Mieux comprendre les déterminants de la qualité de vie pour améliorer la prise en charge globale des malades rénaux chroniques dialysés ou greffés

// A better understanding of determinants on the quality of life to improve the overall healthcare management of patients with chronic kidney disease or kidney transplant recipients

Philippe Rieu1 & Christian Jacquelinet2
1 CHU de Reims ; Président du Conseil scientifique du Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN), France
2 Agence de la biomédecine, Saint-Denis La Plaine, France

Le démarrage d’un traitement de suppléance marque une étape importante et douloureuse dans la vie d’une personne atteinte d’une maladie rénale chronique. Le fardeau lié aux comorbidités ou handicaps éventuellement préexistants, aux mesures (notamment diététiques) visant à ralentir la progression de la maladie, et à ses conséquences physiques et psychiques va s’alourdir des contraintes liées aux traitements de suppléance, à la perte d’autonomie et à un recours très fréquent au système de soins.

Après le démarrage du traitement de suppléance, le plus souvent en hémodialyse, les contraintes, désagréments et effets secondaires seront très différents selon les modalités de traitement : greffe rénale, dialyse péritonéale, hémodialyse autonome, en centre ou en unité médicalisée.

La greffe rénale réalise une suppléance continue et complète de la fonction rénale. Elle offre une espérance de vie importante, voisine pendant les cinq premières années post-greffe de celle de la population générale de même âge et de même sexe 1. La greffe bouleverse l’image du corps et a forcément un impact psychique, que le greffon provienne d’un donneur décédé ou d’un donneur vivant. Elle impose une intervention chirurgicale initiale et un traitement immunosuppresseur au long cours, avec des effets secondaires devant être pris en charge. Elle nécessite une bonne observance des traitements, des consultations et des bilans biologiques réguliers pour la surveillance du traitement immunosuppresseur, du fonctionnement du greffon, des épisodes de rejet, d’éventuelles complications urologiques ou vasculaires et des effets secondaires des traitements.

La dialyse quant à elle compense la fonction rénale de manière incomplète et le plus souvent discontinue, sous la forme de trois séances hebdomadaires pour l’hémodialyse. Elle offre une espérance de vie plus limitée, inférieure à celle de la population générale 1. Elle nécessite la confection et la maintenance d’une voie d’abord vasculaire pour l’hémodialyse, ou la pose d’un cathéter péritonéal pour la dialyse péritonéale. Elle impose des traitements hormonaux et métaboliques complémentaires ainsi que des mesures diététiques. Le recours et la dépendance au système de soins sont particulièrement marqués, et l’impact sur la vie sociale et sur l’autonomie du patient est important.

La situation est aussi bien différente selon qu’il s’agit d’un enfant, d’un adulte jeune atteint d’une maladie rénale primitive sans comorbidité ni handicap, d’un adulte plus âgé atteint d’une maladie rénale, secondaire par exemple à un diabète avec plusieurs comorbidités et handicaps, ou d’un patient très âgé pour lequel peut se poser aussi la question d’un traitement conservateur. Les conséquences familiales, sociales et professionnelles sont d’autant plus problématiques que la mise en route du traitement survient tôt dans la vie. Elles incitent, avec la différence d’efficacité, à orienter les plus jeunes vers la greffe rénale et les modalités de dialyse offrant le plus d’autonomie.

Dans ce contexte, on comprendra aisément le bouleversement que représente la maladie rénale chronique terminale. La prise en charge des malades, qui s’appuie sur des traitements lourds, coûteux et complexes visant à gagner des années de vie, doit être globale et permettre d’en minimiser l’impact sur leur qualité de vie.

La qualité de vie correspond à « la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes » 2. La mesure de la qualité de vie est réalisable au moyen d’indicateurs agrégés, construits à partir des réponses des malades à des auto-questionnaires standardisés et préalablement validés. Ces indicateurs permettent d’évaluer le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne, au-delà du seul point de vue des professionnels.

L’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de maladie rénale chronique représente un enjeu majeur. Elle a fait partie des objectifs de la loi de santé publique de 2004 3 et un plan spécifique Qualité de vie des maladies chroniques avait été élaboré pour la période 2007-2011 4.

La maladie rénale chronique terminale est la seule pathologie à avoir fait l’objet de deux enquêtes transversales de qualité de vie, l’une (Quavi-REIN 2005-2007) en 2005 pour la dialyse et 2007 pour la greffe 5, l’autre (Quavi-REIN 2011) qui a porté simultanément sur la greffe et la dialyse. Cette dernière a inclus, par rapport à l’enquête précédente, des régions supplémentaires, permettant à la fois d’élargir la portée des résultats et de faire un point de comparaison pour les régions communes aux deux. Elle s’est enrichie de volets concernant l’éducation thérapeutique d’une part et les ressources, l’insertion sociale et professionnelle des malades d’autre part. Le registre du Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN) a servi de base d’échantillonnage.

Quavi-REIN 2011 a porté sur 1 251 patients dialysés et 1 658 patients transplantés. Elle confirme que les scores de qualité de vie sont plus élevés chez les greffés que chez les dialysés et qu’ils se rapprochent de ceux de la population générale. Elle montre de plus, après ajustement sur l’âge, le sexe et le nombre de comorbidités, que les dialysés inscrits sur liste d’attente ont une meilleure qualité de vie que les dialysés non inscrits, et que les greffés préemptifs ont une meilleure qualité de vie que les malades greffés après avoir été dialysés. Lorsqu’elle est réalisable, la greffe rénale offre une meilleure qualité de vie, à âges et comorbidités associées comparables, du fait d’une augmentation des capacités physiques, de moindres limitations des activités et d’une amélioration des relations sociales. Pour les régions ayant contribué aux deux enquêtes, on observe une légère dégradation de la qualité de vie entre 2005-2007 et 2011. Cette baisse, bien que statistiquement significative, est probablement trop faible pour être cliniquement signifiante.

L’évolution récente de l’épidémiologie de l’insuffisance rénale terminale laisse supposer que ces résultats sont encore valides et généralisables à la France métropolitaine. L’augmentation importante du nombre de personnes porteuses d’un greffon rénal fonctionnel entre 2007 et 2011 montre que le plan greffe a contribué à améliorer globalement le niveau de qualité de vie des personnes en insuffisance rénale terminale.

Références

1 Bouaoun L, Villar E, Ecochard R, Couchoud C. Excess risk of death increases with time from first dialysis for patients on the waiting list: implications for renal allograft allocation policy. Nephron Clin Pract. 2013;124(1-2):99-105.
2 The World Health Organization Quality of Life Assessment (WHOQOL). Development and psychometric properties. Soc Sci Med. 1998;46(12):1569-85.
3 Loi nº 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. JO du 11/08/2004. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000787078
4 Plan 2007-2011 pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques. 15 mesures. Paris: Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative; 2007. 32 p. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan2007_2011.pdf
5 Gentile S, Boini S, Germain L, Jacquelinet C, Bloch J, Briançon S. Qualité de vie des patients dialysés et transplantés rénaux : résultats de deux enquêtes multirégionales, France. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(9-10):92-6. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=789

Citer cet article

Rieu P & Jacquelinet C. Éditorial. Mieux comprendre les déterminants de la qualité de vie pour améliorer la prise en charge globale des malades rénaux chroniques dialysés ou greffés. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(37-38):602-3. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/37-38/2014_37-38_0.html