Expositions et situations à risque professionnel émergentes : l’apport du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p)

// Exposure and emerging occupational risk situations: the contribution of the National Network for the Vigilance and Prevention of Occupational Diseases (RNV3P)

Juliette Bloch1 (juliette.bloch@anses.fr), Isabelle Vanrullen1, Vincent Bonneterre2, et le Groupe de travail “Émergence” du rnv3p*
* Le groupe Émergence est composé de : I. Ahmed, P. Andujar, S. Auffinger, S. Aymeric, L. Bensefa-Colas, J. Bloch, V. Bonneterre, B. Charbotel, Y. Esquirol, S. Faye, R. Garnier, A. Lapostolle, L. Larabi, G. Lasfargues, M-P. Lehucher, N. Nikolova-Pavageau, C. Nisse, N. Nourry, C. Paris, M. Pluntz, A. Roulet, I. Vanrullen

1 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Maisons-Alfort, France
2 CHU de Grenoble, Grenoble
Soumis le 02.02.2018 // Date of submission: 02.02.2018
Mots-clés : Exposition professionnelle | Risque émergent | Vigilance
Keywords: Occupational exposure | Emerging risk | Vigilance

L’évolution des métiers, des technologies et des conditions de travail fait apparaître de nouvelles expositions professionnelles, tant par leur nature que par leur niveau, et donc potentiellement de nouvelles maladies en relation avec le travail. D’où la pertinence d’un dispositif de vigilance, reposant sur des centres experts et enregistrant en continu des informations cliniques et d’exposition susceptibles de déceler de telles émergences.

Le rnv3p

Les 30 centres de consultations de pathologies professionnelles (CCPP), répartis sur tout le territoire, sont des centres de recours pour l’expertise en santé travail. Ils sont regroupés au sein du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p) (1), dont les objectifs généraux sont de repérer et de caractériser, dans un but de prévention, les situations à risque en milieu de travail (voir dossier « rnv3p » sur www.anses.fr).

Pour répondre à ces objectifs, tous les problèmes de santé au travail (PST) identifiés au cours des consultations en CCPP sont enregistrés de manière standardisée dans une base de données nationale. Lorsqu’une pathologie possiblement en lien avec le travail ou l’environnement est diagnostiquée au cours d’une consultation, la ou les expositions professionnelles que le clinicien suspecte d’être en relation avec elle sont codées à l’aide d’un thésaurus spécifique, le thésaurus des expositions professionnelles (TEP). La force du lien, ou imputabilité, entre chaque exposition et la pathologie, est estimée par le clinicien selon un algorithme propre au rnv3p, à partir de critères relatifs à l’exposition, la sémiologie et la chronologie, et codée selon une échelle à trois modalités : imputabilité plausible, vraisemblable ou très vraisemblable. Les CCPP étant des centres d’expertise, les patients qu’ils reçoivent ne sont représentatifs ni de la population au travail ni des pathologies professionnelles, raison pour laquelle ce réseau a une vocation de vigilance et de prévention, plus que de surveillance épidémiologique. Les expositions sont déclarées de manière qualitative et non quantitative, et seules sont enregistrées celles en relation avec la ou les pathologie(s) à l’origine de la consultation.

En 2001, le TEP a été développé au sein de l’Anses à partir du thésaurus nuisances de la Cnamts, en collaboration avec de nombreux partenaires du rnv3p mais aussi extérieurs à celui-ci. Complété régulièrement, le TEP comprend maintenant plus de 7 300 items, classés en neuf catégories de nuisances : agents chimiques, physiques, biologiques, roches et autres substances minérales, facteurs biomécaniques, facteurs organisationnels, relationnels et éthiques, produits ou procédés industriels, lieux et locaux de travail, équipements, outils, machines et engins de travail. Il permet une standardisation du codage des expositions professionnelles à des fins d’analyse, de comparaison et de recherche. En 2018, un groupe de travail multipartenarial et multidisciplinaire est mis en place pour le faire évoluer vers une version partageable par tous les acteurs de la santé au travail.

Comment le rnv3p permet le repérage et documente des expositions professionnelles à risque

L’analyse des données du rnv3p permet de documenter les expositions ou les activités liées à des pathologies d’intérêt, d’identifier des couples exposition-pathologie ou des triades exposition-contexte de travail-pathologie émergents. Ainsi, le signal peut venir de cliniciens du rnv3p, qui rapportent des cas inhabituels qu’ils ont observés (émergence clinique). La veille bibliographique, les réseaux européens en santé travail (type réseau Modernet) ou des organismes comme le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) américain, sont aussi des sources de signaux et d’alertes. La base rnv3p est alors interrogée à la recherche de cas similaires, qui sont analysés sous l’angle de la sévérité, de l’imputabilité et du nombre d’occurrences, qui permet de calculer un score d’émergence. Une autre manière de rechercher des signaux est la fouille statistique sans a priori. Elle permet, par des mesures de disproportionnalité, d’identifier des couples « pathologies »-« nuisances » dont l’occurrence est statistiquement plus grande que ce qui serait attendu si les deux éléments du couple n’avaient aucun lien entre eux. Cette démarche systématique fait émerger de nombreux signaux, qu’il convient ensuite d’analyser méthodiquement pour écarter les couples déjà connus, notamment tous ceux liés aux maladies reconnues dans des tableaux de maladies professionnelles. Les signaux restant sont ensuite analysés selon la procédure décrite ci-dessus. En fonction des résultats, un niveau d’action est décidé : pas d’action / simple information du réseau des CCPP / recherche de cas en dehors des CCPP / large diffusion de l’information, aux tutelles et secteurs professionnels concernés. Un groupe de travail « émergence » au sein du rnv3p est chargé de l’ensemble de la démarche.

Les données enregistrées dans le rnv3p constituent une large collection de situations professionnelles où des expositions sont précisées. L’Anses y a recours dans le cadre de ses travaux d’évaluation des risques pour caractériser les expositions professionnelles en France, par exemple pour les professionnels exposés aux produits utilisés dans les activités de soin et de décoration de l’ongle. Ces données servent parfois également à appuyer la réalité des effets toxiques de substances chimiques pour lesquelles l’agence est chargée de recommander des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) en se basant sur une évaluation des effets sanitaires. Elles sont ainsi mentionnées dans les avis de l’agence (comme par exemple ceux recommandant des VLEP pour le chrome VI, le cobalt ou le béryllium) afin d’éclairer les gestionnaires de risques en charge de la fixation de VLEP dans la réglementation française quant à l’existence d’une réelle problématique de terrain. Les données du rnv3p peuvent aussi enrichir les matrices emplois-expositions en pointant des situations encore non identifiées d’exposition à une nuisance.

Enfin, l’analyse des tendances chronologiques, toutes choses égales par ailleurs, de pathologies en lien avec des nuisances permet d’apprécier l’impact de mesures réglementaires ou de prévention. À titre d’exemple, l’analyse des dermatites de contact et des asthmes allergiques liés à l’exposition aux persulfates dans le milieu de la coiffure et des soins de beauté, enregistrés par le rnv3p, montre une stagnation des premières et une baisse des seconds, incitant à renforcer les messages de prévention individuelle (port de gants).

Citer cet article

Bloch J, Vanrullen I., Bonneterre V. Focus. Expositions et situations à risque professionnel émergentes : l’apport du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p). Bull Epidémiol Hebd. 2018;(12-13):258-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/12-13/2018_12-13_8.html

(1) Constitué progressivement à partir de 2001, le rnv3p est coordonné par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et financé par l’Assurance maladie et l’Anses. L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), Santé publique France et la Société française de médecine du travail (SFMT) en sont partenaires.