Évolution de la perte auditive due au bruit professionnel à partir de l’exploitation d’audiométries dans une population de travailleurs de 1970 à 2000 en région Rhône-Alpes
// Occupational noise-induced hearing loss assessed by audiometric tests in a population of workers from 1970 to 2000 in the French region of Rhône-Alpes
Résumé
Introduction –
En France, la surdité professionnelle est la 5e cause de maladie professionnelle la plus reconnue par le régime général de la sécurité sociale en 2022. De 1970 à 2000, l’Institut universitaire de médecine du travail de Lyon a mené des campagnes d’examens audiométriques dans des entreprises de la région Rhône-Alpes afin d’évaluer l’impact des nuisances sonores sur l’audition des travailleurs. L’exploitation de ces données a pour objectif d’évaluer l’évolution de la perte auditive moyenne de cette population sur cette période.
Matériel et méthodes –
La base de données utilisée comporte 49 600 examens audiométriques. Des critères de sélection sur l’âge, l’ancienneté dans l’emploi et l’absence de pathologies de l’oreille ont été retenus et 8 270 audiogrammes ont finalement été analysés. Une perte auditive moyenne et son intervalle de confiance à 95% (IC95%) en dB ont été calculés à partir des fréquences utilisées pour la déclaration en maladie professionnelle (500, 1 000, 2 000 et 4 000 Hz pour les deux oreilles). Les prévalences de la perte auditive d’au moins 20 dB et de la perte auditive invalidante (≥35 dB) ont également été calculées à partir de la moyenne des pertes audiométriques pour ces mêmes fréquences sur la meilleure oreille. Les pertes auditives moyennes et les prévalences ont été calculées selon le sexe, la profession (d’après la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles de 2003) et le secteur d’activité (d’après la nomenclature d’activités française de 2008) et déclinées sur trois périodes distinctes : 1970-1979, 1980-1989 et 1990-2000.
Résultats –
La population est constituée majoritairement d’hommes (85,1%) dont l’âge moyen est de 39,2 ans (IC95%: [39,0-39,4]) et l’ancienneté dans l’emploi moyenne de 14,4 ans [14,2-14,6]. Bien que la différence soit statistiquement significative, l’âge moyen et l’ancienneté moyenne sont des valeurs proches au cours des trois périodes. On constate une diminution significative de la perte auditive moyenne chez les hommes au cours de la période étudiée, de 21,5 dB [21,1-21,9] en 1970-1979 à 14,5 dB [13,7-15,2] en 1990-2000. Entre 1970 et 2000, un tiers des hommes présentaient une perte auditive d’au moins 20 dB (34,4%) et la prévalence de la perte auditive invalidante (≥35 dB) était de 6,1%.
Conclusion –
L’étude de mesures audiométriques réalisées sur une longue période historique a permis de documenter l’évolution de la perte auditive moyenne au sein de plusieurs groupes professionnels de salariés exposés au bruit. La baisse constatée dans cette population est à mettre en parallèle avec les actions engagées par le droit français et européen depuis 1970 visant à l’amélioration des conditions de travail.
Abstract
Introduction –
In France, occupational hearing loss is the fifth leading cause of occupational illness according to the national social security system. From 1970 to 2000, the Lyon University Institute for Occupational Medicine (IUMTL) conducted audiometric testing campaigns in companies throughout the Rhône-Alpes region to assess the impact of noise pollution on workers’ hearing. The present study aimed to use these data to assess the progression of occupational hearing loss in this population over the period.
Material and methods –
The database used contained 49,600 audiometric tests. Selection criteria based on age, employment duration and absence of ear pathologies were applied, resulting in 8,270 audiograms retained for analysis. A mean hearing loss (in dB) and its 95% confidence interval (95%CI) were calculated based on the frequencies used for occupational disease reporting (500, 1,000, 2,000 and 4,000 Hz for both sides). The prevalence of hearing loss of at least 20 dB and of disabling hearing loss (≥35 dB) were also calculated from the mean audiometric losses for these frequencies on the better ear. Average hearing losses and prevalence were calculated according to gender, occupation (according to the PCS2003 classification) and industry (according to the NAF2008 classification), and broken down over three distinct periods: 1970–1979, 1980–1989 and 1990–2000.
Results –
The population was predominantly male (85.1%), with an average age of 39.2 years (95%CI: [39.0–39.4]) and an average employment duration of 14.4 years [14.2–14.6]. Overall, there was a significant decrease in average hearing loss among men over the study period, from 21.5 dB [21.1–21.9] to 14.5 dB [13.7–15.2]. A third of men demonstrated hearing loss of at least 20 dB (34.4%) and the prevalence of disabling hearing loss (≥35 dB) was equal to 6.1%.
Conclusion –
The study of audiometric measurements taken over a long historical period has made it possible to document the progression of occupational hearing loss in several occupational groups of employees exposed to noise. The decline in hearing loss observed over time in this population should be viewed in the context of changes made since 1970 in French and European laws to improve working conditions.
Introduction
De nombreuses publications scientifiques internationales ont montré un lien entre l’exposition professionnelle au bruit et la perte de l’audition 1. Ainsi, on estime que l’exposition au bruit au travail est à l’origine de 7 à 21% des pertes auditives enregistrées dans le monde 2.
Dès les années 1970, des recherches ont été réalisées afin d’étudier la perte auditive professionnelle 3. Des enquêtes se mettent en place au niveau des entreprises pour étudier l’effet du bruit sur les salariés, comme l’enquête de Carrat et coll. 4 sur les altérations auditives du personnel d’une imprimerie de presse. En France, la surdité était la première maladie professionnelle en 1982. Une enquête dans un atelier de carrosserie automobile a montré une perte auditive significative après 9 ans d’exposition 5. Dans les années 2000, de nombreux secteurs d’activité français avaient encore des salariés exposés à des bruits nocifs (à partir de 85 dB(A)Lex8h – intensité du bruit moyennée sur une journée de travail de 8h) 6 et la proportion de salariés porteurs d’équipement de protection individuelle était dans l’ensemble faible et hétérogène selon les secteurs, montrant ainsi que l’exposition au bruit professionnel n’était pas perçue et traitée de manière comparable entre les secteurs d’activité. Une revue de la littérature en 2004 sur la perte auditive dans l’industrie minière a montré que malgré un nombre important d’études publiées sur ce sujet, peu étaient récentes alors que les résultats indiquaient que l’exposition au bruit et le risque de perte auditive n’avaient pas évolué favorablement au cours des 20 dernières années 7. L’exposition au bruit induit une perte auditive par lésion de l’oreille interne et des cellules ciliées externes en particulier 8. Un des premiers signes d’un déficit auditif dû au bruit est une encoche au niveau de la fréquence 4 000 Hz qui s’étend ensuite aux autres fréquences 8,9,10.
Des mesures législatives ont été mises en place depuis plus de 30 ans 11,12 visant à prévenir et diminuer l’exposition au bruit au travail, et les expositions aux nuisances sonores s’observent aujourd’hui dans des proportions différentes dans tous les secteurs d’activités et pour tous les travailleurs 13,14. En 2016, 18,3% des travailleurs salariés en France déclaraient encore être exposés à un bruit qui les gênait pour entendre une personne située à 3 mètres 15, alors qu’une étude antérieure indiquait qu’ils étaient 16,5% en 1984 16.
En France, en 2022, la surdité professionnelle était la 5e cause la plus reconnue au titre des maladies professionnelles pour les salariés des entreprises, hors agricoles, après les troubles musculosquelettiques, les affections liées à l’amiante, les troubles mentaux et du comportement et les insuffisances respiratoires aiguës par infection au SARS-CoV-2 17. Hormis le déficit auditif lié au bruit lésionnel, d’autres manifestations peuvent survenir à la suite d’une exposition au bruit, notamment professionnel (stress, troubles cardiovasculaires, hypertension, etc.) 18. En France, chez les 18-75 ans, la prévalence de la perte auditive d’au moins 20 dB est estimée à 24,8%, variant selon le sexe et l’âge, et la prévalence de la perte auditive invalidante (≥35 dB) à 4,3% 19. Cette perte auditive passe de 3,4% chez les 18-25 ans à 29,9% chez les 51-55 ans et à 73,3% chez les 71-75 ans chez les hommes, et de 4,4% pour les 18-25 ans à 25,2% chez les 51-55 ans et à 64,1% chez les 71-75 ans chez les femmes.
Une base de données de mesures audiométriques, réalisées auprès de salariés de la région française Rhône-Alpes de 1970 à 2000, a été analysée pour estimer la perte auditive dans cette population et documenter son évolution sur la période d’étude.
Matériel et méthodes
Descriptif de la collecte des données de la base audiométrique
Entre 1958 et 2000, l’Institut universitaire de médecine du travail de Lyon (IUMTL) a mené des campagnes d’examens audiométriques dans plus de 650 entreprises, principalement basées dans la région Rhône-Alpes, afin d’évaluer l’impact des nuisances sonores sur l’audition des travailleurs 20,21.
L’examen audiométrique était réalisé dans une cabine insonorisée avec des audiomètres calibrés. Il s’agissait d’une unité mobile audiométrique permettant de réaliser les examens dans les entreprises. La passation d’un questionnaire a permis de recueillir des données personnelles (âge, sexe), professionnelles (nom de l’entreprise, profession, type d’atelier), spécifiques de l’exposition au bruit (années travaillées dans un milieu bruyant, date de l’examen) ainsi que sur les antécédents médicaux, notamment ORL, pouvant induire des résultats audiométriques pathologiques. Les audiométries tonales ont été réalisées sur les deux oreilles par voie aérienne (250 Hz, 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz, 4 000 Hz, 6 000 Hz, et 8 000 Hz) et osseuse (250 Hz, 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz, et 4 000 Hz). La réalisation des audiogrammes était conduite par des audiométristes qualifiés en présence d’un spécialiste ORL.
Les données collectées étaient consignées dans une fiche papier pour chaque travailleur. Environ 70 000 fiches audiométriques ont été renseignées. La saisie des fiches audiométriques papier a été réalisée en 2014, de façon à disposer d’une base de données constituée d’entreprises représentant des secteurs d’activités divers, de tailles et de localisation différentes et documentant l’ensemble de la période post-1970, ainsi que pour disposer de fiches audiométriques homogènes, compte tenu d’une modification de standardisation des fiches intervenue à partir de 1970. On considère que la base de données intègre 70% des fiches papier. La base de données ainsi constituée comprenait 49 600 mesures audiométriques pour 27 054 salariés distincts issus de 427 entreprises différentes de la région Rhône-Alpes entre 1970 et 2000.
Codification des emplois
Les emplois de la base ont été codés selon la nomenclature d’activités française (NAF 2008) pour le secteur d’activité 22 et la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS 2003) pour la profession 23.
Le codage des entreprises selon la NAF a été réalisé à partir de répertoires de données d’entreprises et d’établissements principalement fournis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et par les chambres de commerce et d’industrie de la région Rhône-Alpes. Les professions ont été codées selon la PCS en deux temps : un premier codage automatique à l’aide du logiciel Sicore puis un codage par expertise des lignes non codées automatiquement (92% codage Sicore/8% codage par expertise) 24,25.
Perte auditive due au bruit professionnel
La perte auditive moyenne de la population a été estimée en moyennant la perte auditive due au bruit pour chacun des sujets à partir des résultats audiométriques mesurés sur les deux oreilles à 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz.

Les prévalences de perte auditive d’au moins 20 dB et de la perte auditive invalidante (≥35 dB) ont également été calculées pour les fréquences à 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz sur la meilleure oreille 19.
Afin de ne retenir que l’exposition au bruit professionnel, une sélection des mesures audiométriques exploitables a été réalisée 20. Les audiométries prises en compte concernaient uniquement les travailleurs remplissant toutes les conditions suivantes :
–au moins 5 années de travail dans un milieu bruyant correspondant à leur profession actuelle ;
–au moins 3 années de travail dans l’atelier considéré ;
–au moins un tiers de leur vie professionnelle dans l’emploi considéré ;
–âge ≤55 ans ;
–absence de pathologies de type ORL chronique ou aiguë (antécédents médicaux susceptibles d’expliquer leur perte auditive) ;
–absence d’exposition extra-professionnelle (activités bruyantes non professionnelles telles que tir, fréquentation de lieux bruyants).
Enfin, seul le premier examen audiométrique de chaque individu a été pris en compte. Au final, l’analyse a porté sur 8 270 salariés (figure 1).
Analyses statistiques
Les pertes auditives moyennes et les prévalences ont été calculées selon le sexe puis selon trois périodes, entre 1970 et 1979, entre 1980 et 1989 et entre 1990 et 2000. Cette stratification est basée sur les deux grandes dates où des nouvelles réglementations en droit du travail et protection des travailleurs ont été instaurées au niveau français ou européen, autour des années 1980 et ensuite autour des années 1990.
Les mesures audiométriques de l’ensemble des travailleurs de l’étude ont été moyennées pour chacune des fréquences, de façon à disposer d’un audiogramme moyen par période. Ces audiogrammes moyens ont été réalisés par sexe et par classe d’âge pour les hommes.
Pour chaque secteur d’activité et catégorie socioprofessionnelle, les moyennes et intervalles de confiance à 95% (IC95%) ont été calculées. Les analyses ont été réalisées à un niveau à 2 digits pour la NAF2008 (NAF2) et à un niveau à 2 et 4 digits pour la PCS2003 (PCS2 et PCS4), uniquement chez les hommes, par manque d’effectif chez les femmes.
Les analyses ont été effectuées à partir du logiciel SAS®, version 9.4. La comparaison des variables qualitatives selon la période a été faite avec le test du Chi2. La comparaison des variables quantitatives selon la période a été faite avec l’Anova. Afin de vérifier si les prévalences de perte auditive et de perte auditive invalidante évoluent au cours du temps, une comparaison des prévalences de pertes auditives ≥20 dB et ≥35 dB selon les périodes a été faite par un test de tendance de Cochran-Armitage.
Résultats
Sur l’ensemble de la base audiométrique, les hommes sont plus représentés que les femmes (85,1% vs 14,9%) (tableau 1). Chez les hommes, l’âge moyen est significativement différent selon la période (39,2 ans, IC95%: [39,0-39,4] pour l’ensemble de la période d’étude), tout comme l’ancienneté professionnelle moyenne (14,4 années [14,2-14,6]). Le nombre moyen d’heures travaillées par jour diminue à chaque période passant de 8,1 heures entre 1970 et 1980 à 7,7 heures entre 1990 et 2000. Enfin, le nombre moyen d’années d’exposition au bruit professionnel au premier audiogramme est de 17 ans [16,8-17,2] chez les hommes et est significativement différent selon la période ; il augmente de manière plus élevée chez les femmes (de 15,4 ans à 18,2 ans).
Agrandir l'imageÉvolution de la perte auditive
La perte auditive moyenne est estimée à 19,6 dB [19,4-19,9] chez les hommes sur l’ensemble de la période (tableau 1). Elle diminue au cours des trois périodes, passant de 21,5 dB en 1970-1979 à 18,1 dB entre 1980 et 1989 et à 14,5 dB en 1990-2000 (p<0,0001).
Une diminution de la perte auditive moyenne est également observée chez les femmes au cours de la période, de 16,8 dB en 1970-1979 à 13,0 dB entre 1990 et 2000 (p<0,0001). Par ailleurs, la différence de perte auditive moyenne selon le sexe diminue au cours du temps (figure 2).
Agrandir l'imageUn tiers des hommes présentaient une perte auditive d’au moins 20 dB (34,4%) et la prévalence de la perte auditive invalidante (≥35 dB) était de 6,1% (tableau 1). Ces deux prévalences diminuaient significativement au cours des trois périodes (prévalence de la perte auditive ≥20 dB : de 42,3% à 11,7% et prévalence de la perte auditive ≥35 dB : de 8,6% à 0,9%). De même, 19,6% des femmes présentaient une perte auditive d’au moins 20 dB et 1,7% une perte auditive invalidante (≥35 dB), avec une diminution significative sur la période (prévalence de la perte auditive ≥20 dB : de 23,1% à 8,9%).
L’âge moyen des personnes présentant une perte auditive supérieure ou égale à 20 dB était de 43,1 ans [42,7-43,4] chez les hommes et de 43,2 ans [42,1-44,3] chez les femmes. L’âge moyen des personnes présentant une perte auditive invalidante était de 45 ans [44,3-45,7] chez les hommes et de 45,6 ans [41,8-49,4] chez les femmes (données non présentées). La figure 3 présente les audiogrammes moyens pour les trois périodes chez les hommes et chez les femmes. Quel que soit le sexe, on observe une encoche à 4 000 Hz, correspondant au premier stade de la surdité, qui est plus importante sur la période de 1970 à 1980 et qui diminue sur les décennies suivantes. La figure 4 présente les audiogrammes moyens par classe d’âge et par période chez les hommes. La perte auditive s’accentue selon les classes d’âge pour toutes les fréquences et notamment à 4 000 Hz.
La suite des résultats concerne uniquement les hommes, les effectifs chez les femmes étant trop faibles.
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Agrandir l'imageÉvolution de la perte auditive due au bruit selon le secteur d’activité chez les hommes
Les secteurs d’activités les plus représentés (tableau 2) sur l’ensemble de la période sont l’industrie chimique (25,6% des emplois suivis par audiométrie), la fabrication de produits métalliques à l’exception des machines et équipements (12,9%), la métallurgie (6,5%), la fabrication d’équipements électriques (6,4%) et la fabrication du textile (6,3%).
La prévalence de la perte auditive ≥20 dB était très importante dans de nombreux secteurs d’activité, notamment l’industrie automobile (61,8%), les autres industries extractives (50%), la fabrication d’autres produits minéraux non métalliques (48,6%), la réparation et installation de machines et d’équipements (47,7%). Ces secteurs présentaient également une prévalence de perte auditive invalidante élevée (28,4%, 9,1%, 9,0% et 16,3% respectivement).
La baisse générale de la perte auditive moyenne constatée au cours du temps est également observée dans la majorité des secteurs d’activités.
En se référant à un effectif minimum de 20 individus par NAF2, seule une sensible augmentation est observée sur les périodes 1970-1979 et 1980-1989 pour les secteurs de la fabrication de textile (+0,5 dB), la cokéfaction et le raffinage (+0,6 dB) et les transports aériens (+1,8 dB) et sur les périodes 1980-1989 et 1990-2000, pour le secteur de la fabrication de produits métalliques, à l’exception des machines et équipements (+0,7 dB).
Entre les années 1970 et 2000, une baisse significative de la perte auditive moyenne est observée dans tous les secteurs d’activités suffisamment représentés, avec les baisses les plus importantes dans la fabrication de machines et équipements (-11,3 dB), la fabrication de textile (-8 dB), la fabrication d’équipements électriques (-6,5 dB) et l’industrie chimique (-5,8 dB). De fortes diminutions sont également notées entre les deux premières périodes pour l’industrie automobile (-14,2 dB). Les diminutions les moins importantes sur l’ensemble de la période sont observées dans la fabrication de produits métalliques à l’exception des machines et équipements (-2,5 dB) et la production et la distribution de l’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (-4,2 dB).
Pour la période 1990-2000, parmi les secteurs évalués, les pertes auditives moyennes les plus élevées sont observées dans l’industrie chimique (16,5 dB), et la fabrication de produits métalliques à l’exception des machines et équipements (18,2 dB).
Agrandir l'imageÉvolution de l’exposition au bruit selon la catégorie socioprofessionnelle chez les hommes
La grande majorité des professions représentées (tableau 3) sont des ouvriers qualifiés (OQ) et des ouvriers non qualifiés (ONQ) de type industriel (75,2%). Pour ces deux catégories professionnelles, on constate une baisse de la perte auditive moyenne entre chaque période. Entre 1970 et 1990, la diminution est de 2,7 dB pour les OQ et de 1,3 dB pour les ONQ. C’est notamment entre les années 1980 et 1990 que la baisse de la perte auditive moyenne est la plus importante (respectivement -5,4 dB et -5,8 dB). On observe la même évolution de la perte auditive moyenne pour les contremaîtres et agents de maîtrise de production (-1,4 dB et -5,2 dB entre chaque période).
Dans les autres catégories socioprofessionnelles avec un effectif supérieur ou égal à 10, la perte auditive moyenne diminue également au cours du temps, à l’exception des ingénieurs et cadres techniques (+1,7 dB) et des ouvriers non qualifiés de type artisanal (+1,5 dB) entre 1970 et 1989. Bien que la baisse au cours du temps touche toutes les catégories professionnelles, la perte auditive selon les groupes professionnels n’est cependant pas uniforme, avec pour la période la plus ancienne une perte auditive plus élevée pour les OQ (20,8 dB) et ONQ (20,5 dB) travaillant en milieu industriel, par rapport aux techniciens (15,6 dB) et aux professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises (16,8 dB).
La perte auditive moyenne par profession montre que les ouvriers les plus impactés dans la population d’étude dans les années 1970 sont ceux de l’industrie des métaux (chaudronniers et tôliers : 25,2 dB ; ONQ de production : 23,0 dB ; autres ONQ du travail des métaux : 23,7 dB), de l’industrie textile (OQ de la confection : 22,9 dB ; ONQ du textile et de la confection : 21,6 dB). Sur la période des années 1980, la perte auditive moyenne baisse pour l’ensemble de ces professions, sauf pour les OQ et les ONQ du textile (+3,2 dB et +1,8 dB respectivement) et pour les ONQ des secteurs de la métallurgie, verrerie, céramique et des matériaux de construction (+2,7 dB). Le peu de mesures réalisées sur la dernière période ne permet pas de documenter l’évolution des professions sur les années 1990. Parmi les professions pour lesquelles l’évolution de la perte auditive est disponible sur l’ensemble de la période, une baisse importante est retrouvée pour les câbleurs et bobiniers qualifiés (-12,3 dB), les mécaniciens qualifiés de maintenance des équipements industriels (-6,7 dB) et pour les OQ de la chimie et de la plasturgie (-4,5 dB).
La prévalence de la perte auditive ≥20 dB était très élevée chez les ONQ de type artisanal (56,2%), les policiers et militaires (42,9%), les ONQ de type industriel (35,6%) et les OQ de type industriel (32,7%). Parmi les OQ et ONQ de type industriel, certains emplois présentaient une prévalence de perte auditive ou une prévalence de perte auditive invalidante nettement plus élevée que dans l’ensemble de la population d’étude : les chaudronniers-tôliers industriels (50% pour la perte ≥20 dB et 13,3% pour la perte ≥35 dB), les opérateurs qualifiés du textile et de la mégisserie (47,1% pour la perte ≥20 dB), les ONQ de l’électricité et de l’électronique (46,9% pour la perte ≥20 dB), les ONQ de production du textile (45,4% et 9,1%), les ONQ de montage mécanique et travail des métaux (43,8% et 9,1%), les ONQ de production travaillant par formage de métal (40% et 7,4%) et les ONQ de la métallurgie, verrerie, céramique et des matériaux de construction (39,2% et 7,8%).
Agrandir l'imageDiscussion
Estimation de la perte auditive moyenne
La caractérisation de la perte auditive due au bruit varie selon les études. Certaines définitions calculent la perte auditive sur la plage de fréquences de 500 à 4 000 Hz et d’autres sur les hautes fréquences de 3 000 à 6 000 Hz. Certaines estiment la perte auditive comme la moyenne des deux oreilles, d’autres pour la meilleure oreille et d’autres encore pour la plus mauvaise 2,26. La méthodologie utilisée ici pour l’estimation de la perte auditive a pris en compte les fréquences 500, 1 000, 2 000 et 4 000 Hz, considérant ainsi les fréquences impliquées dans la survenue de la surdité. En effet, au stade 1, la surdité professionnelle commence par une encoche à la fréquence des 4 000 Hz, pour s’étendre au stade 2 à la fréquence de 2 000 Hz, puis au stade 3, l’extension du déficit atteint les 1 000 Hz. Il a été avancé que les pertes auditives à 2 000, 3 000 et 4 000 Hz étaient significativement plus élevées chez les employés exposés au bruit sur leur lieu de travail que chez les employés non exposés 26. La perte auditive due au bruit se manifeste par une élévation des seuils auditifs entre 3 000 et 6 000 Hz, centrée sur 4 000 Hz.
Intérêt et limites de la méthode
L’exposition au bruit est classiquement évaluée par des mesures dosimétriques environnementales et/ou individuelles qui sont instantanées et susceptibles de négliger l’évolution dans le temps de l’exposition au bruit au poste de travail ; l’extrapolation à une valeur globale d’exposition risque d’entraîner une sous-estimation ou une surestimation 27. Notre méthode analyse les conséquences de l’exposition pour évaluer la perte auditive et prend donc en compte les variations dans le temps et dans l’espace, ainsi que l’effet des moyens de protection collectifs et individuels 28. Enfin, les analyses collectives de données audiométriques sont de bons outils pour prévenir la perte auditive due au bruit professionnel 29.
Les critères d’inclusion retenus excluent les sujets ayant des antécédents médicaux susceptibles d’expliquer leur perte auditive, tels que des activités bruyantes non professionnelles (tir, fréquentation de lieux bruyants), et se concentrent sur ceux qui ont travaillé pendant longtemps dans le secteur et l’emploi en question. L’avantage de notre étude est la sélection rigoureuse des données audiométriques (8 270 audiogrammes sélectionnés pour 49 600 dans la base de données) qui a permis de cibler les pertes auditives liées spécifiquement à l’exposition professionnelle au bruit. De plus, la sélection de la population excluait les travailleurs de plus de 55 ans, permettant ainsi de limiter l’effet de la presbyacousie dans l’estimation de la perte auditive moyenne.
Enfin, au cours de la période considérée, l’audiométrie a été systématiquement réalisée dans des conditions constantes (unité mobile avec cabine insonorisée et audiomètre calibré) par des praticiens hospitaliers expérimentés. La présente méthodologie a donc permis une évaluation solide de la perte auditive pour des travailleurs de secteurs d’activité avec un risque d’exposition au bruit avéré dans la région Rhône-Alpes sur une période historique de 30 ans.
À l’inverse, les critères de sélection requis pour se concentrer sur l’exposition professionnelle au bruit éliminent de nombreuses données, et certains secteurs et/ou catégories professionnelles également concernés par le bruit professionnel, comme les musiciens 30 ou les militaires 31 qui sont peu documentés ou seulement sur des périodes partielles. Cette méthode nécessite donc un grand nombre de sujets ayant fait l’objet d’une évaluation audiométrique aux fins de l’analyse par catégorie professionnelle et/ou par période.
L’absence ou l’insuffisance d’informations concernant les emplois occupés a empêché leur codification selon la NAF ou la PCS. Ces données manquantes ont été estimées chez les hommes et ont montré des pertes auditives moyennes légèrement différentes de celles des sujets ayant des emplois codés : 21,3 dB dans les emplois sans code PCS contre 19,0 dB avec, et 18,1 dB sans code NAF contre 19,9 dB avec.
D’autres expositions professionnelles peuvent également contribuer à la perte d’audition, comme l’exposition aux vibrations ou à des produits chimiques ototoxiques (solvants chlorés notamment), ainsi que la consommation de médicaments ototoxiques. L’exposition à ces autres facteurs de risque n’a pas pu être évaluée, mais la sélection de la population s’est centrée sur des travailleurs intervenant dans des lieux de travail bruyants, et pour lesquels les expositions extraprofessionnelles ont été écartées, de même que les antécédents médicaux de la sphère ORL. De ce fait, la population d’étude est une population de travailleurs dans laquelle la perte auditive observée reflète bien l’exposition professionnelle au bruit 32.
Enfin, l’objectif principal était d’évaluer l’évolution de la perte auditive moyenne de cette population sur cette période 1970-2000. Aucune donnée comparable dans une autre région française ou au niveau national pour la période considérée et pour des salariés n’a à notre connaissance été publiée, rendant des comparaisons impossibles et cette étude originale.
Diminution de la perte auditive due au bruit
Au cours des 30 ans d’étude, la perte auditive due au bruit professionnel dans la population étudiée a diminué de façon importante compte tenu qu’il s’agit d’une échelle logarithmique, passant de 21,5 à 14,5 dB (-7,0 dB) chez les hommes et de 16,8 à 13,0 dB (-3,8 dB) chez les femmes. Cette baisse peut s’expliquer par la baisse de l’exposition sonore professionnelle, due notamment à la prise de conscience de ce risque et de son impact majeur au niveau des populations de travailleurs et à la mise en place de législations en France 11. Le tableau n° 42 du régime général qui concerne les atteintes auditives provoquées par les bruits lésionnels a été élaboré dès 1963 et a été mis à jour régulièrement jusqu’à sa dernière version le 25/09/2003 (1). Postérieurement à cette étude, la réglementation a évolué afin de mieux protéger les salariés en France 12 et en Europe 33, notamment en ce qui concerne le contrôle des niveaux d’exposition et la mise en place de moyens de protections collectifs et individuels 8,34.
La diminution de l’exposition professionnelle au bruit au fil du temps et ses conséquences sur la perte auditive ont été constatées dans la littérature dans la plupart des pays industrialisés 2, par exemple pour le travail mécanique et le traitement du bois en Suède, entre les années 1970 et 1990 35.
Sur des périodes postérieures à celles étudiées ici, de 2001-2003 et 2009-2010, Frederiksen et coll. 36 ont rapporté une diminution de l’exposition professionnelle au bruit de 1,1 dB(A) (de 83,9 dB(A) à 82,8 dB(A)), dans un ensemble d’entreprises danoises « bruyantes ». En France, notre équipe a également documenté l’exposition professionnelle au bruit dans la population générale des travailleurs à partir d’une matrice emplois-expositions et a montré une baisse de la proportion de travailleurs exposés à un niveau de bruit >70 dB entre 2007 (22,9%) et 2019 (20,5%) sur l’ensemble des travailleurs, quels que soient leur profession et leur secteur d’activité 37.
Comparaison avec la population générale
Aucune donnée publiée concernant des estimations de perte auditive réalisée dans la population générale à partir de mesures audiométriques n’est disponible pour la période de notre étude. Les seules données réalisées en population générale concernent les participants à la cohorte Constances sur une période récente 19. Les comparaisons restent cependant difficiles puisque la population source n’est pas la même (avec une restriction d’âge dans notre étude).
Dans notre étude, l’âge moyen des personnes présentant une perte auditive supérieure ou égale à 20 dB était de 43,1 ans (écart-type=8,2) chez les hommes et de 43,2 ans (écart-type=8,5) chez les femmes. Dans la cohorte Constances, l’âge moyen des personnes présentant une perte auditive ≥20 dB était de 57,5 ans (écart-type=10,4) 19. Pour la perte auditive invalidante (≥35 dB), l’âge moyen était de 45 ans (écart-type=7,4) chez les hommes, et de 45,6 ans (écart-type=8,3) chez les femmes, dans notre étude. Dans la cohorte Constances, il était de 61,2 ans (écart-type=8,6). La perte auditive était ainsi plus précoce chez les salariés exposés au bruit professionnel que dans la population générale.
La prévalence de la perte auditive, mesurée sur les mêmes fréquences, a significativement diminué entre 1997 et 2018 dans la population norvégienne. Engdahl et coll. 38 ont ainsi montré que la perte auditive invalidante était moins fréquente à tous les âges (passant de 7,7% en 1997 à 5,3% en 2018), avec une diminution plus importante constatée à l’âge de 75 ans chez les hommes et à l’âge de 85 ans chez les femmes. Ces personnes étant encore en activité 20 ans plus tôt, on peut en déduire que la perte auditive liée au bruit professionnel a diminué au cours du temps. Les seuils auditifs étaient également meilleurs dans les cohortes nées plus récemment à toutes les fréquences, avec une amélioration plus importante dans les hautes fréquences chez les hommes de 60 à 70 ans nés plus récemment (10 à 11 dB à 3-4 kHz), et aux basses fréquences chez les plus âgés, ce qui corrobore une nouvelle fois nos résultats puisque le bruit professionnel impacte en priorité les fréquences 2 000 Hz et 4 000 Hz.
Conclusion
Sur les périodes étudiées (1970-2000), nous avons constaté une diminution de la perte auditive due à l’environnement professionnel, à partir d’audiogrammes réalisés dans plusieurs secteurs d’activités bruyants. Ces mesures audiométriques réalisées sur de larges populations sont très rares en France, ce qui donne un caractère original à cette étude, et ces données historiques constituent un point de comparaison pour de prochains mesurages. En effet, un nouveau projet de recherche est en cours pour estimer, selon le sexe, la profession (PCS2003) et le secteur d’activité (NAF2008), la perte auditive moyenne dans la population des travailleurs de la cohorte Constances dans laquelle des données audiométriques ont été collectées.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
mp/tableau.html?refINRS=RG%2042





