Dépistage du cancer du col de l’utérus : des évaluations pour mieux l’organiser

// Cervical cancer screening: evaluations to improve its organization

François Bourdillon1 & Norbert Ifrah2
1 Directeur général de Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Président de l’Institut national du cancer, Boulogne-Billancourt, France

Chaque année en France, le cancer du col de l’utérus (CCU) touche environ 3 000 femmes. On estime le nombre de décès dus à ce cancer à près de 1 100 par an. Il reste donc meurtrier, et pourtant il est « évitable » : la vaccination contre les infections à papillomavirus humains (HPV) et le dépistage par frottis cervico-utérin (FCU) en constituent deux interventions de prévention complémentaires. Le dépistage permet, d’une part, d’identifier et de traiter des lésions précancéreuses avant qu’elles n’évoluent vers un cancer et, d’autre part, de détecter des cancers à un stade précoce dont le pronostic est bien meilleur qu’à un stade avancé. Il est ainsi recommandé de pratiquer un FCU tous les trois ans chez toutes les femmes âgées de 25 à 65 ans : 17 millions de femmes sont concernées.

Or, il faut constater que 40% des femmes, en moyenne, n’ont pas réalisé de FCU dans les trois ans, et cette proportion est d’autant plus élevée qu’elles sont éloignées du système de santé et de faible catégorie socioprofessionnelle. C’est pourquoi le plan cancer 2014-2019(1) a recommandé la mise en place d’un programme national de dépistage organisé. En vue de sa généralisation, une expérimentation a été menée pendant trois ans dans 13 départements, dont l’évaluation est présentée dans ce BEH (N. Beltzer et coll.) ; les résultats en sont très encourageants. Ainsi,

le taux de couverture global du dépistage a été amélioré de 12 points, pour atteindre 62% de la population-cible. Toutefois, il faut noter une très grande variabilité selon les départements, allant de 41,6% à 72,5%. Les jeunes femmes (moins de 35 ans) se font davantage dépister que les plus âgées (60-65 ans). Le dépistage organisé vient compléter le dépistage spontané et il permet ainsi de toucher les femmes qui échappent au dépistage ;

les pratiques actuelles de prélèvement sont conformes aux standards européens attendus : moins de 2% de frottis ont été jugés non satisfaisants ;

enfin, il a permis de dépister de nombreuses lésions : des atypies cellulaires ACS-US (2,3 pour 100 femmes dépistées), des lésions malpighiennes de bas grade LSIL (1,2 pour 100 femmes dépistées), mais aussi des lésions plus sévères : lésions malpighiennes intraépithéliales de haut grade HSIL et lésions intraépithéliale de haut grade ASC-H chez respectivement 1,5 et 2,8 pour 1 000 femmes dépistées.

Ces résultats sont de bon augure et permettent d’envisager de généraliser le programme en 2018.

L’évaluation médico-économique réalisée à partir d’une modélisation (S. Barré et coll.) confirme l’intérêt du dépistage organisé par invitation-relance des femmes non spontanément participantes. Cette stratégie permet de réduire l’incidence du CCU de 13 à 26% selon les scénarios, et se traduit par des gains d’espérance de vie. Cette étude souligne également l’intérêt de l’utilisation du test HPV en dépistage primaire. Proposé en auto-prélèvement vaginal pour recherche de HPV chez des femmes qui ne se font pas dépister, il montre son efficacité, comme le soulignent K. Haguenoer et coll. dans un essai contrôlé randomisé réalisé en Indre-et-Loire. Dans cet essai, les femmes n’ayant pas répondu à une invitation à réaliser un FCU reçoivent à domicile un kit d’auto-prélèvement. Et, alors que les simples courriers de relance n’ont pas d’efficacité, l’envoi de ce kit permet de doubler la participation au dépistage (22,5% versus 11,7%).

Les travaux réalisés à partir de l’échantillon généraliste des bénéficiaires de l’Assurance maladie (S. Barré et coll.) ont permis de caractériser les populations qui, aujourd’hui, ne se font pas dépister pour le CCU. Les variables associées à une faible participation au dépistage sont l’âge (plus on est âgée moins on se fait dépister), le fait de vivre dans une zone identifiée comme défavorisée, d’être en ALD (Affection de longue durée) ou bénéficiaire de la CMUc (Couverture maladie universelle complémentaire), et de résider dans une région de faible densité médicale. Les résultats de cette étude doivent amener à développer des stratégies adaptées pour atteindre ces femmes ; c’est l’un des enjeux qui fait la spécificité de ce dépistage organisé.

Enfin, il faut souligner les travaux d’évaluation des pratiques professionnelles menés sur les données des bases médico-administratives françaises (G. Maura et coll.). Ils montrent qu’en 2013, 35,5% des femmes de moins de 25 ans avaient eu un dépistage par FCU au cours des trois années précédentes. Or ce dépistage n’est recommandé qu’à partir de 25 ans car, avant cet âge, il est considéré qu’il n’a pas d’impact sur l’incidence du CCU et génère plus d’effets négatifs que de bénéfices. De plus, les auteurs observent qu’en cas de frottis anormal, un test HPV est pratiqué à la recherche d’une infection à papillomavirus, ce qui n’est pas non plus recommandé car les lésions HPV sont généralement transitoires à ces âges. Or, cette positivité conduit à proposer l’exérèse par conisation, geste qui n’a rien d’anodin puisqu’il peut être responsable d’accouchements prématurés ou de fausses-couches. Sur la période de l’étude 2007-2013, les recours aux tests HPV après frottis ont augmenté de 105% et la proportion de colposcopies de 85%. Dans ce contexte, le rappel des recommandations de pratiques professionnelles paraît important.

Le cahier des charges national du programme de dépistage organisé du CCU sera publié fin 2017 pour une généralisation effective l’année suivante. Le déploiement se fera de manière progressive : la phase de lancement, avec la désignation de structures régionales de préfiguration, a eu lieu en 2016, une étape de transition marquera la montée en charge progressive en 2017 et la généralisation du programme est prévue en 2018(2).

En conclusion, l’organisation d’un dépistage du CCU au niveau national est conforme aux recommandations du Haut Conseil de la santé publique émises en 2007(3). Ces mêmes recommandations ajoutaient à cette mesure la vaccination des jeunes filles contre le HPV. En 2015, seule 1 jeune fille sur 7 avait complété la série vaccinale à l’âge de 16 ans. Il importe donc de relancer cette vaccination, en veillant à sa complémentarité avec le dépistage. En effet, des études ont montré que les jeunes filles non vaccinées avaient un profil socioéconomique similaire à celui des femmes qui échappent au dépistage. La proposition de la vaccination HPV en milieu scolaire permettrait non seulement d’améliorer la couverture vaccinale, mais surtout de faire en sorte que les jeunes filles qui demain ne se feront pas dépister puissent bénéficier plus largement de la protection vaccinale. Assurer à chaque jeune fille, à chaque femme, l’accès à au moins une des deux interventions permettant de les protéger du cancer du col de l’utérus paraît aujourd’hui une exigence de santé publique propre à réduire les inégalités d’origine sociale ou territoriale.

Citer cet article

Bourdillon F, Ifrah N. Éditorial. Dépistage du cancer du col de l’utérus : des évaluations pour mieux l’organiser. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(2-3):24-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/2-3/2017_2-3_0.html

(2) Instruction N° DGS/SP5/2016/166 du 25 mai 2016 relative aux modalités de désignation de structures régionales de préfiguration de la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus.