Estimation de la prévalence des enfants de moins d’un an, hospitalisés en France pour maltraitance physique sur la période 2007-2014
// Estimated prevalence of children under 1 year old, hospitalized in France for physical abuse between 2007-2014
Résumé
Introduction –
La maltraitance envers les enfants est un problème majeur de santé publique dont la documentation épidémiologique reste encore très imprécise. Nous proposons une estimation de la prévalence des enfants âgés de moins d’un an hospitalisés pour maltraitance physique et leur taux de mortalité intra-hospitalière.
Matériel-méthodes –
Cette étude nationale et rétrospective utilise les données médico-administratives hospitalières du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Nous avons inclus tous les enfants âgés de 1 mois à 1 an, résidant en France métropolitaine et dans les quatre DOM (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion), hospitalisés en France sur 2007-2014. Trois groupes ont été définis : le groupe 1 des enfants maltraités physiquement, le groupe 2 des enfants possiblement maltraités physiquement, et le groupe 3 (groupe témoin) incluant tous les autres enfants hospitalisés. L’estimation basse de la prévalence est calculée avec, au numérateur, le nombre d’enfants du groupe 1 et l’estimation haute le nombre d’enfants des groupes 1 et 2 ; le dénominateur est le nombre d’enfants de moins d’un an en France entre 2007-2014.
Résultats –
Ont été inclus : 2 585 enfants dans le groupe 1, 4 333 dans le groupe 2 et 926 405 dans le groupe 3. La prévalence sur une période de huit ans des cas de maltraitance physique à enfant hospitalisé de moins d’un an a été estimée entre 0,04% (groupe 1) et 0,11% (groupes 1+2). La mortalité intra-hospitalière à un an a été estimée entre 3,13% (groupe 1) à 2,56% (groupes 1+2).
Discussion-conclusion –
À notre connaissance, il s’agit de la première étude qui fournit de telles estimations nationales à partir de données hospitalières. Des stratégies de prévention plus efficaces devraient être mises en œuvre afin d’aider les professionnels de la santé à identifier et à protéger ces enfants.
Abstract
Introduction –
Child abuse is a major public health issue, the epidemiological documentation of which is still very imprecise. We propose an estimation of the prevalence of children aged under 1 year, hospitalized for physical abuse, and their intra-hospital mortality rate.
Material-methods –
This national and retrospective study uses hospital medico-administrative data from the Medical Information Systems Program (PMSI). We included all children aged 1 month to 1 year old, living in metropolitan France and in the four overseas departments (DOM – Martinique, Guadeloupe, Guyana, Reunion), hospitalized in France between 2007 and 2014. Three groups were defined as such: group 1 for physically abused children; group 2 for children possibly physically abused; and group 3 (control group) for all other hospitalized children. The low estimate of prevalence is calculated based on the number of children in group 1 and the high estimate based on the number of children in groups 1 and 2); divided by the number of children under 1 year old in France between 2007-2014.
Results –
There were 2,585 children in group 1, 4,333 in group 2 and 926,405 in group 3. The prevalence over 8 years of cases of physical abuse to children under 1 year old and hospitalized was estimated between 0.04% (group 1) and 0.11% (groups 1+2). Intra-hospital mortality at one year was estimated between 3.13% (group 1) and 2.56% (groups 1+2).
Discussion-conclusion –
To our knowledge, this is the first study to provide such national estimates from hospital data. More effective prevention strategies should be implemented to help health professionals identify and protect these children.
Introduction
La maltraitance envers les enfants, problème de santé publique majeur 1,2,3, peut avoir des conséquences graves aussi bien à court qu’à long terme : des pathologies psychologiques (suicide, troubles du comportement) et physiques (cancer, fibromyalgie, cardiopathie ischémique…) 4, entraînant un risque accru de décès prématuré à l’âge adulte 5.
Paradoxalement, on manque en France de données épidémiologiques fiables sur le nombre d’enfants victimes de maltraitance et les chiffres rapportés sont très souvent sous-estimés 6,7.
En pratique, il est difficile d’identifier les cas de maltraitance à enfant car ils ne sont pas enregistrés de façon systématique dans une base de données unique.
De nombreux cas de maltraitance entraînent des lésions traumatiques nécessitant un recours aux soins. Ainsi, les données hospitalières constituent une des sources potentielles de données permettant de repérer les cas de maltraitances physiques.
En France, chaque hôpital produit un résumé de sortie d’hospitalisation pour chaque séjour qui sera intégré au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), base de données médico-administratives nationales, utilisée pour l’allocation des budgets hospitaliers. Les données hospitalières françaises sont utilisées à des fins de recherche médicale depuis 20 ans et leur qualité est régulièrement évaluée 8,9,10,11. En raison de leur exhaustivité, ces bases fournissent une grande quantité d’informations épidémiologiques sur les patients hospitalisés, facilitant ainsi les études en population, et permettent d’étudier des événements tels que la maltraitance à enfants 12,13.
Dans cette étude, le PMSI a été utilisé pour identifier les enfants maltraités physiquement au moment de leur hospitalisation à partir de codes CIM-10 (Classification internationale des maladies - 10e révision) spécifiques de maltraitance. Cependant, ces codes n’étant pas toujours utilisés et tous les cas de maltraitance n’étant pas correctement renseignés 14, nous avons également considéré des hospitalisations pour lésions traumatiques.
Cette étude a deux objectifs :
–estimer la prévalence des maltraitances physiques à enfant ayant nécessité une hospitalisation en France parmi les enfants âgés de moins d’un an, sur une période de 8 ans ;
–étudier les caractéristiques des séjours hospitaliers des enfants et le taux de mortalité hospitalière.
Matériel-méthodes
Cette étude rétrospective, utilisant une base de données hospitalière nationale (PMSI), a été approuvée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (numéro d’enregistrement 1576793). Elle a été menée par une équipe multidisciplinaire comprenant des épidémiologistes, des experts dans l’exploitation du PMSI et des médecins légistes. Les données du PMSI ont été transmises par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (numéro ATIH 2015-111111-47-33).
Nous avons inclus tous les enfants âgés de 1 mois à 1 an, résidant en France métropolitaine et dans les quatre DOM (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion), hospitalisés au moins une fois en France de 2007 à 2014, soit un total de 933 323 enfants.
Il est difficile d’identifier les cas d’abus parmi les différentes lésions péri-obstétriques et les pathologies congénitales (par exemple les troubles de la coagulation ou l’ostéogenèse imparfaite). Les nourrissons de moins d’un mois et les séjours hospitaliers de naissance ont donc été exclus, afin d’éliminer toutes les maladies et complications néonatales précoces.
Nous avons distingué tous les codes CIM-10 utilisés dans le PMSI permettant d’identifier directement une situation de maltraitance physique. Tous les enfants ayant eu au moins une hospitalisation avec un résumé de sortie utilisant un de ces codes en diagnostic principal (DP) ou associé (DAS) étaient considérés comme victimes de maltraitance physique.
Parmi les autres enfants hospitalisés, pour identifier ceux potentiellement victimes de maltraitances physiques, mais dont les séjours hospitaliers n’étaient pas codés comme tels, nous avons procédé de la manière suivante (le type de lésion traumatique peut en effet être codé, mais pas forcément son origine accidentelle ou intentionnelle). Une recherche minutieuse de la littérature 15 nous a permis d’identifier les lésions traumatiques les plus suspectes de maltraitance physique. Les codes CIM-10 correspondant à chacune de ces lésions ont été identifiés en DP ou DAS. Un algorithme tenant compte de l’âge de l’enfant, de la présence d’une ou plusieurs lésions traumatiques suspectes, isolées ou associées et présentes au cours d’une ou plusieurs hospitalisations, a permis de repérer des enfants possiblement victimes de maltraitances physiques, mais non codés comme tels au sein du PMSI. Par exemple, un enfant de moins de 12 mois (avant l’âge moyen de la marche) hospitalisé pour une fracture de la diaphyse fémorale, en l’absence d’accident grave (accident de la route, etc.) ou de fragilité osseuse constitutionnelle (ostéogenèse imparfaite), était considéré comme possiblement victime de maltraitance physique.
De cette manière, trois groupes mutuellement exclusifs ont été définis : le groupe 1 constitué des enfants maltraités physiquement ; le groupe 2 incluait les enfants susceptibles d’être victimes de violence physique (blessures suspectes) ; et le groupe 3 (groupe témoin) comprenait tous les autres enfants du même âge, hospitalisés sur la même période. Nous avons également créé un sous-groupe 3, limité aux enfants du groupe 3 présentant une ou plusieurs lésions traumatiques non intentionnelles.
Pour chaque enfant inclus, l’âge, le sexe, le nombre et la durée des séjours hospitaliers, le décès à l’hôpital et les codes de résumé de sortie d’hospitalisation ont été relevés.
L’estimation de la prévalence nationale de la maltraitance physique des enfants nécessitant une hospitalisation (groupes 1 et 2) a été calculée à l’aide d’un dénominateur issu du recensement fourni par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) qui recense régulièrement la population française (données du recensement pour chacune des années entre 2007 et 2014) : en moyenne, par année, 789 350 enfants de moins d’un an sur la période 2007-2014. L’estimation « basse » de la prévalence nationale des enfants de moins d’un an hospitalisés pour maltraitance physique correspond au nombre d’enfants du groupe 1/nombre d’enfants de moins d’un an recensés en France au cours de cette période de huit ans. L’estimation « haute » correspond au nombre d’enfants des groupes 1+2/nombre d’enfants de moins d’un an en France sur la période 2007-2014 (cette estimation prend donc en compte le codage des lésions traumatiques).
De la même manière, l’estimation de la prévalence hospitalière de la maltraitance physique des enfants sur ces huit années a été calculée en utilisant comme dénominateur le nombre total d’enfants âgés de 1 mois à 1 an hospitalisés en France au cours de cette période.
Le nombre d’hospitalisations et le taux de mortalité hospitalière ont été calculés en suivant ces enfants sur une période d’un an à partir de leur date d’inclusion.
L’analyse des données a été réalisée à l’aide du logiciel SAS®9.3. Nous avons étudié les caractéristiques des trois groupes : sexe, âge moyen des enfants, durée moyenne d’hospitalisation et taux de mortalité hospitalière du premier séjour.
À l’aide du chaînage des données PMSI, nous avons décrit les différentes hospitalisations d’un même enfant depuis sa date d’inclusion jusqu’à un an de suivi : nombre d’hospitalisations pour maltraitance physique pour le groupe 1, nombre d’hospitalisations avec suspicion de maltraitances physiques pour le groupe 2 et nombre total d’hospitalisations pour le groupe 3. Nous avons également enregistré, pour chaque groupe, le pourcentage de réadmissions quelle que soit la cause d’hospitalisation, le nombre moyen de séjours hospitaliers par enfant, la durée moyenne des séjours et le pourcentage de décès hospitaliers à un an.
Les trois groupes ont été comparés globalement mais aussi 2 à 2. Le test du Chi2 a été utilisé pour comparer les variables qualitatives. Un test de variance ANOVA et le test t de Student ont été utilisés pour comparer les variables quantitatives. Afin de prendre en compte la multiplicité des tests, la comparaison des groupes 2 par 2 a été réalisée via la méthode de Scheffé pour les variables quantitatives. Les valeurs p<0,05 ont été considérées comme statistiquement significatives.
Résultats
De 2007 à 2014, 933 323 enfants ont été inclus dans l’étude : 2 585 dans le groupe 1, 4 333 dans le groupe 2, 926 405 dans le groupe 3 et 69 086 dans le sous-groupe 3.
Entre 2007 et 2014, le nombre de cas par an dans les groupes 1 et 2 variait de 278 à 374 pour le groupe 1 et de 508 à 624 pour le groupe 2, selon les années. La prévalence hospitalière de la maltraitance physique à enfant âgés de 1 mois à 1 an (sur la période 2007-2014) était plus de deux fois plus élevée en considérant les groupes 1+2 (0,63%) que dans le groupe 1 seul (0,24%).
La prévalence nationale de la maltraitance physique à enfant nécessitant une hospitalisation sur cette même période était plus de deux fois plus élevée en considérant le groupe 1+2 (0,11%) que dans le groupe 1 seul (0,04%) (tableau 1).
Les caractéristiques du premier séjour sont présentées dans le tableau 2. Dans chaque groupe, plus de la moitié des enfants avaient moins de 6 mois et on observait une plus grande proportion de garçons dans le groupe 1 (59,15%) que dans les deux autres groupes (p=0,01). Lors de la première hospitalisation, l’âge moyen, la durée moyenne du séjour et le pourcentage de décès étaient significativement différents entre les trois groupes (p<0,01). Lors de la première hospitalisation, les enfants du premier groupe étaient significativement plus jeunes que ceux du groupe 2 (p<0,01) et des groupes témoins (groupe 3 et sous-groupe 3 ; p<0,01). La durée moyenne du premier séjour hospitalier était quatre fois plus longue dans le groupe 1 et deux fois plus longue dans le groupe 2 que dans le groupe 3 (p<0,01 pour les deux). Le pourcentage de décès au cours de la première hospitalisation était 16 fois plus élevé dans le groupe 1 (76 décès ; 2,94% ; p<0,01) et un peu plus de 10 fois plus élevé dans le groupe 2 (88 décès ; 2,03% ; p<0,01) qu’au sein du groupe 3 (1 688 décès ; 0,18%). Ce pourcentage était 40 fois plus élevé dans le groupe 1 (p<0,01) et 30 fois plus élevé dans le groupe 2 (p<0,01) que dans le sous-groupe 3 (49 décès ; 0,07%).
En ce qui concerne le suivi à un an, les 2 585 enfants du groupe 1 ont eu 2 900 hospitalisations pour maltraitance physique, tandis que les 4 333 enfants du groupe 2 ont eu 4 904 hospitalisations pour des lésions traumatiques suspectes de maltraitances physiques (tableau 3).
La durée moyenne des différentes hospitalisations sur la période d’un an de suivi, était quatre fois plus longue dans le groupe 1 que dans le groupe 3 (11,76 jours (±17,38) vs 2,82 (±6,69) ; p<0,01) et deux fois plus longue dans le groupe 2 que dans le groupe 3 (5,94 jours (±12,23) vs 2,82 (±6,69) ; p<0,01). Le nombre moyen d’hospitalisations par enfant était inférieur dans les groupes 1 (1,13 (±0,47)) et 2 (1,14 (±0,52)) par rapport au groupe 3 (1,53 (±1,81)). Le pourcentage de réadmission, toutes causes confondues, à un an, était significativement différent entre les trois groupes (p<0,01). Les pourcentages étaient plus élevés dans les groupes 1 et 2 (respectivement 36,5% et 31,9%) que dans le groupe 3 (28,0%). Les pourcentages de réadmission du groupe 1 pour maltraitance physique et dans le groupe 2 pour suspicion de maltraitance physique étaient tous deux d’environ 10%, ce qui correspond à environ un tiers de la totalité des réadmissions de ces groupes. Parmi ces hospitalisations, le taux de mortalité hospitalière à un an était 10 fois plus élevé dans le groupe 1 que dans le groupe témoin (p<0,01) et 7 fois plus élevé dans le groupe 2 que dans le groupe témoin (p<0,01). La grande majorité des décès sont survenus au cours de la première hospitalisation, en particulier dans les deux premiers groupes (94% pour le groupe 1, 92% pour le groupe 2 et 59% pour le groupe 3).
Discussion
À notre connaissance, il s’agit de la première étude nationale proposant une estimation de la prévalence et de la mortalité hospitalière, des maltraitances physiques à enfants âgés de 1 mois à 1 an. Nous avons estimé la prévalence nationale puis hospitalière, sur une période de huit ans, en l’encadrant par une estimation « basse » (appelée première estimation) et une estimation « haute » (deuxième estimation). Les nourrissons hospitalisés pour maltraitance physique représentaient entre 0,04% (première estimation) et 0,11% (deuxième estimation) de tous les enfants de moins d’un an en France, ce qui correspond à 0,24% à 0,63% de tous les enfants hospitalisés de moins d’un an. Notre estimation « basse » de la prévalence était 2,5 fois inférieure à notre estimation « haute ». La mortalité hospitalière à un an était de 3,13% pour la première estimation et de 2,56% pour la deuxième estimation. Grâce au chaînage des différents séjours hospitaliers pour un même enfant, nous avons pu identifier toutes les hospitalisations d’un même enfant sur l’ensemble du territoire français. Nous avons observé que la plupart des décès hospitaliers étaient survenus pendant le premier séjour à l’hôpital (94% pour la première estimation et 93% pour la seconde).
La prévalence nationale estimée dans notre étude (entre 0,04% et 0,11%) est considérablement inférieure à celle rapportée dans la littérature 16,17. Nous n’avons trouvé dans cette dernière aucun résultat sur les mêmes groupes d’âge et sources de données. Cependant, une étude précédente avait estimé qu’environ 10% des enfants des pays à revenu élevé étaient négligés ou maltraités 6,18. Cette étude considérait la maltraitance dans sa globalité et non uniquement les maltraitances physiques. Notre étude s’appuie sur une définition plus restrictive des cas de maltraitance, dans la mesure où nous nous sommes concentrés uniquement sur les mauvais traitements physiques menant à une hospitalisation, chez les enfants de moins d’un an. Les maltraitances physiques sont sûrement celles pouvant être le mieux repérées puisqu’elles entraînent des lésions traumatiques susceptibles d’être directement visibles par l’entourage. La limite d’âge utilisée dans notre étude était essentielle pour cibler les lésions traumatiques les plus suspectes et/ou spécifiques de mauvais traitements physiques 19. Nous aurions pu sélectionner plus largement les types de lésions traumatiques, mais cela aurait entrainé un risque de sélectionner des faux positifs (entre autres les traumatismes non intentionnels/accidentels). Par ailleurs, notre étude était limitée aux enfants hospitalisés ; or, certains enfants maltraités physiquement ne sont jamais hospitalisés et une proportion non négligeable de ces enfants décèdent à la maison.
Nos résultats peuvent suggérer que plus d’un enfant sur deux pourrait ne pas être identifié comme étant maltraité. Cela est conforme à une étude précédente, basée sur le registre national des traumatismes de l’Angleterre et du Pays de Galles, qui a révélé deux fois plus de cas de maltraitance présumée d’enfants que de cas réellement repérés 20.
Dans notre étude, le pourcentage de décès lors de la première hospitalisation était 15 fois plus élevé chez les enfants physiquement maltraités, par rapport aux autres enfants du même âge, et même 40 fois plus élevé par rapport à ceux présentant une ou plusieurs lésions traumatiques non intentionnelles, ce qui peut refléter la particulière gravité des lésions traumatiques intentionnelles. Ces résultats sont cohérents avec ceux d’études précédentes comparant des enfants victimes de traumatismes accidentels et intentionnels. Ces études montraient que les enfants maltraités présentaient des taux de létalité plus élevés que les autres 21. Dans une étude anglaise, le taux de mortalité était trois fois plus élevé 20 et dans une étude américaine, il était six fois plus élevé que chez les enfants victimes d’un traumatisme accidentel 22.
Notre étude a révélé que les durées moyennes d’hospitalisation des groupes 1 et 2 étaient beaucoup plus longues que celle du groupe témoin. Le même résultat avait été rapporté dans une étude précédente, dans laquelle la durée du séjour dans les unités de soins intensifs était trois fois plus longue chez les enfants souffrant d’une lésion cérébrale traumatique non accidentelle 23 que pour les autres enfants. Plusieurs explications peuvent être données à cet égard. Les lésions traumatiques sont plus graves et nécessitent une prise en charge médicale plus longue. Cette durée prolongée peut également correspondre au temps nécessaire pour évaluer les situations de maltraitance (consultation multidisciplinaire, examens complémentaires, etc.) et pour les signaler auprès du procureur ou des services sociaux des conseils départementaux. En effet, en France, les textes de lois ont progressivement défini un cadre répressif aux situations de maltraitance d’enfant et facilitent leurs signalements. En particulier, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance facilite le signalement de ces situations, en distinguant d’une part l’information préoccupante, à adresser au président du conseil général dans les situations de suspicion de mise en danger du mineur, situations nécessitant une évaluation sociale, et, d’autre part, le signalement adressé au procureur de la République, dans les situations de danger immédiat pour le mineur.
Enfin, dans notre étude, près de 10% de ces enfants ont été réhospitalisés pour maltraitance physique dans l’année suivant leur première admission pour maltraitance. Ce sujet a été très peu étudié dans la littérature pour ce qui concerne les enfants maltraités. Nous avons trouvé une étude récente 24 sur la réhospitalisation des enfants et des adolescents, en particulier dans le domaine de la maltraitance, où la réhospitalisation est définie à partir d’un suivi à un an, qui nous a donc paru être une durée de suivi potentiellement intéressante. Les auteurs ont trouvé un taux de 20% de réhospitalisation dans l’année qui est plus élevé que notre pourcentage. Toutefois, leur étude inclut l’ensemble des patients, enfants et adolescents, admis dans un service de psychiatrie quel que soit le motif, ce qui ne correspond pas à la population de notre étude. Dans notre étude, nous avons noté que le taux de réadmission, quelle que soit la cause d’hospitalisation, était plus élevé dans le groupe 1 (36,5%) que dans le groupe témoin (28,0%), ce qui pourrait correspondre aux réadmissions pour maltraitances physiques, spécificité de ce groupe.
Notre étude présente certaines limites. On pourrait s’interroger sur la pertinence de l’utilisation des données hospitalières pour identifier les cas d’enfants maltraités physiquement. Les situations de maltraitance ou de traumatismes chez l’enfant sont des affections médicales graves qui devraient normalement figurer sur un résumé de sortie d’hospitalisation, soit au travers de la lésion traumatique, soit au travers de la situation de maltraitance.
Il est vrai que les pratiques de codage peuvent varier selon les institutions. Néanmoins, la qualité du codage est vérifiée par les professionnels de l’information médicale dans chaque hôpital pour corriger les diagnostics, car le budget de chaque hôpital dépend de l’activité médicale décrite dans le PMSI. Les codes relatifs à la maltraitance n’ont pas d’impact positif sur le budget de l’hôpital, ils peuvent donc ne pas être signalés.
De plus, certaines lésions traumatiques peuvent ne pas être repérées par les codes CIM-10 répertoriés. En conséquence, les enfants peuvent avoir été diagnostiqués comme victimes de maltraitance, mais ne pas être codés comme tels au sein du PMSI, d’où une sous-estimation éventuelle et l’importance d’avoir proposé d’encadrer notre estimation par une borne basse et une borne haute.
Nous travaillons actuellement à la mise en place d’une étude de validation nationale avec Santé Publique France via un retour aux dossiers médicaux qui nous permettra de confirmer les cas de maltraitance d’enfants et les cas de maltraitance soupçonnée.
Conclusion
À notre connaissance, il s’agit de la première étude à fournir une estimation de la prévalence, sur une période de huit ans, de la maltraitance physique des enfants nécessitant une hospitalisation en France, ainsi que de la mortalité hospitalière correspondante. Cette étude montre que le taux de mortalité à l’hôpital à un an était 10 fois plus élevé chez les enfants maltraités que dans le groupe témoin.
Une méthode d’identification précoce de ces enfants devrait être mise en place, si possible dès les premiers mois de vie. En pratique, toute lésion traumatique chez un enfant de moins d’un an devrait donner lieu à une suspicion de maltraitance jusqu’à preuve du contraire. Des stratégies de prévention secondaire plus efficaces devraient être mises en place. Enfin, la coordination entre les soins ambulatoires et hospitaliers devrait être fortement encouragée, afin d’assurer le suivi ambulatoire des enfants à risque.
La formation initiale et continue des professionnels dans ce domaine est à renforcer, du fait de la très grande fréquence des diagnostics manqués et des récidives.
Remerciements
Cette étude a bénéficié du financement de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE).
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
p. 219-30.
Citer cet article
(26-27):526-32. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/26-27/2019_26-27_3.html