Prévention des infections et de l’antibiorésistance : de nombreuses actions menées par les pouvoirs publics, à poursuivre et renforcer

// Prevention of infections and antimicrobial resistance in France: multiple actions implemented by health authorities, to be continued and reinforced

Pr Céline Pulcini
Cheffe de la Mission ministérielle « Prévention des Infections et de l’Antibiorésistance », ministère des Solidarités et de la Santé, Paris

En 2015, environ 125 000 infections à bactéries multirésistantes (dont 63,5% associées aux soins) entrainant un peu plus de 5 500 décès ont été recensées en France 1. En plus de l’impact sur la mortalité, ces infections sont également responsables d’une morbidité importante 1 ; en effet, quand un patient est atteint d’une infection à bactérie multirésistante, il est nécessaire d’utiliser des antibiotiques de deuxième intention, voire de dernier recours, qui sont parfois moins efficaces et plus toxiques, souvent plus à risque d’antibiorésistance, et fréquemment disponibles uniquement par voie parentérale (e.g. perfusion intraveineuse) plutôt que per os (e.g. comprimés). Les patients guérissent donc parfois moins vite ou ont un risque accru de complications, et peuvent subir ainsi un retentissement sur leur qualité de vie.

La feuille de route interministérielle pour la maîtrise de l’antibiorésistance (1), publiée en 2016, comporte 40 actions s’inscrivant dans la perspective « Une seule santé » (« One Health »). De nombreuses interventions doivent en effet être associées en santé humaine, santé animale et dans l’environnement pour espérer réduire la résistance des bactéries aux antibiotiques. Cette feuille de route mobilise sept ministères et de nombreuses agences et instances nationales. Le Programme national d’actions de prévention des infections associées aux soins (Propias) complète et décline de façon opérationnelle les actions de la feuille de route interministérielle dans le secteur de la santé humaine. Un rapport annuel (2) synthétisant les actions menées en santé humaine est publié tous les ans depuis 2019, avec des informations complémentaires disponibles sur l’espace antibiotiques.gouv.fr du site du ministère des Solidarités et de la Santé.

L’histoire montre que les bactéries (et autres agents infectieux) ont une capacité d’adaptation remarquable. Disposer de nouveaux antibiotiques ne suffira donc pas à lui seul à résoudre le problème de l’antibiorésistance, car les bactéries trouvent toujours un moyen de s’adapter aux nouveaux traitements.

La lutte contre la résistance aux antibiotiques – et ses conséquences sur la santé – repose sur deux principes fondamentaux : la prévention et le contrôle des infections (en particulier celles associées aux soins) et le bon usage des antibiotiques. Prévenir les infections et réduire la transmission des agents infectieux et gènes de résistance permet en effet de diminuer le risque d’antibiorésistance, en réduisant les opportunités d’utiliser des antibiotiques et en limitant la diffusion des bactéries, virus et gènes de résistance. Le bon usage des antibiotiques minimise l’émergence des résistances.

La crise sanitaire Covid-19 a ainsi permis de réduire de manière spectaculaire la consommation d’antibiotiques en ville (de près de 20%, soit la réduction observée sur la période 2009-2019), comme illustré dans ce numéro 2, notamment via une réduction d’incidence de certaines infections courantes (respiratoires et digestives en particulier) habituellement pourvoyeuses de prescriptions d’antibiotiques, et à la suite des gestes barrières et autres mesures mises en place pendant la pandémie pour limiter la transmission du SARS-CoV-2.

Comme indiqué dans ce numéro, environ 80% des antibiotiques sont prescrits en ville en France (environ 70% par les médecins généralistes et 10% par les chirurgiens-dentistes) et 20% dans les établissements de santé 2,3. Un tiers de ces 20% est prescrit aux patients hospitalisés, et le reste essentiellement lors des consultations, d’un passage aux urgences ou à la sortie d’hospitalisation du patient 3. Les études suggèrent qu’environ la moitié des prescriptions d’antibiotiques sont inutiles ou inappropriées (e.g. concernant le choix de l’antibiotique ou la durée de traitement) 4,5,6. Ces données indiquent explicitement que subsiste une grande marge de progression, en ville, en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et dans les établissements de santé, en matière de prescription des antibiotiques.

Ce numéro spécial du BEH sort à l’occasion de la Journée annuelle européenne du 18 novembre de Sensibilisation aux antibiotiques et à l’antibiorésistance, coordonnée par le European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) et de la Semaine mondiale annuelle (18 au 24 novembre) organisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur ces mêmes thèmes. Les sept articles de ce numéro illustrent bien la palette large d’actions nécessaires pour maîtriser l’antibiorésistance et en réduire l’impact sur la prise en charge et la santé des patients, ainsi que la mobilisation importante de Santé publique France et de ses partenaires dans la lutte contre l’antibiorésistance.

Parmi les actions menées par les pouvoirs publics, on peut citer quelques initiatives en lien avec les thématiques abordées dans ce numéro.

Santé publique France présente de nombreuses données de santé de manière interactive sur le site Géodes (3), notamment sur l’incidence d’infections courantes, l’antibiorésistance et les consommations d’antibiotiques. L’agence coordonne également tous les ans en novembre la parution d’une synthèse annuelle « One Health », où sont mises en perspective les données en matière de consommation d’antibiotiques et d’antibiorésistance en santé humaine, animale et dans l’environnement 3.

Concernant les actions d’information, Santé publique France prépare une campagne de sensibilisation des professionnels de santé qui précédera la campagne destinée au grand public en 2022-2023. Cette campagne s’appuiera sur certains outils existants, par exemple l’espace d’information Antibio’Malin (4) disponible sur le site Sante.fr du ministère des Solidarités et de la Santé. Antibio’Malin est à destination de tous et traite des antibiotiques, des infections et de l’antibiorésistance. Cet outil peut aussi être utilisé par les professionnels de santé pour faciliter la communication avec leurs patients sur le sujet. Un travail préparatoire à la campagne nationale a été mené depuis 2019 par Santé publique France. Il inclut l’étude qualitative, explorant les perceptions et comportements des médecins généralistes et pédiatres de ville à l’égard de l’antibiorésistance, qui est présentée dans ce numéro 7. Les médecins se sentaient concernés mais peu armés dans la lutte contre l’antibiorésistance, et des interactions complexes entre patients et médecins ont été rapportées. La Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et des spécialistes en sciences comportementales apportent également leur expertise à certains des travaux menés par le ministère, l’Assurance maladie et Santé publique France, comme détaillé dans ce numéro 8. Il est essentiel de prendre en compte ces résultats pour adapter au mieux les interventions visant le bon usage des antibiotiques et espérer avoir un impact sur les pratiques.

Concernant les outils mis à disposition des professionnels de santé, on peut citer les recommandations de bonne pratique publiées par la Haute Autorité de santé (5), notamment celles visant à prescrire les durées d’antibiothérapie les plus courtes possibles. Les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) de l’angine (6) sont aussi largement accessibles aux médecins et aux pharmaciens.

Enfin, l’instruction aux Agences régionales de santé (ARS) du 15 mai 2020 vient renforcer les actions promouvant le bon usage des antibiotiques en région, notamment avec la mise en place de Centres régionaux en antibiothérapie (CRAtb) sous la responsabilité des ARS, CRAtb qui travailleront en étroite synergie avec les Centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias). Un réseau régional de médecins généralistes formés à l’antibiothérapie vient compléter le dispositif.

Toutes les actions menées depuis de nombreuses années par les pouvoirs publics et les acteurs de terrain pour lutter contre l’antibiorésistance semblent commencer à porter leurs fruits en France, avec une tendance à la baisse des consommations d’antibiotiques et de certaines résistances bactériennes ces dernières années, comme illustré dans ce numéro 2,9,10. Dès 2013, le nombre de prescriptions d’antibiotiques a ainsi commencé à diminuer en ville. La réduction a été d’autant plus importante que la population considérée était jeune, sauf en 2020. Ce sont les prescriptions initiées par les médecins généralistes qui ont le plus diminué au cours de ces dix dernières années ; en revanche, les prescriptions des chirurgiens-dentistes ont régulièrement progressé entre 2010 et 2019 2. Après une tendance à la baisse de 2016 à 2019, les consommations d’antibiotiques sont restées globalement stables en 2020 dans les établissements de santé 10.

Concernant l’antibiorésistance, l’évolution des pourcentages de résistance aux céphalosporines de 3e génération et aux fluoroquinolones chez les isolats urinaires d’Escherichia coli, rapportés par les laboratoires de biologie médicale privés participant à la surveillance nationale Primo, montre une baisse entre 2015 et 2018 et une stabilisation en 2019, avec d’importantes différences régionales 9. Les données de résistances bactériennes en 2020 dans les établissements de santé étaient dans la continuité des tendances observées en 2018 et 2019, avec des proportions plus faibles de Staphylococcus aureus résistants à la méticilline et d’entérobactéries productrices de bêta-lactamase à spectre étendu 10.

Les données présentées ici par les deux centres nationaux de référence (CNR) concernant les entérobactéries et les entérocoques illustrent cependant le caractère hautement évolutif des résistances des bactéries aux antibiotiques et la fragilité temporelle des quelques évolutions favorables constatées ces dernières années 11,12. Le nombre de souches reçues par le CNR et la proportion d’entérobactéries productrices de carbapénémase n’ont cessé d’augmenter depuis 2012, avec une hausse continue de la prévalence des métallo-bêta-lactamases et une dissémination préoccupante des carbapénémases au sein des entérobactéries 11. Une augmentation significative des souches d’entérocoques résistants au linézolide qui portent des gènes de résistance transférables est également observée depuis 2017 12.

La situation épidémiologique varie aussi beaucoup selon les régions, soulignant l’importance des actions menées par les ARS en lien avec les centres régionaux (Cpias et CRAtb) et autres acteurs de terrain. Les efforts nécessitent donc d’être poursuivis et intensifiés, et la mobilisation de tous est essentielle.

Références

1 Cassini A, Högberg LD, Plachouras D, Quattrocchi A, Hoxha A, Simonsen GS, et al. Attributable deaths and disability-adjusted life-years caused by infections with antibiotic-resistant bacteria in the EU and the European Economic Area in 2015: A population-level modelling analysis. Lancet Infect Dis 2019;19(1):56-66.
2 Cavalié P, Le Vu S, Maugat S, Berger-Carbonne A. Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville en France 2010-2020. Quel est l’impact de la pandémie de Covid-19 ? Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):329-35. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_1.html
3 Antibiotiques et résistance bactérienne : pistes d’actions pour ancrer les progrès de 2020. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 22 p.
4 Simon M, Thilly N, Pereira O, Pulcini C. Factors associated with the appropriateness of antibiotics prescribed in French general practice: A cross-sectional study using reimbursement databases. Clin Microbiol Infect. 2021:S1198-743X(21)00488-2.
5 Simon M, Pereira O, Hulscher M, Schouten J, Thilly N, Pulcini C. Quantity Metrics and Proxy Indicators to Estimate the Volume and Appropriateness of Antibiotics Prescribed in French Nursing Homes: A Cross-sectional Observational Study Based on 2018 Reimbursement Data. Clin Infect Dis. 2021;72(10):e493-e500.
6 Daniau C, Léon L, Berger-Carbonne A. Santé publique France. Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales et des traitements anti-infectieux en établissements de santé, mai-juin 2017. Saint-Maurice: Santé publique France, 2019. 270 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-associees-aux-soins-et-resistance-aux-antibiotiques/infections-associees-aux-soins/documents/enquetes-etudes/enquete-nationale-de-prevalence-des-infections-nosocomiales-et-des-traitements-anti-infectieux-en-etablissements-de-sante-mai-juin-2017
7 Ing O, Fegueux S, Bonmarin I. Les perceptions et les comportements des médecins de ville à l’égard de l’usage des antibiotiques et de l’antibiorésistance en France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):365-9. http://beh.sante
publiquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_6.html
8 Chammat M, Litvine K, McMinigal T. Focus. Les apports potentiels de l’approche comportementale dans la lutte contre la surconsommation d’antibiotiques. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):370-3. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_7.html
9 Lemenand O, Caillon J, Coeffic T, Colomb-Cotinat M, Thibaut S, et al. Surveillance nationale de la résistance aux céphalosporines de 3e génération et aux fluoroquinolones des isolats urinaires d’Escherichia coli en soins de ville : tendances 2015-2019 en France. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):336-41. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/
2021/18-19/2021_18-19_2.html
10 Chabaud A, Jouzeau A, Dugravot L, Péfau M, Couvé-Deacon E, Martin C, et al. Consommation d’antibiotiques et résistances bactériennes en établissement de santé. Données Spares 2020. Bull Epidémiol Hebd. 2021;18-19:342-50. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_3.html
11 Jousset AB, Émeraud C, Bonnin RA, Naas T, Dortet L, et al. Caractéristiques et évolution des souches d’entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC) isolées en France, 2012-2020. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):351-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_4.html
12 Zouari A, Auger G, Nogues S, Collet A, Lecourt M, Guérin F, et al. Caractéristiques et évolution des souches cliniques d’entérocoques résistantes aux glycopeptides et/ou au linézolide isolées en France, 2006-2020. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):359-64. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_5.html

Citer cet article

Pulcini C. Éditorial. Prévention des infections et de l’antibiorésistance : de nombreuses actions menées par les pouvoirs publics, à poursuivre et renforcer. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(18-19):326-9. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_0.html