« Aller vers »…

// “Outreach”…

Daniel Dhumeaux
Coordonnateur des rapports de recommandations hépatites B et C 2014 et 2016, Président du comité de suivi des recommandations, Centre hospitalier universitaire Henri Mondor, Université Paris-Est, Créteil

Ce nouveau numéro du BEH, diffusé à l’occasion de la journée nationale « hépatites virales » du 20 juin 2017, tient encore une fois ses promesses.

Il est consacré dans son intégralité à l’une des préoccupations dominantes du champ des hépatites virales, la prise en charge des populations dites « vulnérables ». Ces populations sont marquées par une ou plusieurs caractéristiques de fragilité, du fait de leur santé, leur statut économique et social, leur mode de vie, leur éducation, qui les rendent difficilement accessibles, les tiennent éloignées des systèmes de prévention et de soins et, en outre, les exposent à un risque élevé d’infection virale.

Parmi elles, près de 50 000 usagers de drogues (UD) sont infectés par le VHC en France métropolitaine, d’après Santé publique France 1. Leur vie est menacée par les conséquences de cette infection et ils en constituent le principal réservoir de transmission. L’accès au traitement par les très efficaces antiviraux d’action directe (AAD), désormais universel, va permettre à la fois de protéger la santé de ces patients et de contrôler l’endémie, pourvu que des mesures renforcées de réduction des risques soient associées. Il faut faire vite.

Les UD sont très diversifiés et toutes les études qui permettent de mieux les caractériser sont bienvenues. M. Jauffret-Roustide et coll. ont analysé à Paris les profils, les pratiques et l’accès aux soins d’UD russophones, venant de pays de l’ex-bloc soviétique, par comparaison aux UD francophones. Les auteurs mettent en évidence dans cette population : (i) une séroprévalence de l’hépatite C de près de 90% (deux fois plus élevée que chez les francophones), (ii) un meilleur niveau d’études, mais des conditions de vie plus précaires que chez les francophones, traduisant un déclassement social, en lien avec la migration. De telles études sont précieuses, permettant d’adapter la prise en charge sanitaire et sociale des patients à leur profil.

Chez les personnes détenues, la prévalence de l’infection chronique par le VHC est estimée en France à 2,5% 2, soit environ 1 500 détenus. Cette prévalence, cinq fois supérieure à celle de la population générale, s’explique principalement par l’usage de drogues par voie veineuse. Des données sur les pratiques de dépistage et de prise en charge de l’hépatite C en milieu pénitentiaire sont apportées par le travail d’A.J. Remy et coll., qui repose sur une enquête réalisée en 2015 auprès des 168 unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) et qui montre que : (i) le dépistage de l’infection virale C est effectif pour 70% des personnes détenues, (ii) l’évaluation non invasive de la fibrose hépatique est réalisable dans la plupart des USMP et plus de la moitié d’entre elles bénéficient d’une consultation spécialisée sur site, (iii) les deux-tiers des USMP ont initié au moins un traitement par AAD en 2015, mais un programme d’éducation thérapeutique n’existe que dans une USMP sur six. Au regard des contraintes pénitentiaires et sanitaires, ces résultats sont encourageants, avec cependant d’importantes disparités entre les USMP, qu’il faudra corriger. Dans le rapport de recommandations 2016 sur la prise en charge des personnes infectées par le VHC 3, les mesures nécessaires pour un dépistage, un accès au traitement et un suivi optimal des personnes détenues et celles indispensables de réduction des risques ont été identifiées. Elles ont vocation à s’appliquer à toutes les USMP, incluant une formation adaptée des équipes et un lien identifié avec un médecin spécialiste de l’hépatite C. La dynamique semble enclenchée. Un nouvel état des lieux se doit d’être programmé à moyen terme.

Estimée à près de 50 000 personnes infectées en 2011 1, la population des migrants est l’une des plus touchées par l’hépatite C. Elle figure parmi les populations pour lesquelles les objectifs de dépistage et d’accès au traitement seront les plus difficiles à atteindre, tant les facteurs de vulnérabilité sont ici multiples, en particulier la précarité sociale et administrative et les discriminations. Dans ce numéro, deux expériences illustrent ces difficultés. Le travail de P. Revault et coll. provient du centre de santé du Comede, qui reçoit en consultation à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre un public de migrants récemment arrivés en France, originaires de pays divers et particulièrement vulnérables. Le bilan de santé systématiquement proposé comporte le dépistage des infections par le VHB et le VHC, avec les constats suivants : (i) la prévalence des infections chroniques par le VHB et le VHC était particulièrement élevée, respectivement 6,8% et 1,8%, très peu de personnes infectées connaissant déjà leur statut, (ii) près de la moitié des personnes n’étaient pas immunisées et devaient bénéficier d’un rattrapage vaccinal contre le VHB , (iii) les personnes infectées par le VHC cumulaient davantage de facteurs de vulnérabilité que celles infectées par le VHB. La seconde expérience, rapportée par F. Roudot-Thoraval et coll., concerne aussi le dépistage systématique des infections à VHB et à VHC, ici réalisé dans deux permanences d’accès aux soins de santé (PASS) à Créteil. Les migrants y étaient majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne et, pour la plupart, demandeurs d’asile ou en séjour irrégulier. Dans cette étude : (i) les prévalences de l’antigène HBs et des anticorps anti-VHC étaient respectivement de 7,4% et de 3,1% et, là aussi, très peu de patients connaissaient leur infection, (ii) l’accès à une consultation spécialisée et à un bilan virologique a été possible dans 90% des cas et un traitement a été institué chez la plupart des patients atteints d’hépatite B et la moitié de ceux atteints d’hépatite C, (iii) à deux ans, les deux-tiers des patients étaient toujours suivis. Ces deux expériences confirment, s’il en était besoin, la forte prévalence des infections virales B et C dans la population des personnes migrantes. Elles montrent la faisabilité d’une proposition systématique de dépistage de ces infections et la nécessité, chez ces personnes vulnérables, d’un renforcement de la prévention et, particulièrement, de la vaccination contre l’hépatite B. Elles soulignent les difficultés que ces personnes rencontrent dans leur accès aux soins, leur prise en charge thérapeutique et, au-delà, leur suivi, malgré les offres et structures existantes.

En matière de dépistage, il convient de citer les Consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), qui ont fourni, pendant près de 20 ans, une information et une offre de dépistage des hépatites B et C aux personnes vulnérables, grâce à un accès gratuit et des actions « hors les murs ». Comme décrit dans l’article de C. Pioche et coll., qui fait le bilan de 15 années de surveillance, ce sont près de 450 000 dépistages des hépatites virales qui ont été réalisés en 2015 par les 350 CDAG réparties sur tout le territoire. La création, en janvier 2016, des CeGIDD (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic de l’infection par le VIH, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles), nés de la fusion des CDAG et des Ciddist (Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles), doit permettre, notamment, une approche globale de santé sexuelle, dans les mêmes conditions de gratuité, avec la possibilité de vacciner contre l’hépatite B. Les CeGIDD ont également pour mission de mieux cibler les publics les plus éloignés des dispositifs de santé, en garantissant la simplification et la continuité de leur parcours de soins.

Les problèmes de dépistage et de prise en charge des personnes vulnérables ont fait l’objet d’une analyse détaillée dans les rapports de recommandations produits en 2014 et 2016 3,4. Les solutions pourraient venir d’expériences conduites en France, telles que celles rapportées dans ce BEH et d’autres qui ont développé : (i) l’intervention d’équipes mobiles dans les quartiers et structures « sensibles », avec la proposition systématique de tests d’orientation diagnostique (TROD) et d’une évaluation de l’état du foie (FibroScan) (Perpignan, Strasbourg), (ii) le rapprochement des professionnels des hépatites des Csapa (Centres de soins en alcoologie et addictologie) et des Caarud (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques liés à l’usage de drogues) et la mise en place, dans ces structures, d’actions coordonnées pour une prise en charge globale des patients (Bordeaux, Lille...), (iii) l’intervention de ces mêmes professionnels dans les centres de détention, notamment pour la formation des personnels dédiés (Montpellier, Fresnes…). Toutes ces initiatives ont en commun l’idée que seules les méthodes ciblant les sites où les personnes se trouvent, en allant « au-devant d’elles », pourraient être efficaces. Pour autant, le succès implique, à chaque endroit, la mobilisation forte des acteurs concernés, la formation des personnels sur site et le soutien et l’investissement des Agences régionales de santé. Ainsi, en 2016, l’ARS Île-de-France a mis en place une expérimentation avec l’AP-HP, en direction des populations vulnérables, pour le dépistage et la prise en charge de l’hépatite C, incluant pour chaque personne « hors filière de soin classique », un suivi psycho-social, un dispositif d’accompagnement par des médiateurs en santé, des consultations hospitalières précoces et un suivi adapté, l’ensemble combiné à une coordination des acteurs médico-sociaux 5. Après un an, les premiers résultats suggèrent une forte adhésion des acteurs et des patients au projet, laissant penser que cette initiative pourrait bien servir de modèle.

Pour maîtriser l’endémie d’hépatite C, il reste un long chemin. Mais rien n’aurait été possible sans la décision historique (et courageuse) de Marisol Touraine, de l’accès universel aux nouveaux traitements de l’hépatite C. Alors qu’elle vient de quitter ses fonctions, tous ceux qui l’ont accompagnée dans ce choix peuvent l’assurer de leur reconnaissance.

Nul doute qu’Agnès Buzyn, notre nouvelle ministre, elle aussi avec le soutien des professionnels de santé et des associations de patients, partagera la vision collective d’une nécessaire lutte renforcée contre les hépatites virales et, s’agissant des personnes vulnérables infectées par ces virus, saura « aller vers elles ».

Références

1 Pioche C, Pelat C, Larsen C, Desenclos JC, Jauffret-Roustide M, Lot F, et al. Estimation de la prévalence de l’hépatite C en population générale, France métropolitaine, 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(13-14):224-9. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12930
2 Chiron E, Jauffret-Roustide M, Le Strat Y, Chemlal K, Valentin MA, Serre P, et al. Prévalence de l’infection par le VIH et le virus de l’hépatite C chez les personnes détenues en France: résultats de l’enquête Prévacar 2010. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(35-36):445-50. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=11794
3 Prise en charge thérapeutique et suivi de l’ensemble des personnes infectées par le virus de l’hépatite C : rapport de recommandations 2016 sous la direction du Pr Daniel Dhumeaux, sous l’égide de l’ANRS et du CNS et avec le concours de l’AFEF. http://www.afef.asso.fr/ckfinder/userfiles/files/recommandations-textes-officiels/recommandations/rapportDhurmeaux2.pdf
4 Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B et ou de l’hépatite C : rapport de recommandations 2014, sous la direction du Pr Daniel Dhumeaux et sous l’égide de l’ANRS et de l’AFEF. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Prise_en_charge_Hepatites_2014.pdf
5 Hépatite C : l’ARS Île-de-France et l’AP-HP lancent un parcours de soins pour une meilleure prise en charge des personnes vulnérables. Communiqué de presse, 1er juin 2016. https://www.iledefrance.ars.sante.fr/hepatite-c-lars-ile-de-france-et-lap-hp-lancent-un-parcours-de-soins-pour-une-meilleure-prise-en

Citer cet article

Dhumeaux D. Éditorial. « Aller vers »… Bull Epidémiol Hebd. 2017;(14-15):252-3. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/14-15/2017_14-15_0.html