Mieux connaître la prévalence des troubles du spectre de l’autisme (TSA), mais aussi les conditions de vie des personnes présentant un TSA, un défi pour notre politique publique

// Better understanding the prevalence of Autism Spectrum Disorders (ASD), but also the living conditions of people with ASD, a challenge for our public policy

Claire Compagnon
Déléguée interministérielle Autisme et Troubles du neuro-développement

Depuis le 6 avril 2018, la France s’est dotée d’une stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement. Cette stratégie a plusieurs ambitions dont la première est de remettre la science au cœur de la politique publique, en dotant la France d’une recherche d’excellence. Parmi les principales actions qui figurent dans cet engagement, il est demandé d’organiser la production de données épidémiologiques, en élaborant des indicateurs fiables et en structurant un dispositif de surveillance.

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) ont une origine multifactorielle, avec une forte implication de facteurs génétiques. En dépit d’un consensus international pour considérer ces syndromes comme l’expression phénotypique d’altérations précoces du système nerveux central, de nombreuses questions demeurent quant aux causes et aux mécanismes de développement de ces troubles.

La grande diversité de ces TSA (phénotype, prise en charge, etc.) explique en partie la difficulté de disposer de données fiables.

Dans tous les pays toutefois, la mesure du taux de prévalence de l’autisme met en évidence une grande dispersion des résultats et une tendance à la hausse, qui s’expliquent au moins autant par les forces et les faiblesses des systèmes d’information que par l’acception de plus en plus large de l’autisme donnée par les classifications internationales. Pour de nombreux spécialistes, il existe une progression de la prévalence qui doit être mise sur le compte de plusieurs facteurs : évolution de la définition et des critères diagnostiques, sous-estimation antérieure de l’autisme par manque de campagnes de prévention et d’information, meilleure détection précoce.

En France, de nombreuses personnes avec TSA ne sont actuellement pas identifiées. En raison des faiblesses des systèmes de recueil des données, il n’est pas possible de connaître précisément le nombre de personnes autistes bénéficiant d’un accompagnement dans les différents secteurs, sanitaire, médico-social, ou en soins de ville, pour ceux, les plus nombreux, qui vivent à leur domicile.

Mieux connaître la prévalence de ces troubles, mais aussi les conditions de vie des personnes présentant un TSA, est donc un enjeu majeur.

Les articles ci-après témoignent des efforts déjà à l’œuvre pour suivre l’évolution de la prévalence de l’autisme en France, et mieux comprendre les trajectoires développementales des personnes. La constance des efforts permet de mesurer l’évolution du nombre de diagnostics et de la comparer avec les données internationales.

Le premier article analyse les deux registres français des handicaps de l’enfant, qui couvrent les départements de la Haute-Garonne (RHE31), de l’Isère, de la Savoie et de la Haute Savoie (RHEOP) et confirme, pour la France, la tendance internationale : une augmentation des diagnostics de TSA chez les enfants de 8 ans, avec des diagnostics plus précis (voir l’article de M. Delobel et coll. dans ce numéro). Fait majeur, on constate au cours de la période étudiée une diminution significative de la proportion d’enfants présentant un retard dans le développement intellectuel associé aux diagnostics de TSA. Cette nette baisse du pourcentage d’enfants présentant des retards intellectuels est cohérente avec les données retrouvées aux États-Unis. Si la proportion d’épilepsie associée a diminué sur la période étudiée dans les deux registres, le nombre d’enfants présentant des comorbidités reste cependant élevé.

L’analyse du Système national des données de santé (SNDS), notamment par l’utilisation du code de l’affection de longue durée (ALD) « F84 » (1), confirme la tendance identifiée par les deux registres français (voir l’article de C. Ha et coll. dans ce numéro). Elle témoigne de la richesse des données disponibles et de la pertinence de la confrontation des approches méthodologiques pour appréhender la prévalence de l’autisme et les différents diagnostics posés. La modification à venir des classifications internationales pourra avoir un impact non négligeable sur l’analyse des données. Néanmoins, les travaux doivent être poursuivis et enrichis par l’élargissement du SNDS aux données médico-sociales pour disposer d’estimations plus précises des taux de prévalence, mais aussi des modes d’accompagnement.

Or, parallèlement, la stratégie nationale vise à systématiser le repérage et accélérer l’accès au diagnostic, par l’organisation d’un parcours d’intervention précoce, ainsi qu’une très forte structuration de l’ensemble des institutions en charge du diagnostic et de l’accompagnement des enfants. Le déploiement de cette politique devrait permettre d’améliorer la connaissance du nombre d’enfants concernés, et permettre à terme d’enrichir l’analyse épidémiologique. L’avant-dernier article de ce numéro présente une focale territoriale sur la Guyane (voir l’article de B. Biche et coll.). Ce type d’étude doit être encouragé.

Au-delà de la connaissance du nombre de personnes concernées en France, il convient de mieux répondre à leurs besoins. Or, le spectre des besoins est vaste, les diagnostics fonctionnels témoignent de parcours très hétérogènes et d’une grande diversité d’interventions et d’accompagnement nécessaires. La cohorte Elena est une des initiatives françaises pour mieux comprendre les trajectoires évolutives des enfants et leurs déterminants. L’effort mené depuis 2013, avec environ 900 enfants déjà recrutés, montre les perspectives offertes par une telle cohorte, ainsi que les enjeux méthodologiques qui l’entourent, notamment en matière d’inclusion des enfants et de coordination des équipes (voir l’article de A. Baghdadli et coll. dans ce numéro).

La recherche internationale s’appuie désormais sur de très nombreuses cohortes, de dimension variable, pour mieux comprendre les trajectoires des personnes autistes et les déterminants multifactoriels de leurs troubles principaux et associés. La stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles neuro-développementaux prévoit le financement d’une cohorte d’ampleur financée par le programme d’investissements d’avenir (PIA). Après une première phase d’appel à manifestation d’intérêt, un appel à projet sera élaboré en ce début d’année 2020. Ce financement unique témoigne des enjeux de mieux comprendre les trajectoires des enfants et de contribuer à la recherche internationale à hauteur de la pertinence et de l’investissement des équipes de recherche française sur l’autisme et les troubles du neuro-développement.

La mise en réseau des équipes françaises, la reconnaissance de leur excellence dans le cadre de la labellisation de centres d’excellence, et le financement accru des projets doivent permettre à la politique publique de mieux répondre aux spécificités des personnes, de fonder scientifiquement les accompagnements et les pratiques professionnelles et mieux calibrer la réponse aux besoins.

La France est riche de ses dispositifs (registres, SNDS, dispositifs nationalement déployés, travaux régionaux ou en réseau d’équipes de recherche, etc.). La disponibilité de données fiables est majeure, elle doit être amplifiée : ces données sont essentielles pour bien cibler les actions publiques et mesurer nos évolutions en faveur d’une amélioration du parcours de vie des personnes autistes.

Citer cet article

Compagnon C. Mieux connaître la prévalence des troubles du spectre de l’autisme (TSA), mais aussi les conditions de vie des personnes présentant un TSA, un défi pour notre politique publique. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(6-7):126-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/6-7/2020_6-7_0.html

(1) Le code F84 correspond aux « troubles envahissants du développement » selon la Classification internationale des maladies (10e révision, CIM-10). Ces troubles sont désormais dénommés « troubles du spectre de l’autisme », dans la 11e révision de la CIM.