Évolution de l’épidémiologie de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée par dialyse ou greffe rénale en France entre 2007 et 2012
// Trends of end stage renal failure epidemiology treated by dialysis or kidney transplantation in France between 2007 and 2012
Résumé
L’incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée (IRTT) semble se stabiliser depuis 2007. Néanmoins, chaque année dans notre pays, près de 10 000 personnes démarrent un traitement de suppléance, essentiellement par dialyse. Malgré l’augmentation du prélèvement, moins de 3 000 personnes bénéficient chaque année d’une greffe rénale, essentiellement parmi les 41 000 malades en dialyse.
En l’absence de modification majeure de l’incidence de l’IRTT, de la distribution des déterminants de la qualité de vie dans la cohorte des malades en traitement de suppléance et des pratiques de soins, les résultats de l'enquête de qualité de vie Quavi-REIN 2011 peuvent être considérés comme toujours d’actualité et extrapolables à l’ensemble de la France métropolitaine. À qualité de vie inchangée pour la dialyse et la greffe rénale, l’augmentation du nombre de malades porteurs d’un greffon rénal fonctionnel contribue à augmenter la qualité de vie de l’ensemble.
Abstract
The incidence of treated end-stage renal disease (ESRD) appears to have stabilized since 2007. Nevertheless, nearly 10,000 patients start each year a replacement therapy, mainly by dialysis. Despite increasing organ procurement, less than 3,000 patients benefit each year from kidney transplant, mainly among the 41,000 prevalent dialysis patients.
In the absence of major changes regarding incidence, distribution of quality of life related factors in the cohort of ESRD treated patients and healthcare practices, results concerning quality of life from the 2011 QUAVI-REIN survey can still be considered up to date and extrapolated to the whole of metropolitan France. In the absence of significant changes in dialysis or transplant related quality of life, the increase in the number of patients living with a functioning kidney transplant helped improve the overall quality of life for the entire ESRD patients community.
Introduction
Les données épidémiologiques présentées ici proviennent du registre du Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN), qui réalise (1) l’enregistrement continu et exhaustif de chaque démarrage d’un traitement de suppléance par dialyse ou greffe rénale pour les patients souffrant d’une maladie rénale chronique (MRC) et (2) le suivi actif du devenir de la cohorte par la déclaration d’un ensemble d’événements (transferts vers un autre lieu de traitement, changements de traitement, décès) et par un suivi annuel systématique du devenir du malade et de ses comorbidités 1,2.
Les tendances évolutives des grands indicateurs épidémiologiques de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée (IRTT) entre 2007 et 2011 permettent de replacer dans leur contexte les résultats des enquêtes de qualité de vie présentés dans ce numéro du BEH 3,4,5,6. Ces tendances ont été mesurées sur les 18 régions métropolitaines pour lesquelles on dispose de données exhaustives depuis 2007 : Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Champagne-Ardenne, Centre, Corse, Haute-Normandie, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, représentant 80% de la population française.
Les données épidémiologiques les plus récentes disponibles (2012) portent quant à elles sur l’ensemble des 26 régions françaises 7.
Stabilisation de l’incidence de l’IRTT entre 2007 et 2011
L’incidence globale de l’IRTT, standardisée sur l’âge et le sexe, a augmenté de 5% entre 2007 et 2009, puis a diminué de 2% entre 2009 et 2011 pour atteindre 148 personnes par millions d’habitants (pmh) (figure 1). La stabilisation de l’incidence, confirmée depuis, concernait toutes les tranches d’âge en dessous de 85 ans et aussi bien les personnes diabétiques que non diabétiques 7,8. Un accroissement de la diffusion des mesures ralentissant la progression de la MRC en amont du stade terminal est une hypothèse plausible, mais non vérifiable à partir du registre, pour expliquer cette stabilisation. Il en va de même pour un éventuel recours plus fréquent à des soins conservateurs palliatifs, une sélection plus stricte des malades susceptibles de bénéficier de la dialyse, ou l’impact éventuel, en France, des recommandations récentes privilégiant un démarrage plus tardif de la dialyse 9. Les changements de méthode de calcul du débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe), antérieurs à la période étudiée, ou la valeur recommandée pour la fonction rénale résiduelle au démarrage de la dialyse sont davantage susceptibles d’influencer l'épidémiologie de la MRC que le démarrage de la dialyse lui-même, qui s’appuie sur la situation clinique et pas uniquement sur la biologie.
Le nombre de nouveaux patients, et donc la charge en soins, a continué d’augmenter jusqu’en 2010 (figure 1). Chez les patients diabétiques, la part d’augmentation non expliquée par l’évolution démographique restait prépondérante (figure 2a). Un tel constat laisse supposer qu’il existe encore des variations dans l’épidémiologie et/ou dans les pratiques de prise en charge des patients diabétiques insuffisants rénaux en amont du stade terminal 10. Chez les non diabétiques, l’augmentation du nombre de patients démarrant un traitement de suppléance était essentiellement due à la mécanique démographique et au vieillissement de la population (figure 2b).
Sur la période 2007-2011, les caractéristiques des malades incidents et leurs conditions de prise en charge initiale n’ont pas changé de manière importante. Le pourcentage de personnes âgées et la fréquence des comorbidités à l’initiation de la dialyse se sont globalement stabilisés ou ont peu augmenté ; l’augmentation la plus marquée a concerné les patients obèses (indice de masse corporelle – IMC≥30 kg/m2), qui constituaient une part croissante des malades arrivant en dialyse (tableau 1). Le DFGe médian est resté stable ou a légèrement augmenté, avec une baisse lente du pourcentage de patients démarrant à moins de 5 ml/min/1,73m2. Alors que le pourcentage de patients démarrant la dialyse en urgence est resté relativement stable, celui de patients débutant avec un cathéter a continué d’augmenter plus nettement. Le démarrage en dialyse péritonéale a diminué (tableau 2). Le pourcentage de patients ayant un taux d’hémoglobine (Hb) à moins de 10 g/dl a augmenté, de pair avec une baisse de l’utilisation des agents stimulants de l’érythropoïèse (ASE) avant la dialyse 11,12.
Augmentation de la prévalence de l’IRTT et du nombre de porteurs d’un greffon rénal entre 2007 et 2011
Entre 2007 et 2011, la prévalence standardisée de l’IRTT a augmenté de 3%, passant de 973 à 1 081 pmh (figure 3). Pour les 18 régions considérées, le nombre de patients porteurs d’un greffon rénal fonctionnel a progressé de 916 par an, du fait de l’augmentation du nombre annuel de greffes rénales. Dans le même temps, le nombre de malades en dialyse a progressé de 655 par an. Plus de la moitié des patients étaient traités en centre lourd, avec une augmentation de l’hémodialyse en unité de dialyse médicalisée aux dépens principalement de l’hémodialyse autonome et, à un moindre degré, de l’hémodialyse en centre lourd 13.
Au 31 décembre 2007 on dénombrait, dans les 18 régions métropolitaines étudiées, 49 589 malades en traitement de suppléance, dont 57% en dialyse (âge médian : 69,8 ans) et 43% porteurs d'un greffon rénal fonctionnel (âge médian : 53,5 ans). La prévalence en métropole, standardisée sur l’âge et le sexe, était estimée à 561 pmh pour la dialyse et à 412 pour la greffe rénale, soit une prévalence globale de 973 pmh, avec des variations régionales allant de 782 (Auvergne) à 1 251 pmh (Île-de-France). Ces variations concernaient autant la dialyse que la greffe rénale, pour laquelle elles allaient de 347 (Auvergne, Nord-Pas-de-Calais) à 630 pmh (Île-de-France). Le pourcentage de greffés à partir d’un donneur vivant variait de 2,1% en Bretagne à 10,3% en Île-de-France.
Au 31 décembre 2011, on dénombrait dans les 18 régions 57 447 personnes en traitement de suppléance, dont 55% en dialyse et 45% porteurs d'un greffon rénal fonctionnel. La prévalence standardisée sur l’âge et le sexe était estimée à 596 pmh pour la dialyse et à 485 pour la greffe rénale, soit une prévalence globale de 1 081 pmh en métropole, avec des variations régionales allant de 844 (Auvergne) à 1 285 pmh (Île-de-France). Pour la greffe rénale, ces variations allaient de 388 (Auvergne) à 605 pmh (Île-de-France), le pourcentage de greffés à partir d’un donneur vivant variant de 2,5% en Bretagne à 12,3% en Île-de-France.
L’épidémiologie de l’IRTT en 2012
Les données les plus récentes du registre REIN en 2012 concernent l’ensemble du territoire national 7. Les indicateurs principaux en sont présentés figure 4.
Incidence
En 2012, l’incidence globale de l’IRTT s’établissait à 154 pmh (dialyse : 149 pmh ; greffe rénale préemptive : 5 pmh). La moitié des cas incidents avait plus de 70 ans. Les comorbidités associées étaient fréquentes, en particulier le diabète (42% des cas incidents) et les comorbidités cardiovasculaires (56%) dont la fréquence augmentait avec l’âge.
La première modalité de traitement restait l’hémodialyse en centre et l’on n’observait pas de développement significatif de la dialyse autonome. La dialyse avait été démarrée en urgence pour 33% des patients. Le taux d’hémoglobine à l’initiation était lié à la fréquence du suivi néphrologique au stade préterminal : 8% des patients non suivis présentaient un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dl, contre 3% parmi les patients suivis régulièrement.
Greffe rénale
En 2012, 3 044 greffes rénales ont été réalisées en France, dont 12% à partir d’un donneur vivant ; 338 (11%) étaient des greffes préemptives chez des non dialysés, 8% étaient des retransplantations. Les médianes d’attente variaient fortement d’une région à l’autre (9-53 mois). Malgré l’augmentation de l’activité de greffe, la pénurie en greffons s’est aggravée : fin 2012, 9 000 personnes restaient en attente d’un greffon. La part des retours en dialyse après perte de la fonction du greffon a continué d’augmenter et représentait 8,7% (n=973) des patients mis en dialyse en 2012 7.
Pour être greffé, il faut être inscrit en liste d’attente. Pour la cohorte des malades incidents entre 2002 et 2012 7, la probabilité d’être inscrit pour la première fois sur la liste d’attente d’une greffe rénale était, tous âges confondus, de 4,8% au démarrage de la dialyse (malades inscrits en intention de greffe préemptive), 17% à 12 mois, 25% à 36 mois et 27% à 72 mois. Cette probabilité était fortement liée à l’âge, au diabète et à la région de résidence. Les personnes de plus de 60 ans, quel que soit leur statut vis-à-vis du diabète, ont un accès très limité à la liste d’attente. Chez les moins de 60 ans, la probabilité d’être inscrit était de 14% au démarrage de la dialyse, 48% à 12 mois, 66% à 36 mois et 70% à 72 mois (durée médiane de dialyse : 13 mois). En présence d’un diabète de type 2, chez les patients de 40 à 59 ans, cette probabilité était beaucoup plus faible (44%), même à 72 mois.
Prévalence
Fin 2012, on dénombrait 73 491 malades en traitement de suppléance, 56% en dialyse et 44% porteurs d'un greffon rénal fonctionnel. La prévalence brute globale de l’IRTT était de 1 127 pmh, 1,6 fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Trois régions métropolitaines (Île-de-France, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais) et quatre régions d’outremer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion) avaient une prévalence globale significativement plus élevée que le taux national. La part de la greffe dans le total des patients prévalents variait, en métropole, de 33% dans le Nord-Pas-de-Calais à 53% en Pays-de-la-Loire, et de 18% à 28% dans les régions d’outremer.
La prévalence standardisée sur l’âge et le sexe était de 42 pmh pour la dialyse péritonéale, de 587 pmh pour l’hémodialyse et de 499 pmh pour la greffe, avec de fortes variations d’une région à l’autre. La technique de dialyse dominante restait l’hémodialyse (93,4%). Il existait de nettes disparités régionales dans l’utilisation des différentes modalités d’hémodialyse. Le recours à la dialyse péritonéale restait stable.
L’écart entre la dialyse et la greffe continuait de diminuer : sur la période 2008-2012, la pente d’évolution de la prévalence standardisée de la greffe étant de +4%, contre +2 % pour la dialyse.
Les personnes de plus de 65 ans constituaient 61% des patients dialysés (âge médian des patients prévalents en dialyse : 70,4 ans). Tous âges confondus, les comorbidités associées étaient fréquentes, notamment le diabète (38% des patients prévalents) et les comorbidités cardiovasculaires (60% des patients prévalents).
Survie et mortalité
Les données portent sur les patients en IRTT ayant débuté un traitement de suppléance entre 2002 et 2012 7. La probabilité de survie des nouveaux patients à partir du premier jour du traitement de suppléance était de 83% à 1 an, 73% à 2 ans, 64% à 3 ans, 51% à 5 ans, 41% à 7 ans et 32% à 10 ans (médiane : 5 ans). L’âge influence fortement la survie en dialyse. Pour les patients démarrant la dialyse à moins de 65 ans, la survie était supérieure à 90% à 1 an et de 77% à 5 ans contre 77% à 1 an et 34% à 5 ans chez ceux qui la démarraient à plus de 65 ans. La présence d’un diabète ou de comorbidités cardiovasculaires détériorait significativement la survie des patients.
On note une amélioration significative de 2,9% de la survie à 2 ans entre les patients de la cohorte 2007-2008 et ceux de la cohorte 2009-2010. Les maladies cardiovasculaires représentent 26% des causes de décès, devant les maladies infectieuses (12%) et les cancers (10%). L’espérance de vie des patients dépend fortement de leur traitement de suppléance. Ainsi, un patient greffé âgé de 30 ans a une espérance de vie moyenne de 41 ans, contre 23 ans pour un patient dialysé du même âge.
Les patients greffés ont globalement un taux de mortalité très inférieur à ceux des patients en dialyse, cela étant lié autant à la greffe qu’à la sélection des patients (biais d’indication). Ainsi, entre 60 et 69 ans, 132 pour 1 000 patients dialysés sont décédés dans l’année en 2012, contre 27 pour 1 000 porteurs d'un greffon rénal fonctionnel du même âge.
Conclusion
La greffe rénale étant le traitement le plus efficient en termes de survie 13,14, de qualité de vie 5,16,17 et de coût 18,19 pour les patients qui peuvent en bénéficier, l’amélioration et l’accélération de l’accès à la liste d’attente (17% d’inscrits à 1 an) 20,21 et de l’accès à la greffe elle-même 22, dans un contexte de pénurie, représentent deux enjeux importants et d’actualité.
Aux variations régionales importantes qui existent pour l’accès à la liste d’attente 23 et à l’histoire cumulée du prélèvement et de la greffe rénale, s’ajoutent des variations notables sur le recours aux différentes modalités de dialyse. Un autre enjeu majeur pour la néphrologie est de pouvoir optimiser la prise en charge de la MRC en amont du stade terminal 24.
Compte tenu des régions qui ont été incluses, les résultats de l’enquête Quavi-REIN 2011 3,4,5,6 sont raisonnablement extrapolables à l’ensemble de la France métropolitaine. En revanche, la situation particulière des régions d’outremer, sur le plan de l’épidémiologie et de l’offre de soins, incite à la prudence. Du fait du différentiel de qualité de vie important en faveur de la greffe, l’augmentation de l’activité de greffe rénale et de l’effectif de la cohorte des porteurs d'un greffon rénal fonctionnel contribue, à qualité de vie inchangée pour la greffe et pour la dialyse, à augmenter la qualité de vie de l’ensemble. En l’absence de modification majeure de l’incidence de l’IRTT, de la distribution des déterminants de la qualité de vie dans la cohorte des malades en traitement de suppléance et des pratiques de soins, les résultats de cette enquête peuvent être considérés comme étant toujours d’actualité.