Hépatites B et C : mieux savoir pour mieux agir
// Hepatitis B and C: Build knowledge for better action
La parution de ce BEH consacré aux hépatites B et C permet tout d’abord de saluer la poursuite de l’engagement de Santé publique France, la nouvelle Agence nationale de santé publique, auprès des personnes atteintes d’hépatites, soulignant ainsi l’attention portée à ce problème de santé, si important par sa fréquence dans certains groupes à risque et par sa gravité potentielle.
L’éclairage apporté est particulièrement pertinent, couvrant aussi bien l’effort de dépistage, la surveillance, la gestion des risques et surtout, pour l’hépatite C, la prévalence, indicateur de résultat majeur.
Ces travaux fournissent l’occasion de réfléchir aux conséquences possibles de ces données pour la politique de santé consacrée aux hépatites B et C.
Le point fort de ce numéro est l’estimation de prévalence de l’hépatite C en 2011 en France (Corinne Pioche et coll.). Il s’agit d’abord d’un message d’espoir, suggérant une possible baisse de prévalence de l’hépatite C chronique en population générale, de 0,53% [0,40-0,70] en 2004 à 0,42% [0,33-0,53] en 2011. Avec l’arrivée des nouvelles générations de traitement de l’hépatite C, cette tendance à la baisse de la prévalence devrait se confirmer et s’accentuer.
L’autre résultat de ce travail innovant, presque plus intéressant encore, est l’estimation de la répartition des cas selon les groupes exposés, même si ces résultats doivent être interprétés avec une grande prudence. Cette répartition nous indique que les deux groupes les plus représentés parmi les personnes touchées par l’hépatite C en 2011 étaient les migrants, d’une part, et les patients ayant été transfusés avant 1992, d’autre part. La problématique sanitaire diffère toutefois pour ces deux groupes :
- pour les migrants, la question posée est d’abord celle de l’accès aux soins. Les restrictions croissantes apportées à cet accès, notamment pour les personnes vivant en France « en situation irrégulière », rendent difficile tout progrès sanitaire dans ce contexte. Une autre question est celle de la logique d’action pertinente pour ce groupe, au demeurant très hétérogène : faut-il privilégier une démarche de prévention de l’hépatite C « orientée » vers eux ? Ou bien une démarche communautaire, abordant plus globalement la santé des migrants, prenant mieux en compte leurs caractéristiques socioculturelles, est-elle plus indiquée ? Faut-il privilégier d’emblée les hépatites, quitte à négliger d’autres problèmes de santé peut-être plus préoccupants, ou plutôt commencer par un diagnostic de santé dans ses diverses dimensions, y compris médico-sociales, puis répondre d’abord aux problèmes jugés ainsi prioritaires ? La réponse proposée par Médecins du Monde telle qu’elle est rapportée dans ce numéro (Marie-Dominique Pauti et coll.) est remarquable, car elle opère une synthèse entre ces deux logiques : l’entrée dans le dispositif des Centres d’accueil, de soins et d’orientation est globale, pour tout problème de santé, et le dispositif est complété par un programme transversal prenant spécifiquement en compte les hépatites virales (avec d’autres infections) ;
- pour les patients transfusés, les importants efforts dans la sélection et le dépistage des donneurs de sang ont quasiment tari cette source de l’épidémie. L’article d’Elise Seringe et coll. nous rappelle cependant qu’en matière de prévention des infections liées aux soins, et plus généralement en termes de sécurité des patients, rien n’est jamais acquis. Ce travail illustre aussi l’utilisation de la méthode ALARM, protocole d’analyse des causes d’incidents survenus dans le système de soins initialement conçu pour améliorer la sécurité des patients, et appliqué ici au contexte des infections liées aux soins. L’estimation des cas prévalents d’hépatite C chez des patients transfusés nous rappelle à quel point notre système d’information était fragile – et le reste en partie – lorsqu’il est nécessaire d’identifier des patients concernés par des soins spécifiques anciens pour leur proposer un dépistage orienté. Ce rappel conforte les professionnels de santé dans les efforts contraignants qu’ils consentent au quotidien pour assurer désormais cette traçabilité des soins.
La situation dominante de ces deux groupes de population vis-à-vis du risque d’hépatite C ne doit pas amener à occulter celui des usagers de drogues, chez qui la prévalence de l’hépatite C reste très élevée : on sait que, pour ces derniers, la politique de réduction des risques est l’orientation de choix. On ne peut que se réjouir de l’impulsion récente dans cette direction apportée par la loi de modernisation de notre système de santé 1.
Ce numéro comporte aussi un travail consacré à la surveillance des hépatites B aiguës (Cécile Brouard et coll.), confrontant les résultats issus de la déclaration obligatoire à ceux de la nouvelle enquête LaboHep 2013 2. La fragilité constatée du dispositif de déclaration obligatoire (faible taux d’exhaustivité) n’est pas nouvelle ; les résultats descriptifs des cas sont bienvenus, même s’ils ne sont pas originaux. Il n’est pas question de renoncer à surveiller cette affection, mais de discuter des moyens d’améliorer ce dispositif. Espérons qu’une simplification des critères définissant les cas aigus et que la disponibilité de moyens techniques modernes de déclaration permettront d’améliorer la validité du dispositif. Un raccourcissement du délai entre les enquêtes LaboHep, réalisées sur un échantillon représentatif de laboratoires d’analyses biologiques, enquêtes pour le moment triennales, pourrait constituer une alternative. Dans les limites de la validité de la déclaration obligatoire, le constat que plus des trois quarts des cas déclarés relevaient d’une indication vaccinale au titre de situations à risque doit faire réfléchir les professionnels de santé. Au nom d’un risque hypothétique de cette vaccination dans la population générale (risque non confirmé), des personnes exposées à un risque élevé d’hépatite B ne sont pas vaccinées, alors que nul ne discute du bien-fondé de cette indication : il y a là une véritable perte de chance pour les intéressés et une motivation accrue pour « rattraper » ce défaut de couverture vaccinale, aussi bien chez ceux appartenant à des groupes exposés (migrants, usagers de drogues intraveineuses) que chez les jeunes de la génération concernée par l’abandon temporaire de cette vaccination à partir des années 1990.
En filigrane de ce numéro, on peut aussi discerner les autres informations nécessaires pour progresser dans la lutte contre les hépatites B et C.
La première perspective est celle d’une différenciation régionale des données. L’enquête de 2004 avait déjà pointé les écarts de prévalence entre inter-régions 3, confirmés par les taux de positivité des tests de dépistage réalisés dans les laboratoires et les CDAG, ainsi que par les données de l’ALD selon lesquelles, en 2012, le taux de patients en ALD6 pour hépatite B variait de 1 à 6 selon les régions métropolitaines, et de 1 à 3 pour l’hépatite C. Les écarts sont encore plus marqués si l’on prend en compte l’Outre-Mer. La poursuite du déclin des hépatites au niveau national – au moins pour l’hépatite C (en l’absence d’information pour l’hepatite B) – passe nécessairement par une baisse plus marquée là où la prévalence est plus forte. Il est donc clair que les efforts ne peuvent être identiques d’une région à l’autre. Les progrès en matière d’hépatites virales sont donc en grande partie dans les mains des Agences régionales de santé. Celles-ci ont besoin d’informations régionales spécifiques, portant aussi bien sur l’épidémiologie que sur le recours aux soins préventifs et curatifs. Santé publique France en a fait l’une de ses priorités d’action depuis plusieurs années 4, et le Comité de suivi des recommandations présidé par Daniel Dhumeaux a clairement pointé cet enjeu 5.
Une autre perspective concerne les groupes sociaux en situation de précarité. L’enquête de prévalence de 2004 avait apporté une information majeure et innovante : identifier la CMUc comme marqueur de risque des hépatites B et C 3, confirmant l’influence des déterminants sociaux sur ces infections mais surtout ouvrant une possibilité pratique d’identifier les personnes concernées pour leur proposer dépistage et offre de soins, le cas échéant. Pour autant, l’estimation de prévalence nationale 2011 n’a pu prendre en compte le groupe des personnes précaires comme groupe à risque, faute de données spécifiques. Les actions de dépistage orientées vers ces personnes, actions qui auraient été en parfaite cohérence avec les constats, ne sont guère lisibles. Est-on bien sûr que ces personnes, lorsque leur contamination est identifiée, probablement plus tardivement que chez les autres, ont bien les mêmes chances d’accès aux soins ? Autant de questions en suspens, en l’absence de données sociales utilisables dans les bases de données médico-administratives 6.
Sur ces deux points, mais pas seulement, la disponibilité régulière d’informations épidémiologiques reste un élément important de la lutte contre les hépatites B et C.