Impact sanitaire des perturbateurs endocriniens : intégrer les connaissances en vue d’agir pour réduire l’exposition humaine

// Health impact of endocrine disruptors: Integration of knowledge to act to reduce human exposure

Sébastien Denys
Directeur Santé environnement, Santé publique France

Estimer et prévenir les impacts sur la santé des substances chimiques présentes dans l’environnement est un des enjeux majeurs actuels en matière de santé publique. Enjeu pour ne pas dire défi, tant la tâche semble colossale au vu i) du nombre de substances identifiées, ii) des difficultés à déterminer, sur un plan toxicologique, les effets combinés des substances et mélanges de substances auxquels l’Homme est exposé et iii) de la difficulté à leur attribuer les pathologies qui leur sont associées.

Parmi ces substances, une attention particulière s’est portée ces dernières années sur la famille des perturbateurs endocriniens (PE), dont le mécanisme toxique perturbe les mécanismes hormonaux de l’organisme qui y est exposé et/ou de sa descendance. L’apparition de cette problématique s’est faite en parallèle d’une remise en question des principes fondamentaux de la toxicologie, établis depuis l’origine de cette discipline et portant, notamment, sur la question des faibles doses ou le principe de la linéarité dose-effet. Ces questionnements scientifiques, associés à une augmentation du nombre de molécules qualifiées de PE et à leur présence ubiquitaire dans l’environnement, ont conduit à l’émergence de nombre d’interrogations, voire de controverses, sur l’impact des PE sur la santé humaine. Répondre à ces controverses impose nécessairement d’avoir une vision la plus transversale possible afin d’agréger les données issues de disciplines très diverses telles que la toxicologie, l’épidémiologie et les sciences économiques (pour ne reprendre que celles représentées dans ce numéro). Cela permet en effet de constituer les faisceaux de preuve qui permettent d’agir pour limiter l’exposition des populations à ces molécules, en dépit des nombreuses incertitudes qui entourent la question de l’impact sanitaire des PE.

Ce BEH illustre parfaitement ce propos, au travers des différents travaux issus d’initiatives lancées ces dernières années et qui ont été supportés par divers plans gouvernementaux ou régionaux (Plan national ou régional santé environnement, Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, pour ne citer qu’eux).

Partant des propriétés de perturbation endocrinienne du chlordécone, L. Multigner et coll. soulignent la difficulté de faire le lien entre ces propriétés et les manifestations sanitaires possibles de l’exposition à cette molécule, à l’échelle de la population des Antilles. La connaissance des propriétés toxiques ne permet pas en effet d’affirmer le caractère causal des associations décrites, les pathologies concernées étant pour la plupart multifactorielles. Or, et au-delà de la connaissance du caractère perturbateur endocrinien d’une substance chimique, décrire les événements de santé indésirables possiblement en lien avec une exposition aux PE est une étape déterminante pour en démontrer l’impact sanitaire. Dans cet objectif, Santé publique France s’est attachée à développer une approche visant à identifier ces événements de santé indésirables en lien avec les PE, en se focalisant dans un premier temps sur les troubles de la santé reproductive. Deux illustrations de ces travaux sont proposées ici, sur le syndrome de dysgénésie testiculaire (J. Le Moal et coll.) et sur la puberté précoce (A. Rigou, J. Le Moal et coll.). Pour le premier indicateur, les résultats tendent à montrer une altération temporelle de la fertilité masculine ; pour la puberté précoce, les travaux poursuivis ont permis de produire en 2016, pour la première fois, des données d’incidence nationale de cette pathologie. Ces travaux, même s’ils doivent être poursuivis pour mieux quantifier le lien entre les indicateurs produits et l’exposition aux PE, permettent de fournir autant d’éléments probants qui s’ajoutent aux résultats issus de démarches plutôt ciblées sur les substances (telles que le programme national de biosurveillance piloté par Santé publique France ou les études d’alimentation totale pilotées par l’Anses).

L’intérêt de combiner l’ensemble des données disponibles et issues des différents travaux mentionnés ci-avant est particulièrement mis en exergue par l’article de C. Rousselle et coll. Les auteurs proposent en effet une démarche de monétarisation de l’impact sanitaire de l’exposition à deux phtalates, le DEHP et le DINP, en s’appuyant sur les données issues de la toxicologie et sur des données de surveillance produites par Santé publique France. En dépit des incertitudes scientifiques rappelées dans l’article et des limites des approches présentées, ce travail montre néanmoins qu’il est possible, sur la base des connaissances disponibles, de produire des éléments d’estimation du poids économique des conséquences sanitaires des PE. De tels éléments peuvent contribuer à éclairer des modalités de gestion réglementaire des molécules, comme discuté par les auteurs, mais aussi, plus largement, fournir des éléments de plaidoyer en santé publique pour limiter l’exposition des populations aux PE.

Enfin, l’initiative du centre Artemis, portée par le Plan régional santé environnement de la région Nouvelle Aquitaine (F. Delva et coll.) est un exemple de démarche innovante qui montre qu’il est également possible d’agir à un niveau individuel, en s’appuyant là encore sur les données disponibles et une approche pluridisciplinaire. Ce centre propose en effet depuis 2016 une prise en charge individuelle de personnes présentant des troubles de la reproduction, afin de rechercher d’éventuels facteurs de risque environnementaux et dans l’objectif de leur proposer des mesures de prévention ciblées pour réduire leur exposition. Médecins, infirmiers ou ingénieurs travaillent ensemble à cette prise en charge dans le cadre d’une approche intégrée où une exposition aux PE est recherchée, parmi d’autres facteurs de risque tels que la consommation de tabac ou d’alcool.

En définitive, les travaux présentés dans ce numéro thématique du BEH permettent d’illustrer :

la difficulté d’établir sur de seuls critères toxicologiques les pathologies provoquées par une exposition à des PE ;

la possibilité, pour certaines pathologies supposées liées à une exposition à des PE, de produire des données d’incidence qui sont autant d’éléments probants permettant de mieux définir l’impact sanitaire de ces molécules ;

l’intérêt de combiner l’ensemble des données disponibles pour construire des éléments utiles à l’action, et ce en dépit des incertitudes nombreuses qui existent sur la question de l’impact des PE.

Les travaux présentés ici montrent toute la richesse d’une approche pluridisciplinaire en vue de répondre au mieux aux préoccupations de santé publique soulevées par les PE. Seule une telle approche permet de coupler les besoins de connaissance et d’action. Ainsi, à la veille de l’élaboration de la seconde Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, il est fondamental que les travaux présentés dans ce BEH soient poursuivis et élargis à d’autres pathologies comme, par exemple, celles du métabolisme ou du neuro-développement, dont un lien est supposé avec l’exposition aux PE. Le développement et la diffusion des résultats de ces travaux, en complément de ceux menés en toxicologie ou métrologie des expositions, apportent des éléments de réponse objectifs non seulement aux pouvoirs publics mais aussi aux préoccupations exprimées par la société civile.

Citer cet article

Denys S. Éditorial. Impact sanitaire des perturbateurs endocriniens : intégrer les connaissances en vue d’agir pour réduire l’exposition humaine. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(22-23):450-1. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/22-23/2018_22-23_0.html