Consultation prénatale dédiée aux futurs pères : un outil d’accès au système de soins

// Paternal prenatal consultations: An effective gateway to the healthcare system

Pauline Penot1,2 (pauline.penot@ght-gpne.fr), Gaëlle Jacob1,3, Audrey Guerizec1, Valérie-Anne Letembet1, Raya Harich4, Miguel Mendes de Sousa3, Anne Simon1, Pierre-Étienne Manuellan5, Yazdan Yazdanpanah6, Annabel Desgrées du Loû2
1 Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), Centre hospitalier André Grégoire, Montreuil
2 Centre population et développement (Ceped), Institut de recherche pour le développement (IRD), Université de Paris, Inserm ERL 1244, Paris
3 Maternité, Centre hospitalier André Grégoire, Montreuil
4 Laboratoire de biologie médicale, Centre hospitalier André Grégoire, Montreuil
5 Direction de la santé, ville de Montreuil, Montreuil
6 Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), PariSanté Campus, Paris
Soumis le 20.12.2024 // Date of submission: 12.20.2024
Mots-clés : Santé périnatale | Santé des pères | Dépistage | Vaccination | Santé des immigrés
Keywords: Prenatal health | Father health | Screening | Vaccination | Immigrants’ health

Résumé

Introduction –

Une consultation prénatale dédiée aux futurs pères a été mise en place à l’hôpital de Montreuil entre 2021 et 2022. L’objectif était de réintroduire les hommes dans le système de santé à l’occasion de la maternité de leur conjointe (projet Partage). Nous avons montré précédemment la faisabilité et l’acceptabilité de cette consultation. Nous examinons ici ses effets en termes de diagnostics et de soins.

Matériel et méthodes –

En 2021-2022, tous les pères d’enfants à naître à la maternité de Montreuil dont la partenaire acceptait qu’ils soient contactés étaient invités à une consultation médicale avec bilan biologique, mise à jour vaccinale, accès à une équipe pluridisciplinaire et à un médecin généraliste. Nous étudions ici les effets de cette consultation sur les diagnostics médicaux, la couverture vaccinale, le dépistage du VIH, l’insertion dans le soin et l’accompagnement social.

Résultats –

Parmi 1 347 participants, 18% ont été diagnostiqués d’une pathologie, ou d’une maladie en rupture de suivi qui a été reprise en soin (regroupés sous le terme de diagnostic médical), 17% ont été orientés vers un professionnel de santé et 11% vers un travailleur social ; 44% ont reçu des mises à jour vaccinales (diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche – dTPc : 40% ; rougeole-oreillons-rubéole – ROR : 17%). Le facteur le plus fortement associé positivement à tous ces indicateurs d’impact était l’absence de couverture maladie : parmi les participants sans droits à l’assurance maladie, 41% ont eu un diagnostic médical, 41% ont été adressés à un soignant, 72% à un travailleur social et 73% ont reçu une ou plusieurs mises à jour vaccinales. Le dépistage du VIH a été accepté par 99% des pères éligibles.

Discussion –

En termes de diagnostics, remises en soins, adressages et mises à jour vaccinales, les principaux bénéficiaires de la consultation ont été les immigrés précaires. En population générale d’étude, la couverture vaccinale contre les pathogènes pourvoyeurs d’infections graves du nouveau-né a été améliorée et le dépistage prénatal du VIH étendu aux pères.

Conclusion –

Le passage à l’échelle d’une consultation prénatale proposée à tous les futurs pères pourrait contribuer à réduire la diffusion de la rougeole et de la coqueluche, éviter les rares primo-infections VIH survenant pendant la grossesse et réduire les inégalités sociales de santé, en donnant aux hommes qui en sont éloignés un accès effectif au système de soins.

Abstract

Introduction –

Prenatal consultations dedicated to all future fathers were set up and actively promoted at the Montreuil hospital in France between 2021 and 2022. We have previously demonstrated the feasibility and acceptability of this scheme. Here, we examine the effects of the consultation in terms of diagnosis and care.

Methods –

In 2021–2022 we conducted a monocentric interventional study in Montreuil hospital. A consultation was offered to all future fathers whose contact details were obtained with their partner’s prior consent. During a consultation with a doctor or a midwife, the men were offered biological tests, vaccination catch-up and referral depending on their needs.

Results –

Among 1,347 participants, 44% received on-site vaccination catch-up, 18% had one or more medical diagnoses or pathologies brought back into care, 17% were referred to healthcare professionals and 11% to social workers. Whatever the outcome considered, absence of healthcare insurance coverage was always most strongly associated with its occurrence: among participants with no health insurance, 41% received a medical diagnosis, 41% were referred to a healthcare provider, 72% to a social worker and 73% received one or more vaccination updates. HIV screening was performed for 99% of eligible participants.

Discussion –

The consultations provided medical diagnosis or rediscovery of chronical pathologies that were lost to follow-up and referral to care or social support, mostly for socially disadvantaged immigrants. It was also useful to the whole study population, by creating a systematic and well-accepted opportunity for biological screening and vaccination catch-up.

Conclusion –

Offering future fathers to meet a physician for their own health could help reduce the spread of measles and pertussis, and prevent HIV primo-infections during pregnancy. In addition, it could help to reduce social inequalities in health, by providing a first contact with the healthcare system for the most precarious men.

Introduction

La grossesse donne aux femmes des occasions répétées de contact avec le système de santé dont l’objectif premier est le suivi médical de la grossesse, mais qui permet aussi un rattrapage vaccinal 1, ou le dépistage des pathologies infectieuses 2 et cardio-métaboliques 3. Les futurs pères n’ont aucune occasion similaire d’accéder à la prévention et de rencontrer un soignant sans être malades. Alors que les inégalités de genre agissent le plus souvent au détriment des femmes 4, celles-ci sont généralement en meilleure santé que les hommes 5. Les normes de genre confrontent davantage les hommes à des comportements ou des activités à risque pour la santé, supposées viriles, tandis que les femmes sont les garantes de la santé de la famille 6. Ces inégalités de genre sont renforcées par les systèmes de santé 7.

Les hommes ont un plus faible recours aux soins 8, et consultent plus tardivement que les femmes quand ils sont malades. En France, chez les personnes hétérosexuelles, le délai médian entre la contamination par le virus de l’immuodéficience humaine (VIH) et le diagnostic est significativement plus court chez les femmes que chez les hommes 9. La plupart des personnes ayant développé un sida en France depuis 2012 sont des hommes hétérosexuels qui ignoraient leur infection au VIH 10. L’inégalité de genre se lit aussi dans le recours aux droits sociaux : comparativement aux hommes, les femmes ont plus souvent une couverture maladie complète quand elles sont en situation régulière 11 et l’Aide médicale de l’État (AME) quand elles sont en situation irrégulière 12.

La paternité pourrait être pour les hommes une opportunité de contact avec le système de santé, d’autant plus qu’une consultation et un bilan biologique sont annoncés comme pris en charge à 100% pour les hommes pendant la grossesse de leur partenaire 13,14,15.

En 2021-2022, nous avons proposé à tous les pères d’enfants à naître à l’hôpital de Montreuil, deuxième ville de Seine-Saint-Denis, une consultation prénatale dédiée à la préservation et l’amélioration de leur propre santé (projet Partage – Prévention, accès aux soins, rattrapage vaccinal, traitement des affections pendant la grossesse et pour l’enfant). Cette consultation a été bien acceptée et les pères socialement défavorisés s’en sont particulièrement saisis 16. La Seine-Saint-Denis est un département d’1,6 millions d’habitants situé au Nord-Est de Paris. Il enregistre les taux d’immigration et de pauvreté les plus élevés de France métropolitaine 4. Dans cet article, nous décrivons les effets de cette consultation en termes de pathologies diagnostiquées ou reprises en soin, dépistages, rattrapage vaccinal, et orientation vers des professionnels de santé et de l’accompagnement social. Nous examinons les caractéristiques sociodémographiques associées aux différents effets observés.

Matériel et méthodes

Les femmes majeures, déclarant un partenaire masculin impliqué dans leur grossesse et consultant pour une première visite prénatale à l’hôpital de Montreuil pendant la période d’inclusion étaient éligibles à l’étude. Lorsqu’elles acceptaient d’y participer, l’équipe leur demandait les coordonnées de leur conjoint. Les hommes dont les partenaires enceintes donnaient les coordonnées étaient à leur tour éligibles. L’équipe de recherche leur proposait une consultation (immédiatement s’ils étaient présents, par courriel si une adresse mail était transmise, ou par relance téléphonique) et, s’ils prenaient rendez-vous, leur demandait d’apporter d’éventuels bilans biologiques et leur carnet de santé ou de vaccination. La méthodologie détaillée, le taux d’acceptation des femmes, le taux d’acceptation des hommes et les caractéristiques des futurs pères inclus ont été décrits ailleurs 16.

Les consultations, programmées toutes les 30 minutes, étaient conduites par un médecin ou une sage-femme. La pression artérielle était mesurée, un examen clinique était pratiqué sur point d’appel (éruption cutanée, douleurs ou plainte fonctionnelle). L’historique de violences était systématiquement recherché et la santé mentale était explorée si le participant l’abordait. Un questionnaire de recherche était enchâssé dans la trame de consultation. Un bilan biologique tenant compte des antécédents, d’éventuels résultats antérieurs et des expositions était prélevé sur place à la fin de la consultation. Il comprenait un dépistage du VIH chaque fois que le statut VIH n’était pas documenté pendant la grossesse en cours ou juste avant. Tous les immigrés (participants nés étrangers à l’étranger) qui n’avaient jamais fait de dépistage de la syphilis, des hépatites virales B et C étaient testés, tandis que ce dépistage était ciblé pour les futurs pères nés en France. La sérologie bilharziose était prélevée si le participant avait vécu en zone d’endémie et n’avait jamais été dépisté. Un échantillon d’urines était collecté pour amplification du génome de Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae lorsque le participant avait moins de 30 ans ou déclarait plusieurs partenaires dans l’année. Le déroulé de la consultation, le questionnaire de recherche et le contenu du bilan biologique sont détaillés en annexes 1, 2 et 3.

Chaque fois que le calendrier vaccinal n’était pas à jour, les vaccins manquants étaient proposés. Un petit stock vaccinal alloué à l’étude permettait de vacciner immédiatement sur place les participants sans droits complets à l’Assurance maladie, ou considérés à risque de ne pas réaliser une vaccination différée.

Les participants pouvaient choisir de revenir en consultation pour les résultats des examens complémentaires réalisés et d’eventuelles injections vaccinales, d’être appelés ou de recevoir leur bilan par mail.

L’adossement au CeGIDD permettait d’adresser à l’assistante sociale tous les hommes sans couverture maladie et ceux qui souhaitaient la rencontrer pour d’autres motifs, de proposer des consultations gratuites avec les psychologues et un accompagnement par le médiateur santé. Des rendez-vous étaient programmés sur le plateau technique et avec les spécialistes de l’hôpital en fonction des besoins identifiés en consultation. Les hommes qui n’avaient pas de médecin traitant s’en voyaient proposer un.

Le questionnaire administré en consultation recueillait les caractéristiques sociodémographiques des participants (région de naissance, âge, niveau scolaire, emploi, logement, enfants déjà nés, durée et type d’union avec la partenaire enceinte), des données de santé (couverture maladie, recours antérieurs au dépistage du VIH et des hépatites B et C, couverture vaccinale, suivi médical), ainsi que, pour les pères nés à l’étranger, des variables liées à l’immigration (date d’arrivée, principal motif d’installation en France, statut administratif, couverture maladie). Le détail des données recueillies figure en annexe 1. Le Comité de protection des personnes Nord-Ouest II a approuvé le projet (21.01.19.44753).

Les indicateurs recueillis pour évaluer les effets de la consultation prénatale étaient :

1) au moins un diagnostic médical porté pendant la consultation, ou au moins une pathologie en rupture de suivi remise en soins ;

2) l’acceptation du test VIH, parmi les participants éligibles (pas de test pendant ou immédiatement avant la grossesse et pas de séropositivité connue) ;

3) le référencement à un ou plusieurs soignants ;

4) la mise à jour sur place d’au moins un vaccin.

La proportion et les variations de chaque indicateur ont été mesurées selon les caractéristiques suivantes : statut migratoire, région de naissance, âge, niveau scolaire, couverture maladie, emploi, insertion dans le système de santé et, pour les immigrés, durée de séjour en France et situation administrative.

Des modèles multivariés pas-à-pas descendants ont été construits pour identifier les caractéristiques associées aux indicateurs 1, 3 et 4. Le statut migratoire, l’insertion dans le système de santé et la situation administrative ont été exclus pour colinéarité avec la région de naissance et la couverture maladie. Des analyses de sensibilité ont été conduites dans la sous-population des participants immigrés. Toutes les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata SE 17© (Stata Corporation, College Station, TX, USA).

Résultats

L’âge médian des 1 347 participants était de 35 ans, avec un intervalle interquartile (IIQ) compris entre 31 et 40 ans ; 40% attendaient leur premier enfant ; 14% n’étaient jamais allés à l’école ou n’avaient pas dépassé le niveau primaire ; 18% avaient un emploi précaire, 13% étaient au chômage ; 27% n’avaient pas de médecin traitant et déclaraient n’être jamais ou presque jamais en contact avec le système de santé ; 37% n’avaient jamais fait de dépistage du VIH (43% des immigrés et 29% des participants nés en France) ; 67% des participants avaient une indication au vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche (dTPc) et 28% au vaccin rougeole-oreillons-rubéole (ROR) (tableau 1).

Près des deux tiers des participants étaient immigrés (63%, N=842). Parmi eux, 63% étaient en France depuis 7 ans ou plus ; 47% étaient nés en Afrique subsaharienne, 29% en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient et 11% en Asie. Un cinquième des participants immigrés était en situation irrégulière et 13% n’avaient aucune couverture maladie (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des pères participants à l’étude Partage (N=1 347), Montreuil, 2021-2022
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Une pathologie a été diagnostiquée ou remise en soins pour 240 participants (18%), majoritairement des hépatites B chroniques, des pathologies cardio-métaboliques et des affections dermatologiques (annexe 3).

La vulnérabilité sociale (emploi précaire ou absence d’activité génératrice de revenu, statut d’immigré et, chez les immigrés : séjour de moins de 7 ans, absence de droit au séjour, l’absence de droits au régime général de l’Assurance maladie) était associée à la découverte ou la remise en soin d’une pathologie, tandis que l’âge paternel ne l’était pas.

En analyse multivariée, les facteurs associés à un diagnostic ou une remise en soins étaient une naissance en Afrique subsaharienne plutôt qu’en France (odds ratio ajusté, ORa=2,67, intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,80-3,98]), aucune scolarité ou un niveau primaire plutôt qu’un niveau universitaire (ORa=1,81 [1,15-2,85] et ORa=1,84 [1,30-2,60], respectivement) et l’absence de couverture maladie plutôt qu’une couverture complète (ORa=2,58 [1,63-4,09]). L’Aide médicale de l’État (AME), associée en univarié à une découverte ou redécouverte de pathologie, ne l’était plus après ajustement (tableau 2).

Tableau 2 : Facteurs associés à l’établissement d’un diagnostic ou à la remise en soins d’une pathologie en consultation prénatale paternelle, Montreuil, 2021-2022
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Le taux d’acceptation du test VIH était de 98,8% parmi les 1 297 participants éligibles au dépistage. Aucune infection n’a été découverte.

À l’issue de la consultation, 225 participants (17%) ont été référés à un ou plusieurs professionnels de santé (annexe 3). À nouveau, les participants socialement vulnérables étaient plus souvent adressés à des soignants, tandis que l’âge n’était pas associé au référencement. En analyse multivariée, être né en Afrique subsaharienne plutôt qu’en France (ORa=1,89 [1,26-2,84]), avoir un niveau secondaire plutôt qu’universitaire (ORa=1,74 [1,22-2,47]), n’avoir aucune couverture maladie plutôt que des droits complets (ORa=3,63 [2,27-5,80]) demeuraient associés à un référencement, tandis que l’AME et un niveau scolaire plus bas, qui étaient associés à un référencement en analyse univariée, ne l’étaient plus après ajustement (tableau 3).

Par ailleurs, 145 participants (11%) ont été adressés à un travailleur social et/ou à un médiateur santé. Parmi eux, 142 étaient immigrés, ce qui porte à 17% (142/842) le pourcentage de participants nés à l’étranger qui se sont vus proposer un accompagnement social dans le cadre du projet.

Tableau 3 : Facteurs associés au référencement à un ou plusieurs professionnels de santé à l’issue de la consultation prénatale paternelle, Montreuil, 2021-2022
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Des mises à jour vaccinales ont été réalisées sur place pour 591 participants (44%), plus souvent nés à l’étranger qu’en France (OR=2,39 [1,90-3,02]) ; 60% des participants qui avaient un retard vaccinal ont reçu une ou plusieurs injections de rattrapage sur place. De plus, la vaccination dTPc a été prescrite ou recommandée sans injection sur place à 27% des participants, la vaccination ROR à 12%.

En analyse multivariée, être né en Afrique subsaharienne (ORa=1,99 [1,46-2,72]), en Asie (ORa=1,83 [1,16-2,88]) ou en Afrique du Nord-Moyen Orient (ORa=1,47 [1,06-2,03]), plutôt qu’en France restait associé à la réalisation d’injections sur site. C’était également le cas pour le fait de n’avoir pas atteint ou dépassé l’école primaire, plutôt qu’avoir fait des études supérieures (ORa=1,75 [1,20-2,56]), de n’avoir aucune couverture maladie (ORa=3,16 [1,98-5,04]), l’AME (ORa=1,68 [1,05-2,67]), ou des droits de base à l’Assurance maladie (ORa=1,69 [1,19-2,41]), plutôt que d’être couvert par l’Assurance maladie avec une complémentaire santé. En revanche, un niveau secondaire et l’absence d’emploi stable n’y étaient plus associés après ajustement (tableau 4).

Tableau 4 : Facteurs associés à l’injection d’au moins une valence du calendrier vaccinal en consultation prénatale paternelle, Montreuil, 2021-2022
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Discussion

Cette consultation a permis de diagnostiquer ou de remettre en soins 18% des participants (atteints d’une pathologie non diagnostiquée ou en rupture de suivi), d’en adresser 17% à un professionnel de santé et 11% à un accompagnement social.

Elle a amené au test VIH une population d’hommes hétérosexuels sexuellement actifs largement éligible au dépistage recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS) aux deux futurs parents, avec une acceptation très élevée de ce dépistage, comparable à celle observée chez les femmes enceintes 2. La consultation a aussi permis d’identifier un large retard vaccinal (coqueluche : 68%, rougeole : 29%) vis-à-vis d’agents infectieux responsables d’un nombre croissant d’infections sévères 17, notamment chez les nouveau-nés 18, de prescrire les vaccins manquants et d’injecter une ou plusieurs valences sur place à 60% des participants dont les vaccins n’étaient pas à jour. Là encore, l’acceptation était élevée, et le rattrapage aurait probablement été plus important si le projet avait disposé du nombre de doses permettant de réaliser toutes les mises à jour en unité de temps et de lieu.

La consultation a permis le diagnostic précoce de pathologies transmissibles, avec un effet vraisembable de prévention sur leur diffusion, et de pathologies transmissibles et non transmissibles dont l’identification plus tardive aurait probablement généré des coûts supérieurs pour le système de santé 19.

L’absence de couverture maladie était fortement associée à tous les indicateurs d’impact : parmi les participants sans droits à l’Assurance maladie, 41% ont eu un diagnostic médical, 41% ont été adressés à un soignant, 72% à un travailleur social et 73% ont reçu une ou plusieurs mises à jour vaccinales sur place.

Les immigrés précaires sont ceux qui s’étaient le plus saisis de l’offre de consultation adressée à l’ensemble des futurs pères 16. C’est également dans cette population que les effets en termes de repérage de pathologies ont été les plus nombreux. Une part du surcroît de diagnostics chez les immigrés d’Afrique subsaharienne s’explique par la prévalence accrue de l’hépatite B dans cette population, et par la recherche de bilharziose circonscrite aux pères originaires de cette partie du globe.

De même, la surreprésentation des hommes immigrés précaires parmi les participants vaccinés sur place reflète la priorité qui leur a été donnée, et non pas une réticence à la vaccination parmi les autres participants. Les participants allophones, éloignés du soin ou sans couverture maladie complète ont été prioritaires pour recevoir immédiatement les valences vaccinales qui leur manquaient sur la dotation allouée au projet, tandis que les participants bien insérés socialement et suivis par un médecin traitant se sont plus souvent vus proposer une vaccination différée. De même, un effort a été fait pour récupérer les carnets de santé des participants nés en France, éventuellement lors d’une seconde consultation, tandis que l’absence d’anamnèse vaccinale pouvait être actée dès la première consultation chez la plupart des immigrés qui rencontraient un soignant pour la première fois depuis le départ de leur pays d’origine. Enfin, l’ouverture de droits à l’Assurance maladie étant l’un des objectifs de l’intervention, les participants qui n’étaient pas couverts ont systématiquement été adressés à un travailleur social. Ils sont donc surreprésentés dans l’évaluation de l’impact sur cet indicateur.

À notre connaissance, Partage est la première consultation structurée systématiquement proposée aux futurs pères pour prendre soin de leur propre santé. Les interventions antérieures adressées aux hommes pendant la grossesse se limitaient au dépistage paternel du VIH, en particulier en zone d’endémie 20, au dépistage élargi aux hépatites et aux IST 21, ou bien visaient l’implication des hommes dans le suivi prénatal de leur conjointe 22 ou l’accompagnement à la parentalité 23.

Cette consultation, bien acceptée 16, permet de mettre en œuvre une politique de prévention, d’identifier ou de remettre en soin chez ces hommes jeunes des pathologies à un stade précoce pour lesquelles ils ne consultaient pas spontanément. Elle a donc une utilité de santé publique.

Cependant, cette étude ne donne pas les clés de sa réplicabilité. Le succès était fondé sur la démarche proactive des sages-femmes de recherche, qui ont appelé un à un tous les hommes éligibles. Cette éligibilité elle-même était liée au schéma d’étude, monocentrique et intrahospitalier, qui nous a permis de nous adresser à chaque femme enceinte pour accéder, avec son consentement, à son éventuel conjoint. Enfin, l’étude était adossée au Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) hospitalier, structure financée par un fond d’investissement régional, où les consultations mutidisciplinaires, les actes infirmiers et la biologie ne sont pas facturés. Le passage à l’échelle posera la question de l’identification des futurs pères et des outils déployés pour leur proposer la consultation. Il impliquera le financement d’un paquet de soins comprenant une consultation complexe, un bilan biologique, les vaccins à mettre à jour et une éventuelle consultation pour remise des résultats et insertion dans un parcours de soins d’aval.

Conclusion et perspectives

La consultation prénatale paternelle a été bien acceptée et utile. Son déploiement est actuellement évalué à l’échelle de la ville de Montreuil (étude Partage 2). L’universalisation de cette consultation longue et complexe se heurte à des enjeux de financement. Pourtant, c’est un outil de prévention qui a démontré son efficacité et contribuerait à une réduction des inégalités de genre et sociales de santé.

Le groupe de travail Partage comprend, en plus des autrices et auteurs : Clotilde Trevisson, Anne-Laurence Doho, Patricia Obergfell, Djamila Gherbi, Emilie Daumergue, Naima Osmani, Sandrine Dekens, Oumar Sissoko (Arcat), Virginie Supervie, France Lert, Bruno Renevier, Thomas Phuong, Stéphanie Demarest, Ngone Diop.

Remerciements

Les autrices et auteurs remercient tous les participants.
Nous remercions Christophe Michon, Nathalie Lydié, Joanna Orne-Gliemann, Laurent Mandelbrot, Corinne Taeron, Nicolas Derche, Gwenaelle Morvan, Bernadette Rwegera, Mélanie Jaunay, Ruth Foundje Notemi, Coraline Delebarre, Elisa Wardzala, Caroline Regnier, Clelia Fouache, Hiba Boufares, Paul Chalvin, Perrine Bonnefoy, Priscillia Ribouchon, Abdelkrim Imechket, Pauline Aubry, Francis Bouvier, David Benhammou, Véronique Doré et Yoann Allier (ANRS-MIE), Frédéric Goyet (ARS Île-de-France), la ville de Montreuil, Marie Pastor (Conseil départemental de Seine-Saint-Denis), les médecins généralistes partenaires du projet (notamment les médecins des CMS de Montreuil, Romainville et Pantin et de la maison de santé de Villemomble, Marie Némon et Sabrina Kadri à Rosny-sous-Bois, Claire Petroff aux Lilas, Anna Hourdet à Bagnolet, Charine Ikbal à Noisy-le-Sec, Arnaud Dubédat à Champigny-sur-Marne, Agathe Lombart et Carole Villaume à Noisy-le-Grand), les médecins du GHT Grand Paris Nord Est (en particulier Bruno Renevier et les praticiens de gynécologie-obstétrique, Pascal Biehler, Nadia Ben Lagha, Justine Bellinger, Isabelle Auperin).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financements

Le projet Partage a été financé par l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales, la tuberculose et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE : financement des salaires de l’équipe de recherche) et par la Société française de lutte contre le sida (SFLS, mise en oeuvre et évaluation d’une consultation hors les murs de l’hôpital le samedi matin). L’hôpital de Montreuil a également reçu une subvention de la société Gilead pour developer les outils informatiques et les supports de communication du projet Partage.

Références

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Citer cet article

Penot P, Jacob G, Guerizec A, Letembet VA, Harich R, Mendes de Sousa M, et al. Consultation prénatale dédiée aux futurs pères : un outil d’accès au système de soins. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(9):149-62. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/9/2025_9_2.html


Annexe 3 : Détail des diagnostics portés, adressages réalisés et des tests VIH prélevés en consultation prénatale paternelle, Montreuil, 2021-2022 (N=1 347)
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