Bien observer pour mieux agir : quand Mayotte s’exprime sur sa santé

// Careful observation for better action: Mayotte speaks out on health

Julien Thiria1, Joëlle Rastami2
1 Directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique et ex-directeur de la santé publique à l’ARS de Mayotte
2 Usager qualifié résidente, ex-vice-présidente du Collectif interassociatif sur la santé – océan Indien

Mayotte, terre de l’océan Indien où l’oralité est la norme, devenue sous la Ve République le 101e département français, continue à écrire son histoire. Unono Wa Maore, enquête réalisée en 2019 par Santé publique France, apporte un éclairage nouveau sur l’état de santé des Mahorais et sur leurs attitudes et pratiques en matière de prévention et de recours aux soins. Cette enquête montre aussi l’importance de la prise en compte de la promotion de la santé dans les politiques publiques, un concept déjà exposé par le professeur de santé publique Jean-Pierre Deschamps (1) sur le territoire de Mayotte en 1990 au congrès des 1res Journées de la mère et de l’enfant.

Ce que révèle Unono Wa Maore en termes d’indicateurs se rapproche de ce qui est observé dans les autres départements d’outre-mer : une prévalence croissante de l’obésité et des autres maladies chroniques majeures associées (diabète, hypertension) plus élevée qu’en métropole, en lien avec les nouvelles habitudes alimentaires et le manque de pratique d’une activité physique. Il est donc nécessaire, comme le préconisent les chercheurs de cette étude, de diversifier les politiques de santé publique sur le territoire.

La Cour des comptes, dans son rapport national en 2019 sur la prévention et la prise en charge de l’obésité (2), s’inquiétait déjà à l’époque d’objectifs de réduction de la prévalence non atteints au niveau national, et notamment dans les départements ultramarins. Cette juridiction administrative alertait en particulier sur le pilotage national (qui devait être renforcé) et régional (dont l’approche interministérielle était déficiente), et préconisait d’appliquer les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Dans son rapport sur les déterminants sociaux de la santé (3) de 2021, l’OMS privilégie une approche multisectorielle pour combattre les inégalités en santé et leurs causes, de nombreux déterminants sociaux, environnementaux, et économiques de la santé ne relevant pas exclusivement des compétences du secteur de la santé.

Ainsi, les résultats de l’enquête Unono Wa Maore sont à contextualiser au regard de quelques indicateurs majeurs fournis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Mayotte est le département le plus jeune de France : sa population croît de 3,8% par an en moyenne, 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (5 fois plus qu’en France métropolitaine). Cette situation démographique spécifique place le système de santé et son offre de soins sous tension, avec tous les impacts que cela implique pour l’ensemble des usagers de la santé de Mayotte. D’ailleurs, l’étude Unono Wa Maore signale que 45% des habitants renonceraient ou reporteraient leurs soins médicaux, en partie du fait de cette tension.

Les pouvoirs publics à Mayotte ont pris conscience de cette situation : le Programme national nutrition santé (PNNS) 2011-2015, ainsi que le Plan obésité 2010-2013 en direction des populations d’outre-mer, ont été mis en œuvre sur l’île, en les adaptant aux contextes socioculturels et géographiques de l’île. Les premières données de Unono Wa Maore ont été largement exploitées pour élaborer le Programme mahorais alimentation, activité physique et santé (PMAAPS) 2021-2023, officiellement signé par l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, la Préfecture, le Conseil départemental et la Caisse de Sécurité sociale de Mayotte (CSSM) le 9 décembre 2021. Ce programme a mobilisé pas moins de 80 partenaires, et vise à ce que les Mahorais prennent conscience de l’impact de l’alimentation et de la sédentarité sur leur santé, et qu’ils améliorent leur hygiène de vie, dans des conditions et un environnement favorables à la santé. Dans ce contexte sociétal particulier, la réduction des inégalités sociales est un axe transversal majeur du programme.

Face aux efforts à mettre en œuvre pour améliorer l’état de santé en population générale sur le territoire et plus particulièrement en termes de prévention et de dépistage des maladies liées à l’alimentation, Mayotte peut espérer se reposer sur le maillage communautaire au sens large. En effet, la santé développée en proximité par les communautés a montré des résultats encourageants sur le territoire lors de la gestion de l’épidémie de Covid-19 (4), en développant des dispositifs innovants et adaptés au territoire.

Face au faible niveau de littératie (5) en prévention santé, à la désertification médicale et aux inégalités d’accès aux soins, ces groupes communautaires appuyés par l’État et les collectivités, sont à même de valoriser les capacités des personnes et des populations, particulièrement les plus vulnérables, en soutenant leurs potentialités et leur capacité d’agir (6).

C’est bien là l’espoir des représentants des usagers de la santé et de leurs associations. Ainsi, avec le soutien de l’ARS en octobre 2021 la 18e délégation régionale de l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé France Assos Santé Mayotte a vu le jour. Les enseignements de l’enquête Unono Wa Maore œuvreront sans aucun doute à une collaboration engagée entre les usagers, les associations et l’ARS de Mayotte, afin d’initier les échanges autour d’un plan d’action commun pour la promotion et la défense de la démocratie sanitaire sur le territoire mahorais.

Une initiative récente contribuera également à réduire les inégalités sociales de santé révélées dans cette enquête : des municipalités (Mamoudzou, Bandrélé, Acoua) commencent à créer des environnements favorables à la santé et à la qualité de vie à travers l’élaboration de contrats locaux de santé (en partenariat avec l’ARS de Mayotte).

Après la publication de l’estimation de la prévalence des hépatites B, C à Mayotte dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) consacré aux hépatites virales (7), ce BEH thématique aborde les affections chroniques que sont le diabète et l’hypertension artérielle et consacre deux articles à l’insécurité alimentaire et au béribéri encore présent sur l’île. Un focus présente également les résultats de l’enquête Santé menée par la Drees et l’Insee à Mayotte qui révèle les difficultés de recours aux soins de ses habitants.

D’autres articles suivront, notamment sur la santé sexuelle, l’analyse de la couverture vaccinale chez les enfants de moins de 3 ans, le recours et le renoncement aux soins... Cet état des lieux des principaux indicateurs de santé à Mayotte démontre l’intérêt d’intégrer ce territoire dans le cycle des baromètres santé réalisés dans les départements français pour continuer à mettre à jour les indicateurs de santé à Mayotte et mieux orienter les politiques de santé dans ce jeune département.

« Le médecin du futur ne donnera pas de médicaments ; il formera ses patients à prendre soin de leur corps, à la nutrition et aux causes et à la prévention des maladies. » Thomas A. Edison, 1903.

Bonne lecture et bon usage à toutes et à tous !

Citer cet article

Thiria J, Rastami J. Bien observer pour mieux agir : quand Mayotte s’exprime sur sa santé. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(9-10):162-3. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/9-10/2022_9-10_0.html

(1) La promotion de la santé aujourd’hui par le Pr Deschamps – Vidéo réalisée lors du colloque « La recherche en promotion de la santé » organisé par le Pôle Régional de Compétences Rhône-Alpes le 29 Janvier 2015 à Lyon – Ecosystème santé, média francophone de promotion de la Santé, 25 mars 2015. https://www.youtube.com/watch?v=ZbERp3X185c
(2) La prévention et la prise en charge de l’obésité – novembre 2019. Paris: Cour des comptes; 2019. 157 p. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/
la-prevention-et-la-prise-en-charge-de-lobesite
(3) Organisation mondiale de la santé. Déterminants sociaux de la santé. Rapport du Directeur général – 6 janvier 2021. Genève: OMS; 2021. 6 p. https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_
files/EB148/B148_24-fr.pdf
(4) La santé communautaire au service de la lutte contre la Covid – Le journal de Mayotte, 17 février 2021. https://lejournaldemayotte.yt/2021/02/
17/la-sante-communautaire-au-service-de-la-lutte-contre-le-covid/
(6) Note de la rédaction : voir l’article : Programme de santé communautaire Tsingoni à Mayotte : Construire ensemble des solutions que les habitants vont s’approprier [Interview], Boutouaba S, Reynaud MA. La Santé en action. 2021;458:46-47. https://www.santepubliquefrance.fr/
docs/‌program​me-de-sante-communautaire-tsingoni-a-mayotte-construire-ensemble-des-solutions-que-les-habitants-vont-s-approprier-interview
(7) Brouard C, Parenton F, Youssouf H, Chevaliez S, Gordien E, Jean M, et al. Hépatites virales B, C et delta en population générale adulte vivant à Mayotte, enquête Unono Wa Maore 2018-2019. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(3-4):48-57. http://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2022/3-4/2022_3-4_2.html