L’apport des connaissances épidémiologiques pour une meilleure prévention et prise en charge des maladies transmises par les tiques

// The contribution of epidemiological knowledge for better prevention and management of tick-borne diseases

François Bourdillon1 & Jean-Claude Desenclos2
1 Directeur général, Santé publique France
2 Directeur scientifique, Santé publique France

La borréliose de Lyme est la principale infection transmise par les tiques en France et en Europe. Bien que son mode de transmission et les principes de sa prévention soient bien établis et sa prise en charge clinique codifiée, elle fait souvent la une de l’actualité avec de nombreux débats et controverses. En particulier, certaines associations de patients et des médecins souhaitent que la « sémiologie persistante polymorphe après morsure de tique (SPPT) » soit reconnue comme une conséquence de l’agent de la maladie de Lyme, et traitée. Ces débats sont largement repris dans les médias 1,2,3,4,5,6.

Dans ce contexte, un « Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques 7 » a été élaboré en 2016, et la Haute Autorité de santé (HAS) travaille actuellement à l’élaboration d’un protocole de diagnostic et de soins. En raison de l’incertitude, souvent mise en avant, sur l’épidémiologie de la maladie en France, Santé publique France est pour sa part mobilisée sur ses missions de surveillance et de prévention. Ce BEH thématique « Borréliose de Lyme et autres maladies transmises par les tiques » rassemble les données scientifiques françaises les plus actualisées en matière de surveillance épidémiologique et vectorielle ; il apporte par ailleurs des données récentes sur les comportements des Français face à l’exposition à risque et aux piqûres de tiques, éléments fondamentaux pour les stratégies de prévention.

Sur les aspects épidémiologiques et vectoriels, quatre articles apportent des données très cohérentes et complètes dont nous retenons les points-clés suivants :

l’utilisation de définitions de cas standardisées et reconnues internationalement, éléments indispensables de la surveillance ;

une incidence stable à l’échelon national depuis 2009 : 55 cas pour 100 000 habitants, avec toutefois une augmentation observée en 2016 dans le réseau de médecins généralistes Sentinelles : 84/100 000 (L. Fournier et coll.). Il sera important de regarder si cette incidence plus élevée en 2016 se confirme dans les années à venir. On notera avec intérêt que, parmi les patients consultant un médecin généraliste, 95% des cas présentaient un érythème migrant, forme la plus bénigne de la maladie. L’augmentation observée en 2016 par le réseau Sentinelles, mais pas dans les données d’hospitalisation du PMSI (A. Septfons et coll.), reflète probablement la médiatisation croissante de la maladie auprès du grand public et des professionnels de santé, permettant une meilleure reconnaissance de ce symptôme assez caractéristique à la fois par les personnes atteintes et les médecins ;

une incidence plus élevée chez les personnes de 60-70 ans, interprétée comme la conséquence d’une pratique plus fréquente de la randonnée pédestre par les jeunes retraités ;

de fortes hétérogénéités géographiques. Certaines zones, comme l’Alsace, le Limousin, la région Rhône-Alpes ont des taux élevés d’incidence. D’autres ont une incidence faible, notamment celles qui bénéficient d’un climat méditerranéen. En effet, les tiques se développent idéalement dans des zones à fort niveau d’humidité, supérieur à 80% ;

une incidence également stable en termes d’hospitalisations (A. Septfons et coll.). En 10 ans (2005-2016), 9 594 cas de borréliose de Lyme ont été hospitalisés, soit un taux d’hospitalisation annuel de 1,3 pour 100 000 habitants. Plus de la moitié des cas hospitalisés (51%) ont présenté des manifestations neurologiques (1), principalement des atteintes du nerf facial et des méningites. Les autres manifestations étaient des arthrites (13%), des complications cardiaques (7%)…

l’Alsace, une des zones géographiques où est observée la plus forte incidence en France, connait de fortes densités en tiques associées à la présence d’agents pathogènes transmissibles à l’homme, et ceci de manière significativement plus élevée par rapport au reste de la France (N. Boulanger et coll.). Une étude spécifique sur la borréliose de Lyme en Alsace (S. Raguet et coll.) montre des caractéristiques similaires à celles des données du réseau Sentinelles en ce qui concerne la période de survenue (période estivale), les pics de fréquence (chez les 5-9 ans et 60-64 ans) et la forte proportion de formes localisées (plus de 80%), ce qui renforce les conclusions obtenues à travers le réseau Sentinelles. Notons que la forêt ne représente que 56% de l’exposition à risque ; les jardins publics ou privés (26%) et la prairie (17%) étant les deux autres lieux de piqûre les plus fréquemment rapportés. Cette information est à mieux prendre en compte pour la prévention.

Ce BEH présente aussi la première réalisation d’un Baromètre santé intégrant des questions sur les connaissances, attitudes, perceptions et comportements en matière de prévention des maladies transmises par les tiques (A. Septfons et coll.). Les résultats montrent qu’une proportion non négligeable de la population a déjà été piquée (25%) et se sent exposée (22%). Les moyens de protection utilisés par les personnes exposées sont préférentiellement le port de vêtements longs (66%) et la recherche de tiques après une exposition (48%) plutôt que les répulsifs (16%). Le recueil régulier de telles données et l’analyse de leur évolution sont des éléments d’évaluation de l’impact des campagnes de prévention qu’il est important de mener, compte tenu de l’importance de l’exposition aux tiques dans notre pays.

Enfin, la place et les limites du diagnostic biologique de la borréliose de Lyme sont également abordées dans ce numéro (B. Jaulhac et coll.). Cette mise au point est particulièrement importante compte tenu des débats actuels sur ce diagnostic, qui repose sur un faisceau d’arguments cliniques, épidémiologiques et biologiques et pas seulement sur la biologie. En matière de diagnostic, dans l’état des connaissances et des faits probants, il est très important :

de comprendre :

qu’une sérologie négative n’exclut pas le diagnostic. C’est souvent le cas au stade cutané précoce de l’infection (érythème migrant), forme clinique la plus fréquente ;

qu’une sérologie positive ne signe pas une infection évolutive : comme pour de nombreuses autres infections, on développe ou garde des anticorps après contact et guérison et il existe des infections sans expression clinique ;

de connaitre :

la cinétique des anticorps pour prescrire au meilleur moment les sérologies. Le recours aux tests sérologiques consiste en l’utilisation, dans un premier temps, d’un test le plus sensible possible (test ELISA) pour ne pas passer à côté d’un cas et, s’il est positif, par la confirmation de l’infection au moyen d’un test spécifique (Western blot). Cette stratégie s’applique au diagnostic d’autres maladies infectieuses et n’est pas spécifique à la borréliose de Lyme ;

les indications des différents tests biologiques validés et leur choix en fonction des manifestations cliniques observées, pour être en capacité de faire un diagnostic permettant de prendre en charge, ou orienter vers un service spécialisé, la personne qui développe une borréliose de Lyme.

En conclusion, ce BEH thématique permet de disposer d’un panorama renouvelé sur l’épidémiologie, la prévention et le diagnostic de la borréliose de Lyme, qui vient compléter la conférence de consensus de 2006 8 organisée par sept sociétés savantes et l’avis du Haut Conseil de la santé publique de 2014 9. Comme indiqué plus haut, un avis de la HAS est attendu prochainement, incluant en particulier le diagnostic et la prise en charge du SPPT, demande récurrente des associations de patients qui en sont atteints. Des travaux documentent en effet les errances diagnostiques des patients, l’altération de leur qualité de vie et l’inadaptation fréquente de la réponse médicale 10. D’autres n’en montrent pas moins les dérives et les dangers de prises en charge médicales alternatives, avec des tests sérologiques répétés et de multiples cures prolongées d’antibiotiques dont la logique de prescription n’est fondée sur aucune donnée probante 11,12,13. S’il est indispensable d’établir un climat de confiance entre les personnes déclarant souffrir du SPPT et les acteurs sanitaires et sociaux, la prise en charge de ce dernier n’en doit pas moins répondre aux bonnes pratiques cliniques qui se construisent sur les faits de la science 13, ce qui constitue tout l’enjeu des futures recommandations de la HAS.

Espérons que les précieuses informations épidémiologiques contenues dans ce BEH aident, d’une part, les cliniciens au diagnostic et, d’autre part, les autorités de santé à mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie de Lyme et ses modalités de transmission afin de mieux prévenir les morsures de tiques. Santé publique France propose de nombreux supports de prévention pour le grand public ou les professionnels de santé, ainsi que 10 chroniques d’information d’1 min. 30 sous forme d’interviews d’experts, afin de mieux connaître cette maladie et les gestes de prévention à adopter pour s’en protéger 14.

Références

1 Emmanuelle Anizon. La maladie de Lyme explose, c’est un scandale sanitaire. Le Nouvel Observateur, 12 juillet 2016. https://www.nouvelobs.com/sante/20160711.OBS4459/la-maladie-de-lyme-explose-c-est-un-scandale-sanitaire.html
2 Pascale Santi. La maladie de Lyme reste bien mystérieuse. Le Monde, 23 mai 2017. http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/05/23/la-maladie-de-lyme-reste-bien-mysterieuse_5132274_1650684.html
3 Association française pour l’information scientifique (AFIS). Dossier Maladie de Lyme : et si le scandale était ailleurs ? Science… & pseudo-sciences. 2017;(321). http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2873
4 L’Académie de médecine dénonce les tromperies à propos de la maladie de Lyme. Communiqué de presse du 26 octobre 2017. http://www.academie-medecine.fr/communique-de-presse-du-26102017-lacademie-de-medecine-denonce-les-tromperies-a-propos-de-la-maladie-de-lyme
5 Maladie de « non Lyme » : les souffrances ignorées de notre société. Journal International de Médecine, 28 mars 2018.
6 Soutien des directeurs des Centres nationaux de référence au CNR des Borrelia. Journal International de Médecine, 21 avril 2018.
7 Direction générale de la santé. Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les infections transmissibles par les tiques. Paris: DGS; 2016. 27 p. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_lyme_180117.pdf
8 Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Borréliose de Lyme : démarches diagnostiques, thérapeutiques et préventives (Texte long). 16e Conférence de consensus en thérapeutique anti-infectieuse. Institut Pasteur, 13 décembre 2006. 60 p. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2006-lyme-long_2_.pdf
9 Haut Conseil de la santé publique. Borréliose de Lyme. État des connaissances (Avis et rapport). Paris: HCSP; 2014. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=465
10 Forestier E, Revil-Signorat A, Gonnet F, Zipper AC. Parcours et vécu des patients se pensant être atteints par la maladie de Lyme chronique. Bulletin de veille sanitaire Santé publique France Auvergne Rhône-Alpes. 2018;(2):24-7.
11 Lesens L, Mabru E, Beytout J, Letertre P, Baud O. Analyse des prescriptions liées à une prise en charge alternative de patients suspects de borréliose de Lyme. Bulletin de veille sanitaire Santé publique France Auvergne Rhône-Alpes. 2018;(2):28-30.
12 Auwaerter PG, Bakken JS, Dattwyler RJ, Dumler JS, Halperin JJ, McSweegan E, et al. Antiscience and ethical concerns associated with advocacy of Lyme disease. Lancet Infect Dis. 2011;11(9):713-9.
13 Nelson C, Elmendorf S, Mead P. Neoplasms misdiagnosed as “chronic lyme disease”. JAMA Intern Med. 2015;175(1):132-3.
14 Maladies transmises par les tiques: outils d’information. [Internet]. Saint-Maurice: Santé publique France. http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/maladies-tiques/tiques-outils-information.asp

Citer cet article

Bourdillon F, Desenclos JC. Éditorial. L’apport des connaissances épidémiologiques pour une meilleure prévention et prise en charge des maladies transmises par les tiques. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(18-19):380-2. http://invs.santepubli​quefrance.fr/beh/2018/19-20/2018_19-20_0.html

(1) Cette proportion est encore plus élevée chez les jeunes enfants (5-9 ans) et les personnes âgées (70-79 ans).