Le centre Artemis, plateforme d’évaluation et de prévention de la santé environnementale dédiée à la reproduction, Bordeaux. Bilan de la première année d’activité 2016-2017

// The Artemis Center: An environmental health platform dedicated to reproduction, Bordeaux (France). Report of the first year of activity 2016-2017

Fleur Delva1 (fleur.delva@chu-bordeaux.fr), Sandrine Coquet2, Guyguy Manangama1, Raphaëlle Teysseire1, Patrick Brochard1, Loïc Sentilhes1
1 Centre hospitalier universitaire, Bordeaux, France
2 Santé publique France, Cellule d’intervention en région Nouvelle Aquitaine, Bordeaux, France
Soumis le 16.10.2017 // Date of submission: 10.16.2017
Mots-clés : Reproduction | Environnement | Prévention
Keywords: Reproduction | Environment | Prevention

Résumé

Contexte –

Des sociétés savantes de gynécologie et d’obstétrique appellent à identifier et réduire les expositions environnementales en intégrant la santé environnementale dans les soins et en plaidant pour des politiques de prévention des expositions environnementales. En 2016, le Centre Artemis (Aquitaine ReproducTion Enfance Maternité et Impact en Santé environnement), plateforme de prévention de la santé environnementale dans le domaine de la reproduction, s’est mis en place au CHU de Bordeaux, en partenariat avec l’Agence régionale de santé Nouvelle Aquitaine, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et Santé publique France.

Objectifs du Centre Artemis –

Évaluer les expositions environnementales et professionnelles chez des personnes présentant des troubles de la reproduction et leur proposer des mesures de prévention permettant de réduire l’exposition à ces facteurs de risque.

Mode de fonctionnement –

Les patients sont pris en charge sur des critères cliniques (troubles de la fertilité, pathologies de la grossesse, malformations congénitales) par une équipe pluridisciplinaire (médecin, infirmière, ingénieur en santé environnementale). La prise en charge comprend une consultation médicale ainsi qu’un entretien infirmier protocolisé. Une analyse par un ingénieur des expositions environnementales et professionnelles est réalisée, permettant de proposer des mesures de prévention ciblées

Résultats –

Au 1er septembre 2017, après une année de fonctionnement, 214 couples avaient bénéficié d’une prise en charge au Centre Artemis. Concernant les expositions professionnelles, 150 patients (70,1%) occupaient un emploi au jour de la consultation, dont 61,3% (n=92) pour lesquels une exposition professionnelle à au moins un facteur de risque sur la reproduction était suspectée. En milieu extraprofessionnel, il est fréquent de n’identifier qu’une circonstance d’exposition, documentée dans la littérature scientifique comme potentiellement exposante à un ou plusieurs composés reprotoxiques. Les actions de prévention proposées sont expliquées et ciblées selon les activités décrites par les patients.

Conclusion –

La mise en place du Centre Artemis est une action innovante pour laquelle une démarche d’évaluation est engagée en 2018. D’autres centres du même type se mettent en place en France actuellement, avec une réflexion commune partagée.

Abstract

Context –

Learned societies of obstetrics and gynecology call for timely action to prevent exposure to toxic environmental chemicals and make environmental health part of health care. The Artemis Center is an innovative platform developed at Bordeaux University Hospital, in partnership with the Nouvelle Aquitaine Regional Health Agency (ARS), the French Agency for Food, Environmental and Occupational Health & Safety (ANSES), and the French National Public Health Agency (Santé publique France).

The Center’s objectives –

To assess environmental and occupational exposures and to offer prevention measures to patients with disorders of reproduction.

The Center’s operating mode –

Patients with infertility, pregnancy pathology and congenital malformation are taken care of by a multidisciplinary team (physician, environmental health engineer and nurses). Health care consists of one medical consultation and formalized nurse interview that allow an analysis of environmental and professional exposures by an engineer to propose targeted prevention measures.

Results –

As of September 2017, a year after its launch, 214 couples have been included in the program in the Artemis Center. Concerning occupational exposures, 150 patients (70.1%) were employed on the day of the consultation, including 61.3% (n=92) with suspected occupational exposure to a reproduction risk factor. In nonprofessional settings, it is common to identify only one circumstance of exposure, documented in the scientific literature as potentially exposing one or more reprotoxic compounds. The preventive actions proposed are explained and targeted according to the activities described by the patients.

Conclusion –

The establishment of the Artemis Center is an innovative action for which an evaluation process is launched in 2018. Other centers are being set up in France with a shared common reflection.

Introduction

L’exposition environnementale professionnelle ou extraprofessionnelle à des substances chimiques est reconnue comme pouvant interférer avec la reproduction (troubles de la fertilité, pathologies de la grossesse, anomalies du développement). Ces dernières années, de nombreux travaux de recherche ont été publiés dans ce domaine. Ces travaux ont été synthétisés par des autorités publiques ou des organismes de recherche reconnus pour la qualité de leurs travaux. Deux expertises collectives de l’Inserm ont été publiées : en 2011 sur le thème de la reproduction et de l’environnement 1 et en 2013 sur les pesticides et leurs effets sur la santé 2. En 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un rapport sur les effets pour l’homme de l’exposition aux perturbateurs endocriniens chimiques 3. En 2015, la Fédération internationale de gynécologie et obstétrique a recommandé la mise en place de politiques pour la prévention des expositions environnementales à des produits chimiques 4. L’exposition à ces substances peut entraîner à court terme des troubles de la reproduction ou des pathologies de la grossesse 1,5,6,7, mais aussi d’autres effets de santé à plus long terme comme sur le développement psychomoteur ou la survenue de cancers 8.

Dans la littérature scientifique, une visite préconceptionnelle est recommandée pour rechercher les expositions environnementales au tabac et à l’alcool, ainsi que pour évaluer des expositions environnementales pouvant survenir en milieu professionnel et extraprofessionnel 9. L’analyse des expositions environnementales (survenant dans la vie privée et en milieu professionnel) associées à un risque chimique ou physique est une tâche complexe et longue nécessitant une approche pluridisciplinaire. En pratique clinique, les cliniciens n’ont pas la possibilité de rechercher ces expositions. Ainsi, dans une étude réalisée aux États-Unis, moins de 20% des obstétriciens et internes en obstétrique interrogés rapportaient poser en routine des questions aux femmes enceintes sur leurs expositions environnementales 10. Jusqu’à maintenant, en France, les cliniciens pouvaient faire appel aux centres antipoison. En 2016, le Centre Artemis (Aquitaine ReproducTion Enfance Maternité et Impact en Santé environnement) a été mis en place au CHU de Bordeaux. L’objectif de cet article est d’en présenter les partenariats et le contexte institutionnel, ses objectifs, son mode de fonctionnement ainsi que les premiers résultats après un an de fonctionnement.

Contexte institutionnel et partenariats du Centre Artemis

Le développement du Centre Artemis s’inscrit dans une dynamique nationale et locale, notamment dans les axes et objectifs du Plan national santé environnement 2015-2019 relatifs aux perturbateurs endocriniens, aux risques reprotoxiques, aux femmes enceintes, aux initiatives locales de santé environnement et aux actions d’information, communication et formation. Le projet s’inscrit également dans le Plan régional santé environnement Nouvelle Aquitaine, signé le 11 juillet 2017.

En outre, l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle Aquitaine porte une stratégie régionale de prévention et promotion de la santé environnementale centrée sur la petite enfance, incluant les femmes enceintes. Cette stratégie, qui témoigne d’une priorité de travail pour l’ARS, vise à réduire la présence de substances toxiques dans l’environnement intérieur (cosmétiques, produits d’entretien et de bricolage, contenants alimentaires, ameublement), développer, chez les parents comme chez les professionnels de la petite enfance, des aptitudes et attitudes bénéfiques pour la santé des jeunes enfants et favoriser la prise de conscience de cet enjeu dans les politiques publiques.

Objectifs du Centre Artemis

Les objectifs du Centre Artemis sont :

d’évaluer les expositions environnementales et professionnelles chez des patients présentant des troubles de la fertilité, des pathologies de la grossesse ou des parents d’enfants nés avec des malformations congénitales ;

de proposer des mesures de prévention permettant de réduire l’exposition à ces facteurs de risque ;

de sensibiliser les professionnels de santé à la santé environnementale.

Mode de fonctionnement

Critères de prise en charge des patients au Centre Artemis

Les critères de prises en charge ont été établis après une revue de la littérature scientifique et concertation avec les cliniciens du CHU de Bordeaux. Sont adressés au Centre Artemis, les patients présentant les pathologies suivantes sans étiologie retrouvée :

troubles de la fertilité :

oligo-asthéno-tératozoospermie ;

insuffisance ovarienne débutante non liée à l’âge : aménorrhée primaire ou secondaire de plus de 4 mois associée à une augmentation de la concentration sérique de FSH (>40 IU/mL) chez une femme de moins de 40 ans ;

endométriose sévère (stade III et IV).

pathologies de la grossesse :

fausses couches spontanées multiples (>3) ;

mort in utero ou interruption médicale de grossesse ;

prématurité sévère inférieure à 32 semaines d’aménorrhée (SA) ; rupture prématurée des membranes au 2e trimestre de grossesse ;

retard de croissance intra-utérin, né avant 34 SA pour un retard de croissance intra-utérin (RCIU) <3e percentile.

malformations congénitales chez le fœtus ou l’enfant.

Les effets de santé sélectionnés ne sont pas spécifiques d’une exposition aux perturbateurs endocriniens mais à tous les facteurs de risque sur la reproduction (physiques, chimiques, organisationnels…). Ils ont été définis soit parce qu’une association avec des facteurs de risque environnementaux et la pathologie est retrouvée dans la littérature scientifique (exemple : oligo-asthéno-tératozoospermie), soit parce que les cliniciens se retrouvent souvent sans aucune étiologie dans ces pathologies (exemple : malformation congénitale rénale).

Dans la phase actuelle, les médecins du CHU de Bordeaux et de la Maison de santé protestante de Bordeaux Bagatelle adressent leurs patients au Centre Artemis dans le cadre de leur prise en charge clinique. Pour les patients vus en consultation, le clinicien élabore une fiche qu’il adresse au Centre Artemis, qui contacte le patient. Pour les patients hospitalisés, un circuit a été mis en place avec les cliniciens permettant aux infirmières du Centre Artemis de proposer la prise en charge au lit du malade. À terme, cette prise en charge devrait pouvoir être proposée à tous les patients de la région.

Prise en charge environnementale

La prise en charge au Centre Artemis se fait sur prescription médicale du clinicien gynécologue-obstétricien ou pédiatre pour des patients correspondants aux critères de prise en charge.

Consultation initiale avec un médecin

Les patients sont accueillis par le médecin du Centre Artemis qui leur explique la prise en charge environnementale multidisciplinaire (médecine du travail, médecin de santé publique, toxicologue, gynécologue-obstétricien, pédiatre). L’objectif de cette prise en charge est d’initier, en cas d’exposition environnementale, des actions de prévention. L’enquête environnementale se fait de manière poussée sur la période actuelle ainsi que sur la période périconceptionnelle et conceptionnelle pour identifier des expositions qui devraient être supprimées. Toutefois, l’enquête cherche aussi à identifier des expositions environnementales plus anciennes ayant pu favoriser la survenue de la pathologie.

Entretien infirmier protocolisé

Les patients ont ensuite un entretien avec une infirmière formée en santé environnementale. Cet entretien, en plus de l’interrogatoire sur les caractéristiques cliniques des patients, est un recueil d’informations destinées à identifier à partir des situations d’expositions des patients en milieu professionnel et extra-​professionnel, les expositions à l’ensemble des facteurs de risque environnementaux sur la reproduction identifiés après revue de bases dédiées réglementaires et non réglementaires et de la littérature scientifique. La période d’investigation débute l’année précédant la grossesse ou l’année précédant le début de l’essai de conception en cas d’infertilité. L’entretien infirmier protocolisé entre dans le profil de compétence de l’infirmière, dans l’esprit de la loi de Santé et dans le cadre réglementaire du Code du travail. Il est composé d’un questionnaire standardisé comprenant les différentes parties suivantes :

1) identification des facteurs de risque extra‑professionnels :

dans la résidence,

autour de la résidence,

activités non professionnelles en dehors de la résidence ;

2) identification des facteurs de risque professionnels :

activités spécifiques actuelles,

activités antérieures.

Lors de l’entretien, des messages de prévention adaptés sont délivrés par l’infirmière.

Compte rendu initial

Un ingénieur en santé-environnement analyse l’entretien infirmier protocolisé afin d’identifier de possibles expositions à des facteurs de risque professionnels et extraprofessionnels avérés sur la reproduction. Une géolocalisation systématique de l’adresse des patients est réalisée afin d’identifier de possibles expositions environnementales (recherche de toutes les activités industrielles et zones agricoles). Chaque dossier est discuté lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire avec les médecins, les infirmiers et l’ingénieur en santé-environnement. Un compte rendu initial est rédigé avec la mise en place d’un protocole de suivi et des premières préconisations prescrites. Ce compte rendu est envoyé au médecin ayant adressé le patient, médecin traitant ainsi que tout autre médecin désigné par le patient (par exemple : médecin du travail). Selon les résultats du bilan clinique et du bilan d’exposition environnementale, des examens de biométrologie (plombémie) et/ou investigations complémentaires peuvent compléter le bilan.

Investigations complémentaires

En milieu professionnel, le médecin du travail du patient est sollicité pour l’évaluation des expositions en milieu professionnel. En milieu extraprofessionnel, une investigation est réalisée en cas de mésusage manifeste de produits chimiques (fréquence d’utilisation quotidienne ou quasi-quotidienne, recours à des produits professionnels ou achetés à l’étranger ou sur Internet, usage à d’autres fins que celles recommandées...). Les références exactes des produits utilisés sont demandées, ce qui permet d’obtenir la fiche de données de sécurité (FDS) auprès du fournisseur ou de contacter le centre antipoison si cela s’avère nécessaire.

Compte rendu de suivi

Un compte rendu de suivi est rédigé et envoyé au patient ainsi qu’à ses médecins avec l’ensemble de la synthèse de son bilan environnemental.

Le compte rendu résume dans sa dernière partie les actions prioritaires et complémentaires à mettre en œuvre suite à la prise en charge au Centre Artemis. Les actions prioritaires sont celles qui concernent la prévention, suite à l’identification dans l’environnement des patients de facteurs de risque avérés sur la reproduction à des niveaux d’exposition suffisants. Les actions complémentaires sont des actions de prévention adaptées aux comportements des patients, avec la distribution de supports. Ces actions de prévention peuvent bénéficier aux parents, à l’enfant à naître ou né, qui est souvent vulnérable, ainsi qu’à ses frères et sœurs.

Éthique

La prise en charge clinique des patients se fait sur prescription médicale avec leur consentement. À ce jour, il n’y a pas de projet de recherche associé nécessitant un consentement signé de leur part.

Concernant les problématiques d’anxiété soulevées par certains médecins lors de la mise en place du Centre Artemis, une évaluation va être réalisée sur l’année 2018 avec une psychologue.

Bilan de l’activité à un an de fonctionnement (01/09/2016 – 01/09/2017)

Au 1er septembre 2017, 214 couples ont été pris en charge au Centre Artemis. Ils ont été reçus en consultation pour les motifs généraux suivant : pathologie de la grossesse (72 patientes), malformations congénitales (72 patientes), infertilité primaire ou secondaire (34 patients). La moyenne d’âge était de 33,1 ans pour les patients (minimum : 18 ans, maximum : 47 ans) et de 33,9 ans pour leurs conjoints (minimum : 18 ans, maximum : 53 ans).

Les données sur les expositions présentées ici concernent uniquement les expositions actuelles des patients sur lesquelles la mise en place d’actions de prévention s’appuie.

Au jour de la prise en charge, 25,5% des sujets (patients et conjoints) étaient fumeurs et 32,8% ex-fumeurs. La consommation moyenne des sujets fumeurs au jour de la consultation était de 11,9 cigarettes par jour (comprise entre 1 et 40 cigarettes par jour). La consommation totale moyenne de tabac chez les fumeurs et ex-fumeurs était de 8,5 paquets-​années (1 à 84 paquets-années) ; l’âge moyen de début du tabagisme était de 16,2 ans. Une orientation vers des médecins tabacologues spécialistes a été proposée à l’ensemble des fumeurs ; des documents d’aide au sevrage ont été distribués.

Concernant l’alcool, 17,4% des sujets déclaraient ne jamais consommer d’alcool, les autres sujets occasionnellement ou fréquemment. Les données étaient manquantes pour 50 sujets (souvent pour cause d’absence du conjoint lors de l’entretien). Une sensibilisation sur la consommation d’alcool a été effectuée à destination des personnes ayant consommé de l’alcool pendant la période de conception et/ou la grossesse.

Concernant les expositions professionnelles, 150 patients (70,1%) occupaient un emploi au jour de la consultation, dont 61,3% (n=92) pour lesquels une exposition professionnelle à au moins un facteur de risque sur la reproduction était suspectée. Le principal facteur de risque détecté en milieu professionnel était les contraintes physiques ou organisationnelles (n=60).

Concernant le risque chimique, les expositions les plus fréquemment retrouvées étaient les produits phytosanitaires (n=15), les solvants organiques (n=7) et les médicaments (n=6). Les tableau 1, 2 et 3 présentent les expositions professionnelles et extraprofessionnelles des patients selon leur pathologie. Les actions mises en place par le Centre Artemis, lorsque des expositions professionnelles à des agents reprotoxiques étaient suspectées chez le patient, pouvaient être une information du médecin du travail par le Centre Artemis pouvant entrainer un aménagement de poste, un message sur la nécessité de prendre contact avec le médecin du travail pour le prochain projet de grossesse, des conseils de prévention en milieu de travail (notamment à destination des travailleurs dépourvus de service de santé au travail).

Tableau 1 : Expositions professionnelles et circonstances d’exposition extraprofessionnelle des patients ayant consulté au Centre Artemis entre le 1er septembre 2016 et le 1er septembre 2017 pour troubles de la fertilité (N=34)
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Tableau 2 : Expositions professionnelles et circonstances d’exposition extraprofessionnelle des patientes ayant consulté au Centre Artemis entre le 1er septembre 2016 et le 1er septembre 2017 pour pathologies de grossesse (N=108)
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Tableau 3 : Expositions professionnelles et circonstances d’exposition extraprofessionnelle des patientes ayant consulté au Centre Artemis entre le 1er septembre 2016 et le 1er septembre 2017 pour la survenue de malformations congénitales chez leur enfant (N=64)
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Contrairement aux expositions professionnelles, il est difficile d’identifier des expositions extraprofessionnelles à des substances chimiques. En effet cela nécessite des investigations complémentaires longues et complexes (demande des références exactes des produits utilisés aux patient, demande des fiches de données de sécurité aux fournisseurs, analyse de composition...) qui n’aboutissent bien souvent qu’à une connaissance approximative de la composition du produit. En milieu extraprofessionnel, il est donc fréquent de n’identifier qu’une circonstance d’exposition, documentée dans la littérature scientifique comme potentiellement exposante à un ou plusieurs composés reprotoxiques. Les circonstances d’exposition les plus fréquemment identifiées étaient : les activités de ménage (n=129), l’utilisation de parfums d’ambiance, d’encens ou de bougies parfumées (n=122), l’utilisation de pesticides (n=61) et les circonstances d’expositions liées à l’environnement extérieur du domicile (n=17).

Des actions de prévention ont été mises en œuvre en milieu extraprofessionnel lorsque la présence d’un facteur de risque avéré sur la reproduction dans l’environnement du patient a été suspectée à la suite de l’entretien. Les principales situations d’exposition ayant déclenché ces actions préventives étaient : la présence attestée de plomb au domicile (n=6) ; des séjours dans des pays où la présence du virus Zika est démontrée (n=4) ; des mauvais usages de produits chimiques au domicile, conduisant à des expositions chez des patientes présentant des pathologies respiratoires (n=6) ; des situations d’exposition potentielle au monoxyde de carbone (n=2) ; la consommation d’eaux de pluie et de puits non traitées (n=2). Par ailleurs, des conseils de prévention ont été délivrés suite à l’identification de circonstances potentiellement exposantes à des agents reprotoxiques. L’objectif était de fournir aux patients les connaissances leur permettant de modifier leur comportement et d’adopter des habitudes de vie plus saines, permettant de diminuer leurs expositions domestiques aux substances chimiques en général et, par là-même, de réduire leurs expositions à des agents reprotoxiques. Les principales thématiques abordées étaient l’aération, la limitation de l’usage des parfums d’ambiance et des produits volatils, le respect des bonnes conditions d’utilisation des produits utilisés. Des documents d’information reprenant les principaux messages de prévention, édités par les institutions en santé environnement ont été distribués à l’ensemble des patients.

Discussion

Les données présentées sont liées aux patients adressés dans le cadre d’une prise en charge clinique, il est donc possible que les cliniciens adressent à ce jour plus spécifiquement les patients chez lesquels ils suspectent des expositions environnementales (par exemple les patients ayant une activité professionnelle à fort risque d’exposition aux pesticides comme les agriculteurs). L’évaluation mise en place sur l’année 2018 devra permettre de connaitre la proportion des patients adressés au Centre Artemis parmi ceux répondant aux critères de prise en charge. Pour les patients hospitalisés, le circuit de prise en charge fait qu’une sélection a priori des patients sur l’exposition est par contre peu probable.

À ce jour, les patients adressés au Centre Artemis ont déjà présenté une pathologie pour laquelle des facteurs de risque environnementaux ont pu contribuer à son apparition. Dans un processus de reproduction, une évaluation des expositions environnementales et la mise en place d’actions de prévention est préconisée dans la littérature scientifique chez toutes les femmes avant le début d’une grossesse 9. Toutefois cette évaluation est une tâche complexe et longue, qui nécessite des moyens financiers importants. Il existe d’autres leviers permettant de limiter l’exposition à des facteurs de risque environnementaux : 1) la réglementation, qui permet de ne pas creuser les inégalités sociales de santé en ne stigmatisant pas les personnes qui ne sont pas dans un processus de changement de comportement ; 2) la mise en place de conseils de comportement délivrés directement auprès de la population générale (exemple : conseils à destination des jeunes adultes en âge de procréer sur l’abandon de pratiques défavorables comme l’usage de pesticides en intérieur, les bougies d’ambiance, les désodorisants d’intérieur) ; 3) une démarche spécifique de prévention des risques au travail, notamment par le changement ou l’adaptation des postes des femmes voulant concevoir. Au Centre Artemis, la préconisation des changements de comportement est expliquée et ciblée, selon les activités décrites par les patients, au cours d’en entretien face à face, ce qui peut faciliter l’adhésion. En outre, un des objectifs du Centre Artemis concerne la sensibilisation des médecins à la santé environnementale : cette sensibilisation se fait par l’envoi du compte rendu de la prise en charge environnementale à tous les médecins correspondants des patients accueillis au Centre Artemis. Ce compte rendu résume l’entretien avec le patient et les conseils de prévention préconisés. L’acculturation à la santé environnementale et la connaissance de mesures de prévention est alors susceptible de bénéficier à l’ensemble de leur patientèle ; cette évolution des pratiques sera questionnée dans l’évaluation.

Perspectives

La mise en place du Centre Artemis s’est inscrite dans un calendrier initial de trois années (2016-2018) : la première a été consacrée à l’étude du contexte scientifique et la définition des méthodes et des outils utilisés, la deuxième marquée par le début de la prise en charge des patients et la troisième sera une phase d’évaluation. En effet, cette action n’est pas une action probante pour laquelle un bénéfice a déjà été démontré. Il s’agit d’une action innovante, pour laquelle une démarche d’évaluation est engagée en 2018. Toutefois, ce centre répond déjà à plusieurs objectifs de la Stratégie nationale de santé 2018-2022, notamment celui de « sensibiliser les usagers sur les comportements à adopter pour réduire leurs émissions et leur exposition aux risques environnementaux, notamment dans les territoires les plus exposés » 11. Deux axes évaluatifs ont été identifiés : 1) évaluation du fonctionnement et de l’utilisation du Centre Artemis et 2) évaluation de l’impact des consultations au Centre Artemis.

En 2018, le Centre Artemis, appuyé par Santé publique France (Cire Nouvelle Aquitaine), va définir (i) les situations (cas groupés notamment) devant faire l’objet d’investigations spécifiques et (ii) une stratégie et des outils de prévention adaptés au public et au mode de fonctionnement du centre Artemis. Par ailleurs, il s’agira de réaliser une évaluation auprès des utilisateurs des outils (professionnels) ainsi qu’auprès des récepteurs des messages, et d’évaluer l’opportunité et la faisabilité de déploiement de ce type d’outils dans les centres similaires en développement dans les autres régions. En effet, le Centre Artemis a été mis en place en septembre 2016 sur le CHU de Bordeaux dans un premier temps. D’autres centres sont en train de s’établir en France (au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, à l’hôpital Fernand Widal de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, au CHU de Rennes, à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille) avec une réflexion commune partagée. À terme, une base de données commune devrait être créée, permettant une vigilance sur les expositions environnementales et les troubles de la reproduction.

D’autre part, ces différents centres cliniques pourront être un appui pour la mise en place de programmes de recherche permettant d’identifier de nouveaux facteurs de risque environnementaux.

Remerciements

À l’ARS Nouvelle Aquitaine et à l’Anses pour leur soutien financier. À Claudine Mathieu, Pierre Chabanier, Olivier Tandonnet, Jérôme Harambat, Julie Thomas, Magali Labadie, Yves Goujon, Sylvie Mauvoisin, Marjorie Espiga.

Références

1 Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Reproduction et environnement. Synthèse d’expertise collective. Paris: Inserm, 2011. 713 p. [Internet] http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/221
2 Inserm. Pesticides. Effets sur la santé. Synthèse d’expertise collective. Paris: Inserm, 2013. 1001 p. [Internet] http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/4819
3 WHO/UNEP. State of the science of endocrine disrupting chemicals – 2012. An assessment of the state of the science of endocrine disruptors prepared by a group of experts for the United Nations Environment Programme (UNEP) and WHO. 2012. 296 p. [Internet] http://www.who.int/ceh/publications/endocrine/en/
4 Di Renzo GC, Conry JA, Blake J, DeFrancesco MS, DeNicola N, Martin JN Jr., et al. International Federation of Gynecology and Obstetrics opinion on reproductive health impacts of exposure to toxic environmental chemicals. Int J Gynaecol Obstet. 2015;131(3):219-25.
5 Mitro SD, Johnson T, Zota AR. Cumulative chemical exposures during pregnancy and early development. Curr Environ Health Rep. 2015;2(4):367-78.
6 Nieuwenhuijsen MJ, Dadvand P, Grellier J, Martinez D, Vrijheid M. Environmental risk factors of pregnancy outcomes: A summary of recent meta-analyses of epidemiological studies. Environ Health. 2013;12:6.
7 Slama R, Cordier S. Impact des facteurs environnementaux physiques et chimiques sur le déroulement et les issues de grossesse.J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2013;42(5):413-44.
8 Hanson MA, Gluckman PD. Early developmental conditioning of later health and disease: Physiology or pathophysiology? Physiol Rev. 2014;94(4):1027-76.
9 McDiarmid MA, Gehle K. Preconception brief: Occupational/environmental exposures. Matern Child Health J. 2006;10(5 Suppl):S123-8.
10 Stotland NE, Sutton P, Trowbridge J, Atchley DS, Conry J, Trasande L, et al. Counseling patients on preventing prenatal environmental exposures: A mixed-methods study of obstetricians. PloS One. 2014;9(6):e98771.
11 Ministère des Solidarités et de la Santé. Stratégie nationale de santé 2018-2022. 104 p. [Internet] http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_sns_2017_vdef.pdf.

Citer cet article

Delva F, Coquet S, Manangama G, Teysseire R, Brochard P, Sentilhes L. Le centre Artemis, plateforme d’évaluation et de prévention de la santé environnementale dédiée à la reproduction, Bordeaux. Bilan de la première année d’activité 2016-2017. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(22-23):486-92. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/22-23/2018_22-23_5.html