Exposition aux polluants du quotidien de la population française en 2014-2016 d’après l’étude Esteban
// Exposure to pollutants in the daily life of the French population in 2014-2016
from the Esteban study
Résumé
Le volet de biosurveillance de l’étude Esteban a pour objectif d’estimer l’imprégnation de la population française âgée de 6 à 74 ans à plusieurs substances de l’environnement présentant un intérêt en termes de santé publique. Les premiers résultats de ce volet concernent six familles de polluants retrouvés dans les objets du quotidien : bisphénols A, S et F, phtalates, perfluorés, retardateurs de flamme bromés, éthers de glycol et parabènes. Ces résultats ont montré des expositions généralisées et des niveaux d’imprégnation généralement plus élevés chez les enfants de 6 à 17 ans. Les déterminants des niveaux d’imprégnation des six familles de polluants retrouvés dans cette étude sont cohérents avec ceux de la littérature. Les résultats montrent notamment que l’alimentation n’apparaît pas comme l’unique source d’exposition à ces substances ; l’utilisation de produits cosmétiques et de soins augmente les niveaux d’imprégnation des parabènes et des éthers de glycol et la fréquence d’aération du logement diminue les niveaux d’imprégnation des perfluorés et des retardateurs de flamme bromés. La répétition de ces études est nécessaire pour suivre dans le temps les évolutions des expositions de la population et contribuer à estimer l’impact des politiques publiques visant à réduire les expositions.
Par la suite, l’étude Esteban permettra de suivre les tendances temporelles pour les biomarqueurs déjà analysés dans l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) comme les métaux et certains pesticides. Esteban permettra également d’établir de nouvelles valeurs de référence d’exposition en population générale pour l’ensemble des polluants mesurés.
Abstract
The aim of the biomonitoring component of the Esteban study is to estimate the impregnation of the French population aged 6 to 74 years with several substances of the environment having an impact on public health. The first results of this component concern the six families of pollutants found in everyday objects: bisphenols A, S and F, phthalates, perfluorinated, brominated flame retardants, glycol ethers and parabens. These results showed widespread exposures and generally higher levels of impregnation in children aged 6 to 17 years. The determinants of the impregnation levels of six families of pollutants found in this study are consistent with those of the literature. In particular, the results show that diet does not appear as the sole source of exposure to these substances; the use of cosmetics and care products increases the levels of impregnation of parabens and glycol ethers and the ventilation rate of housing reduce the levels of impregnation of perfluorinated and brominated flame retardants. Repetition of these studies is necessary to monitor changes in population exposures over time and to help estimate the impact of public policies aimed at reducing exposures.
Subsequently, the Esteban study will track temporal trends for biomarkers already analyzed in the French Nutrition and Health Survey (ENNS) such as metals and some pesticides. Esteban will also establish new general population exposure reference values for all pollutants measured.
Introduction
Plusieurs pays en Europe et en Amérique du Nord ont développé des programmes de biosurveillance depuis plusieurs années. Dans le cadre du programme Santé Environnement 2004-2010, l’Europe a initié l’harmonisation des pratiques de biosurveillance entre les pays de l’Union européenne avec le projet Cophes (Consortium to Perform Human Biomonitoring on a European Scale) puis HBM4EU (European Human Biomonitoring Initiative) 1. En France, c’est la loi issue du Grenelle de l’environnement (n° 2009-967 du 3 août 2009) qui a conduit à l’élaboration d’un programme national de biosurveillance. Ce programme a été conçu pour estimer l’exposition de la population à diverses substances de l’environnement et pour améliorer la compréhension des déterminants de l’exposition. Inscrit dans les plans nationaux santé environnement 2 puis 3, le programme comporte deux volets dont l’un est la mise en œuvre d’une étude transversale en population générale continentale (l’autre volet s’appuie sur la cohorte Elfe 2). C’est dans ce cadre que l’Étude de SanTé sur l’Environnement, la Biosurveillance, l’Activité physique et la Nutrition, nommée Esteban, a été élaborée. Cette étude répond à des objectifs en matière de surveillance des expositions aux substances chimiques ainsi que de surveillance des maladies chroniques et de surveillance nutritionnelle.
La surveillance des expositions humaines peut être réalisée à travers le dosage de biomarqueurs d’exposition, c’est-à-dire le dosage d’une substance chimique ou de ses métabolites (produits de dégradation) dans les matrices biologiques : sang, urines, cheveux, lait maternel par exemple. Pour une substance ubiquitaire, ce dosage permet d’intégrer toutes les voies d’exposition qui conduisent la substance ou son métabolite à se retrouver dans l’organisme.
Ainsi, une des premières tâches dans l’élaboration de ce programme consistait à prioriser les substances à étudier. Pour cela, un processus de hiérarchisation des biomarqueurs basé sur un consensus d’experts (méthode Delphi) et décrit dans une publication précédente 3 a été développé. Parmi les critères de hiérarchisation, étaient retrouvés l’identification des dangers, les caractéristiques de l’exposition ou la préoccupation sociétale. Cet article s’attache à présenter les premiers résultats du volet biosurveillance de l’étude Esteban pour six familles de substances présentes dans l’environnement quotidien des français (cosmétiques, vernis, peintures, solvants, textiles, revêtements adhésifs de poêle, jouets en plastique…). Ces substances sont les bisphénols (A, F et S), des phtalates, des parabènes, des éthers de glycol, des retardateurs de flamme bromés et des composés perfluorés qui sont notamment des cancérogènes ou des perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés.
Méthodes
L’étude transversale Esteban, dont le protocole, le plan de sondage et les critères d’éligibilité ont été décrits précédemment 4, s’est déroulée entre avril 2014 et mars 2016, au cours de quatre vagues successives, de durées égales, afin d’équilibrer les inclusions en fonction de la saisonnalité des expositions environnementales et de l’alimentation. La population cible de l’étude Esteban était constituée de l’ensemble des personnes résidant en France continentale âgées de 6 à 74 ans sur la période d’étude. Les objectifs du volet biosurveillance de cette étude était d’estimer les niveaux d’imprégnation de la population habitant en France continentale à des substances de l’environnement ayant un impact présumé et/ou observé sur la santé, d’établir des valeurs des références d’exposition (1) pour plusieurs polluants de l’environnement, d’analyser les déterminants des niveaux d’imprégnation et de comparer ces données avec celles issues des enquêtes conduites en France et à l’étranger, afin d’apporter des informations nécessaires à la définition et au suivi des politiques de santé publique. Des données démographiques et socioéconomiques, mais aussi sur l’alimentation, l’activité physique, la sédentarité, l’environnement résidentiel et l’exposition professionnelle, la santé générale et la consommation de soins, ont été recueillies à travers différents questionnaires (renseignés en face à face avec un enquêteur se rendant au domicile des participants, par auto-questionnaires papier ou via internet selon le choix des participants). D’autre part, l’ensemble des mesures anthropométriques et cliniques, et des prélèvements biologiques (sang, urines, mèche de cheveux) ont été effectués dans le cadre d’un examen de santé. Pour ce faire, Santé publique France s’est appuyé sur le réseau des centres d’examens de santé de l’Assurance maladie (CES). Pour les enfants, et les adultes qui en avaient exprimé le choix, l’examen de santé était effectué à domicile, avec la venue d’un infirmier.
Le jour de l’examen de santé, le recueil urinaire était effectué au réveil afin de collecter les premières urines du matin dans un pot en polypropylène. Le pot contenant les urines était ensuite placé dans un sachet opaque puis remis aux infirmiers lors de l’examen de santé, conservé au frais entre +4°C et +10°C et à l’abri de la lumière avant le transport vers les laboratoires des CES. Le prélèvement sanguin a été réalisé chez tous les participants : 26 mL pour les 6-11 ans ; 36 mL pour les 12-17 ans et 88 mL chez les 18 à 74 ans (tubes secs, tubes fluoro-citraté et tubes EDTA trace élément utilisés) puis conservés au frais. Les échantillons ont ensuite été aliquotés en petits volumes (1, 2, 5 et 10 mL) à l’aide de pipettes en verre (urines) afin d’éviter de potentielles contaminations pouvant impacter les dosages des biomarqueurs et conservés à -20°C dans les laboratoires des CES. L’ensemble des échantillons en provenance des laboratoires a été transporté par camion réfrigéré au centre de ressources biologiques de l’hôpital Bretonneau à Tours afin d’y être conservé dans des congélateurs à -80°C. Le transport des échantillons des laboratoires vers la biothèque était organisé de façon régulière tout au long de l’enquête.
Les dosages des six familles ont été réalisés sur des sous-échantillons aléatoires de participants parmi les individus qui disposaient d’une quantité d’urine ou de sérum suffisante en biothèque pour permettre les analyses.
Les données manquantes sur les variables explicatives et les valeurs censurées à gauche ont été imputées en utilisant la méthode d’imputation multiple par équations chaînées sous le logiciel Stata®. La moyenne géométrique n’a pas été calculée pour les biomarqueurs présentant un taux de censure supérieur à 40%. Pour certains biomarqueurs, c’est la somme des concentrations de leurs métabolites respectifs qui est présentée (DEPH : phtalate de di-2-éthylhexyle, et polybromodiphényléthers : PBDE). La somme des concentrations des métabolites du DEHP est représentée par la somme des concentrations du mono-2-éthylhexyl phtalate (MEHP), du mono-(2-éthyl-5-oxohexyl) phtalate (MEOHP) et du mono-(2-éthyl-5-hydroxyhexyl) phtalate (MEHHP), et celle des PBDE par la somme des concentrations des sept congénères indicateurs, habituellement dosés et quantifiés dans les études de biosurveillance : BDE 28, 47, 99, 100, 153, 154 et 183.
La distribution des niveaux d’imprégnation de la population des enfants et des adultes pour les six familles de polluants est décrite, dans cet article, par la moyenne géométrique (MG) et le 95e centile (P95) avec leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%). Les déterminants de l’imprégnation ont été identifiés en utilisant un modèle linéaire généralisé. Tous les résultats prennent en compte le plan de sondage de l’étude, sauf chez les enfants pour les retardateurs de flamme bromés, les perfluorés, les parabènes et les éthers de glycol en raison notamment du faible effectif. Une présentation plus détaillée et complète de ces premiers résultats est disponible sur le site Internet de Santé publique France.
Résultats
Les tableaux 1 et 2 présentent les différents biomarqueurs des six familles de polluants analysées, leurs matrices de dosage, les méthodes analytiques utilisées et les caractéristiques de celles-ci : limite de quantification (LOQ) et limite de détection (LOD).
et parabènes dans la population vivant en France continentale, Esteban [2014-2016]
Agrandir l'imagedans population vivant en France continentale, Esteban (2014-2016]
Agrandir l'imageLes résultats descriptifs y sont également présentés en fonction de la population adultes ou enfants et de la matrice dans laquelle les dosages ont été réalisés : urines ou sérum.
Pour les dosages réalisés dans les urines, les 3 bisphénols totaux (A, F, S) composés des formes libres et des formes conjuguées étaient quantifiés chez quasiment tous les adultes et les enfants. Concernant les métabolites des phtalates, ils ont été quantifiés dans 80 à 99% des échantillons chez les adultes et les enfants exceptés pour le mono—isononyl phtalate (MiNP) (<20%), le mono-cyclohexyl phatalte (MCHP) et le mono-n-octyl phtalate (MnOP) (<1%). Les résultats ont montré que l’ensemble de la population des adultes et des enfants était exposé à au moins 1 des 8 métabolites des éthers de glycol recherchés. En revanche, très peu de parabènes étaient quantifiés. On peut citer par ordre d’importance : le méthyl-parabène ; le propyl-parabène et l’éthyl-parabène. Seul le méthyl-parabène était quantifié chez plus de 92% des adultes et des enfants.
Pour les dosages réalisés dans la matrice sérique, les taux de quantification des composés perfluorés et des différents congénères des retardateurs de flamme bromés étaient variables. Le PFOA (acide perfluorooctanoïque), et le PFOS (acide perfluorooctanesulfonique) ont été quantifiés chez 100% des adultes et des enfants. Concernant les congénères des PBDE, les plus quantifiés, par ordre d’importance étaient le BDE 153, le BDE 47, le BDE 100 et le BDE 99.
Les principaux déterminants influençant les concentrations en biomarqueurs mesurés pour les 6 familles de polluants sont présentés dans le tableau 3. Ils varient en fonction des biomarqueurs étudiés. Toutes les variables présentées augmentent les niveaux d’imprégnation comme l’utilisation de cosmétiques ou de produits de soin pour les éthers de glycol et les parabènes notamment, hormis la fréquence d’aération des logements et la présence de ventilation mécanique contrôlée. Chez les enfants, l’âge a été retrouvé comme déterminant de l’exposition, les plus jeunes enfants étaient plus imprégnés par les bisphénols ou les phtalates que les enfants plus âgés.
chez les adultes, Esteban (2014-2016)
Agrandir l'imageDiscussion
L’étude Esteban est le continuum des travaux réalisés dans l’étude ENNS, en termes de surveillance nutritionnelle et d’analyse des expositions de la population française à des substances chimiques de l’environnement (métaux, PCB-NDL, pesticides). Toutefois, les biomarqueurs présentés dans cet article n’avaient jamais été dosés dans une précédente étude dans un si large échantillon avec une représentativité nationale. Il s’agit ainsi d’une première photographie de l’exposition de la population française à ces six familles de polluants.
Ces résultats ont montré des expositions généralisées : 100% de l’échantillon analysé est imprégné par les bisphénols, le PFOS, le PFOA et les métabolites des phtalates recherchés. On constate comme dans la littérature 5,6,7 des niveaux d’imprégnation plus élevés chez les enfants qui pourraient s’expliquer par : des contacts cutanés et de type « main bouche » plus fréquents pour des produits du quotidien (jouets, peintures…) ; des expositions plus importantes aux poussières domestiques et un poids corporel plus faible par rapport à leurs apports alimentaires pour la plupart des substances mesurées sauf pour les perfluorés. En effet, les perfluorés sont des substances à caractère cumulatif avec des demi-vies longues de plusieurs années dans l’organisme, très présents dans la chaîne alimentaire. Des programmes étrangers comparables existent : les États-Unis s’appuient sur l’étude NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) 8,9 et l’Allemagne, sur l’étude GerES (German Environmental Survey) 10 afin d’évaluer l’exposition de la population aux polluants environnementaux. D’autres pays européens 11,12 et le Canada, avec l’enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS), ont développé leurs propres programmes de biosurveillance plus récemment 13,14. Les niveaux d’exposition mesurés dans cette étude pour ces six familles de polluants sont comparables à ceux observés dans ces programmes, notamment aux États-Unis et au Canada à l’exception de certaines substances comme les retardateurs de flamme bromés, les bisphénols S et F et les parabènes. Ces différences peuvent être dues à des réglementations qui ne sont pas identiques entre les pays (par exemple, la substitution du bisphénol A par les bisphénols S et F a débuté dans les pays nord-américains avant la France) mais également à des comportements qui varient d’un pays à l’autre.
Les déterminants des niveaux d’imprégnations retrouvés dans cette étude pour les six familles de polluants analysées sont cohérents avec ceux retrouvés dans les études citées précédemment 7,8,10 et avec les connaissances disponibles sur ces substances. Ils diffèrent en fonction des substances. Les résultats montrent notamment que l’alimentation n’apparaît pas comme l’unique source d’exposition à ces substances. L’utilisation de produits cosmétiques et de soins augmente les niveaux d’imprégnation des parabènes et des éthers de glycol, et la fréquence d’aération du logement a une influence sur les niveaux d’imprégnation des perfluorés et des retardateurs de flamme bromés : plus le logement est aéré, plus les niveaux d’imprégnation sont bas.
Les associations mises en évidence dans l’étude Esteban doivent être interprétées avec précaution car les études transversales ne permettent pas à elles seules de déterminer la causalité entre les sources d’exposition potentielles étudiées et les niveaux d’imprégnation mesurés. Ceci est particulièrement le cas pour les biomarqueurs à demi-vie courte tels que les bisphénols, les éthers de glycol, les parabènes et les phtalates. De plus, en raison de la forte variabilité circadienne des concentrations urinaires en phénols pour un même individu, il n’est pas possible d’exclure un risque d’erreur dans l’estimation de l’exposition individuelle aux bisphénols par exemple. Ainsi, l’absence d’association observée entre une source d’exposition potentielle et les niveaux d’imprégnation ne signifie pas que cette source d’exposition doit être exclue. À l’inverse, la mise en évidence d’une association entre une source d’exposition et les niveaux d’imprégnation mesurés suggère la nécessité de poursuivre l’exploration de cette voie d’exposition.
Conclusion
Les bisphénols, les phtalates, les retardateurs de flamme bromés, les perfluorés, les éthers de glycol et les parabènes ont été mesurés pour la première fois en France chez des enfants et des adultes, auprès d’un large échantillon. Les résultats ont montré des expositions généralisées et des niveaux d’imprégnation généralement plus élevés chez les enfants. Étant donnée la toxicité de ces substances évaluée par ailleurs 15,16,17,18, il est recommandé de maintenir les actions visant à réduire les expositions par les politiques publiques ou de promouvoir des comportements individuels moins exposants et de mieux comprendre les effets sanitaires liés à ces polluants. Par la suite, d’autres résultats seront publiés concernant les métaux et certains pesticides.
Ces résultats viennent s’ajouter à ceux du volet périnatal de l’étude de la cohorte Elfe réalisée en 2011 2, dont les résultats ont déjà permis d’obtenir des données d’exposition de femmes enceintes à certains biomarqueurs environnementaux (bisphénol A, PCB, métaux, dioxines, composés perfluorés…). Esteban permettra également d’établir de nouvelles valeurs de référence d’exposition en population générale. Par ailleurs, ces résultats d’imprégnation pourront être utilisés pour évaluer les risques sanitaires sur la population lorsque des valeurs d’imprégnation critique auront été établies.
Remerciements
Les auteurs remercient les Centres d’examens de santé de l’Assurance maladie et les laboratoires ayant participé à la collecte ainsi que l’ensemble des participants à l’étude Esteban.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.