence was similar among men (38.5%) and women (38.3%, p=0.95). The prevalence of certain risk factors was high, with 75% of hypertensives being overweight or obese (vs 53% of non-hypertensives), 13% reporting diabetes (vs 4%), and 69% being occupationally inactive (vs 63%).

Among the hypertensives, 48% were aware of their diagnosis, with women more likely to be aware than men (p<0.0001). Of those who were aware, 45% were treated pharmacologically. The control rate was 30.2% among pharmacologically treated hypertensives. Overall, 80% of hypertensive patients showed excessively high blood pressure during the survey’s clinical examination.

Conclusion –

The prevalence of hypertension remains high in Mayotte, where certain risk factors like obesity are particularly common in the population. Awareness, treatment, and control strategies remain insufficient. Primary prevention measures, but also screening and treatment of hypertension, should be encouraged by targeting the populations most affected by the disease.

Introduction

L’hypertension artérielle (HTA) est une pathologie chronique qui concerne 1,3 milliard de personnes dans le monde et qui est un facteur de risque majeur d’accident vasculaire cérébral et de maladies cardiovasculaires 1,2. Certains facteurs de risque de cette maladie sont non modifiables, tel que le vieillissement, mais d’autres sont modifiables, en lien avec le mode de vie (sédentarité, surpoids/obésité, consommation importante de sel, alcool), et accessibles à des actions de prévention et de promotion de la santé 3.

Le dépistage, la prise en charge hygiéno-diététique et pharmacologique, et le contrôle de l’HTA sont essentiels pour diminuer le poids de cette pathologie et de ses complications 4. D’importantes disparités sur le risque d’HTA ou sur sa prise en charge ont été constatées en fonction des territoires et des caractéristiques sociodémographiques et médicales 5,6,7,8. En France métropolitaine, la prévalence de l’HTA a été estimée à 30,6% en 2015 (18-74 ans) 9. Peu d’estimations récentes de la prévalence de l’HTA sont disponibles dans les départements et région d’outre-mer, alors qu’il existe d’importantes différences sociodémographiques et d’accès aux soins 10. En 2008, l’étude Maydia a estimé la prévalence de l’HTA à Mayotte à 44% chez les personnes âgées de 30 à 69 ans, avec 75% des hypertendus qui ignoraient leur diagnostic d’HTA 11,12.

L’objectif principal de cette étude était d’actualiser les données de prévalence de l’HTA à Mayotte, d’estimer la connaissance du diagnostic, le traitement et le contrôle de cette pathologie et d’identifier les facteurs qui leur sont associés, à partir des données de l’enquête Unono Wa Maore.

Méthodes

L’étude Unono Wa Maore

L’étude Unono Wa Maore est une enquête transversale portant sur un échantillon aléatoire représentatif de la population de Mayotte, âgée de 0 à 69 ans. L’objectif de cette enquête était de décrire l’état de santé de la population générale vivant à Mayotte, afin que les pouvoirs publics puissent adapter les politiques de santé au contexte épidémiologique et sociodémographique local. La méthodologie de l’enquête a été décrite dans un article spécifique 13. Les inclusions se sont déroulées entre novembre 2018 et juin 2019, en utilisant un plan d’enquête à 2 degrés (logement, individu du ménage). Le taux de participation à l’enquête a été de 91%. Pour cet article portant sur l’HTA, seules les personnes âgées de 18 à 69 ans qui ont eu un examen de santé avec une mesure de pression artérielle (PA) ont été incluses (figure 1).

Figure 1 : Diagramme de flux de l’étude de l’hypertension artérielle, Mayotte, Unono Wa Maore, 2019
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Recueil de données

Lors de cette enquête, les informations sociodémographiques et médicales ont été recueillies par un questionnaire administré par un enquêteur formé, lors d’un entretien à domicile, en face-à-face et après information et consentement. La première personne âgée de 15 ans et plus sélectionnée dans le ménage répondait à un questionnaire long, les autres, à un questionnaire court. Les questions portant sur l’HTA étaient inclues dans ces deux questionnaires. Lors de l’enquête, un infirmier réalisait des mesures anthropométriques, des mesures de pression artérielle et des prélèvements biologiques. La pression artérielle (PA) a été mesurée avec un tensiomètre Carat Boso® gamme pro avec trois brassards disponibles selon la circonférence du bras. Trois mesures de PA ont été effectuées. Les mesures ont été réalisées après au moins 5 minutes de repos, sans changement de position, avec une minute de repos entre chaque mesure de PA.

Définition de l’hypertension artérielle

L’hypertension artérielle était déclarée ou mesurée. Une personne était considérée comme hypertendue si elle avait répondu « oui » à la question « Un médecin ou un autre professionnel de santé vous a-t-il déjà dit que votre tension (ou pression artérielle) était trop élevée ? » ou bien si la moyenne des 2 dernières mesures de PA réalisées lors de l’examen clinique était supérieure ou égale à 140mmHg pour la pression artérielle systolique (PAS) ou 90mmHg pour la pression artérielle diastolique (PAD). Les personnes n’ayant pas eu au moins deux mesures de PA ont été exclues de l’analyse. Les valeurs de PA ont été classées en six niveaux (PA optimale, PA normale, PA normale haute, HTA grade 1, HTA grade 2, HTA grade 3), tels que définis par les sociétés européennes de cardiologie et d’hypertension artérielle 14.

La connaissance du diagnostic d’HTA correspondait à la proportion de personnes hypertendues qui avait déclarée être hypertendue. Parmi les personnes ayant déclarées être hypertendues, la proportion d’HTA traitée correspondait à la proportion de personnes qui avait déclaré prendre un traitement pour diminuer leur PA. Parmi les personnes ayant déclaré prendre un traitement antihypertenseur, l’HTA contrôlée correspondait aux personnes ayant des mesures de PA inférieures à 140mmHg pour la PAS et inférieures à 90mmHg pour la PAD. Les personnes ayant déclarées être hypertendues étaient interrogées sur leur pratique régulière d’une activité physique afin de diminuer leur PA.

Pour être comparable à d’autres études internationales, une estimation de la prévalence de l’HTA définie comme traitée ou mesurée a été estimée (contre déclarée ou mesurée dans l’analyse principale).

Covariables

L’indice de masse corporelle (IMC) a été estimée à partir des mesures anthropométriques réalisées par l’infirmier. Le diabète était déclaré « oui » à la question « Un médecin vous a-t-il déjà dit que vous aviez un diabète ? ».

Les autres variables sociodémographiques et médicales (consommation de tabac et alcool, niveau de diplôme, activité professionnelle, couverture sociale, ressenti financier) ont été collectées par déclaration dans le questionnaire. Certaines informations (activité physique, ressenti financier, origine géographique, couverture par la Sécurité sociale) n’étaient disponibles que pour les personnes ayant répondues au questionnaire long.

Analyses statistiques

Toutes les estimations ont été redressées et pondérées pour tenir compte de la méthodologie d’inclusion et du design de l’enquête. Les comparaisons bivariées ont été effectuées par test de Chi2, test de Fisher ou test de Student selon les conditions de validité des tests. Des régressions logistiques pondérées ont permis d’identifier les facteurs associés à l’HTA dans la population de Mayotte, à sa connaissance, son traitement et son contrôle. Afin d’évaluer l’évolution de l’HTA sur le territoire, une analyse de la sous-population âgée de 30 à 69 ans a été effectuée pour correspondre à la tranche d’âge étudié en 2008 12. Les analyses ont été effectuées sur le logiciel SAS software (version 7.1, SAS Institute®, Cary, NC, USA).

Résultats

Parmi les adultes participants à l’enquête Unono Wa Maore, 2 620 ont été inclus dans l’analyse de la pression artérielle (951 hommes et 1 669 femmes). Après redressement et pondération, l’âge moyen était de 36,6 ans et la proportion de femmes étaient de 54,5%.

Pression artérielle

Dans la population adulte de Mayotte, la PAS et la PAD moyennes étaient, respectivement, de 126,8 et 81,8 mmHg. Lors de l’enquête Unono Wa Maore, 18,4% (IC95%: [16,7%-20,1%]) des participants ont déclaré qu’un médecin ou un autre professionnel de santé leur avait déjà dit que leur tension (ou pression artérielle) était trop élevée, plus souvent les femmes que les hommes (21,5% vs 14,7%, p<0,0001). Lors de l’examen de santé de l’enquête, 30,2% [28,1‑40,7] des adultes avaient une PA trop élevée, et 23,1% [21,1‑25,1] avaient une PA normale haute (tableau 1).

Tableau 1 : Mesure de pressions artérielles et prévalence de l’hypertension artérielle (HTA), connaissance, traitement et contrôle, Mayotte, Unono Wa Maore, 2019
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Hypertension artérielle

En 2019, la prévalence de l’HTA (déclarée ou mesurée) était de 38,4% [36,1-40,7] chez les 18-69 ans. La prévalence de l’HTA augmentait avec l’âge, passant de 19,2% chez les 18-29 ans à 83,2% chez les 60-69 ans. La prévalence de l’HTA ne différait pas selon le sexe (38,5% hommes, 38,3% femmes, p=0,95). L’HTA de grade 3 concernaient 2,6% [1,9‑3,3] de la population adulte 18-69 ans, mais elles concernaient 12,3% des 60-69 ans (tableau 1).

En considérant la définition de l’HTA comme traitée ou mesurée, un tiers (32,8% [30,6-34,9]) de la population de Mayotte était hypertendue. Parmi eux, 51,1% étaient des femmes et l’âge moyen était de 44,4 ans.

Analyses du sous-groupe des 30-69 ans

Dans le sous-groupe des patients âgés de 30 à 69 ans, la prévalence de l’HTA (déclarée ou mesurée) était de 48,4% [45,6-51,2], sans différence significative selon le sexe (46,9% chez les hommes, 49,7% chez les femmes, p=0,32).

Connaissance, traitement et contrôle

Parmi les hypertendus, 47,9% connaissait leur diagnostic d’HTA. Cette proportion était de 56,2% chez les femmes hypertendues contre 38,1% chez les hommes hypertendus (p<0,0001).

Parmi les personnes hypertendues déclarant avoir connaissance de leur HTA :

48,5% déclaraient pratiquer une activité physique pour diminuer leur PA ;

45,4% déclaraient prendre un traitement pharmacologique antihypertenseur (28,4% déclaraient faire les deux) ;

34,5% ne déclaraient aucun de ces deux éléments de prise en charge.

La non prise en charge (pharmacologique ou activité physique) était plus fréquente chez les femmes que chez les hommes (41,3% vs 22,6%, p=0,0003) (tableau 1). Le taux de contrôle était de 30,2% (PA<140/90 mmHg à l’examen clinique de l’enquête) parmi les personnes hypertendues traitées pharmacologiquement.

Au total, seul 21,3% des hypertendus avaient une PA contrôlée. Cela était plus fréquent chez les jeunes (35,5%) et les femmes (27,2%) que chez les plus âgées (15,9%) et les hommes (14,2%) (p<0,0001).

Caractéristiques de la population hypertendue

Parmi les personnes hypertendues, 54,4% étaient des femmes, et 40,4% avaient moins de 40 ans (tableau 2). Concernant les autres facteurs de risque cardiovasculaire, il y avait significativement plus de personnes en surpoids (31,0% vs 30,3% p<0,0001) ou obèses (43,8% vs 23,1%, p<0,0001) parmi les personnes hypertendues que parmi les non hypertendues. Parmi les personnes hypertendues de moins de 30 ans, 69,0% étaient en surpoids ou obèses, contre 39,0% dans la population non hypertendue du même âge (p<0,0001). Chez les plus âgées (40-69 ans), cette différence était moins importante puisque 75,9% des personnes hypertendues de cette tranche d’âge étaient en surpoids ou obèses, contre 67,8% des non hypertendues (données non présentées). Il n’y avait pas de différence significative sur la consommation d’alcool ou de tabac entre les hypertendus et les non hypertendus dans cette étude. Concernant l’origine géographique, on observait significativement moins de personnes nées en France métropolitaine parmi les hypertendus que parmi les non-hypertendus (0,5% vs 2,4%, p=0,01). Les autres origines géographiques ne variaient pas avec le statut hypertensif. Sur le plan socioéconomique, les personnes hypertendues déclaraient plus souvent des difficultés financières (49,2% vs 42,0%, p=0,04) ; avaient moins souvent un emploi (30,7% vs 37,0%, p=0,004), et avaient moins souvent un niveau d’étude supérieur au baccalauréat (10,3% vs 15,3%, p=0,004).

Tableau 2 : Caractéristiques des hypertendus, et des hypertendus connus, traités ou contrôlés, Mayotte, Unono Wa Maore, 2019
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Après ajustement, les facteurs significativement associés à l’HTA étaient l’âge élevé, le surpoids et l’obésité (ORaj=2,2 [1,7-2,8], p<0.0001), le diabète déclaré (ORaj=1,7 [1,2-2,6], p=0,008) et l’inactivité professionnelle (ORaj=1,3 [1,0-1,6], p=0,03) (figure 2a).

Figure 2 : Facteurs associés à l’hypertension artérielle (HTA), sa connaissance, son traitement et son contrôle, Mayotte, Unono Wa Maore, 2019
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Facteurs associés à la connaissance, au traitement et au contrôle de l’HTA (tableau 2 - figure 2)

Les répartitions des caractéristiques de la population hypertendue en fonction de sa connaissance, son traitement et son contrôle sont présentés dans le tableau 2.

Les facteurs indépendamment associés à la connaissance de son statut d’hypertendu étaient le sexe féminin (ORaj=2,4 [1,6-3,6], p<0,0001) et le diabète déclaré (ORaj=2,6 [1,6-4,3], p=0,0002) (figure 2b). Les facteurs indépendamment associés au traitement de l’HTA étaient l’âge, le diabète déclaré (ORaj=2,3 [1,3‑4,3], p=0,006) et l’IMC (ORaj=4,4 [2,2‑8,6], p<0,0001) (figure 2c). La part des personnes couvertes par un régime de sécurité sociale était plus élevée chez les personnes hypertendues traitées (74,5%) que chez les personnes hypertendues non-traitées (63,3%), mais la différence n’était pas significative (p=0,10) (tableau 2). Dans le modèle multivarié, aucune des caractéristiques étudiées n’était significativement associée au contrôle de l’HTA dans notre étude (figure 2d).

Discussion

Cette étude est la première depuis 2008 à évaluer la prévalence de l’HTA sur un échantillon représentatif de la population vivant à Mayotte. Elle a permis d’observer qu’en 2019, la prévalence de l’HTA restait élevée, y compris chez les jeunes. Certains facteurs de risque, tel que l’obésité, étaient particulièrement prévalents dans la population hypertendue. De plus, les taux de connaissance du diagnostic d’HTA, de traitement et de contrôle étaient insuffisants, puisqu’un hypertendu sur deux ne connaissait pas son diagnostic, trois sur quatre n’étaient pas traités et seulement un sur cinq était contrôlé.

L’état de santé tensionnel de la population de Mayotte ne s’est pas amélioré en 11 ans. En 2008, l’étude Maydia avait estimé à 44% la prévalence de l’HTA chez les personnes âgées de 30 à 69 ans avec un tiers de la population âgée de 30 à 39 ans qui était hypertendue 11,12. En 2019, la prévalence de l’HTA dans la sous-population âgée de 30 à 69 ans était de 48%. L’évolution de la prévalence de l’HTA était particulièrement inquiétante chez les femmes, puisqu’elle a augmenté de 12% entre 2008 et 2019.

En 2015, l’étude Esteban a estimé la prévalence de l’HTA chez les personnes de 18-74 ans en métropole à 30,6%, via les remboursements de médicaments antihypertenseurs et un examen clinique 9. La comparaison de ces deux études est difficile. D’une part, la méthodologie de définition de l’HTA est différente entre ces deux études (HTA déclarée ou mesurée dans cette étude, vs HTA traitée remboursée ou mesurée dans l’étude métropolitaine). D’autre part, les structures d’âge des personnes sur ces territoires sont très différentes, avec un âge moyen 10 ans plus jeune dans la population de Unono Wa Maore que dans l’étude Esteban (36,6 vs 46,9 ans). Ainsi, malgré ces méthodologies différentes, nos estimations montrent un moins bon état tensionnel à Mayotte qu’en France métropolitaine.

La prévalence de l’HTA est globalement très élevée dans les territoires de l’océan Indien :

49% à La Réunion 15 ;

39% sur l’Île comorienne d’Anjouan 16 ;

29% à Madagascar 17.

Dans les autres territoires français d’outre-mer, la prévalence de l’HTA traitée ou mesurée chez les personnes âgées de 15 ans et plus variait entre 18% en Guyane Française et 29% en Guadeloupe 10. Les taux de connaissance et de traitement étaient similaires à ceux de Mayotte.

En métropole comme dans la majorité des pays à hauts revenus, la prévalence de l’HTA est plus élevée chez les hommes que chez les femmes 8,9, alors que la prévalence de l’HTA chez la femme est aussi élevée que celles des hommes dans les pays à plus faibles revenus 8,9. Dans notre étude, nous avons retrouvé une prévalence de l’HTA similaire entre les hommes et les femmes, alors qu’en 2008, elle était plus élevée chez les hommes (50%) que chez les femmes (37%). Cet élément a également été observé dans d’autres territoires d’outre-mer et sur l’île d’Anjouan 16. Une partie de cette augmentation peut être attribuée à l’obésité chez les femmes 10.

Si certains facteurs de risque cardiovasculaires sont peu présents à Mayotte (tabac, alcool), le diabète (voir Azaz et coll. dans ce numéro) et l’HTA concernaient une proportion importante, malgré l’âge jeune de la population. Au vu de la prévalence très élevée du surpoids et de l’obésité, qui est en augmentation (voir Deschamps et coll. dans ce numéro), et du lien entre ces différentes pathologies, il paraît urgent de rendre accessible les produits alimentaires sains à l’ensemble de la population de Mayotte et de mettre en place des mesures permettant de promouvoir la santé, la bonne alimentation et l’activité physique. Ce problème d’obésité apparaît majeur chez les femmes et les jeunes et les mesures pourraient cibler en priorité ces populations.

Si aucune action préventive n’est mise en place, dans les années à venir, l’obésité des jeunes pourrait se traduire par une poursuite de l’augmentation de la prévalence de l’HTA qui se surajoute au vieillissement de la population. Cela pourrait concourir à une augmentation des accidents vasculaires cérébraux, insuffisances cardiaques, insuffisances rénales et des autres complications cardiovasculaires liées à l’HTA sur le territoire de Mayotte. Le poids des pathologies cardiovasculaires risque donc de s’accroître et doit faire l’objet d’une surveillance particulière.

En plus de la prévention primaire, le dépistage, l’éducation thérapeutique des malades et le traitement des patients doivent être encouragés. Bien qu’elle ait augmenté depuis 2008, la connaissance de l’HTA restait insuffisante en 2019. La proportion de personnes traitées n’a pas augmenté et reste à la moitié des hypertendus connus. À Mayotte, comme dans la majorité des territoires, les femmes connaissent plus souvent leur diagnostic d’HTA que les hommes 8. Ceci peut être lié aux bilans de santé effectués pendant les grossesses (5,0 enfants par femme à Mayotte 18). Cependant à connaissance égale, les femmes étaient moins souvent traitées que les hommes 9. Ces deux axes sont donc essentiels à développer pour toute la population, et en particulier le dépistage chez les hommes et le traitement des femmes.

En métropole, la place du médecin généraliste est centrale dans le dépistage, l’éducation thérapeutique et la prise en charge initiale de l’HTA 19,20. À Mayotte, la densité médicale est particulièrement faible comparée à la métropole, avec seulement environ 200 médecins sur le territoire 21,22. Cela peut compliquer le dépistage et le suivi régulier des patients hypertendus de ce territoire. Outre la disponibilité des médecins, le faible recours aux soins peut être un frein au dépistage et traitement de l’HTA sur ce territoire où près d’un tiers de la population n’est pas couvert par l’Assurance maladie. À Mayotte, l’Aide médicale d’État (AME) n’est pas applicable, et le taux de personnes en situation administrative irrégulière est élevé. Dans une étude réalisée en 2016, 12% de la population de Mayotte a déclaré renoncer aux soins, en particulier les personnes n’ayant pas de couverture maladie 23. Bien que nous n’ayons pas observé d’association significative entre la connaissance ou le traitement et la couverture par l’Assurance maladie dans cette étude, la part des personnes couvertes était plus grande parmi les hypertendus connus et les hypertendus traités que chez ceux non connus ou non traités. Cette information n’était disponible que pour les personnes ayant répondu au questionnaire long, et l’absence d’association peut être expliquée par un manque de puissance statistique.

Ce peu de connaissances de l’HTA et son faible traitement, ainsi que le caractère silencieux de l’hypertension et le manque de connaissances sur ses facteurs de risque (notamment sur les risques liés à l’obésité) expliquent que 80% de la population hypertendue était non contrôlée. Parmi les personnes traitées, le taux de contrôle était seulement de 30%. Si des difficultés d’équilibre tensionnel peuvent exister chez certains patients, les taux de contrôle restent suboptimaux, y compris chez les jeunes, et le taux important d’HTA de grade 3, très à risque de complications cardiovasculaires et de décès est préoccupante 14,24. Le contrôle de la PA permet de diminuer le risque de complications et doit être amélioré pour réduire le fardeau de l’hypertension. Ainsi, l’application des règles hygiéno-diététiques et/ou associée à la prise d’un traitement pharmacologique, ainsi qu’une surveillance régulière de la PA des patients doit également être davantage encouragée.

Forces et limites de l’étude

Le taux de participation élevée à l’enquête Unono Wa Maore (supérieur à 90%), ainsi que le redressement et pondération des données ont permis de disposer d’indicateurs fiables, extrapolables à l’ensemble de la population de Mayotte 13. La méthodologie de l’enquête avec questionnaire et mesures standardisées de la pression artérielle par un infirmier a permis d’estimer la prévalence de l’HTA en incluant la part importante d’HTA non-diagnostiquée ou non-déclarée par les répondants.

Néanmoins, selon les recommandations des sociétés européennes de cardiologie et d’hypertension artérielle 14, le diagnostic d’HTA en pratique clinique doit être posé à partir de mesures élevées d’HTA obtenues à trois consultations différentes. Cette enquête ne comportait qu’un seul examen clinique et l’identification de l’HTA s’est donc basée sur les mesures de PA d’un seul examen (comportant trois mesures de pression artérielle), comme cela est fait dans la majorité des études sur le sujet. La prévalence de l’HTA peut donc être légèrement biaisée par la variabilité tensionnelle. De même, on ne peut exclure un stress lors de l’examen clinique, d’autant plus que le recours aux soins de santé primaire est rare à Mayotte (effet « blouse blanche »), surestimant la prévalence de l’HTA. À l’inverse, l’unicité de l’examen peut masquer l’HTA de certaines personnes 25.

La formulation de la question de déclaration d’HTA peut avoir entraîné une surestimation de la prévalence de l’HTA si les personnes ont déjà eu une mesure de PA élevée à une consultation isolée, sans confirmation du diagnostic sur plusieurs mesures/consultations. Cette formulation est la même qu’en 2008 et a permis d’observer les évolutions entre les deux années d’étude. De plus, une analyse de sensibilité a été faite pour estimer la prévalence de l’HTA, traitée ou mesurée, et identifiait les mêmes caractéristiques sociodémographiques dans la population hypertendue, excepté une moins grande proportion de femmes jeunes.

Le caractère déclaratif de la consommation d’alcool et de tabac peut être à l’origine d’un biais de classement et d’une sous-estimation de la prévalence de ces facteurs dans la population. Cependant, la consommation de ces substances est probablement moindre sur ce territoire qu’en métropole du fait d’éléments culturels.

Conclusion

L’étude Unono Wa Maore a permis une nouvelle estimation de la prévalence de l’HTA à Mayotte. Ainsi, en 2019, plus du tiers de la population de Mayotte était hypertendue (38,4%). Cette prévalence élevée de l’HTA et les proportions basses de connaissance, traitement et contrôle de cette pathologie sur le territoire de Mayotte sont alarmants et soulignent la nécessité de poursuivre et développer des actions de prévention primaire, d’accès à une alimentation équilibrée, mais aussi de dépistage et de traitement des hypertendus, adaptées aux spécificités démographiques, sociales et médicales de ce territoire.

Remerciements

Nous remercions le groupe Unono Wa Maore : Marc Ruello, Marion Fleury, Hassani Youssouf, Jean-Baptiste Richard, Jean-Louis Solet, Laurent Filleul, Delphine Jezewski-Serra, Julie Chesneau.

Liens d’intérêt

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Citer cet article

Grave C, Calas L, Subiros M, Ruello M, Youssouf H, Gabet A, et al. L’hypertension artérielle à Mayotte : prévalence, connaissance, traitement et contrôle en 2019, étude Unono Wa Maore. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(9-10):170-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/9-10/2022_9-10_2.html