Limiter les opportunités manquées de dépistage des hépatites B et C chez les migrants en situation de précarité : le programme de Médecins du Monde en France

// Limiting missed opportunities of screening for hepatitis B and C among migrants in precarious situations: the Médecins du Monde programme in France

Marie-Dominique Pauti1 (marie-dominique.pauti@medecinsdumonde.net), Anne Tomasino1, Cécile Mari2, Céline Mathieu2, Audrey Kartner1, Céline Idrissu1, Alain Benet3, Robert Matra4, Floréale Mangin4, Laurent Luciani5,6, Agnès Gillino7, Corinne Caroli-Bosc8, Marielle Chappuis1
1 Médecins du Monde, Paris, France
2 Observatoire régional de la santé de Midi-Pyrénées, Toulouse, France
3 Médecins du Monde, Saint-Denis, France
4 Direction de la prévention et de l’action sociale de la Seine-Saint-Denis, Service de la prévention et des actions sanitaires, Bobigny, France
5 Médecins du Monde, Lyon, France
6 CeGIDD, Hôpital Édouard Herriot, Lyon, France
7 Médecins du Monde, Nice, France
8 Conseil départemental des Alpes-Maritimes, Nice, France
Soumis le 28.01.2015 // Date of submission: 01.28.2015
Mots-clés : Hépatites | Dépistage | Migrant | Précarité
Keywords: Hepatitis | Screening | Migrant | Precariousness

Résumé

La Mission France de Médecins du Monde a pour objectif de faciliter l’accès aux soins et aux droits des populations vulnérables dans le système de droit commun, et de témoigner de leur situation. La population reçue dans ses Centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO), à 94,5% étrangère, vit dans des conditions précaires et est particulièrement touchée par les hépatites B et C.

Depuis 2000, un dossier social et médical standardisé a été mis en place dans les CASO. Le dossier médical aborde la connaissance du statut sérologique vis-à-vis du VHB et du VHC. Un dépistage est proposé à tous les nouveaux patients, après un entretien de prévention individualisé.

En 2014, les 20 CASO ont reçu 28 517 patients différents. Moins de 24% connaissaient leur statut vis-à-vis des hépatites. Les Français étaient 58% à l’ignorer contre 78% des étrangers. Pour ces derniers, la méconnaissance était plus répandue parmi les classes d’âge extrêmes. Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne et d’Océanie/Amériques étaient significativement plus nombreuses à connaitre leur statut comparativement aux autres étrangers. La durée de séjour en France favorisait l’accès au dépistage. Le taux de couverture vaccinale vis-à-vis du VHB des personnes de plus de 15 ans était faible (26,9%), meilleur chez les moins de 15 ans (58,1%). Chez ces derniers, plus les conditions de logement se dégradaient, plus ce taux était bas, mais il augmentait avec la durée de séjour en France et chez les enfants suivis par les services de Protection maternelle et infantile. Parmi les patients dépistés dans quatre CASO en 2014, les prévalences de l’antigène HBs et des anticorps anti-VHC étaient respectivement de 8,6% et 4,3%.

Ces résultats soulignent toute la nécessité de développer des projets spécifiques de prévention envers les populations migrantes en situation de précarité.

Abstract

The Mission France of Médecins du Monde has for objective to facilitate the access to health care and to rights for the vulnerable populations in the common law system and to bring testimonies out. MdM’ health centers receive persons in precarious conditions for primary health care and 94.5% of the persons are foreigners. People are particularly affected by hepatitis B and C.

Since 2000, a standardized social and medical file was implemented in the health centers. The medical record covers knowledge of hepatitis B and C status. The screening is proposed systematically to all new patients after they have had a medical consultation or a special prevention consultation.

In 2014, the 20 centers cared for 28,517 patients. Less than 24% of the patients knew their status regarding hepatitis. French consultants were 58% to ignore their hepatitis status against 78% among foreigners. For foreign patients, the lack of knowledge of their hepatitis status was more frequent in extreme age classes. Citizens of Sub-Saharan Africa and Oceania/America were significantly more likely to know their hepatitis status compared to the others foreigners. However, the length of stay in France is an element promoting access to screening for hepatitis. Vaccination rate regarding hepatitis B among people 15 years or older is low (26.9%). The vaccination rate is better among children under 15 (58.1%). In this population group, vaccination rate decreased with housing conditions, but increased with the length of stay in France. Children followed by the Mother and child care services have a better vaccination rate. Among the patients screened in 2014 in 4 health centers, the prevalence of hepatitis B (HBsAg-Positive) and C (anti-HCV) was respectively 8.6% et 4.3%.

These findings highlight the necessity to develop specific prevention projects among migrant populations living in precarious situations.

Introduction

Les épidémies d’hépatites B et C sont un véritable problème de santé publique dont la distribution est très inégale dans la population, touchant particulièrement certains groupes de personnes en situation de vulnérabilité, et notamment les migrants en situation de précarité 1,2,3,4.

Médecins du Monde (MdM) intervient en France, depuis 1986, auprès des populations les plus vulnérables afin de leur assurer un accueil médico-social, de faciliter leur accès à la prévention, aux soins et aux droits dans le système de droit commun, et de témoigner de leur situation. En 2014, l’association comptait 71 programmes, dont 20 Centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) et 50 actions mobiles dans 33 villes. Un programme transversal pour renforcer la prévention du VIH, des infections sexuellement transmissibles (IST) et des hépatites B (VHB) et C (VHC) et améliorer l’accès au dépistage pour la population reçue a été mis en place en 2003 au CASO de Paris, précurseur du projet. En 2014, 20 équipes, dont 11 CASO, participaient à ce programme.

Les populations reçues dans les CASO sont le plus souvent étrangères et originaires de zones à forte endémie concernant ces pathologies 5,6. Elles sont par ailleurs soumises à des risques multiples au cours de leur parcours migratoire, sont souvent en grandes difficultés d’accès à la prévention et font face à une précarité socioéconomique importante en France 2.

Cet article présente le degré de méconnaissance du statut sérologique vis-à-vis du VHB et du VHC des personnes rencontrées dans les CASO de MdM en 2014 et identifie les facteurs sociodémographiques liés à cette méconnaissance. Le taux de couverture vaccinale vis-à-vis du VHB de la population reçue est aussi analysé au regard de ces facteurs.

Enfin, l’article rapporte les taux de prévalences de l’antigène HBs (AgHBs) et des anticorps anti-VHC (Ac anti-VHC) parmi les patients dépistés dans quatre CASO en 2014.

Patients et méthode

En 2000, MdM a mis en place un Observatoire de l’accès aux droits et aux soins au sein de la Mission France afin d’enrichir les connaissances sur les populations accueillies et de témoigner de leurs difficultés d’accès aux dispositifs de droit commun. Un dossier social et un dossier médical standardisés ont été mis en place dans tous les CASO. Le dossier social renseigne la situation sociodémographique de la personne au jour de sa première visite au CASO. Le dossier médical renseigne notamment le statut vaccinal et sérologique de la personne, en plus des motifs de la consultation. La méthodologie du recueil de données a été précédemment décrite 7.

Dans le cadre du programme de prévention, un protocole permet d’assurer des actions au quotidien : formation d’une équipe dédiée dans chaque programme, messages de prévention délivrés aux patients (qui viennent avec une toute autre demande) lors d’un entretien de counseling individualisé, proposition de dépistages, accompagnement des patients dans cette démarche.

Les patients souhaitant faire un dépistage sont adressés le plus souvent vers les Centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) ou les Centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist) (1), vers des laboratoires de ville ou vers des Centres d’examens de santé (où un bilan de santé peut être réalisé) avec lesquels des partenariats ont été formalisés. Les CDAG/Ciddist accueillent les personnes dans leurs locaux ou à MdM lors de leurs permanences « hors les murs ». Un recueil de données est réalisé par les intervenants de MdM dans le cadre de ce programme. Il comporte deux volets :

  • une fiche d’entretien de prévention sur le VIH, les hépatites et les IST remplie par l’intervenant. Seule cette fiche est renseignée si les patients sont orientés vers le CDAG, qui assurera la suite de la prise en charge et le rendu des résultats ;
  • une fiche de consultation post-résultat, remplie par le médecin à l’issue du dépistage si les patients ont été adressés vers des laboratoires ou des Centres de santé.

Ces recueils de données sont tous anonymisés et ont fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Les entretiens ont lieu dans des espaces respectant la confidentialité, avec recours à un interprète si nécessaire. Le consentement oral des patients est obtenu après information sur la finalité et les objectifs des recueils. Les données individuelles sont saisies à l’aide du logiciel Sphinx-Plus2 et analysées sur Stata®.

Certains CDAG/Ciddist nous adressent en fin d’année des résultats anonymisés pour les patients qui ont été orientés vers ces structures.

En 2014, les CASO de Lyon, Nice, Paris et Saint-Denis (93) ont établi des partenariats avec des laboratoires, Centres d’examens de santé ou CDAG/Ciddist. Les données issues des CDAG/Ciddist représentaient environ 27% des dépistages du VHB et du VHC réalisés en 2014 auprès des patients dépistés dans ces quatre CASO.

L’ensemble des données issues des laboratoires, Centres de santé et CDAG/Ciddist ont été saisies et analysées sur Excel.

Résultats

Caractéristiques sociodémographiques des personnes rencontrées dans les CASO en 2014

En 2014, les CASO ont enregistré 61 829 passages pour 28 517 personnes différentes et ont réalisé 40 790 consultations médicales et dentaires auprès de 22 538 patients différents. Les personnes rencontrées étaient majoritairement des hommes (61,8%). La moyenne d’âge était de 33,1 ans. Seules 9% disposaient d’un logement personnel et 70,5% vivaient seules (avec ou sans enfant). Plus de 94,5% des patients étaient étrangers, les ressortissants d’Afrique subsaharienne étant les plus nombreux (29,2%), suivis des ressortissants du Maghreb (24%), de l’Union européenne (UE)-hors France (18,1%) et de l’Europe-hors UE (10,3%). Les personnes de nationalité roumaine étaient les plus représentées (11,9%). Pour 67,6% d’entre eux, les étrangers résidaient en France depuis moins d’un an. Parmi les étrangers majeurs, 67,3% n’avaient pas d’autorisation de séjour. Seules 14,8% des personnes disposaient de droits ouverts à une couverture maladie au jour de leur première visite. Enfin, près de 98% des personnes vivaient en-deçà du seuil de pauvreté.

Le profil des personnes rencontrées dans les quatre CASO de Lyon, Nice, Paris et Saint-Denis était peu différent de celui des personnes rencontrées dans l’ensemble des CASO. La part des patients étrangers y était un peu plus importante (98%) mais la répartition selon les groupes continentaux suivait la même tendance : Afrique subsaharienne (36,7%), Maghreb (17%), UE-hors France (15,8%), Europe-hors UE (11,8%). Les patients les plus représentés dans ces quatre CASO étaient originaires respectivement de Roumanie, Tunisie, Cameroun et Pakistan.

Connaissance des statuts sérologiques VHB et VHC

Dans 50% des consultations médicales, les professionnels de santé ont interrogé le patient sur son statut sérologique vis-à-vis du VIH ou des hépatites. Respectivement 23,7% (n=2 455) et 23,4% (n=2 419) des patients connaissaient leur statut vis-à-vis de l’hépatite B et C.

L’absence de connaissance des statuts sérologiques était significativement plus fréquente parmi les ressortissants étrangers que chez les Français. Seuls 22% des étrangers connaissaient leur situation vis-à-vis des hépatites B et C, vs 42% des Français.

Pour les étrangers, c’est parmi ceux originaires d’Europe-hors UE, du Proche et Moyen-Orient et du Maghreb que la part des personnes ignorant leur statut vis-à-vis du VHB était la plus élevée. Pour le VHC, cette tendance n’était significative que pour le Maghreb. À l’opposé, cette méconnaissance était moins fréquente pour les personnes originaires d’Océanie/Amériques et d’Afrique subsaharienne. La méconnaissance des statuts n’était pas significativement différente selon le sexe, mais elle était significativement plus répandue dans les classes d’âge extrêmes (moins de 20 ans et 60 ans et plus). La dégradation des conditions de logement était associée à une méconnaissance plus importante du statut sérologique. Cependant, la durée de séjour en France était un élément favorisant l’accès au dépistage (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques associées à la méconnaissance des statuts sérologiques VHC et VHB parmi les patients étrangers reçus dans les Centres d’accueil, de soins et d’orientation de Médecins du Monde, France, 2014 (analyses multivariées)
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Couverture vaccinale vis-à-vis du VHB

Dans 55% des consultations médicales, les médecins ont interrogé le patient sur son statut vaccinal vis-à-vis du VHB. Les personnes présentant un carnet de vaccination ou pour lesquelles les médecins avaient de bonnes raisons de penser que leurs vaccins étaient à jour, ont été considérées comme à jour. Le taux de couverture vaccinale vis-à-vis du VHB des personnes de plus de 15 ans reçues dans les CASO était faible (26,9%). Chez les moins de 15 ans (64% avaient moins de 7 ans), ce taux était sensiblement plus élevé (58,1%). Chez ces derniers, plus les conditions de logement se dégradaient, plus le taux de vaccination était faible : 73,2% si logement personnel versus 42,6% pour les jeunes sans domicile fixe ou en hébergement d’urgence. Mais le taux de couverture vaccinale augmentait significativement au-delà de 3 ans de résidence en France (72,9%) et devenait même supérieur à celui des enfants français (60,8%). Enfin, on constate que les enfants de moins de 7 ans suivis par les services de Protection maternelle et infantile (PMI) étaient mieux vaccinés (73,9%) que les enfants non suivis en PMI (54%) 2.

Prévalence des hépatites B et C parmi les patients dépistés dans quatre CASO

En 2014, nous avons obtenu, pour les CASO de Lyon, Nice, Paris et Saint-Denis, les résultats de plus de 1 650 sérologies des hépatites B et C. Il en ressort que les prévalences de l’AgHbs et des Ac anti-VHC étaient, respectivement, de 8,6% et 4,3% (tableau 2).

Tableau 2 : Prévalences de l’AgHBs et des Ac anti-VHC parmi les patients dépistés dans quatre Centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO de Lyon, Nice, Paris et Saint-Denis) de Médecins du Monde, France, 2014
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Discussion

Moins de 24% des patients déclaraient connaitre leur statut concernant les hépatites B et C, ce qui témoigne d’une importante méconnaissance des statuts sérologiques. Cette méconnaissance est plus importante chez les étrangers que chez les Français. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces différences. Une minorité de personnes ont accès au dépistage et au traitement des hépatites B et C dans leur pays d’origine 6. Par ailleurs, les conditions économiques et sociales dégradées des migrants en France ont souvent un effet délétère sur leur état de santé. Ils ont ainsi un recours aux soins plus tardif et sont davantage orientés vers des soins curatifs que préventifs 2,8. Par ailleurs, l’accès à une protection sociale, plus difficile pour les migrants, constitue également une barrière à l’accès aux soins 2. Ces difficultés peuvent être renforcées par des difficultés de communication. En France, selon une étude récente, moins de 5% des patients allophones interrogés ont eu recours aux services d’interprétariat professionnel lors de leur consultation médicale 9. Il est probable que, dans ces conditions, la prévention des hépatites soit peu abordée.

Des variations sont cependant relevées selon l’origine géographique des étrangers : le risque de méconnaitre son statut sérologique vis-à-vis du VHB ou du VHC est moins important dans notre étude chez les ressortissants d’Afrique subsaharienne et d’Océanie et Amériques. Une étude de Rigal et coll. soulignait que le fait d’être originaire d’Afrique subsaharienne favorise la proposition de dépistage des hépatites B et C par les professionnels de santé 10.

La méconnaissance des statuts sérologiques vis-à-vis des hépatites n’est pas plus importante chez les hommes que chez les femmes, contrairement au VIH 2,7, suggérant un moindre dépistage des hépatites que du VIH chez les femmes, non seulement en France, mais aussi dans les pays d’origine, dans la plupart desquels il n’y a aucun programme incitant au dépistage chez la femme enceinte 6.

La méconnaissance du statut sérologique est plus importante parmi les classes d’âge extrêmes (<20 ans et ≥60 ans), comme pour le VIH 7. Dans l’étude de Rigal et coll., l’absence de proposition de dépistage du VHC par les professionnels était significativement plus élevée dans les classes d’âge supérieures à la classe de référence (25-34 ans) et, pour le VHB, on notait une augmentation progressive de l’absence de proposition de dépistage après 25 ans 10.

Par ailleurs, les études soulignent une moindre connaissance des hépatites, notamment du VHC, par les populations précaires, et les personnes en situation de précarité sociale et administrative sont celles qui connaissent le moins les structures proposant des dépistages anonymes et gratuits 11,12. Rappelons que la méconnaissance du dispositif socio-sanitaire français constitue la 2e barrière à l’accès aux soins pour les patients accueillis par MdM en 2014 2. Cependant, la durée du séjour en France augmente les opportunités de dépistage.

Les taux de couverture vaccinale vis-à-vis du VHB sont inférieurs à ceux retrouvés en population générale 13. Chez les moins de 15 ans ce taux, bien que supérieur à celui des adultes, reste très perfectible. Il est difficile de comparer nos données à celle de l’étude Enfants et familles sans logement en Île-de-France (Enfams) menée par l’Observatoire du Samusocial en 2013 14, car nous ne disposons pas de la variable « nés hors de France » ni de la même stratification selon l’âge. Cependant, nous retrouvons un gradient négatif du niveau de vaccination avec la dégradation des conditions de logement. De plus, l’étude Enfams montrait une proportion d’enfants à jour chez les enfants nés hors de France inférieure à tout âge à celle des enfants nés en France, mais qui augmentait avec la durée de séjour des enfants sur le territoire, témoin d’un rattrapage vaccinal – même s’il reste incomplet – chez ces enfants 15. Ceci est à mettre en regard avec nos données qui montrent que les taux de couverture chez les enfants étrangers augmentent par contre significativement à partir de 3 ans de résidence en France (72,9%) et deviennent même supérieurs à ceux des enfants français, suggérant un phénomène de rattrapage avec le temps. Enfin, dans notre étude les enfants suivis par la PMI ont un taux de couverture vaccinale 1,4 fois supérieur à celui des enfants non suivis en PMI. L’étude Enfams soulignait que le recours aux soins des enfants de moins de 6 ans se faisait essentiellement via les PMI (76%). Ces dispositifs, dont le rôle est crucial en matière de prévention, doivent être renforcés et pérennisés dans un objectif de réduction des inégalités de santé.

Les problèmes de santé liés aux hépatites sont encore insuffisamment abordés dans les consultations de MdM, comme en témoignent les faibles taux de réponse concernant les statuts sérologiques (50%) et la couverture vaccinale (55%). Cependant, on note un progrès dans l’abord de ces questions depuis la mise en place du programme de prévention en 2006 : ces taux étaient alors respectivement de 26,3% et 24,5%. Une des difficultés à mettre en place des actions de prévention réside non seulement dans le fait que les patients arrivent à MdM avec une toute autre demande, mais aussi que la majorité d’entre eux ne sont vus qu’une fois avant de recouvrer leurs droits à une couverture maladie et d’être réorientés vers le système de droit commun.

Ces résultats soulignent l’importance de la sensibilisation et du rôle des professionnels médico-sociaux auprès de ces publics, ainsi que la nécessité d’accentuer les efforts en termes de dépistage et de vaccination vis-à-vis des populations résidant en France depuis moins d’un an, a fortiori celles présentes depuis moins de trois mois, dites « primo arrivantes », qui sont, selon nos résultats, les plus éloignées des programmes de prévention.

Plus généralement, en 2012, l’indice de performance européen pour la lutte contre les hépatites B et C comparant les politiques appliquées par 30 pays européens, a été présenté par l’ELPA (European Liver Patient Association) et le groupe de réflexion HCP (Health Consumer Powerhouse) : encore trop peu de pays mènent une action efficace de lutte contre les hépatites. Même dans les quelques pays où un plan national était en place, le taux de dépistage des personnes infectées était inférieur à 40%. Il se situe par exemple entre 14 et 18% dans des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Dans la plupart des autres pays, il varie de 0,3% (Grèce) à 3% (Pologne). Au Royaume-Uni par exemple, il n’y avait pas de programme en direction des migrants originaires de zones à forte endémie 16. La première étude prospective, menée récemment au Royaume-Uni dans neuf services d’urgence dans les zones de forte prévalence du VIH, visait à proposer un dépistage systématique des hépatites pour les patients consultant aux urgences : un grand nombre de nouveaux diagnostics d’hépatites virales ont été posés, diagnostics qui auraient été sinon méconnus 17. Ces données incitent à redoubler les efforts pour aboutir à une véritable stratégie, non seulement européenne, mais mondiale, de lutte contre les hépatites.

Les prévalences de l’AgHBs et des Ac anti-VHC chez les patients dépistés dans quatre CASO sont respectivement de 8,6% et 4,3%. Ces résultats doivent être interprétés à la lumière des données épidémiologiques disponibles : l’enquête de 2004 sur la prévalence des hépatites B et C en France rapportait une prévalence de 0,65% pour l’AgHBs et de 0,84% pour les Ac anti-VHC. Elle soulignait l’influence de la précarité sociale sur ces prévalences : les prévalences de l’AgHBs et des Ac anti-VHC étaient respectivement 3 et 3,5 fois plus élevées chez les patients en situation de précarité, c’est à dire ceux rencontrés à MdM.

Par ailleurs, dans cette même étude, la prévalence du portage chronique de l’AgHBs était estimée à 4,01% chez les migrants nés en zone de forte endémicité (Afrique subsaharienne ou Asie). Celle des Ac anti-VHC était estimée à 10,17% chez les personnes nées en zone de forte endémicité (Moyen-Orient) et à 1,69 % chez ceux nés en zone de moyenne endémicité (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Asie, Pacifique et sous-continent indien) 18.

Nous ne disposons pas de l’origine géographique de l’ensemble des patients dépistés dans nos CASO, mais la prévalence de l’AgHBs y est plus élevée que celle rapportée dans l’enquête de 2004. Notons une prévalence extrêmement élevée des Ac anti-VHC parmi les patients dépistés au CASO de Saint-Denis. Or, les patients les plus représentés dans ce CASO sont originaires du Pakistan, pays où la prévalence est supérieure à 20% dans certaines régions 6, comme le confirme l’étude présentée par le CDAG 93, qui montre une prévalence de 24% chez les Pakistanais originaires du Pendjab dépistés au CASO de Saint-Denis entre 2012 et 2014 19.

Ces résultats montrent la nécessité de développer en France des projets spécifiques de prévention dans toutes les structures accueillant des migrants en situation de précarité. Comme le recommandent les experts, il faut poursuivre les stratégies de dépistage ciblé, y associer une information auprès des médecins généralistes et de la population et renforcer la complémentarité des différents acteurs pour élargir l’offre de dépistage aux populations vulnérables 13. Les partenariats entre les structures ou associations accueillant des populations précaires et les équipes mobiles des CDAG/Ciddist et/ou de centres de vaccination doivent être développés. Il convient également de garantir l’existence, la pérennisation et l’amélioration des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et des PMI, qui constituent pour les personnes en situation de précarité sans couverture maladie l’unique porte d’entrée dans la prévention ou le soin. Enfin, la proposition systématique d’un bilan de santé, incluant l’ensemble des pathologies infectieuses ou à caractère préventif, lors de l’ouverture des droits à l’Aide médicale d’État (AME) pourrait être une solution pour augmenter le recours à la prévention et au dépistage chez les populations en situation de précarité.

Limites de l’étude

Cette étude est basée sur un recueil médical réalisé par les médecins des CASO, qui n’abordent pas systématiquement les questions relatives aux statuts sérologiques ou au statut vaccinal des patients, comme en témoignent les taux de réponse qui se situent respectivement autour de 50% et 55%, ceci pour des raisons de manque de temps ou de confidentialité. En effet, les médecins n’abordent pas systématiquement ces questions avec les patients qui parlent peu ou pas le français et qui viennent pour d’autres problèmes de santé. Pour des raisons de barrière linguistique, il arrive que les consultations aient lieu en présence d’une tierce personne (conjoint, enfant, ami, interprète…). Cette présence peut induire un biais de réponse, en particulier pour des questions sensibles. Enfin, les questions relatives aux vaccinations ou dépistages peuvent faire l’objet d’un biais de mémoire : en effet, il est possible que nombre de patients ne sachent plus quels dépistages ou quels vaccins ils ont reçu depuis leur enfance, ne disposant pas ou plus de carnet de santé.

Par ailleurs, les données sociodémographiques concernant les personnes dépistées ne sont pas systématiquement saisies par les intervenants de MdM ou transmises par les CDAG/Ciddist, ce qui ne permet pas de décrire avec précision la population concernée.

Conclusion

Les programmes de MdM, accueillant en majorité une population migrante, jeune, en situation de précarité, sont des lieux privilégiés pour informer, proposer un dépistage et accompagner vers les soins. Outils au plus proche des populations les plus exposées, les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) du VIH et du VHC utilisés dans certains programmes offrent une nouvelle opportunité de dépistage pour les personnes qui sont en dehors du système classique de dépistage.

Limiter les opportunités manquées de dépistage est un enjeu majeur de santé publique, d’autant plus qu’environ la moitié des patients porteurs d’une hépatite chronique B ou C s’ignorent 13,20. Cet enjeu est d’autant plus important que des traitements efficaces et une vaccination contre le VHB existent et que les insuffisances en termes de dépistage constituent une perte de chance intolérable pour les personnes infectées.

Remerciements

À tous les patients ayant accepté de répondre à nos questions. À toutes les équipes de Médecins du Monde investies sur ce programme et à la Direction des Missions France. À l’ensemble de nos partenaires : CDAG/Ciddist, Centres d’examens de santé, notamment le centre de Bobigny-CPAM 93, le centre de santé Edison à Paris, les laboratoires. À la Direction générale de la santé qui nous soutient sur ce programme.

Références

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2 Médecins du Monde France. Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la mission France. Rapport 2014. Paris: Médecins du Monde; 2015. 153 p. http://www.medecinsdumonde.org/actualites/publications/2015/10/17/observatoire-2014-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins-en-france
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10 Rigal L, Rouessé C, Collignon A, Domingo A, Deniaud F. Facteurs liés à l’absence de proposition de dépistage du VIH-sida et des hépatites B et C aux immigrés en situation de précarité. Rev Epidémiol Santé Publique. 2011;59(4):213-21.
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20 Brouard C, Le Strat Y, Larsen C, Jauffret-Roustide M, Lot F, Pillonel J. Estimation du nombre de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en France en 2014. Implications pour des recommandations de dépistage élargi. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(19-20):329-39. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12575

Citer cet article

Pauti MD, Tomasino A, Mari C, Mathieu C, Kartner A, Idrissu C, Benet A, et al. Limiter les opportunités manquées de dépistage des hépatites B et C chez les migrants en situation de précarité : le programme de Médecins du Monde en France. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(13-14):230-6. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/13-14/2016_13-14_2.html

(1) CDAG et Ciddist sont devenus CeGIDD (Centre gratuit d’information, de depistage et de diagnostic) depuis le 1er janvier 2016.