L’auto-prélèvement vaginal est une méthode efficace pour augmenter la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus : un essai randomisé en Indre-et-Loire
// Vaginal self-sampling is an effective method to increase participation in cervical-cancer screening: a randomized trial in Indre-et-Loire (France)
Résumé
Contexte –
La participation au dépistage du cancer du col de l’utérus (CCU) reste insuffisante dans la plupart des pays. Notre objectif était d’évaluer la performance, en termes de participation, et le rapport coût-efficacité de l’envoi, au domicile de femmes non dépistées, d’un kit pour auto-prélèvement vaginal (APV) en vue de la recherche de papillomavirus humains à haut risque (HPV-HR).
Méthodes –
En mars 2012, 6 000 femmes de 30-65 ans non dépistées, vivant en Indre-et-Loire (département couvert par un dépistage organisé du CCU) et n’ayant pas répondu à une invitation à réaliser un frottis cervico-utérin (FCU) ont été randomisées dans trois groupes : « Sans d’intervention » ; « Relance » : envoi d’une lettre incitant à réaliser un FCU ; et « Auto-prélèvement » : envoi d’un kit d’APV à renvoyer au laboratoire pour test HPV.
Résultats –
La participation était plus élevée dans le groupe « auto-prélèvement » que dans les groupes « sans intervention » (22,5% vs 9,9%, p<0,0001) et « relance » (11,7%, p<0,0001). Dans le groupe « auto-prélèvement », 320 femmes ont réalisé un APV ; 40 femmes parmi les 44 ayant un test HPV-HR positif ont réalisé le FCU de triage recommandé (16,0%). Les ratios différentiels coût-résultat par femme dépistée supplémentaire étaient 77,8€ et 63,2€ pour les groupes « relance » et « auto-prélèvement », par rapport au groupe « sans intervention ».
Conclusion –
L’envoi à domicile d’un un kit d’APV est plus efficace et coût-efficace qu’une lettre de relance pour augmenter la participation au dépistage du CCU parmi des femmes non dépistées.
Abstract
Background –
Participation in cervical cancer screening remains insufficient in most countries. Our objective was to assess whether in-home vaginal self-sampling with a dry swab for high-risk human papillomavirus (HR-HPV) testing was effective and cost-effective in increasing participation in cervical-cancer screening.
Methods –
In March 2012, 6,000 unscreened women aged 30 to 65 years, living in a French region (Indre-et-Loire) covered by a cervical cancer screening program, who had not responded to an initial invitation to have a Pap smear were equally randomized in three groups: “no intervention”; “recall”, women received a letter to have a Pap smear; and “self-sampling”, women received a self-sampling kit to return to a centralised virology laboratory for PCR-based HPV-testing.
Results –
Participation was higher in the “self-sampling” than in the “no intervention” group (22.5% vs 9.9%, p<0.0001) and the “recall” group (11.7%, p<0.0001). In the “self-sampling” group, 320 women used the self-sampling kit; for 44 of these women with positive HR-HPV test results, 40 had the recommended triage Pap smear. The incremental cost-effectiveness ratio (ICER) per extra screened woman was 77.8€ and 63.2€ for the “recall” and “self-sampling” groups, respectively, compared to the “no intervention” group.
Conclusion –
Offering an in-home, return-mail kit for vaginal self-sampling with a dry swab is more effective and cost-effective than a recall letter in increasing participation in cervical-cancer screening among unscreened women.
Introduction
Dans le monde, le cancer du col de l’utérus (CCU) est le quatrième cancer le plus fréquent chez les femmes, avec environ 528 000 nouveaux cas et 266 000 décès en 2012 1. En France, la même année, il y a eu 3 028 nouveaux cas et un nombre de décès estimé à 1 102 2. Le dépistage par frottis cervico-utérin (FCU) a entraîné une réduction importante de l’incidence et de la mortalité associée 3. Cependant, la participation au dépistage reste souvent insuffisante. En Indre-et-Loire, où l’étude a été menée, la participation est estimée à 60,5% 4. Les principaux freins au dépistage sont l’accessibilité et l’acceptabilité du FCU. La France n’a actuellement pas de programme national de dépistage organisé du CCU.
L’infection persistante à papillomavirus humain à haut risque oncogène (HPV-HR) est le facteur étiologique du CCU 5. Les tests HPV ont récemment été proposés comme une alternative au dépistage par FCU chez les femmes âgées de plus de 30 ans et se sont révélés être plus sensibles que le FCU pour détecter des néoplasies intra-épithéliales cervicales (CIN) de grade 2 ou plus (CIN2, CIN3 ou cancer). Les tests HPV effectués sur des auto-prélèvements (APV) sont performants pour la détection des infections cervicales à HPV 6. De plus, les tests HPV réalisés sur des APV sans milieu de transport (écouvillon sec) sont aussi performants que ceux réalisés sur des APV avec milieu de transport liquide 7,8.
Les APV ont permis d’augmenter la participation au dépistage du CCU de femmes non dépistées dans de nombreux contextes 9. Cependant, la plupart des études ont utilisé des dispositifs d’APV avec un milieu de transport liquide, ce qui s’avère coûteux et peu pratique pour le prélèvement et le transport. Par ailleurs, peu d’études ont fourni des données médico-économiques.
Notre objectif était d’évaluer l’efficacité et le rapport coût-efficacité d’une stratégie d’envoi à domicile d’un kit pour APV, avec écouvillon sec, afin d’augmenter la participation au dépistage du CCU de femmes non dépistées.
Méthode
Depuis 2010, la structure de gestion des dépistages des cancers d’Indre-et-Loire a mis en place un programme pilote départemental de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus.
Cette structure collecte régulièrement les données de remboursement des actes de FCU via l’Assurance maladie et environ 90% des résultats de frottis via les fichiers transmis par les anatomo-cytopathologistes, ce qui permet d’identifier les femmes non dépistées. Les femmes identifiées comme non dépistées depuis trois ans ou plus sont invitées par courrier à consulter leur médecin généraliste, gynécologue ou sage-femme afin de réaliser un FCU. En l’absence de FCU dans les neuf mois, un courrier de relance est envoyé.
Design, participantes et Interventions
Nous avons mené un essai randomisé contrôlé en trois groupes parallèles. Les femmes éligibles à cet essai devaient être âgées de 30 à 65 ans, résider en Indre-et-Loire et ne pas avoir réalisé de FCU neuf mois après le courrier d’invitation. Les trois groupes étaient : (1) « Sans intervention » ; (2) « Relance » : les femmes recevaient une lettre de relance les invitant à réaliser un FCU ; (3) « Auto-prélèvement » : les femmes recevaient un kit pour APV à domicile.
Pour le groupe « Auto-prélèvement », les femmes recevaient : (1) une lettre les invitant à réaliser l’APV ou le FCU, (2) une notice expliquant comment effectuer l’APV, (3) un écouvillon sec en nylon floqué dans un tube stérile (53080C, Copan, Brescia, Italie), (4) une pochette plastique zippée, (5) une fiche d’identification et (6) une enveloppe préaffranchie pour renvoyer l’APV au laboratoire de virologie pour test HPV. Si le test était HPV-HR positif, il était recommandé à la femme de réaliser un FCU de triage (contrôle) dès que possible. Trois et six mois après le résultat HPV-HR positif, en l’absence de FCU de triage, la femme était relancée (courrier et/ou appel téléphonique).
Randomisation
Parmi les femmes éligibles, 6 000 ont été randomisées dans l’un des trois groupes par un prestataire informatique indépendant.
Aspects éthiques et information
L’essai a été enregistré auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et sur ClinicalTrials.gov sous le numéro NCT01588301. Le protocole d’étude a été approuvé par le Comité de protection des personnes de Tours. À la fin de l’étude, toutes les femmes incluses ont reçu une information complète sur les hypothèses et les résultats de l’étude.
Analyses des prélèvements
Les FCU ont été analysés en cabinet d’anatomocytopathologie selon les pratiques habituelles. Les tests HPV, basés sur une technique PCR, ont été effectués dans un laboratoire centralisé. Ils ont été réalisés selon les recommandations du fabricant (INNO-LiPA HPV Genotyping Extra, Innogenetics) et suivant un protocole décrit précédemment 7. Ce test permet d’identifier 28 génotypes d’HPV (15 HPV-HR, 3 probables HPV-HR, 7 HPV à faible risque et 3 types de risque inconnu).
Les résultats HPV ont été classés comme ininterprétables quand le contrôle était négatif, HPV-HR positifs quand au moins un HPV-HR ou probable HPV-HR était détecté, et HPV-HR négatifs dans les autres cas.
Pour les femmes ayant un FCU anormal, les résultats de suivi (test HPV, colposcopie, FCU de contrôle, biopsie...) ont été recueillis selon les procédures habituelles de la structure de dépistage (le taux d’exhaustivité du recueil des résultats cytologique est d’environ 90%) et conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) 10.
Critères de jugement
Le critère de jugement était la participation à une action complète de dépistage dans les neuf mois (et 12 mois) après randomisation.
Pour les trois groupes, la réalisation d’un FCU a été considérée comme une action complète de dépistage. Dans le groupe « Auto-prélèvement », nous avons également considéré comme participation à une action complète de dépistage la réalisation d’un APV (suivi d’un FCU de triage en cas de résultat HPV-HR positif) (figure).
Taille de l’échantillon
Sous l’hypothèse d’une participation à 30% dans le groupe « Sans intervention » et d’une augmentation de participation de 5% dans le groupe « Relance » et de 10% dans le groupe « Auto-prélèvement », avec un risque alpha bilatéral de 0,0167 et une puissance de 80%, 1 953 femmes par groupe devaient être incluses.
Analyses statistiques – Évaluation médico-économique
Les taux de participation ont été calculés avec leur intervalle de confiance à 95% (IC95%). Le groupe « Sans intervention » a été considéré comme référence pour les comparaisons (odds ratios : OR). Les données ont été analysées en utilisant SAS v9.2® (SAS Inc., Cary, NC).
Une analyse coût-efficacité adoptant le point de vue de la société a été réalisée selon les recommandations de la HAS 11. Les coûts directs supportés par l’Assurance maladie, la structure de dépistage et les femmes ont été pris en compte. Les interventions ont été classées de la moins coûteuse à la plus chère. Si une intervention était plus chère et moins efficace que la précédente, elle était considérée comme fortement dominée et était exclue de l’analyse. Le coût par femme dépistée a été calculé pour chacun des groupes. Les ratios différentiels coût-résultat ont été calculés en divisant la différence de coût entre deux interventions par la différence d’efficacité (nombre de femmes dépistées) entre deux interventions (le groupe « Sans intervention » était considéré comme référence). Une analyse de sensibilité a été effectuée pour tenir compte de l’incertitude des résultats d’efficacité et de l’évolution possible des coûts.
Résultats
Participants
De novembre 2010 à avril 2011, 38 505 femmes non dépistées ont été incitées par courrier à réaliser un FCU : 7 811 ont réalisé un FCU, 4 464 ont signalé un critère d’exclusion. En mars 2012, parmi les 26 230 femmes restantes, 6 000 ont été randomisées dans l’un des trois groupes. Suite à l’exclusion de 2 femmes sélectionnées dans deux bras simultanément, l’effectif total était de 5 998 femmes (figure).
Participation
Neuf mois après la randomisation, la participation à une action complète de dépistage était significativement supérieure dans le groupe « Auto-prélèvement » (22,5%, IC95%: [20,7-24,4]) à celle observée dans le groupe « Relance » (11,7% [10,3-13,1], p<0,0001) et dans le groupe « Sans intervention » (9,9% [8,6-11,3], p<0,0001). Dans le groupe « Auto-prélèvement », 137 femmes (6,8% [5,8-8,1]) étaient dépistées par FCU et, parmi les 320 femmes ayant réalisé l’APV, 313 (15,7% [14,1-17,3]) étaient considérées comme dépistées par APV, dont 273 avec un résultat HPV négatif et 40 avec un résultat HPV positif suivi d’un FCU de triage (tableau 1 et figure). Ces résultats étaient stables 12 mois après randomisation (tableau 1).
Résultats des tests de dépistage et suivi
Neuf mois après randomisation, dans le groupe « Auto-prélèvement », 317 APV sur 320 réalisés étaient interprétables ; 44 femmes (13,9% [10,3-18,2]) avaient un test HPV-HR positif, dont 40 ont ensuite réalisé le FCU de triage recommandé (90,9% [78,3-97,5]). Parmi les 4 femmes ayant un test HPV ininterprétable initialement, 2 ont refait un APV dont 1 était de nouveau ininterprétable ; au final, 3 femmes avaient un résultat HPV ininterprétable (considérées comme non dépistées).
Au total, 12 mois après randomisation, parmi les 736 femmes ayant réalisé un FCU (696 FCU de dépistage et 40 FCU de triage), 653 résultats (88,7%) étaient disponibles : 218 (87,9%), 250 (90,6%) et 185 (87,3%) respectivement pour les groupes « Sans intervention », « Relance » et « Auto-prélèvement ». Dans le groupe « Auto-prélèvement », il y avait 150 résultats (87,2%) pour des FCU de dépistage et 35 (87,5%) pour des FCU de triage. Parmi les 653 FCU pour lesquels un résultat était disponible, 32 (4,9%) étaient anormaux : 8/218 (3,7%) dans le groupe « Sans intervention », 11/250 (4,4%) dans le groupe « Relance » et 13/185 (7,0%) dans le groupe « Auto-prélèvement » (7/150 parmi les femmes ayant réalisé un FCU de dépistage et 6/35 parmi les FCU de triage).
Finalement, 7 CIN2+ (CIN2, CIN3 ou cancer) ont été détectés : 1 CIN3 dans les groupes « Sans intervention » et « Relance » ; dans le groupe « Auto-prélèvement », il y avait 3 CIN3 parmi les femmes ayant réalisé un APV (HPV-HR positif) et 2 CIN2 parmi les femmes ayant réalisé un FCU de dépistage.
Analyse médico-économique
Le coût par femme dépistée était de 55,2€ dans le groupe « Sans intervention », 58,6€ dans le groupe « Relance » et 59,7€ dans le groupe « Auto-prélèvement ». Les ratios différentiels coûtrésultat par femme supplémentaire dépistée étaient de 77,8€ pour le groupe « Relance » et de 63,2€ pour le groupe « Auto-prélèvement », par rapport au groupe « Sans intervention ». L’analyse de sensibilité a montré que les ratios différentiels coût-résultat étaient impactés par les taux de participation, le coût des tests de dépistage (FCU et test HPV), les dépassements d’honoraires, les coûts d’affranchissements supportés par la structure de gestion et le coût du kit d’auto-prélèvement (tableau 2).
Discussion
Sur un grand échantillon de 5 998 femmes, nous avons montré que l’envoi à domicile d’un kit d’auto-prélèvement vaginal (écouvillon sec) augmente la participation au dépistage du cancer du cancer du col de l’utérus de femmes non participantes. Les courriers de relance incitant à réaliser un FCU n’étaient pas plus efficaces que l’absence d’intervention. Parmi les femmes ayant un test HPV-HR positif sur APV, 90,9% ont réalisé le FCU de triage auprès d’un professionnel de santé. L’analyse coût-efficacité a montré que les surcoûts de la stratégie par auto-prélèvement étaient accompagnés par une augmentation importante de la participation, à condition d’utiliser un dispositif d’auto-prélèvement peu coûteux.
Plusieurs études ont évalué l’effet de l’envoi à domicile d’un kit d’auto-prélèvement en comparaison à des relances incitant à réaliser un FCU 9. Malgré l’hétérogénéité des taux de participation selon les études, les stratégies par auto-prélèvement permettaient toujours d’augmenter la participation, quel que soit le contexte et le dispositif d’auto-prélèvement. Dans deux essais randomisés réalisés en France évaluant l’auto-prélèvement vaginal avec test HPV basé sur la PCR, les taux de femmes dépistées dans les groupes auto-prélèvement étaient de 25,1% 12 et 18,3% 13. Ainsi, nos résultats sont concordants avec les précédentes études. À notre connaissance, notre étude est la première à fournir des données médicoéconomiques sur l’augmentation de participation avec un kit d’auto-prélèvement vaginal utilisant un dispositif sec validé et un test HPV-HR basé sur la PCR.
L’élaboration d’une stratégie par auto-prélèvement dans un programme de dépistage organisé nécessite de choisir notamment le type de prélèvement (vaginal ou urinaire), le dispositif (écouvillon, brosse, lavage…), le mode de transport (sec, liquide), le mode de remise (envoi au domicile, laboratoire, médecin généraliste, pharmacien…), le type de test HPV (PCR, hybridation...) et son niveau d’automatisation, et le test de triage (FCU, marqueurs moléculaires sur auto-prélèvement…). Chacun de ces paramètres peut impacter la participation, la performance (sensibilité et spécificité), les aspects logistiques et le rapport coût-efficacité. À ce jour, compte-tenu des données de la littérature et de notre étude, il nous semble qu’une stratégie basée sur un autoprélèvement vaginal avec un dispositif de prélèvement peu coûteux de type écouvillon ou brosse, sans milieu de transport (sec), envoyé par voie postale au domicile des femmes non dépistées, avec un test HPV utilisant une méthode de PCR serait un très bon choix pour concilier participation, performance, aspects logistiques et rapport coût-efficacité.
En conclusion, l’envoi à domicile d’un un kit d’auto-prélèvement vaginal est une méthode innovante, efficace et coût-efficace pour augmenter la participation au dépistage du cancer du col de l’utérus parmi des femmes non dépistées. Dans le contexte actuel de mise en place d’un programme national de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, il appartient désormais aux décideurs, éclairés par les agences sanitaires et les chercheurs, de choisir la place d’une stratégie par auto-prélèvement, dans le cadre par exemple d’expérimentations ciblant des territoires ou des populations spécifiques ou, à plus large échelle, comme méthode systématique de relance pour toute femme non dépistée (après une première invitation incitant à réaliser un FCU).
Remerciements
Nous souhaitons remercier les femmes ayant accepté de participer à l’étude. Nous remercions Aurélie Avargues pour le monitoring
des données, le Dr Philippe Bertrand pour les aspects éthiques et méthodologiques, Joël Chartier et la société Osi Santé pour
les aspects informatiques.
Cette étude a été financée par l’Institut national du cancer (INCa). Les écouvillons pour auto-prélèvements ont été fournis
gracieusement par le laboratoire Copan (Brescia, Italie).