Chlordécone aux Antilles : de la caractérisation
de la contamination alimentaire à l’imprégnation des individus. Résultats de l’étude Kannari 2013-2014

// Chlordecone in French West Indies: From the characterization of food contamination to impregnation in the population. Results from the Kannari study 2013-2014

Clémentine Dereumeaux1 (clementine.dereumeaux@santepubliquefrance.fr), Jean-Luc Volatier2, Laurence Guldner1, Abdessattar Saoudi1, Marie Pecheux1, Gilles Rivière2, Clémence Fillol1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Maisons-Alfort, France
Soumis le 04.11.2019 // Date of submission: 11.04.2019
Mots-clés : Chlordécone | Alimentation | Exposition | Biosurveillance | Antilles
Keywords: Chlordecone | Food | Exposure | Biomonitoring | French West Indies

Résumé

La chlordécone est un pesticide utilisé entre 1973 et 1993 en Martinique et en Guadeloupe contre le charançon du bananier. Son usage a entraîné une pollution persistante des sols, des eaux de rivières, des sédiments et une contamination de la chaîne alimentaire qui maintiennent un risque d’exposition de la population, notamment via l’alimentation. Considérée comme neurotoxique, reprotoxique, perturbateur endocrinien et probablement cancérogène, la chlordécone est le sujet de préoccupations locales et nationales importantes.

C’est pourquoi, l’étude Kannari a été mise en place en 2013-2014 afin notamment d’actualiser les connaissances sur l’exposition alimentaire à la chlordécone (volet « exposition ») et de décrire les niveaux d’imprégnation de la population générale (volet « imprégnation ») en vue d’améliorer les recommandations visant à réduire les expositions alimentaires.

Au total 1 725 adultes de 16 ans et plus (849 en Guadeloupe et 876 en Martinique) et 483 enfants de 3 à 15 ans (257 en Guadeloupe et 226 en Martinique) ont participé au volet « exposition » de l’étude Kannari. Parmi eux, 742 participants de 18 ans et plus ont été inclus dans le volet « imprégnation » de l’étude (292 en Guadeloupe et 450 en Martinique).

Les résultats de l’étude Kannari montrent que l’exposition à la chlordécone est persistante et généralisée au sein de la population antillaise. Toutefois, l’exposition est contrastée au sein de la population, certains sous-groupes étant particulièrement exposés. L’exposition à la chlordécone est principalement associée à la consommation de poissons frais, d’œufs et de volailles, en particulier lorsqu’ils proviennent de circuits informels en zones contaminées par la chlordécone. Ces résultats confirment l’importance d’identifier les sous-groupes de population les plus exposés afin d’apporter les mesures de gestion adaptées.

Abstract

The chlordecone is a pesticide used between 1973 and 1993 in French West Indies against the banana bollworm. This use has resulted in persistent environmental pollution of soils and river waters and sediments. Many local foods can be contaminated, and people have been and still are exposed, mainly through food. Chlordecone is a toxic substance for humans, having adverse effects on the nervous system, reproduction, the hormonal system and is also suspected of causing cancer. So the exposure of the French West Indies’ population to chlordecone is a major local and national concern.

In this context, KANNARI study was put in place in 2013-2014 to update the information on general population dietary exposure to chlordecone (“exposure” component) and to supplement knowledge about the impregnation of the general population with chlordecone (“impregnation” component) to identify the main dietary determinants of chlordecone exposure.

A total of 1,725 adults (849 in Guadeloupe and 876 in Martinique) and 483 children aged 3-15 years (257 in Guadeloupe and 226 in Martinique) were included in the “exposure” component of the KANNARI study. Among them, 742 subjects over 18 years ols (292 in Guadeloupe and 450 in Martinique) were included in the impregnation component.

The results of the study suggest that exposure to chlordecone is persistent and widespread among the French West Indies’ population. Exposure is however contrasted within the study population and various subgroups of the population remain highly exposed. Exposure to chlordecone is mainly associated with the consumption of fresh fish (all species combined), and to a lesser extent with the consumption of eggs and white meat. Supply habits, in particular those from informal channels, are also associated with exposure to chlordecone. These results confirm the importance to identify subgroups of population highly exposed to adapt the recommendations.

Introduction

La chlordécone est un pesticide organochloré utilisé entre 1973 et 1993 en Martinique et en Guadeloupe comme insecticide dans la culture de la banane. Compte tenu de sa structure chimique lui conférant une grande stabilité dans l’environnement, son usage a entraîné une pollution persistante des sols consacrés à la culture de la banane, des eaux de rivières, des sédiments et une contamination de la chaîne alimentaire qui maintiennent un risque d’exposition de la population 1,2,3. Considérée comme neurotoxique, reprotoxique, perturbateur endocrinien et probablement cancérogène, classée dans le groupe 2B (agent « peut-être cancérogène ») du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1987 4,5, elle est le sujet de préoccupations locales et nationales importantes.

En 2003, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), aujourd’hui Anses, a évalué la contamination des denrées alimentaires à la chlordécone et élaboré deux valeurs toxicologiques de référence (VTR) 6. En s’appuyant sur les habitudes alimentaires décrites par les enquêtes Escal et Calbas réalisées respectivement en 2003-2004 et 2005, les données de contamination des aliments ont permis d’avoir une première estimation de l’exposition liée à la présence de chlordécone dans les aliments 7. Ces résultats ont notamment permis d’alimenter des actions de prévention telles que les Jardins familiaux (Jafa) mis en place en 2009 afin de réduire l’exposition alimentaire à la chlordécone des populations ayant des habitudes d’approvisionnement et d’autoconsommation de denrées animales et végétales issues de jardins familiaux 8,9.

Parallèlement, quatre études épidémiologiques ont fourni une première description de l’imprégnation biologique par la chlordécone dans le sérum dans certains sous-groupes de populations en Guadeloupe :

la première étude (1999-2001), réalisée auprès des hommes adultes afin d’étudier l’impact de l’utilisation professionnelle de pesticides sur la fertilité masculine 10,11 ;

l’étude Hibiscus (2003), réalisée auprès de femmes enceintes afin de disposer d’une première estimation de l’imprégnation pour cette population 3,12 ;

l’étude cas-témoins Karuprostate (2004), réalisée chez des hommes de 45 ans et plus afin d’estimer le risque de survenue du cancer de la prostate en lien avec une exposition à la chlordécone 13,14 ;

la cohorte mère-enfant Timoun (2004) ayant pour objectif d’évaluer l’impact des expositions pré et post-natales à la chlordécone sur le déroulement de la grossesse 15,16 puis sur le développement de l’enfant 17.

Ces premières données ont montré que ces sous-groupe de population (travailleurs agricoles, hommes adultes, femmes enceintes, enfants) étaient largement imprégnés par la chlordécone. C’est dans ce contexte que des recommandations ont été formulées pour que cette imprégnation soit également étudiée en population générale antillaise, en particulier en Martinique.

C’est ainsi que l’étude Kannari (santé, nutrition et exposition à la chlordécone aux Antilles) a été mise en place afin :

d’actualiser les connaissances sur l’exposition alimentaire à la chlordécone en considérant les habitudes alimentaires (consommation, approvisionnement) de la population antillaise et estimer le pourcentage de personnes dépassant la VTR en utilisant les données du volet « exposition » de l’étude 18 ;

de décrire les niveaux d’imprégnation de la population générale guadeloupéenne et martiniquaise par la chlordécone afin de disposer de premiers niveaux biologiques de référence dans le cadre du volet « imprégnation » de l’étude 19 ;

d’identifier les déterminants alimentaires de l’exposition à la chlordécone afin d’actualiser les recommandations et chercher à évaluer l’impact des actions de prévention existantes 18,19.

Méthodes

L’étude Kannari (1) est une étude transversale réalisée entre 2013 et 2014 auprès de la population générale, âgée de 3 ans et plus, résidant en Martinique et en Guadeloupe au moment de l’enquête. Pour le volet imprégnation, seules les personnes âgées de 18 ans et plus étaient incluses. Les foyers ont été sélectionnés par tirage au sort, puis, au sein de chaque foyer, un adulte et éventuellement un ou plusieurs enfant(s) ont été tirés au sort par méthode Kish. Les personnes éligibles devaient résider aux Antilles françaises depuis au moins six mois, être présentes dans les trois mois suivant le premier contact, être aptes à participer à l’enquête et avoir donné leur consentement (ou celui des parents en ce qui concerne les enfants). Le plan d’échantillonnage a été conçu de manière à permettre une surreprésentation de certains groupes de population : groupes à risque élevé d’exposition à la chlordécone (pêcheurs, autoconsommateurs de produits de jardin) ou présentant une susceptibilité particulière aux effets sanitaires éventuels de cette exposition (enfants de 3 à 6 ans).

L’exposition à la chlordécone a été estimée dans le cadre de l’étude Kannari en s’appuyant sur des mesures de contamination des denrées alimentaires, une estimation de l’exposition alimentaire et des mesures d’imprégnation. La complémentarité des volets de l’étude Kannari vise à émettre des recommandations de consommation alimentaire et à améliorer les actions de prévention existantes.

Déroulement de l’enquête et recueil des données

L’enquête s’est déroulée en trois phases :

Une phase d’inclusion au cours de laquelle les personnes enquêtées ont répondu à plusieurs questionnaires adressés en face-à-face par un enquêteur :

un questionnaire adressé au représentant du ménage, permettant de renseigner les caractéristiques sociodémographiques du foyer ;

un questionnaire adressé à la personne en charge de l’approvisionnement alimentaire, permettant de renseigner les lieux d’achats des aliments : autoproduction, don, achat en grandes et moyennes surfaces, épiceries, primeurs, boucheries, poissonneries, marchés, « bords de route » et marchands ambulants ;

un questionnaire adressé à la personne enquêtée, permettant de renseigner la fréquence de consommation moyenne sur l’année de 128 aliments ;

Deux rappels par téléphone effectués par des diététiciens afin de lister tous les aliments et les boissons consommés la veille de l’entretien. Les enquêtés ont renseigné les quantités ingérées avec l’aide d’un manuel de photos issu de l’étude SU.VI.MAX pour les tailles de portions 20 ;

Une phase de réalisation des prélèvements biologiques réalisée, au choix des participants, soit dans un laboratoire d’analyse de ville, soit au domicile. Un prélèvement de sang était prévu pour le dosage de la chlordécone. Cette phase ne concernait que les participants qui avaient accepté de participer au volet « imprégnation ».

Construction des indicateurs d’exposition à la chlordécone

L’analyse des réponses des participants au questionnaire « fréquentiel » et aux rappels des 24 heures a permis d’estimer les consommations journalières (en gramme par jour) des aliments et boissons potentiellement contributeurs de l’exposition à la chlordécone.

Les expositions par voie alimentaire ont été estimées en combinant les consommations alimentaires journalières selon les circuits d’approvisionnement avec 13 396 données de concentrations de chlordécone dans les aliments et l’eau distribuée (2009-2015) (2). Un indicateur reflétant l’exposition potentielle à la chlordécone en fonction du lieu de résidence a été créé en se fondant sur la cartographie de la contamination des sols et des zones littorales faisant l’objet d’une interdiction de pêche en 2013 19. Par conséquent, la variabilité de la contamination terrestre et maritime par la chlordécone a été prise en compte en considérant deux zones : la zone contaminée (ZC) et la zone non contaminée (ZNC) (3).

Le dosage de la chlordécone a été réalisé par le Laboratoire d’écologie animale et d’écotoxicologie de l’université de Liège (LEAE) en Belgique. La méthode d’analyse par chromatographie gazeuse couplée à un détecteur à capture d’électrons (GC-ECD) a été utilisée. La limite de détection (LOD) était de 0,02 µg.L-1 et la limite de quantification était de 0,06 µg.L-1 (LOQ).

Les déterminants de l’imprégnation ont été quantifiés à partir d’un modèle additif généralisé (Generalized Additive Model, GAM). Les variables explicatives et d’ajustement étudiées ont été définies a priori, à partir des données de la littérature. Certaines ont été forcées dans le modèle, compte tenu de leur influence connue sur l’exposition à la chlordécone (consommation de légumes racines et tubercules, consommation de poissons frais, etc.). Les autres variables ont été introduites dans le modèle une à une afin de sélectionner les variables les plus pertinentes en se basant sur le critère d’information d’Akaike (AIC).

Résultats

Initialement 5 062 foyers (2 514 en Guadeloupe et 2 548 en Martinique) ont été tirés au sort parmi lesquels 3 287 étaient éligibles (686 hors champ, 600 non visités, 489 inéligibles). Au total 1 725 adultes de 16 ans et plus (849 en Guadeloupe et 876 en Martinique) et 483 enfants de 3 à 15 ans (257 en Guadeloupe et 226 en Martinique) ont participé au volet « exposition » de l’étude Kannari. Parmi eux 742 participants de 18 ans et plus ont été inclus au volet « imprégnation » de l’étude (292 en Guadeloupe et 450 en Martinique).

Description de la contamination des aliments

L’analyse des données de contamination des aliments montre une très grande variabilité en fonction des aliments et du lieu d’approvisionnement.

La contamination moyenne des œufs produits dans les jardins familiaux en ZC atteint 1 026 µg/kg PF alors que cette contamination est de 19 µg/kg PF dans les jardins familiaux en ZNC et comprise entre 1 et 2 µg/kg PF dans les circuits commerciaux contrôlés tels que les marchés épiceries ou supermarchés. De même, la contamination moyenne des viandes (y compris volailles) issues des productions domestiques en ZC (81 µg/kg PF pour les volailles et 592 µg/kg PF pour les autres viandes) est plus élevée que celle mesurée dans les viandes issues des circuits commerciaux contrôlés (entre 0,5 et 3 µg/kg PF).

En revanche, les racines et tubercules ont des niveaux de contamination équivalents quel que soit le circuit d’approvisionnement et le lieu d’achat (environ 6 µg/kg PF). Les fruits et légumes aériens sont les denrées végétales qui présentent les contaminations les plus faibles (environ 5 µg/kg PF).

Enfin, la contamination des produits de la pêche maritime varie fortement selon les zones de pêche. Les contaminations des poissons et crustacés d’eau douce en rivière s’élèvent respectivement à 1 763 µg/kg PF et 1 184 µg/kg PF.

Description de l’exposition alimentaire selon les circuits d’approvisionnement

L’estimation de l’exposition alimentaire à la chlordécone montre que certaines consommations alimentaires en ZC peuvent entraîner un dépassement de la VTR chez les enfants et les adultes, que ce soit en Martinique ou en Guadeloupe (tableau 1). Ces expositions excessives concernent des sous-groupes de population spécifiques : les forts consommateurs de produits de la pêche issus de circuits informels et de produits de la pêche en eau douce, les autoconsommateurs de volailles et d’œufs en ZC et les autoconsommateurs de racines et tubercules en ZC qui en consomment plus de deux fois par semaine. Pour ce dernier groupe, la surexposition s’explique en tout ou partie par le fait que cette population autoconsomme davantage de volailles et d’œufs car les racines et tubercules autoconsommés n’étant pas plus contaminés que ceux vendus en circuits contrôlés, ils ne peuvent pas expliquer à eux seuls cette surexposition.

Tableau 1 : Estimation de l’exposition à la chlordécone (en µg/kg de pc/j) et du pourcentage de personne
dépassant la VTR chronique dans les populations enfants et adultes de Guadeloupe et de Martinique en 2013-2014
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Mesures de l’imprégnation et déterminants associés

Les résultats de l’étude montrent que plus de 90% des échantillons dosés présentent des concentrations détectables de chlordécone (supérieures à 0,02 µg/L). Les niveaux d’imprégnation par la chlordécone mesurés en Martinique et Guadeloupe sont similaires, les concentrations moyennes étant respectivement égales à 0,14 µg/L et 0,13 µg/L (tableau 2).

Tableau 2 : Distribution des concentrations sériques de chlordécone en population générale guadeloupéenne
et martiniquaise en 2013-2014 (en µg/L)
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Les niveaux d’imprégnation sont toutefois contrastés au sein de la population d’étude : 5% des participants ont des niveaux d’imprégnation 10 fois plus élevés que la concentration moyenne. L’analyse des caractéristiques des individus qui présentent les niveaux d’imprégnation les plus élevés (supérieurs au 95e percentile de la distribution) montre qu’ils cumulent plusieurs sources d’exposition (données non présentées) : être pécheur, résider en zone contaminée, avoir une consommation élevée de poissons frais, de coquillages et mollusques, de légumes racines et tubercules, et s’approvisionner exclusivement par autoproduction, dons et achat en bords de route.

La recherche des déterminants de l’imprégnation pour l’ensemble de la population d’étude, montre que les niveaux d’imprégnation par la chlordécone augmentent avec la consommation de toutes espèces de poissons, en particulier ceux issus de circuits informels (autoproduction, dons, bords de route et petits marchés en zone d’interdiction de pêche) (tableaux 3 et 4). Le fait de résider en ZC augmente également les concentrations sériques de chlordécone. Cette augmentation peut s’expliquer en tout ou partie par la consommation d’aliments en provenance de ces zones, qui s’avèrent plus contaminés que ceux provenant de zones non contaminées (volet « exposition »). Cependant, l’existence d’exposition par contact avec les sols et les poussières contaminés en zone de contamination terrestre ou bien par la baignade en zone de contamination maritime ne peut être exclue. Dans cette étude, il n’a pas été observé d’augmentation de l’imprégnation avec la consommation de légumes racines et tubercules.

Tableau 3 : Déterminants de l’imprégnation par la chlordécone selon le territoire (variables qualitatives)
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Tableau 4 : Déterminants de l’imprégnation par la chlordécone selon le territoire (variables quantitatives)
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Discussion

Des résultats convergents entre exposition alimentaire et imprégnation...

Les résultats des volets « exposition » et « imprégnation » de l’étude Kannari démontrent que l’exposition à la chlordécone est persistante et généralisée au sein de la population antillaise, en dépit de l’arrêt de son utilisation au début des années 1990. Ceci est lié à la présence ubiquitaire de la molécule dans l’environnement, liée à son caractère rémanent. L’exposition de la population générale est fortement associée aux consommations alimentaires.

… qui permettent d’identifier des sous-groupes de population à risque…

Les résultats des deux volets de l’étude montrent que l’exposition est contrastée au sein de la population. Il existe chez des sous-groupes de population des risques d’exposition élevés, qui sont notamment associés à la consommation totale de poissons, en particulier ceux issus de circuits informels (autoproduction, dons, bords de route) et à la contamination résiduelle des milieux de vie (lieu de résidence en ZC, autoconsommation de volailles et d’œufs en zones contaminées). Ces tendances sont similaires en Martinique et en Guadeloupe.

… et incitent à mieux orienter les mesures de gestion

Les résultats des deux volets de l’étude montrent que les légumes racines et tubercules, notamment ceux produits dans les jardins familiaux en ZC, ne sont plus des sources majeures d’exposition. Ces résultats sont en faveur de l’influence positive des mesures de gestion telles que les arrêtés préfectoraux ou les programmes Jafa. Les denrées d’origine animale (poissons, œufs, volailles) issues des ZC méritent une attention particulière et des mesures visant à limiter leur contamination. Ces résultats permettent ainsi d’actualiser les recommandations alimentaires, de pratiques de jardinage ou d’élevage domestique, émises par l’Anses ou par les instances régionales d’éducation et de promotion de la santé (IREPS), en particulier dans le cadre du programme Jafa.

Des travaux complémentaires indispensables pour suivre l’évolution des expositions et estimer l’impact sanitaire lié à ces expositions

Il est important de pérenniser la mise en œuvre, à intervalles réguliers, d’études de biosurveillance en population générale et de mesures des contaminations (du sol et des aliments), afin de suivre l’évolution temporelle des expositions à la chlordécone et d’apprécier l’efficacité des mesures de réduction des expositions. En effet, l’étude Kannari permet de disposer de données de référence pour la période 2013-2014 et qui peuvent évoluer dans le temps.

La mise en œuvre de travaux complémentaires est également indispensable pour pouvoir interpréter les risques sanitaires associés à l’exposition à la chlordécone. Un réexamen des VTR à partir de données humaines est notamment nécessaire (les VTR actuelles étant basées sur des données animales), de même que la définition d’une valeur critique d’imprégnation, en se basant sur une revue de la littérature complète. Ces travaux permettront de mieux accompagner les résultats de ces études d’exposition et d’imprégnation à la chlordécone.

Forces et limites de l’étude

La principale limite de l’étude Kannari est liée au taux de la non-réponse et à la taille de l’échantillon final. Ainsi, il n’est pas possible d’exclure la persistance d’éventuels biais de sélection pouvant affecter les indicateurs produits, ce risque étant accru pour la recherche des déterminants. Toutefois, l’étude Kannari permet de disposer de données récentes d’exposition et d’imprégnation par la chlordécone pour un échantillon le plus large disponible en population générale en Martinique et en Guadeloupe.

Conclusion

L’étude Kannari a permis de produire des données probantes complémentaires et utiles pour actualiser les messages de prévention en lien avec les consommations alimentaires. Cette étude a permis de mettre à jour les connaissances sur l’exposition alimentaire et de les développer en direction de populations à risque. Elle a également permis de mesurer pour la première fois l’imprégnation par la chlordécone de la population générale en Martinique et de la mettre en regard de celle mesurée en Guadeloupe.

Les résultats des deux volets de l’étude Kannari montrent que l’exposition à la chlordécone est généralisée mais contrastée au sein de la population, confirmant ainsi l’importance d’identifier les sous-groupes de population les plus exposés afin d’apporter les mesures de gestion adaptées. Les résultats des deux volets de l’étude confirment également l’importance des consommations alimentaires sur l’exposition environnementale à la chlordécone et incitent à renforcer les messages relatifs à la consommation de denrées d’origine animale issues des zones contaminées (poissons, œufs, volailles).

Références

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Citer cet article

Dereumeaux C, Volatier JL, Guldner L, Saoudi A, Pecheux M, Rivière G, et al. Chlordécone aux Antilles : de la caractérisation de la contamination alimentaire à l’imprégnation des individus. Résultats de l’étude Kannari 2013-2014. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(18-19):370-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/18-19/2020_18-19_3.html.

(1) L’étude Kannari a été mise en place en 2011 sous le pilotage administratif des Agences régionales de santé (ARS) de Martinique et de Guadeloupe, en collaboration avec l’Institut de veille sanitaire (devenu Santé publique France depuis le 1er mai 2016), l’Anses et les Observatoires régionaux de santé de Martinique et de Guadeloupe.
(2) Ces données ont été recueillies par les plans de surveillance et de contrôle menés par les services déconcentrés de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la Direction générale de la santé (DGS), les études et recherches scientifiques, notamment de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et les campagnes de l’ARS Martinique dans le cadre notamment des programmes Jardins familiaux (Jafa).
(3) Dans l’étude Kannari, un îlot (tel que défini par l’Insee) est classé en zone de contamination terrestre dès lors qu’il contient une parcelle présentant un risque de contamination par la chlordécone. Les parcelles contaminées ont été définies à partir des bases cartographiques fournies par les Directions de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) de Martinique et Guadeloupe. Un îlot est classé en zone de contamination maritime dès lors que son littoral est inclus dans une zone d’interdiction de pêche (toutes interdictions confondues). Un îlot est classé en zone de contamination terrestre et maritime lorsqu’il qu’il contient une parcelle présentant un risque de contamination par la chlordécone et que son littoral est situé en zone d’interdiction de pêche.