Le déficit en thiamine (vitamine B1) toujours endémique en 2021 à Mayotte

// Thiamine (vitamin B1) deficit still endemic in 2021 in Mayotte

Charlotte de Latour1 (charlotte.delatour@santepubliquefrance.fr), Marion Subiros1,2, Fanny Parenton1,2, Laurent Filleul3, Abdourahim Chamouine2, Hassani Youssouf1
1 Santé publique France – Mayotte, Mamoudzou
2 Centre hospitalier de Mayotte, Mamoudzou
3 Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux
Soumis le 16.11.2021 // Date of submission: 11.16.2021
Mots-clés : Mayotte | Béribéri | Thiamine | Carence | Alimentation
Keywords: Mayotte | Beriberi | Thiamine | Deficiency | Nutrition

Résumé

Mayotte, territoire français ultramarin, a été marqué en 2004 par une épidémie de béribéri infantile, carence liée à un déficit en thiamine (vitamine B1). Des mesures de prévention ont alors été mises en place, mais aucun bilan n’a été dressé récemment sur l’évolution de ces carences sur le territoire. L’objectif de l’étude était de caractériser la situation épidémiologique des carences en thiamine à Mayotte entre 2008 et 2020.

Les cas de carence en thiamine ont été identifiés à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) du Centre hospitalier de Mayotte du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2020. Ils ont été décrits par sexe, âge et date d’hospitalisation.

Entre janvier 2008 et décembre 2020, 256 cas de carence en thiamine ont été identifiés, parmi lesquels 4 patients sont décédés. L’âge médian des cas était de 28 ans (IC95%: [22-39]). Le sex-ratio homme-femme était de 0,4 et les femmes en âge de procréer (entre 15 et 44 ans) représentaient 61% des cas. Le béribéri a été relevé chez 22 enfants de moins de 5 ans dont la quasi-totalité (20/22) était âgée de moins d’un an. Une augmentation de cas a été observée à partir de 2014, touchant principalement les femmes : N=183/256, soit 76% des cas identifiés après 2014, avec un pic en 2019 (N=42). À partir de 2018, on observe également une augmentation des cas chez les enfants (10 cas enregistrés), alors qu’aucun cas n’avait été identifié entre 2016 et 2017.

Les résultats de l’étude témoignent de la persistance des cas de carence en thiamine à Mayotte, et ce, principalement chez les femmes en âge de procréer.

L’évolution des actions de prévention, leur renforcement et l’amélioration de la diversification de l’offre alimentaire constituent des leviers d’actions essentiels dans la lutte contre ces carences.

Abstract

Mayotte, a French overseas territory, was marked in 2004 by an epidemic of infantile beriberi, a deficiency linked to a lack of thiamine (vitamin B1). Preventive measures were put in place but there has been no recent assessment of how these deficiencies have evolved in the territory. This study therefore aims to characterise the epidemiological situation of thiamine deficiency in Mayotte between 2008 and 2020.

Cases of thiamine deficiency were identified using data from the medicalised information system (PMSI, Programme de médicalisation des systèmes d’information) of Mayotte Hospital collected between 1 January 2008 to 31 December 2020. cases of thiamine deficiency were described by sex, age and date of hospitalisation.

Between January 2008 and December 2020, 256 cases of thiamine deficiency were identified, four of which were fatal. The median age of the cases was 28 years (CI95%: [22-39]). The male-to-female sex ratio was 0.4 and women of childbearing age (15 to 44 years) accounted for 61% of cases. Beriberi was found in 22 children under the age of 5 years, almost all of whom (N=20/22) were under 12 months of age. An increase in the number of cases was observed from 2014 onwards, mainly affecting women: N=183/256, i.e., 76% of cases identified after 2014, with a peak in 2019 (N=42). From 2018, an increase in cases was also observed among children (10 cases recorded), whereas no cases had been recorded between 2016 and 2017.

The results of the study show the persistence of thiamine deficiency in Mayotte, mainly among women of childbearing age. Developing and reinforcing preventive measures, along with improved diversity of food sources, are essential actions in the fight against these deficiencies.

Introduction

Le béribéri est connu depuis des millénaires en Asie, mais il n’a été décrit en Europe qu’au XVIIe siècle 1. Cette carence en thiamine (vitamine B1) se manifeste chez l’adulte par deux tableaux cliniques distincts : une forme sèche affectant les noyaux gris centraux (encéphalopathie de Gayet-Wernicke) et le système nerveux périphérique, et une forme humide provoquant des troubles cardiaques et circulatoires (le béribéri). Chez les nourrissons, il existe une forme de béribéri liée aux carences du lait maternel. La phase aiguë se déclenche entre les âges de trois et six mois 2.

La vitamine B1, dont le rôle métabolique est fondamental, n’est pas synthétisée par l’organisme et provient uniquement de l’alimentation. Les besoins en thiamine sont fonction des apports glucidiques car cette vitamine est indispensable au bon fonctionnement du métabolisme du glucose (cycle de Krebs). De nombreux aliments comme le poisson, la viande, les noix et les graines contiennent de la thiamine en petites quantités. La plupart des personnes sont en mesure de répondre à leurs besoins en thiamine sans supplémentation en adoptant une alimentation équilibrée et diversifiée. Les carences en vitamine B1 peuvent se produire lorsque le régime alimentaire est constitué principalement de céréales blanches moulues, comme le riz poli et la farine de blé 2. En effet, la thiamine, initialement présente dans le péricarpe des grains de céréales, est éliminée lors du raffinage industriel permettant d’obtenir les céréales blanches. De plus, certains modes de cuisson, qui réduisent la qualité nutritionnelle des aliments, et la consommation de la chair de certains poissons contenant de la thiaminase, enzyme détruisant la vitamine B1, exposent à des déficits 3. Les réserves de l’organisme étant très limitées, les effets d’une carence en thiamine se manifestent en quelques semaines, en particulier si le régime est riche en glucides 4.

Des cas de carence en vitamine B1 sont observés dans beaucoup de pays à faibles ressources, notamment en Asie et en Afrique 5, mais également chez des populations précaires dans certains départements français d’outre-mer tels que les orpailleurs en Guyane dont l’alimentation est à base de riz blanc décortiqué 6. Cette situation est particulièrement préoccupante en Asie du Sud-Est où les carences sont notamment observées chez les nourrissons et les femmes en âge de procréer 5.

À Mayotte, département français de l’océan Indien, le contexte socioéconomique est défavorable avec 77% de la population vivant sous le seuil de pauvreté métropolitain et un solde migratoire important. Les personnes issues de l’immigration sont les plus exposées à la grande précarité 7. Du fait d’une faible disponibilité et d’une faible diversité des produits alimentaires locaux, ainsi que du prix élevé des denrées importées, l’alimentation de base est principalement constituée de riz blanc raffiné. Les qualités nutritionnelles des aliments sont souvent altérées par les modes de préparation comme la cuisson dans de grandes quantités d’eau 8. À cela s’ajoute une consommation importante de sodas et de sucres rapides qui majorent les besoins en vitamines B1 9. Traditionnellement, les femmes en post-partum consomment une bouillie composée de riz appelé « oubou » qui combine une durée de cuisson trop longue entraînant la perte de la valeur nutritive et un apport glucidique massif. Enfin, depuis plusieurs années, les ailes de poulet congelées importées, appelées « mabawas », ont remplacé progressivement les autres types de viandes dans l’alimentation, appauvrissant la diversité alimentaire.

En 2004, une importante épidémie de béribéri infantile s’est déclarée à Mayotte, ayant eu comme conséquence la mort de 20 nourrissons parmi les 32 cas signalés. L’origine de cette épidémie était une carence en thiamine chez la mère durant la grossesse et dans le lait maternel 10. Cette épidémie avait mis en évidence la précarité des patients diagnostiqués avec environ 90% des mères qui étaient d’origine étrangère. De plus, une étude menée en 2018 avait qualifié le déficit en thiamine à Mayotte comme une maladie du migrant résultant de traditions alimentaires anciennes, de problèmes socioéconomiques et d’un appauvrissement alimentaire depuis les années 1990 9.

À la suite de l’épidémie de 2004, plusieurs recommandations de santé publique ont été proposées, dont la promotion d’une alimentation diversifiée chez les femmes enceintes et allaitantes et la supplémentation en vitamine B1 de toutes les femmes enceintes (au dernier trimestre de grossesse et jusqu’à 5 semaines en post-partum), les femmes allaitantes, les femmes ayant eu recours à une intervention médicale de grossesse ou ayant fait une fausse couche pendant trois mois et tous les nouveau-nés jusqu’à leur troisième mois de vie. La poursuite de la surveillance spécifique des cas de béribéri a également été recommandée et une étude visant à décrire les consommations alimentaires, l’activité physique et l’état nutritionnel de la population, en particulier les jeunes enfants (<5 ans) et les femmes en âge de procréer a été réalisée en 2006 11.

En 2014, l’identification d’un nouveau cas de béribéri au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) a alerté et a conduit à initier de nouvelles investigations. Elles ont mis en évidence la persistance de problèmes carentiels, malgré les mesures de prévention mises en place, mais n’ont pas abouti à de nouvelles actions de santé publique.

L’objectif de cette présente étude est de caractériser la situation épidémiologique des carences en thiamine à Mayotte entre 2008 et 2020 à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI).

Méthodes

Cette étude épidémiologique descriptive reposait sur l’analyse des données du PMSI. Cette base de données est nationale et exhaustive, et s’appuie sur le recueil systématique de données médico-administratives des séjours hospitaliers, en médecine, chirurgie et obstétrique.

La population de cette étude était constituée de l’ensemble des patients pris en charge au CHM, unique hôpital du territoire, pour lesquels une carence en thiamine a été identifiée à partir des données du PMSI, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2020.

Les patients pris en charge et notifiés pour une carence en thiamine identifiés dans le PMSI avaient eu un diagnostic de déficit en thiamine reposant sur un diagnostic clinique et une réponse favorable à un traitement par vitamine B1. La confirmation par le dosage de la thiamine était historiquement réalisée par la mesure de l’activité de la transcétolase érythrocytaire (ATK). Cette technique indirecte était réalisée pour le CHM par le laboratoire de l’hôpital de Beaujon. En 2016, cette technique a été remplacée par une technique directe de dosage plus fiable de chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC) réalisée par les laboratoires Cerba, sur sang total congelé dans les 4 heures. La confirmation par le dosage de la thiamine n’étant pas systématique, tous les cas identifiés dans le PMSI ne sont pas confirmés biologiquement.

Le code de la Classification internationale des maladies (CIM-10) retenu pour l’identification de cas de carence en thiamine était le code « E51 » se décomposant de la manière suivante : E511-béribéri, E512-encéphalopathie de Wernicke, E518‑autres manifestations de la carence en thiamine, NCA (Non classé ailleurs) et E519-carence en thiamine, SAI (Sans autre information). Toutes les hospitalisations mentionnant un de ces codes en diagnostic principal ou un diagnostic associé ont été sélectionnées.

Les variables exploitées dans cette étude sont le sexe, l’âge, la date d’hospitalisation et l’évolution (retour à domicile ou décès) des patients. Les médianes sont présentées avec le 1er et le 3e quartile. Une analyse descriptive des cas a été réalisée en stratifiant par âge et sexe.

Résultats

Sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2020, 256 cas de carence en thiamine ont été identifiés à partir de la base du PMSI dont 157 avec un diagnostic principal de carence en thiamine et 99 un diagnostic associé. Parmi l’ensemble des cas identifiés, 84% étaient codés « béribéri » (N=215), 7% « encéphalopathie de Wernicke » (N=18), 6,6% « carence en thiamine sans autre information » (N=17) et 2,3% « autres manifestations de la carence en thiamine » (N=6). Les patients avaient un âge médian de 28 ans (IC 95% : [22-39]) et le sex-ratio homme/femme (H/F) était égal à 0,4 (73 hommes et 183 femmes).

Parmi l’ensemble des cas, 4 patients sont décédés dont un enfant de moins d’un an (2008), un homme de 60 ans (2012), une femme de 52 ans (2013) et une femme de 34 ans (2019).

Une augmentation de l’incidence des cas de carence en thiamine est à noter depuis 2008, et particulièrement au cours des cinq dernières années de l’étude. Entre 2008 et 2015, 14 cas annuels ont été recensés en moyenne contre 29 cas annuels entre 2016 et 2020. Cette recrudescence des cas de carence en thiamine a été surtout observée chez les femmes, qui représentaient 76% des cas identifiés entre 2016 et 2020 (figure 1).

Figure 1 : Évolution annuelle du nombre de cas de carence en thiamine selon le sexe, PMSI, Mayotte, janvier 2008-décembre 2020
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L’ensemble des classes d’âge était touché par des carences en thiamine, cependant une augmentation notable des cas âgés de 15 à 34 ans, et principalement des femmes, était observée à partir de 2016. Chez les enfants de moins de 5 ans, on observait un nombre plus élevé de garçons avec un sex-ratio H/F de 3,4 (17 garçons et 5 filles). Cette tendance s’inversait pour la classe d’âge des 15-54 ans, avec un sex-ratio H/F moyen égal à 0,34. Au-delà de 55 ans, les hommes étaient de nouveau plus concernés que les femmes, avec un sex-ratio H/F moyen de 1,9. Les femmes âgées de 15 à 44 ans comptabilisaient le plus grand nombre de cas. Avec 156 cas au total entre 2008 et 2020, ces femmes en âge de procréer représentaient 61% des cas de carence en thiamine identifiés au cours de la période de l’étude et 66% des cas observés au cours des cinq dernières années (figure 2).

Figure 2 : Répartition des cas de carence en thiamine selon la classe d’âge, PMSI, Mayotte, janvier 2008-décembre 2020
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Parmi les 156 femmes en âge de procréer identifiées avec une carence en vitamine B1, 37 étaient enceintes (24% des cas). La proportion de femmes enceintes présentant une carence en thiamine parmi les femmes en âge de procréer s’est accrue en 2016 et 2017 : elle atteignait respectivement 56% et 60%. Une diminution est observée depuis 2018. En 2020, seules 2 femmes sur les 15 en âge de procréer, étaient enceintes (13,3%).

Entre 2008 et 2020, 22 cas de béribéri ont été identifiés chez les moins de 5 ans (8,6% des cas), l’âge médian de ces cas était de 2 mois [2-3]. La quasi-totalité de ces cas (20 /22) étaient âgés de moins d’un an.

Parmi ces 22 cas, 10 ont été identifiés entre 2008 et 2011, puis seulement 2 entre 2012 et 2017. Enfin, entre 2018 et 2020, le nombre de cas de béribéri chez les jeunes enfants a de nouveau augmenté avec 10 cas comptabilisés et notamment chez les moins d’un an (80% des cas) (figure 3).

Figure 3 : Évolution temporelle de la répartition des cas de carence en thiamine selon la classe d’âge, PMSI, Mayotte, janvier 2008-décembre 2020
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Discussion

La présente analyse, à partir des données du PMSI, met en évidence la persistance des carences en vitamine B1 à Mayotte depuis plusieurs années. L’ensemble des classes d’âge de la population est exposé à ce problème de santé. Dans ce 101e département français, l’alimentation, constituée en majorité de riz blanc et d’apport glucidiques importants, demeure l’origine principale du déficit en vitamine B1.

Entre 2008 et 2020, les femmes en âge de procréer restent les personnes les plus concernées par les carences en vitamine B1. Depuis 2014, une augmentation des cas de déficit en thiamine est observée dans cette catégorie de la population. Cette tendance est également constatée dans d’autres régions touchées par le déficit en thiamine comme le Cambodge, avec 27% à 100% des femmes en âge de procréer souffrant de déficience ou déficit en thiamine 5. Cette population nécessite une attention particulière vis-à-vis de cette pathologie, notamment pour les femmes allaitantes qui ont des besoins journaliers en thiamine supérieurs à ceux en population générale (1,8 mg/j contre 1,2 mg/j) et pour lesquelles une alimentation non diversifiée est un facteur essentiel de carence vitaminique chez le nourrisson 2.

À la suite de l’épidémie de béribéri survenue en 2004 chez les nourrissons, une supplémentation en vitamine B1 a été mise en place chez les femmes enceintes et les nouveau-nés 10. Depuis, aucune nouvelle épidémie meurtrière de béribéri n’a sévi à Mayotte, soulignant l’intérêt du dispositif de prévention par la supplémentation des populations les plus à risque. Cependant, en 2016 et 2017, plus de la moitié des femmes en âge de procréer, qui étaient hospitalisées pour une carence en vitamine B1, étaient enceintes, et une dizaine de jeunes enfants, majoritairement de moins d’un an, atteints de béribéri ont été admis à l’hôpital entre 2018 et 2020. L’augmentation du nombre de cas de carences en thiamine au cours de ces dernières années, aussi bien chez les femmes enceintes que chez les jeunes enfants, malgré la supplémentation toujours en place, doit alerter sur la fragilité et la difficulté de maintenir un dispositif systématique. Par ailleurs, cette supplémentation vitaminique systématique mise en place notamment chez les femmes enceintes et allaitantes permet un meilleur dépistage des carences en vitamine B1 chez les femmes par rapport aux hommes.

Les résultats obtenus dans cette étude sont à interpréter avec prudence car ils se heurtent à la difficulté de diagnostic des formes frustres des carences en thiamine et ils pourraient sous-estimer la réalité du phénomène épidémiologique. En effet, l’analyse porte seulement sur les patients ayant développé des formes graves de carences en thiamine nécessitant une hospitalisation, ainsi que ceux dont ces carences ont été associées à d’autres pathologies à l’origine de l’hospitalisation, mais n’a pas pris en compte les patients malades n’ayant pas été hospitalisés au CHM : les malades n’ayant pas eu recours aux soins pour diverses raisons (coût, temps d’attente, minoration des symptômes, crainte de la police pour les patients en situation irrégulière, etc…), ainsi que des malades décédés sans avoir été hospitalisés 9.

Aussi, la carence en thiamine ayant disparu en métropole, il est plausible qu’elle soit sous-diagnostiquée dès lors que le patient se trouve face à un clinicien récemment arrivé sur le territoire et peu sensibilisé à l’existence de la pathologie. De plus, le turn-over important des soignants sur l’île fragilise le suivi des recommandations.

D’autre part, l’ATK, technique dosage de la thiamine utilisée jusqu’en 2016, est limitée par son manque de spécificité 12. Elle a été remplacée par l’HPLC qui est un procédé plus fiable, plus performant et plus sensible que l’ATK 13. Le manque de spécificité de l’ATK a pu, également, contribuer à un sous-diagnostic des cas de carences en thiamine durant la période où elle était utilisée lorsque le diagnostic biologique était réalisé.

Enfin, l’épidémie de Covid-19, survenue en 2020, a limité le recours aux soins et ainsi le diagnostic de nouveaux cas, ce qui a probablement contribué à sous-estimer le nombre de nouveaux cas détectés cette année.

Cette analyse n’a pas permis d’étudier les modes de vie des cas de carences en thiamine (habitudes alimentaires, conditions de vie) et le statut nutritionnel des patients. De nouvelles recherches sont nécessaires pour mieux caractériser les cas, afin de mieux appuyer de nouvelles actions de santé publique pour endiguer les carences en thiamine sur le territoire.

Conclusion

Depuis l’épidémie de béribéri survenue en 2004, et malgré les mesures de prévention qui ont démontré leur intérêt pour les nouveau-nés, le déficit en thiamine est toujours présent à Mayotte et touche davantage les femmes en âge de procréer. L’hypothèse d’une recrudescence des cas pédiatriques n’est pas à exclure, tant que le déficit en vitamine B1 persistera au sein de la population fragile des femmes enceintes.

Il est nécessaire de renforcer et de faire évoluer les mesures de prévention déjà en place en s’appuyant sur des actions de recherche. En complément de la supplémentation fournie par le système de soin, il est important d’associer les partenaires locaux (lycée agricole, Direction de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt, préfecture, réseaux de santé, Protection maternelle et infantile, …) dans la stratégie de lutte contre ce déficit. En effet, la promotion d’un régime varié composé d’aliments riches en thiamine tels que la levure, les céréales complètes (riz peu ou pas raffiné), les légumineuses, les fruits et légumes, est indispensable pour prévenir les déficits et carences en vitamines B1. Il est également nécessaire de promouvoir une alimentation aux apports glucidiques limités et aux modes de préparation préservant les valeurs nutritives des aliments. L’éducation nutritionnelle doit être associée à une disponibilité universelle de ces aliments essentiels, afin de constituer un des leviers d’action de la lutte contre les carences en thiamine.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

de Latour C, Subiros M, Parenton F, Filleul L, Chamouine A, Youssouf H. Le déficit en thiamine (vitamine B1) toujours endémique en 2021 à Mayotte. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(9-10):194-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/
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