Prise en charge des populations précaires fréquentant les permanences d’accès aux soins de santé, atteintes d’hépatites et ayant bénéficié d’une proposition systématique de dépistage : étude Précavir 2007-2015

// Management of precarious populations after systematic testing of hepatitis B and C in primary healthcare settings in France: the PRECAVIR study 2007-2015

Françoise Roudot-Thoraval1 (francoise.roudot-thoraval@aphp.fr), Isabelle Rosa-Hézode2, Isabelle Delacroix-Szmania3, Laurent Costes2, Hervé Hagège2, Bernard Elghozi4, Charlotte Labourdette4 et Michel Chousterman4,5 pour le groupe Précavir
1 Service de santé publique, Groupe hospitalier Henri Mondor, Créteil, France
2 Service d’hépatologie et gastroentérologie, Centre hospitalier intercommunal, Créteil, France
3 Service de médecine interne, Centre hospitalier intercommunal, Créteil, France
4 Réseau de santé de Créteil Solidarité, Centre hospitalier intercommunal, Créteil, France
5 Unité PASS et réseaux, Centre hospitalier intercommunal, Créteil, France
Soumis le 19.01.2017 // Date of submission: 01.19.2017
Mots-clés : Dépistage | VHB | VHC | Populations précaires | Soins primaires
Keywords: Testing | HBV | HCV | Precarious populations | Primary healthcare

Résumé

Chez les personnes en situation de précarité, la prévalence des hépatites est plus élevée que dans la population générale. Nous rapportons notre expérience du dépistage systématique du VHB et du VHC dans deux permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et de la prise en charge des personnes dépistées positives.

De mai 2007 à décembre 2015, un dépistage a été proposé à 3 540 sujets et effectué chez 2 870 d’entre eux (81%), plus souvent en cas de prélèvement immédiat sur site. Il s’agissait de migrants dans 94% des cas, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne (66%) ; 78% étaient demandeurs d’asile ou en séjour irrégulier. Une sérologie d’hépatite positive était observée chez 292 consultants (10,2%) : l’antigène HBs était positif chez 211 (7,4%) et les anticorps anti-VHC positifs chez 88 (3,1%). Seuls 21 patients connaissaient au préalable leur infection. L’accès à une consultation spécialisée et à un bilan virologique a été possible dans 90% des cas. Une évaluation de la fibrose a été effectuée chez 102 patients VHB et 31 des 42 patients ARN VHC positifs. Un traitement a été institué chez 32 des 39 patients VHB le justifiant et chez 22 des patients VHC. À deux ans, 59% et 65% respectivement des patients VHB et VHC étaient toujours suivis.

Le dépistage systématique des virus des hépatites en soins primaires des populations précaires est possible et efficace. Sa mise en œuvre devrait être encouragée auprès des professionnels en proposant, dans la mesure du possible, un prélèvement immédiat. Une amélioration du suivi à long terme reste souhaitable.

Abstract

Hepatitis has been shown to be more prevalent among precarious individuals than in the general population. We report here our experience of systematic HBV and HCV testing in two primary healthcare settings for precarious populations, and proposal of access to care when positive.

Between May 2007 and December 2015, 2,870 (81%) among 3,540 consecutive precarious adults attending two primary healthcare settings were tested. Immediate testing on site was more effective than delayed. Most of adults tested (94%) were migrants, native from sub-Saharan Africa for 66% of them; 78% were asylum seekers or illegal immigrants. A positive hepatitis serology was observed in 292 (10.2%) individuals: HBs antigen was positive in 211 (7.4%) patients, anti-HCV antibodies were positive in 88 (3.1%) patients. Only 21 patients were already aware of their infection. A consultation with a specialist along with a virological assessment were achieved in 90% of cases. The stage of fibrosis has been assessed in 102 HBV patients and 31 out of 42 HCV-RNA positive patients. Anti-viral treatment has been initiated in 32 out of 39 HBV patients justifying such a treatment, and in 22 HCV patients. At 2 years, 59% and 65% of HBV and HCV patients respectively were still under follow-up.

Systematic testing for HBV and HCV was well accepted among this precarious population, and was effective. Health care workers should be encouraged to implement such testing in their practice. Access to care and follow-up are possible, but should be still improved.

Introduction

L’enquête de séroprévalence du virus de l’hépatite B (VHB) et du virus de l’hépatite C (VHC) menée en France métropolitaine en 2004 avait révélé un sous-dépistage de ces infections et une forte hétérogénéité de prévalence. Ainsi, la prévalence des anticorps anti-VHC et celle de l’antigène HBs (Ag HBs) étaient significativement plus élevées chez les migrants originaires de pays à moyenne ou forte endémicité, ainsi que chez les personnes en situation de précarité 1. Les conditions de vie souvent précaires de ces migrants, notamment l’absence de prise en charge sociale et de domicile, constituent un frein majeur au dépistage et à la prise en charge des infections virales B et C. Des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) ont été mises en place à partir de 1999 pour faciliter l’accès aux soins des personnes en situation de précarité 2 et l’Agence régionale de santé Île-de-France préconise le dépistage des hépatites en soins primaires chez les personnes en situation de vulnérabilité 3.Par ailleurs, le dépistage des migrants provenant de zones de forte endémicité VHC est recommandé en France depuis 2001 4.

Le but de l’étude Précavir était de montrer la faisabilité d’un dépistage des hépatites B et C dans ces structures et l’intérêt de la mise en place d’un parcours de soins simplifié après un dépistage positif, pour permettre une prise en charge rapide et adaptée aux publics accueillis.

Population et méthodes

Depuis mai 2007, un dépistage du VHB, du VHC et du VIH a été systématiquement proposé aux personnes consultant dans deux PASS du Val-de-Marne. L’une est située au sein de l’hôpital intercommunal de Créteil, siège de la Consultation de dépistage anonyme et gratuit (CDAG, devenue Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH, les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles – CeGIDD) et l’autre, Créteil Solidarité, dans la même ville, à environ 500 mètres de l’hôpital et de la CDAG. Ce dépistage était proposé par l’ensemble des médecins généralistes travaillant dans les deux PASS, qui avaient accepté de participer à l’étude Précavir et reçu une formation sur les hépatites et leurs facteurs de risque. Les consultants acceptant le dépistage étaient prélevés à la CDAG dès la fin de la consultation pour une recherche d’anticorps anti-VHC, d’Ag HBs, d’anticorps anti-HBc, d’anticorps anti-HBs et d’anticorps anti-VIH1-2. Le dispositif comportait un double volet : 1) une prise en charge sociale pour permettre un accès aux droits (AME, CMU) si nécessaire, 2) une prise en charge médicale avec accès à une consultation spécialisée et initiation d’un traitement si besoin. Dans les deux PASS, la démarche médicale comportait la remise des résultats et un message de prévention (information sur les facteurs de risque des hépatites et explication des mesures de prévention) à tous les patients, ainsi qu’un rendez-vous de consultation pour les patients positifs. Il s’agissait d’une consultation avancée d’hépatologie, mise en place au sein de la PASS hospitalière pour le VHB et le VHC et de médecine interne pour le VIH. Les consultations de suivi étaient assurées par l’ensemble de l’équipe médicale du site et donnaient lieu à un examen clinique et à des prélèvements pour bilan biologique et virologique. Si nécessaire, une biopsie hépatique ou un test non invasif de fibrose étaient proposés. Les patients qui ne se présentaient pas à la consultation initiale ou de suivi étaient relancés par téléphone. Nous rapportons ici les résultats concernant les infections virales B et C. La date de fin de suivi a été arrêtée au 31 décembre 2016.

Les réseaux de santé de Créteil (Réseau ville-hôpital Créteil et réseau de santé de proximité de Créteil Solidarité) assuraient la logistique de l’étude, la saisie des données et le suivi du parcours des patients dépistés positifs. La base de données a été déclarée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui a donné un avis favorable.

Les résultats des neuf années d’intervention dans les deux PASS sont regroupés. Les résultats sont exprimés en médiane [1er quartile-3e quartile] pour les variables quantitatives et en effectifs et pourcentages pour les variables qualitatives. Les prévalences des différentes infections virales sont données avec leur intervalle de confiance à 95% (IC95%) suivant la loi binomiale. Les facteurs associés à la prise en charge des sujets infectés sont analysés par un test de Fisher. En l’absence de facteurs de risque authentifiés, il n’a pas été effectué d’analyse multivariée. Les analyses ont été effectuées avec les logiciels Stata® V11. (Stata Corp. College Station, Texas) et SPSS® V18 (SPSS Inc. Chicago, Illinois).

Résultats

Population d’étude

De mai 2007 à décembre 2015, 3 713 personnes ont consulté dans les deux PASS. Un dépistage a été proposé à 3 540 d’entre elles (95,3%). Les principaux motifs de non proposition étaient : un test effectué récemment (n=49 ; 28,3%), un problème de communication linguistique (n=18 ; 10,4%), un contexte médical inadapté (n=15 ; 8,7%). Parmi les sujets à qui le dépistage a été proposé, 3 228 (91,2%) l’ont accepté et, au final, 2 870 (88,9%) ont été prélevés (tableau 1). Les consultants de la PASS hospitalière ont été plus souvent prélevés que ceux de la PASS extra-hospitalière (97,2% vs 81,9%, p<0,001). Les principaux motifs de refus du dépistage étaient : « test effectué récemment » (n=112 ; 35,9%), « ne souhaite pas faire le test » (n=62 ; 19,9%), « ne vient pas pour cela aujourd’hui » (n=24 ; 7,7%) (figure 1). La population était constituée de 94% de migrants, parmi lesquels 78% étaient en séjour irrégulier ou demandeurs d’asile. La majorité de ces migrants (66%) était née en Afrique subsaharienne francophone. Les patients qui refusaient le dépistage étaient plus souvent nés en France ou dans un pays du pourtour méditerranéen.

Figure 1 : Diagramme de flux pour la sélection de la population d’étude. Étude Précavir 2007-2015, France
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Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des 2 870 sujets dépistés pour le VHB et le VHC. Étude Précavir 2007-2015, France
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Résultats du dépistage

Un résultat positif pour au moins un des virus responsable d’hépatite a été observé chez 292 consultants (10,2%). Parmi eux, 211 avaient un Ag HBs positif (7,4%) et 88 des anticorps anti-VHC positifs (3,1%), dont 7 étaient positifs pour le VHB et le VHC et 7 présentaient une co-infection VHB-VIH. Seuls 35 patients Ag HBs positif (16,6 %) avaient déjà été testés pour le VHB et 19 patients VHC positif (21,6%) l’avaient déjà été pour le VHC ; 11 (5,2%) et 10 (11,4%) patients respectivement connaissaient préalablement leur statut.

La prévalence variait en fonction du pays de naissance des sujets : de 0,4 à 9,6% pour l’Ag HBs et de 1,1 à 5,5% pour les anticorps anti-VHC (figure 2). Chez les sujets d’origine européenne, les prévalences les plus élevées était observées chez ceux nés en Roumanie. Parmi les 2 870 sujets testés pour le VHB, 1 067 (37,2%) avaient déjà été en contact avec le virus, comme en témoignait la présence d’anticorps anti-HBc et anti-HBs (n=714 ; 24,9%) ou d’anticorps anti-HBc isolé (n=353 ; 12,3%). Enfin, 148 sujets (5,2%) avaient un profil post-vaccination (anticorps anti-HBs isolés).

Figure 2 : Prévalence de l’antigène HBs et des anticorps anti-VHC selon la région de naissance des patients. Étude Précavir 2007-2015, France
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Les résultats des tests de dépistage positifs ont été remis aux patients dans 285 cas (97,6%), dans un délai médian de 16 jours. Un rendez-vous en consultation avancée d’hépatologie a été donné à 278 de ces patients (97,5%) et en consultation de médecine interne dans 7 cas de co-infection VIH-VHB. Les patients se sont présentés à la consultation avancée d’hépatologie à la date proposée dans 231 cas (83,1%), après relance dans 18 cas (6,5%) ; 29 patients (10,4%) ne sont jamais venus en consultation spécialisée malgré une relance. Au total, 239 patients (184 VHB, 73 VHC et 6 VHB-VHC) ont bénéficié d’un premier bilan spécialisé dans un délai médian de 30 jours [22-44] après la première consultation.

Prise en charge des patients Ag HBs positifs

Les caractéristiques des patients porteurs de l’Ag HBs sont rapportées dans le tableau 2. Il s’agit en majorité d’hommes jeunes, originaires d’Afrique subsaharienne. Les 21 malades qui ne se sont pas présentés à la consultation spécialisée ne différaient pas significativement des 190 malades ayant bénéficié d’une consultation spécialisée.

Tableau 2 : Caractéristiques sociodémographiques des 211 patients porteurs de l’Ag HBs et des 88 patients porteurs d’anticorps anti-VHC. Étude Précavir 2007-2015, France
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Les résultats concernant les 190 malades ayant bénéficié d’une première consultation spécialisée à l’hôpital de Créteil avec examens biologiques et virologiques sont résumés dans le tableau 3 (un malade a consulté dans un autre hôpital de la région). Le taux des ALAT était élevé chez 19% d’entre eux, un antigène HBe positif était présent chez 13 des 183 malades testés (7,1%), et 16,8% avaient une charge virale supérieure à 20 000 UI. Une évaluation de la fibrose hépatique a été effectuée chez 102 malades. Une fibrose modérée ou sévère était présente chez 19 d’entre eux, parmi lesquels 5 avaient une cirrhose. Une co-infection VHD était présente chez 6 malades, associée à une fibrose ≥F2 dans 4 cas. Chez un malade, le diagnostic d’infection VHB a été fait au stade de carcinome hépatocellulaire sur cirrhose.

Tableau 3 : Résultats biologiques et virologiques des 190 malades VHB vus en consultation spécialisée, institution d’un traitement. Étude Précavir 2007-2015, France
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Cent trente-huit patients (75%) étaient toujours suivis six mois plus tard et 117 un an plus tard (63%), pour un suivi médian de 17,7 mois [5,2-44,1] (figure 3). Parmi les 39 patients ayant une hépatite chronique B active, justifiant un traitement de l’avis de l’hépatologue, 32 ont pu le débuter après obtention des droits sociaux. À la date de fin de suivi, 85 malades vus initialement en consultation spécialisée (45%) étaient considérés comme perdus de vue.

Figure 3 : Probabilité de suivi des malades dépistés VHB et VHC positifs, après une première consultation spécialisée. Estimation selon la méthode de Kaplan-Meïer, comparaison par le log rank test. Étude Précavir 2007-2015, France
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Prise en charge des patients ARN VHC positifs

Les caractéristiques des patients porteurs d’anticorps anti-VHC sont rapportées dans le tableau 2. Il s’agit en majorité de femmes d’âge médian 45 ans, originaires d’Afrique subsaharienne mais également d’Europe de l’Est, principalement de Roumanie. Les 9 malades qui ne se sont pas présentés à la consultation spécialisée ne différaient pas significativement des 79 malades ayant bénéficié d’une consultation spécialisée.

Les résultats des 79 malades ayant bénéficié d’une première consultation spécialisée avec examens biologiques et virologiques sont résumés dans le tableau 4. Seuls 42 malades avaient un ARN-VHC positif, témoignant d’une infection chronique. Parmi ceux-ci, 80% présentaient des ALAT supérieures à la normale ; les génotypes les plus fréquents étaient les génotypes 4 et 1b, en accord avec les régions d’origine des patients. L’évaluation de la fibrose, effectuée chez 31 malades, montrait une fibrose modérée ou sévère chez 12 d’entre eux, parmi lesquels 3 étaient au stade de cirrhose. Un traitement par Peg-Interféron/ribavirine a été débuté chez 17 malades, conduisant à une guérison chez 8 d’entre eux (47%). Six patients ont été traités par antiviraux directs et tous ont guéri. Vingt-huit malades étaient toujours suivis à 6 mois et 26 à 12 mois, pour un suivi médian de 1,8 mois [1,1-22,1] (figure 3). À la date de fin de suivi, 25 malades ayant eu une consultation spécialisée et justifiant d’un suivi (51%) étaient considérés comme perdus de vue.

Tableau 4 : Résultats biologiques et virologiques des 79 malades porteurs d’anticorps anti-VHC positifs vus en consultation spécialisée, institution d’un traitement. Étude Précavir 2007-2015, France
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Discussion

Cette étude, qui se poursuit, montre que le dépistage des virus des hépatites B et C et du VIH est bien accepté par les patients en consultation médicale de premier recours, quel que soit le motif de consultation. Bien que le dépistage ciblé sur les facteurs de risque, notamment chez les migrants nés en pays de moyenne et forte endémie, soit recommandé en France, celui-ci n’est pas, en pratique, effectué systématiquement.

L’implication des médecins généralistes travaillant dans les deux PASS a été déterminante dans l’efficacité de notre dispositif. En effet, la formation des médecins de premier recours est considérée comme l’un des facteurs essentiel de la réussite des programmes de dépistage 5,6,7. En outre, une stratégie basée sur la sollicitation systématique des personnes dès leur consultation, comme cela se fait dans Précavir, parait être la plus efficace comparativement à une stratégie de dépistage par courrier 8.

Une fois accepté, le dépistage est réalisé (prélèvement sanguin) plus souvent quand il peut être effectué immédiatement sur place (97%) que lorsque le site de prélèvement se situe dans un autre lieu, même distant de quelques 500 mètres (82%). C’est dans ce type de situation que l’utilisation des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) pourrait avoir son intérêt en permettant le prélèvement au bout du doigt, avec un rendu des résultats dans les 30 minutes. Au vu d’un résultat positif, il peut être plus facile de convaincre un sujet de contrôler ce résultat sur un prélèvement veineux. La performance des TROD VHC ainsi que celle des TROD Ag HBs ont été bien établies et ces tests peuvent être utilisés dans ce contexte selon les recommandations de la Haute Autorité de santé 9,10.

Il est intéressant de noter que 98% des malades sont venus chercher leur résultat et que 87% de ces derniers honorent le rendez-vous de consultation spécialisée qui leur a été proposé. Le bilan des programmes américains de dépistage des migrants (2012-2014) est bien différent : alors que les résultats positifs sont rendus dans 85% des cas et qu’une consultation spécialisée est proposée dans 83% des cas, seuls 55% de ceux-ci se présentent effectivement à la consultation 11. Il est probable que l’organisation proposée dans notre programme Précavir facilite l’accès à la consultation spécialisée : court délai entre le test et la consultation de résultat, court délai entre le résultat et le rendez-vous de consultation spécialisée, et relances en cas d’absence.

La stratégie de dépistage systématique des hépatites virales dans les PASS s’avère non seulement possible, mais également très efficace. Elle a permis de dépister des malades originaires de pays de moyenne ou forte endémie VHB ou VHC, qui ignoraient leur statut pour 90% d’entre eux, même si près de 20% avaient déjà été dépistés. La prévalence variait avec l’origine géographique des patients, de 0,4 à 9,6% pour l’Ag HBs et de 1,1 à 5,5% pour le VHC. Ce sont les sujets originaires d’Afrique subsaharienne qui présentaient la plus forte prévalence pour l’Ag HBs et les sujets d’Europe de l’Est (essentiellement Roumanie) la plus forte prévalence pour le VHC. Plusieurs études ont montré que le dépistage du VHB est loin d’être systématique chez les personnes originaires d’Afrique subsaharienne. Ainsi, dans l’enquête ANRS-Parcours, qui décrit le parcours de soins de ces derniers en France, seuls 30% des hommes avaient bénéficié d’un dépistage systématique en raison de leur origine 12.

Dans l’estimation par méthode directe du nombre de sujets porteurs d’une infection virale C en 2011 effectuée récemment par C. Pioche et coll. 13, les immigrés représentaient plus du quart des personnes infectées. Il est probable que ce chiffre soit sous-estimé car il ne prend en compte que les immigrés légaux ; dans notre population d’étude, près de 80% sont illégaux ou demandeurs d’asile et 3% sont infectés. Cela confirme la nécessité d’un dépistage élargi des populations immigrées à fort risque d’infection virale B ou C pour maîtriser le réservoir de ces infections. À une époque où le traitement de l’infection chronique B permet une virosuppression efficace et celui de l’infection chronique C un taux de guérison très élevé, le dispositif social permettant une ouverture des droits est un volet important de la réussite du programme Précavir.

Un an après une première consultation spécialisée, 117 des 190 malades VHB positifs et 26 des 42 malades ARN VHC positifs étaient toujours suivis. Il faut cependant regretter qu’à la date de fin de suivi, 110 des 278 malades vus en consultation spécialisée soient considérés comme perdus de vue. Une situation irrégulière et l’absence de domicile fixe, pour beaucoup d’entre eux, participent certainement de l’interruption de leur prise en charge médicale.

Plusieurs études montrent que la collaboration des professionnels est indispensable à la réussite des programmes de dépistage et d’accès aux soins des personnes dépistées positives 14,15. Dans notre expérience, le partenariat avec les réseaux de santé favorise la coordination des professionnels intervenant dans le dépistage et la prise en charge des personnes dépistées positives. L’accompagnement des personnes vulnérables facilite l’accès à un parcours de soins adapté et permet une prise en charge rapide, afin d’éviter les perdus de vue. Un dispositif d’accueil, d’écoute et de soutien animé par des professionnels a été mis en place en janvier 2015 au sein des réseaux de santé de Créteil. Cet espace comprend des actions collectives de soutien visant à renforcer les capacités individuelles des personnes dépistées. Des rencontres individuelles, particulièrement appropriées pour les questions relatives à la sexualité ou au soutien psychologique, sont systématiquement proposées aux nouveaux arrivants. Ce dispositif n’a pas encore été évalué.

En conclusion, un dépistage systématique des virus des hépatites en population migrante vulnérable fréquentant les PASS, proposé par les médecins généralistes, est faisable, bien accepté et efficace. Il permet la découverte d’un grand nombre d’infections dans ces populations exposées, ainsi qu’une évaluation et une prise en charge adaptée en milieu spécialisé. Des efforts doivent cependant encore être faits pour conserver dans le soin un maximum de ces patients. Il sera intéressant d’évaluer l’impact du dispositif de soutien personnel et collectif progressivement mis en place depuis 2015 sur le maintien des malades dans leur parcours de soins.

Remerciements

À tous les médecins participant au programme Précavir : AL. Audrain, C. Barrault, J. Bessan, O.Bismuth, S. Cazard, M. Cauterman, P. Ceresuela, J. Cittée, B. Elharrar, V. Garrait, O. Houis, M. Ikka, J. Jouvie, A. Le Lagadec, JF. Lemouton, J. Madexian, I. Roustang, J. Ruault, JF. Sauvé, D. Scimeca, A. Tardieu, ML. Trompette.

Références

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Citer cet article

Roudot-Thoraval F, Rosa-Hézode I, Delacroix-Szmania I, Costes L, Hagège H, Elghozi B, et al. Prise en charge des populations précaires fréquentant les permanences d’accès aux soins de santé, atteintes d’hépatites et ayant bénéficié d’une proposition systématique de dépistage : étude Précavir 2007-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(14-15):263-70. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/14-15/2017_14-15_2.html