La biosurveillance : un outil essentiel en santé publique
// Biomonitoring: An essential public health tool
Tout au long de ma carrière en santé environnementale, j’ai été témoin d’actions et de décisions motivées par des données de biosurveillance. En effet, le Québec détient une bonne expérience en cette matière, laquelle s’appuie sur les compétences de notre laboratoire de toxicologie, des acteurs de santé publique et du milieu de la recherche.
La biosurveillance permet l’atteinte de nombreux objectifs et soutient de différentes manières les acteurs de santé publique :
–les actions de biosurveillance à proximité d’endroits affectés par une activité polluante assurent une meilleure compréhension de l’exposition et renforcent l’évaluation et la gestion des risques sanitaires. Dans les dernières décennies, des études menées dans plusieurs régions du Québec ont servi à documenter l’imprégnation de populations exposées à des contaminants ou à des sources particulières ;
–la surveillance biologique permet de suivre des tendances temporelles ou géographiques, ainsi que leur évolution, de comparer des sous-groupes vulnérables comme les enfants ou des communautés ethniques. Au Québec, par exemple, nous nous intéressons depuis des années aux populations du nord du Québec. Par des mesures répétées dans le temps, nous avons pu observer dans le profil d’exposition de ces populations la diminution ou l’apparition de certains composés connus pour leurs effets potentiellement délétères sur la santé, tels que le mercure, le plomb, les dioxines, des pesticides chlorés, ou des retardateurs de flammes bromés ;
–elle demeure très utile pour estimer l’impact de politiques publiques, de la réglementation ou de mesures de gestion. Le succès d’activités de décontamination de sols d’anciennes zones industrielles a régulièrement été démontré par des dosages de métaux dans le sang, l’urine ou les cheveux d’enfants. Il en est de même de nouvelles approches et pratiques préventives auprès de travailleurs exposés aux pesticides ;
–le portrait de la biosurveillance au Québec a contribué à identifier des lacunes dans les données : peu ou pas d’études ont évalué l’exposition des adolescents et des aînés aux contaminants environnementaux.
Au Québec, l’information récoltée au fil des ans par des études ponctuelles est le témoin d’une expérience robuste et riche. Il est intéressant toutefois de voir que les grandes enquêtes nationales viennent maintenant compléter ces activités de biosurveillance ciblées et qu’elles contribuent à solidifier les pratiques et les compétences acquises. En effet, des dizaines d’études qui documentent un composé ne permettent pas nécessairement d’avoir un portrait fiable de l’exposition de la population. Cela est dû par exemple à un manque de comparabilités des protocoles, à des lacunes statistiques, ou encore en raison de l’évolution des méthodes analytiques. Les études à grande échelle sont utiles pour avoir une idée du profil de l’exposition de l’ensemble de la population, mais aussi pour soutenir l’interprétation comparative par l’établissement de nouvelles valeurs de référence.
Ainsi, bien que les actions de biosurveillance ciblées se poursuivent toujours au Québec, elles sont maintenant jumelées à des efforts nationaux. Le Québec participe aux travaux canadiens de documentation et de suivi de l’exposition de la population générale à des dizaines, voire des centaines de contaminants. C’est notamment le cas de notre laboratoire de toxicologie, qui œuvre comme centre de référence auprès de ces grandes enquêtes.
La santé publique québécoise s’appuie depuis longtemps sur des données réelles et directes de l’exposition humaine pour répondre à des enjeux sanitaires. Notre regretté collègue, le Dr Éric Dewailly, médecin, épidémiologiste et chercheur renommé en toxicologie humaine en France et au Québec, un des pionniers de la recherche en santé environnementale, disait d’ailleurs que les dossiers pour lesquels nous avions des mesures biologiques étaient ceux qui avaient le plus avancé en épidémiologie environnementale. La biosurveillance a réussi au Québec à mobiliser de nombreux acteurs et des décideurs autour de sujets phares de la santé environnementale.
Dans ce numéro du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, le lecteur aura l’occasion de se familiariser davantage avec cette approche. La diversité des articles permettra de mieux comprendre l’intérêt et l’utilité de la biosurveillance dans différents contextes de santé publique. En effet, les situations illustrées traitent du recours à la surveillance biologique dans des conditions différentes d’exposition : des communautés sous l’influence d’une source locale, des travailleurs, des groupes étudiés pour leur vulnérabilité (voir l’article de C. Déreumeaux et coll.) et, plus largement, d’une population nationale à certaines substances de l’environnement ayant un impact sur la santé, comme dans l’étude française Esteban présentée par C. Fillol et coll.
Dans l’article « Enjeux métrologiques de la biosurveillance », P. Quenel et coll. signalent d’importants défis auxquels font face les initiateurs de projets ou d’enquêtes de surveillance biologique. Parmi ceux-ci, citons le choix des biomarqueurs et de la matrice, la méthode analytique, la normalisation des résultats, la conservation et la préparation des échantillons. L’écrit est fort intéressant pour mieux saisir toute l’importance et la complexité de la mesure.
Un autre des principaux défis rencontrés demeure le choix et la priorisation des substances. Dans leur article, mes collègues M. Gagné et coll. dévoilent une méthode d’identification de contaminants chimiques d’intérêt prioritaire en santé environnementale. L’approche repose sur la comparaison des données du Québec et du Canada, mais aussi sur le risque. Comme le précisent les auteurs, il s’agit là en effet d’un point de départ intéressant pour déterminer des priorités d’actions de santé publique, pour de la recherche ou pour une biosurveillance accrue.
La communication constitue également un enjeu de taille. L’existence de valeurs d’interprétation est préférable pour présenter les résultats, leur absence complexifie la présentation des conclusions. L’article de A. Cochet et coll. fait ressortir l’avantage de se servir des approches consultatives et participatives pour la gestion de situations de pollution locale où la surveillance biologique est impliquée.
Une difficulté notable que rencontrent les enquêtes nationales de biosurveillance demeure l’harmonisation des pratiques existantes au niveau continental. L’objectif est de favoriser une utilisation accrue des données et d’améliorer la cohérence de la réglementation. L’initiative de la Commission européenne en ce sens est remarquable avec le programme de recherche HBM4EU, présenté par L. Rambaud et coll. L’implantation de critères de qualité communs, de réseaux d’experts et de laboratoires employant les mêmes méthodes ainsi que l’élaboration conjointe de valeurs de référence d’exposition sont des exemples cités par les auteurs de conditions renforçant cette uniformisation. L’usage des biobanques, la valorisation des données existantes, l’ajout de la biosurveillance professionnelle sont tous des défis pertinents de l’initiative HBM4EU européenne. Cet important effort d’harmonisation est, du reste, la route à privilégier pour les autres continents et leurs grandes enquêtes nationales qui y concourent.
Finalement, de leur côté, N. Fréry et coll. présentent les convergences et les divergences de la biosurveillance utilisées dans des finalités distinctes de mesure d’exposition environnementale ou professionnelle. Deux réalités différentes qui, selon les auteurs, peuvent toutefois « se nourrir mutuellement ».
La force de la biosurveillance est qu’elle tient compte de l’ensemble des voies et des sources d’exposition de même que des processus métaboliques internes. Ainsi, même en considérant les difficultés qu’impliquent les activités de biosurveillance, elle offre aux décideurs publics des données probantes incontournables, afin de définir des politiques environnementales et sanitaires solides. Son recours mérite donc d’être maintenu et encouragé.
Citer cet article
(18-19):352-3. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/18-19/2020_18-19_0.html