Dépistage du cancer du col de l’utérus et actes associés chez les femmes de moins de 25 ans entre 2007 et 2013 en France : une étude sur les bases de données médico-administratives françaises

// Cervical cancer screening and associated procedures in women under 25 years of age between 2007 and 2013 in France: a study on French medical and administrative databases

Géric Maura1 (geric.maura@cnamts.fr), Christophe Chaignot1, Alain Weill1, François Alla1, Isabelle Heard2,3
1 Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS), Paris, France
2 Centre national de référence des papillomavirus humains, Institut Pasteur, Paris, France
3 Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris, France
Soumis le 17.10.2016 // Date of submission: 10.17.2016
Mots-clés : Cancer du col de l’utérus | Dépistage | Jeunes femmes | Conisation | Recommandations | Base de données médico-administratives
Keywords: Cervical cancer | Screening | Young women | Conization | Guidelines | Healthcare databases

Résumé

Introduction –

Les recommandations françaises fixent l’âge de début de dépistage du cancer du col de l’utérus par frottis cervico-utérin (FCU) à 25 ans. La régression spontanée fréquente des lésions consécutives à l’infection par le papillomavirus humain (HPV) chez les femmes plus jeunes diminue l’intérêt de ce dépistage, qui peut être à l’origine d’actes chirurgicaux sans bénéfice et potentiellement délétères. Aucune donnée nationale n’existe sur ce dépistage et la proportion d’actes diagnostiques et chirurgicaux qui en découlent.

Méthodes –

En utilisant les bases de données médico-administratives françaises (Sniiram-PMSI), la part du dépistage par FCU réalisé avant l’âge recommandé, ainsi que la proportion de femmes âgées de 15 à 24 ans ayant eu au moins un FCU dans l’année et dans les trois dernières années, sur la période 2007-2013, ont été calculées à partir des données du régime général, puis extrapolées à la population résidant en France. Les actes diagnostiques et chirurgicaux remboursés dans les 15 mois suivant un FCU chez les femmes de 20 à 24 ans ont été décrits en 2007 et 2012.

Résultats –

Pour chacune des années d’étude, environ 10% des femmes ayant eu au moins un frottis remboursé dans l’année étaient âgées de moins de 25 ans, principalement de 20 à 24 ans. En 2013, chez les femmes âgées de 20 à 24 ans, 16,2% avaient eu au moins un frottis dans l’année et 35,5% au moins un dans les trois ans. Dans cette population, le recours au test HPV après un frottis a fortement augmenté sur la période d’étude (+105%). La prise en charge chirurgicale semble plus agressive, comme le souligne une augmentation de la proportion de femmes dépistées ayant eu une conisation (+16,5%) ou d’autres types d’exérèse (+74,5%) dans l’année qui suivait un premier FCU. Néanmoins, avec la diminution globale du dépistage par FCU, le nombre annuel absolu de femmes conisées a diminué, passant de 1 974 à 1 766 entre 2007 et 2012.

Conclusions –

Une meilleure adhésion aux recommandations est nécessaire pour réduire le dépistage du cancer du col chez les jeunes femmes et ses potentielles conséquences en termes de morbidité obstétricale.

Abstract

Background –

French guidelines recommend initiating cervical cancer screening by Pap test from the age of 25 years. The frequent spontaneous regression of lesions due to the human papillomavirus (HPV) in younger women diminishes the value of this screening, which can lead to unnecessary and potentially dangerous surgical procedures. To date, no French nationwide study has assessed cervical cancer screening in young women and the related subsequent work-up and surgical procedures.

Methods –

Using data from the French medical and administrative databases (SNIIRAM-PMSI), the proportion of Pap tests performed before the recommended age, as well as the annual and three-year Pap test screening coverage was described among women aged 15-24 between 2007 and 2013 based on data of the general health insurance scheme extrapolated to the population living in France. Cervical excisional procedures were assessed during the 15-month period following a Pap test in women aged 20-24 in 2007 and 2012.

Results –

For each study year, about 10% of women with at least one reimbursed Pap test were under the age of 25, mainly women aged 20-24 years, in whom 16.2% were screened at least once, whereas the three-year screening coverage was 35.5% in 2013. In screened women aged 20-24, HPV testing rate increased sharply over the study period (+105%) and surgical management became less conservative as shown by an increased rate of both conization (+16.5%) and other excisional treatments (+74.5%) in the year following a Pap test. Nevertheless, due to the overall decrease in screening coverage, the absolute yearly number of women who underwent conization decreased from 1,974 to 1,766 between 2007 and 2012.

Conclusions –

A better adherence to guidelines is needed to reduce the burden of surgical treatment that is potentially associated with adverse obstetric outcomes among women under the age of 25.

Introduction

L’introduction de programmes de dépistage du cancer du col utérin a entraîné une réduction marquée de l’incidence de ce cancer à l’échelle mondiale 1,2,3. En France, le dépistage est opportuniste et recommandé chez les femmes âgées de 25 à 65 ans par frottis cervico-utérin (FCU) tous les trois ans après deux frottis normaux réalisés à un an d’intervalle. Il n’existe cependant pas de restriction en termes de remboursement 4. Même opportuniste, ce dépistage a été associé à une diminution du taux d’incidence standardisé sur la population mondiale du cancer du col de 50% entre 1980 et 2012 5.

L’infection persistante par les papillomavirus humains (HPV) est une cause bien connue de cancer invasif du col utérin. Cependant, l’infection HPV est généralement transitoire et la plupart des lésions de bas grade associées à l’infection guérissent spontanément et ne progressent pas systématiquement vers le stade de lésions précancéreuses ou de cancer invasif. Ceci est particulièrement vrai chez les adolescentes et les jeunes femmes, chez qui les anomalies du frottis cervical sont communes et transitoires, le cancer du col étant exceptionnel dans cette population 6,7,8. Cela s’explique par le fait que l’histoire naturelle des lésions de haut grade (néoplasies cervicales intraépithéliales [CIN] de grade 2 et 3 versus bas grade : CIN 1) chez les jeunes femmes diffère probablement de celle observée chez les femmes plus âgées. Dans une étude récente, Moscicki et coll. 9 ont montré que, dans une population de jeunes femmes (âge moyen de 20,4 ans), la régression des néoplasies cervicales intraépithéliales de grade 2 (CIN-2) était commune, avec près de 70% des lésions disparaissant dans les trois ans. Dans la lignée de ces résultats, Sasieni et coll. 10 ont montré que le dépistage des femmes de 20-24 ans au Royaume-Uni n’avait aucun impact sur l’incidence du cancer du col utérin jusqu’à l’âge de 30 ans, concluant qu’il n’y avait aucun avantage à dépister par FCU ce groupe d’âge. En revanche, des études récentes montrent que les femmes traitées par conisation pour une néoplasie intraépithéliale cervicale présentent un risque accru de morbidité obstétricale, notamment de menace d’accouchement prématuré, ce qui questionne d’autant plus l’opportunité de ce dépistage chez les jeunes femmes 11,12.

Bien que les recommandations françaises de dépistage du cancer du col de l’utérus n’aient pas changé au cours de la dernière décennie, peu de données sont disponibles concernant le dépistage chez les femmes de moins de 25 ans. De même, les actes diagnostiques et chirurgicaux effectués dans les suites d’un FCU anormal sont peu documentés dans cette population.

À partir des bases de données médico-administratives françaises (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie – Sniiram), une étude a été menée sur la période 2007-2013 afin de décrire, dans la population des femmes âgées de moins de 25 ans, le taux de dépistage du cancer du col utérin par FCU et les actes diagnostiques et chirurgicaux réalisés dans les suites de ce dépistage.

Méthodes

Source de données

Cette étude a été réalisée à partir des données des bases médico-administratives françaises, plus précisément les données du régime général (86% de la population) du Sniiram liées aux données de la base des hospitalisations (Programme de médicalisation des systèmes d’information, PMSI). Le Sniiram contient des données individualisées, anonymisées et exhaustives sur les remboursements des dépenses de santé, dont l’ensemble des médicaments prescrits et remboursés, ainsi que des données démographiques (date de naissance, décès, sexe). La base du PMSI fournit des informations médicales détaillées sur tous les séjours hospitaliers français. L’indication médicale et les résultats des actes médicaux, d’imagerie ou des tests de laboratoire ne sont pas disponibles dans ces bases de données 13,14,15.

Ces bases ont connu une utilisation croissante ces dernières années, qui a mené à la publication de nombreux travaux dans la recherche épidémiologique et pharmaco-épidémiologique 16,17,18. Pour cette étude, l’utilisation du Sniiram s’est faite dans le cadre d’une autorisation Cnil (décision DE-2011-078).

Population d’étude

L’analyse a été limitée aux femmes âgées de 15 à 24 ans entre janvier 2007 et décembre 2013, affiliées au régime général de l’Assurance maladie (données les plus complètes disponibles sur la période d’étude).

Evènements d’intérêt

Dépistage du cancer du col par FCU

Les frottis ont été identifiés en utilisant les codes de trois nomenclatures : (i) la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), via le code 55, avec la nature de prestation 1341 (frottis réalisé par un anatomo-cytopathologiste/médecin), pour la période 2007-2010 ; (ii) la Nomenclature des actes de biologie médicale (NABM), en utilisant le code 0013 « Diagnostic cytopathologique gynécologique provenant d’un ou plusieurs prélèvements effectués à des niveaux différents » pour la période 2007-2013 ; et (iii) la Classification commune des actes médicaux (CCAM), avec les codes JKQP001 et JKQP008 « Examen cytopathologique de prélèvement [frottis] du col de l’utérus / Examen cytopathologique en phase liquide [technique monocouche] de prélèvement [frottis] du col de l’utérus » pour la période 2010-2013.

Procédures diagnostiques après un premier FCU

Du fait de la prévalence de l’infection HPV avant 25 ans, le dépistage par FCU réalisé dans cette population a donc probablement conduit à trouver des résultats de FCU anormal ou indéterminé, dit FCU « positif », ce qu’attesterait la réalisation d’actes diagnostiques et/ou chirurgicaux dans les mois qui suivent. En l’absence de résultats des FCU dans nos bases de données et afin de décrire les actes diagnostiques ou chirurgicaux consécutifs à un premier FCU « positif », les patientes présentant au moins un remboursement d’acte diagnostique ou chirurgical dans les 15 mois suivant un premier remboursement de FCU ont donc été identifiées et les actes décrits. Le « premier FCU » est défini comme le premier remboursement de FCU retrouvé dans l’année considérée.

Les recommandations françaises en cas de FCU anormal sont actuellement les suivantes :

un test HPV (recherche de l’ADN des HPV) est recommandé comme une alternative à la répétition du FCU en cas de résultat indéterminé du premier frottis, appelé frottis ASC-US (atypies cytologiques des cellules malpighiennes de signification indéterminée) ;

une colposcopie peut être proposée si les résultats du premier FCU montrent une lésion de haut grade (frottis HSIL, lésion malpighienne intra-épithéliale de haut grade), des atypies glandulaires (frottis AGC) ou s’ils sont indéterminés (frottis ASC-US), mais associés à un test HPV positif ; elle est également recommandée après un deuxième frottis ASC-US ou présentant des lésions de bas grade (frottis LSIL) 19.

Le test HPV a été identifié dans les bases à partir des codes des trois nomenclatures suivantes : codes 4127 et 0024 de la NABM ; code 135 de la NGAP avec la nature de prestation 1341 (réalisé par un anatomo-cytopathologiste/médecin) et code de la CCAM ZZQP173 « Test de détection du génome des papillomavirus humains oncogènes ». L’acte de colposcopie a été identifié à partir de la CCAM à l’aide du code JLQE002 « Colposcopie ».

Les actes diagnostiques alors considérés étaient la réalisation d’un nouveau FCU, d’une colposcopie ou d’un test HPV.

Traitement chirurgical des lésions cervicales détectées par le dépistage

Les interventions chirurgicales sur le col de l’utérus ont été regroupées en :

excision par conisation à froid, code JKFA031 « Conisation du col de l’utérus » ;

autres actes d’excision : principalement conisation au laser et conisation à l’anse diathermique, codes JKFD002 « Exérèse de lésion du col de l’utérus, par voie vaginale » et JKFE003 « Exérèse de lésion du col de l’utérus, par colposcopie » ;

procédures ablatives sous examen par colposcopie comprenant l’ablation laser, la cryothérapie et la coagulation à froid, soit les codes JKND003 « Destruction de lésion du col de l’utérus par colposcopie, avec laser » et JKND004 « Destruction de lésion du col de l’utérus par colposcopie, sans laser ».

Analyses statistiques

La description du dépistage a d’abord porté sur l’ensemble des femmes âgées de 15 à 24 ans. En raison du faible effectif des femmes de moins de 20 ans ayant eu au moins un frottis par année calendaire, le groupe d’âge des 15-24 ans a été divisé en deux groupes pour décrire la couverture de dépistage annuel : 15-19 ans et 20-24 ans. Les analyses longitudinales sur les actes réalisés après un premier frottis ont été limitées à la tranche d’âge 20-24 ans.

La proportion de femmes ayant eu au moins un FCU, par classe d’âge, a été évaluée chaque année entre 2007 et 2013 (dépistage annuel).

Le dépistage dit triennal a été défini comme la proportion de femmes ayant eu au moins un frottis remboursé au cours de l’année considérée ou les deux années précédentes. Ce dernier a été évalué en 2010 et 2013, soit la première et dernière année pour lesquelles les données étaient disponibles au moment de l’étude.

Les actes diagnostiques et chirurgicaux ont été recherchés sur une période de 15 mois (une année plus trois mois de rattrapage du fait de la nature des données (remboursements)) après un premier FCU chez les femmes dépistées en 2007 et en 2012, soit la première et la dernière année pour lesquelles des données d’hospitalisation étaient disponibles au moment de l’étude.

Concernant les données nécessaires à cette étude, les données du régime général étaient disponibles sur l’ensemble de la période étudiée (2007-2013) et les données inter-régimes uniquement en 2013. Ainsi, le nombre de femmes dépistées par FCU a été estimé à partir des données du régime général et extrapolé à tous les régimes couverts par l’Assurance maladie, ces derniers représentant la quasi-totalité de la population résidant en France. Le coefficient d’extrapolation, calculé pour chaque année d’âge, correspondait au nombre de femmes ayant été remboursées d’au moins un soin en 2013 et couvertes par tous les régimes d’Assurance maladie, divisé par le nombre de femmes ayant été remboursées d’au moins un soin cette même année et couvertes par le régime général. Enfin, la proportion de femmes dépistées correspond à ce nombre de femmes (femmes dépistées extrapolé à tous les régimes) rapporté à la population totale de femmes résidant en France, population recensée annuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les analyses ont été effectuées en utilisant le logiciel SAS® version 9.2 (SAS Institute, Inc., Cary, Caroline du Nord, États-Unis).

Résultats

Dépistage par FCU chez les femmes âgées de moins de 25 ans

Sur la période d’étude (2007-2013), le nombre de femmes âgées de 15 à 65 ans et ayant eu au moins un remboursement de FCU dans l’année en France a diminué de 5,7 à 5,1 millions.

Le dépistage par FCU en dessous de la tranche d’âge cible des femmes de 25 à 65 ans représentait respectivement 10,5% (N=596 278) en 2007 et 7,2% (N=373 400) en 2013 des femmes ayant eu au moins un frottis dans l’année.

En 2013, parmi les femmes dépistées âgées de 15 à 24 ans, 85,2% étaient âgées de 20 à 24 ans. Dans cette tranche d’âge des 20-24 ans, 16,2% des femmes avaient eu au moins un frottis dans l’année, contre 2,9% chez les femmes de 15-19 ans.

Au cours de la période d’étude 2007-2013, le dépistage annuel par FCU a diminué dans ces deux groupes d’âge : –57,1% chez les femmes de 15-19 ans et –29,5% chez les femmes de 20-24 ans (figure).

Entre 2010 et 2013, le dépistage triennal, évalué dans le groupe d’âge 20-24 ans, a également diminué (-19%). En 2013, 35,5% des femmes âgées de 20-24 ans avaient eu au moins un FCU au cours des trois dernières années, avec une moyenne de 1,33 frottis par femme sur cette période (tableau 1).

Figure : Proportion de femmes âgées de 15 à 24 ans ayant au moins un frottis cervico-utérin par année (France, 2007-2013)
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Tableau 1 : Dépistage triennal par frottis cervico-utérin en 2010 et 2013 des femmes âgées de 20 à 24 ans et nombre moyen de frottis par femme dans les trois ans, France
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Actes diagnostiques chez les femmes âgées de 20-24 ans dans les 15 mois suivant un premier FCU

Parmi les actes diagnostiques suivant un premier frottis, un deuxième frottis était réalisé chez plus de 20% des femmes.

Une modification des pratiques a été observée entre 2007 et 2012 chez les femmes de 20-24 ans, avec en particulier une forte augmentation du recours au test HPV après un frottis (+105% sur la période). La proportion de colposcopies a également augmenté (+85%) sur la même période, tandis que la prescription d’un second frottis a légèrement diminué (tableau 2).

Tableau 2 : Proportion de femmes avec un acte diagnostique ou chirurgical sur le col de l’utérus réalisé dans les 15 mois suivant un premier frottis en 2007 et en 2012, France
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Actes chirurgicaux chez les femmes âgées de 20-24 ans dans les 15 mois suivant un premier FCU

Au cours de la période de 15 mois suivant un frottis effectué en 2012, 1 766 femmes de 20-24 ans ont subi une conisation, 660 ont subi d’autres procédures d’excision et 2 509 ont reçu des traitements ablatifs.

Entre 2007 et 2012, la proportion de femmes âgées de 20-24 ans ayant eu des actes chirurgicaux après un premier FCU a augmenté, y compris les conisations (+16,5%) et les autres traitements d’exérèse (+74,5%). Néanmoins, en raison de la diminution de la couverture du dépistage par FCU, le nombre absolu de femmes âgées de 20-24 ans qui ont subi une conisation a diminué sur cette période, passant de 1 974 à 1 766 (tableau 2).

Discussion

En France, environ 10% des FCU réalisés chaque année le sont chez des femmes âgées de moins de 25 ans alors que les recommandations françaises de dépistage du cancer du col précisent que celui-ci doit être initié à 25 ans. Ce dépistage a été suivi d’une prise en charge qui consistait à refaire cet examen chez plus d’une femme sur cinq. Alors que cette répétition d’un frottis comme moyen d’investigation est restée plutôt stable tout au long de la période d’étude, la réalisation d’un test HPV a, quant à elle, fortement augmenté. En 2012, environ 1 800 femmes de moins de 25 ans, soit 0,5% des femmes ayant eu un frottis, ont eu une conisation par exérèse.

Une situation comparable de dépistage chez les femmes âgées de moins de 25 ans a été rapportée en Belgique, où les recommandations d’âge à l’initiation du dépistage sont les mêmes qu’en France 20. Cette similitude est peut-être en rapport avec le fait que, dans les deux pays, le dépistage est opportuniste et que le frottis peut être proposé à des jeunes femmes consultant un gynécologue pour leur contraception. La restriction du remboursement aux seules femmes âgées de 25 à 65 ans, voire la nécessité d’une contribution personnelle non remboursée en dehors de l’âge cible, pourrait inciter à l’adhésion aux recommandations nationales. Cette première mesure de régulation a en effet permis de faire décroitre le dépistage inutile en Belgique 20,21. La participation au dépistage d’autres professionnels de santé, comme les sages-femmes ou les médecins généralistes, pourrait aussi contribuer au respect des recommandations, en particulier grâce à l’information qu’ils pourraient fournir à ces femmes sur les modalités de ce dépistage 22,23.

Il est possible que la diminution observée du dépistage effectué tous les trois ans chez les jeunes femmes âgées de 20 à 24 ans soit liée à l’introduction de la vaccination anti-HPV, puisque les jeunes femmes âgées de 20 à 24 ans en 2013 ont pu être vaccinées dans le cadre des programmes de rattrapage 24.

L’augmentation globale de la pratique du test HPV comme outil d’investigation en cas de premier frottis anormal questionne, compte-tenu du fait que les plus forts taux d’infection à HPV, responsables d’un frottis anormal ou d’un test HPV positif transitoires, sont observés chez les femmes ayant récemment débuté leur activité sexuelle 25. Les performances du test HPV dans cette population apportent probablement une contribution limitée au diagnostic d’une lésion du col. De plus, un résultat positif d’un test HPV peut être source d’anxiété pour la jeune patiente, d’autant plus que le clinicien qui a prescrit ce test à une adolescente ou à une jeune femme n’aura pas toujours fourni l’information sur ce test, ni pris en charge les effets psychologiques associés à un résultat positif 26,27.

Les modifications de traitement des lésions, avec notamment une augmentation de la proportion de jeunes femmes ayant eu un premier frottis suivi d’une exérèse, sont préoccupantes. Ceci peut être dû à une prise en charge moins conservatrice des lésions. L’exérèse chirurgicale des lésions du col, et en particulier l’exérèse large, peut être responsable de morbidité obstétricale se traduisant essentiellement par une augmentation du taux d’accouchement prématuré et/ou de fausses-couches du deuxième trimestre, comme cela a été montré dans une récente revue Cochrane 12,28,29. En effet, au contraire de l’ablation laser et de la cryothérapie, l’exérèse large au bistouri et la conisation laser peuvent induire une morbidité obstétricale ultérieure chez la jeune femme 29. La nature des données utilisées dans cette étude n’a pas permis de connaître la nature exacte des gestes chirurgicaux effectués et le taux d’accouchements prématurés chez les jeunes femmes ayant subi une conisation après un frottis anormal n’a pas été évalué.

Malgré des disparités dans la couverture du dépistage du cancer du col utérin par FCU, la plupart des pays européens initient celui-ci à l’âge de 25 ans. En Angleterre, malgré un changement de l’âge de début du dépistage, qui est passé à 25 ans en 2003 alors qu’il était à 20 ans avant, la mortalité par cancer du col chez les femmes âgées de 20 à 25 ans n’a pas augmenté 30. Les recommandations de dépistage ont également été modifiées aux États-Unis en 2012, avec un report du premier frottis au-delà de l’âge de 21 ans et une incitation à une prise en charge moins invasive en cas de découverte d’une lésion chez une femme âgée de 21 à 24 ans. Par ailleurs, l’étude d’une cohorte dans la base Kaiser Permanente Northern California portant sur environ 134 000 femmes âgées de 21 à 24 ans, avec un frottis entre les années 2003 et 2010, a montré que le rendement du dépistage pour ces femmes âgées de moins de 25 ans était faible, avec un risque quasi-nul de cancer 31.

En France, le Plan cancer 2015-2019 prévoit de passer d’un dépistage opportuniste à un dépistage organisé 32. Une organisation efficace du dépistage généralisé par FCU chez les femmes âgées de 25 à 65 ans devrait permettre de cibler les femmes à risque de cancer 33,34. Elle pourrait également permettre, d’une part, de faire diminuer l’incidence du cancer du col, comme cela a été observé dans d’autres pays et, d’autre part, de faire cesser le dépistage chez les femmes de moins de 25 ans 2.

Cette étude est la première qui présente des données nationales de dépistage du cancer du col chez les femmes âgées de moins de 25 ans. L’utilisation des bases Sniiram et PMSI liées par un identifiant patient unique a permis de travailler sur l’ensemble des soins médicaux remboursés réalisés dans tous les services de soins français pendant la période concernée par l’étude. Elle présente la limite, inhérente à ce type de bases de données, de se restreindre aux remboursements d’actes sans connaissance des résultats des frottis, des tests HPV, colposcopies, biopsies ou encore du grade des lésions en cas de conisation, ces résultats n’étant pas consignés dans les bases. Ainsi, dans l’étude des actes diagnostiques suivant un premier frottis, le fait de répéter le FCU pourrait être la transposition de la recommandation de la répétition à un an du premier frottis normal ; ce qui ne justifie pas pour autant la réalisation de ces frottis dans cette classe d’âge. Pour les mêmes raisons, rien ne certifie que les examens remboursés ont été réellement effectués. Dans notre cas, les actes diagnostiques et chirurgicaux correspondent à des codes de facturation qui ont tous été effectués après la réalisation d’un frottis, ce qui est cohérent avec une réalisation effective de ces actes. Il est possible que la part des femmes dépistées ait été un peu sous-estimée, car les frottis effectués dans les structures de type Planning familial ou Protection maternelle et infantile, ainsi que ceux réalisés au cours d’une hospitalisation complète mais non codés, n’ont pas été comptabilisés.

L’analyse a porté sur l’ensemble des jeunes filles, sans tenir compte de facteurs de risque particuliers de cancer et/ou d’immunosuppression. Les critères d’exclusion « hystérectomie » ou syndrome de Rokitansky-Küster-Hauser n’ont pas été considérés, ces dernières situations médicales étant exceptionnelles dans la tranche d’âge de notre population d’étude.

Enfin, il faut rappeler que les analyses ont été effectuées sur les femmes affiliées au régime général et ont été extrapolées à l’ensemble des régimes (régime des travailleurs agricoles et Régime social des indépendants notamment) 13,14.

En conclusion, une meilleure adhésion aux recommandations nationales de dépistage est souhaitable. Elle permettra de réduire le dépistage chez les femmes âgées de moins de 25 ans avec ses potentielles conséquences en termes de morbidité obstétricale, comme l’accouchement prématuré. Différents leviers d’action doivent être mis en place pour favoriser l’application des recommandations, dont l’information des patientes avec la participation et l’action cohérente des différents professionnels de santé concernés. La restriction du remboursement du frottis à la seule population concernée est un levier ayant montré son effet dans d’autres pays.

Références

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Citer cet article

Maura G, Chaignot C, Weill A, Alla F, Heard I. Dépistage du cancer du col de l’utérus et actes associés chez les femmes de moins de 25 ans entre 2007 et 2013 en France : une étude sur les bases de données médico-administratives françaises. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(2-3):32-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/2-3/2017_2-3_2.html