Une vision globale des expositions au travail pour une meilleure stratégie de prévention

// A global vision of occupational exposures for a better prevention strategy

Mounia El Yamani1,2 & Gérard Lasfargues2,3
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Institut Santé-Travail Paris-Est, Créteil, France
3 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Maisons-Alfort, France

Le poids des expositions professionnelles dans la survenue de certaines maladies graves reste important en France. Selon les scénarii retenus, jusqu’à 16% des cancers du poumon chez les hommes seraient liés à une exposition professionnelle à l’amiante et 20% à 80% (1) des chirurgies du canal carpien sont à attribuer à certains emplois à risque concernés par une exposition professionnelle à des gestes répétitifs.

Réduire l’exposition à des facteurs de risques professionnels dans la population française en privilégiant la prévention primaire est l’élément clé pour diminuer le poids considérable de l’activité professionnelle dans la survenue de pathologies liées au travail, comme le rappelle le troisième plan national santé-travail.

Dans un contexte où la réglementation sur la traçabilité des expositions professionnelles est d’actualité et nécessiterait des outils efficaces adaptés aux mutations de l’emploi et du travail, il est important de pouvoir disposer d’une vision globale de l’ensemble des expositions au travail, qu’elles soient liées à des agents physiques, chimiques, biologiques ou organisationnels.

Les articles proposés dans ce BEH s’inscrivent délibérément dans une vision populationnelle, indispensable en santé publique pour orienter l’action des décideurs. Ils sont pluriels et tentent d’aborder les multifacettes permettant à cette science d’être un levier pour la prévention. Un premier article (M. El Yamani et coll.) cerne les contours de la discipline en abordant les outils et les méthodes d’évaluation des expositions professionnelles de la population des travailleurs. Il décrit la grande variété des dispositifs disponibles et montre comment des données collectées régulièrement et de manière structurée permettent la production de divers indicateurs utiles pour guider et prioriser les actions de prévention.

Les deux articles qui suivent s’intéressent aux risques psychosociaux, de plus en plus fréquents en milieu professionnel. L’un est une présentation des premiers résultats de l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux de 2016 (M. Beque et coll.) : il permet de décrire des tendances temporelles et montre que l’intensité du travail s’est stabilisée, mais à un niveau élevé, entre 2013 et 2016, et que la baisse de l’autonomie, un indicateur bien connu des risques psychosociaux, surtout pour les catégories les moins qualifiées, s’est poursuivie. Le second exploite les données de l’enquête SUMER 2010 sur les facteurs de risque organisationnels et psychosociaux associés aux troubles musculo-squelettiques, notamment les contraintes posturales (M. Bertin et coll.). Il met en évidence que 14% des hommes et 12% des femmes sont concernés. Le manque de flexibilité dans l’organisation du travail est de nouveau souligné, ainsi que les contraintes et normes de production.

Les expositions chimiques au travail restent aussi une préoccupation, et plusieurs articles de ce BEH les abordent. Ainsi, s’agissant des solvants, une baisse globale de leur utilisation est notée, ce qui est positif compte tenu du fait que certains présentent un caractère cancérigène, mutagène ou reprotoxique. Mais l’étude de C. Pilorget et coll. montre que les produits utilisés différent selon le sexe. Les femmes sont davantage exposées aux solvants oxygénés alors que les hommes le sont plus souvent aux solvants chlorés et pétroliers : cela peut conduire à envisager des modalités de prévention ciblées. Chez les viticulteurs, l’étude de J. Spinosi et coll. révèle que les produit arsenicaux utilisés sur la vigne jusqu’en 2001 restent une préoccupation. Du fait du caractère cancérigène de l’arsenic et de la latence de ses effets (jusqu’à 40 ans), identifier le nombre d’agriculteurs concernés et sensibiliser les médecins (du travail et généralistes) à cette exposition semble nécessaire et utile pour une prévention secondaire.

Reste qu’en situation réelle de travail, un salarié est rarement exposé à une seule nuisance. Elles sont le plus souvent multiples et une évaluation globale de la multi-exposition est sans doute judicieuse. C’est l’angle abordé par l’étude sur les expositions professionnelles à des agents cancérigènes respiratoires chez les salariés en 2010 (N. Fréry et coll.), dont les résultats indiquent qu’environ 2 millions de salariés en France ont été exposés à au moins un cancérigène de l’appareil respiratoire et que 22% d’entre eux avaient eu au moins une double exposition. Une meilleure connaissance des protections mises en place dans ces secteurs et professions est donc nécessaire pour assurer une prévention adéquate de ces risques.

Les expositions émergentes n’ont pas été oubliées. Elles sont abordées via l’apport du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p) (J. Bloch et coll.) qui permet de repérer et de documenter des expositions professionnelles à risque.

Enfin, le dernier article du numéro traite de l’exposition aux médicaments cytotoxiques manipulés par du personnel soignant lors de soins à des patients atteints de cancers (S. Ndaw et coll.). Ces molécules ont été dosées chez les soignants par biométrologie. Les analyses mettent en évidence leur présence dans les urines de près de la moitié des infirmiers et aides-soignants, et ce malgré la mise en place d’actions de prévention. La campagne de mesures de 2016 donne des résultats similaires à celle de 2010, ce qui amène à restructurer et repenser toutes les mesures de prévention mises en place.

Finalement, les données rassemblées dans ce numéro montrent que la connaissance fine des expositions professionnelles par emploi et secteur d’activité permet de proposer des stratégies différenciées de prévention et, ainsi, de prioriser les actions de suppression ou de réduction des expositions dans les secteurs les plus à risque. Il semble indispensable de mener des campagnes d’information ciblée, non seulement auprès des populations de travailleurs concernées, mais aussi auprès des professionnels de santé pour renforcer leur connaissance des risques professionnels dans leurs différentes dimensions (médicales, techniques, juridiques) de façon à améliorer le conseil aux patients, notamment pour la prévention des risques, mais aussi en matière de déclaration et de reconnaissance de maladies professionnelles.

Citer cet article

El Yamani M, Lasfargues G. Éditorial. Une vision globale des expositions au travail pour une meilleure stratégie de prévention. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(12-13):214-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/12-13/2018_12-13_0.html

(1) Annabelle Gilg soit Ilg, Natacha Fouquet. Fraction attribuable et risques professionnels. Les rencontres de Santé publique France; 30-31 mai et 1er juin 2017, Paris. http://www.rencontressantepublique
france.fr/wp-content/uploads/
2017/06/GILG_FOUQUET.pdf