Partage : une consultation prénatale proposée à tous les pères d’enfants à naître à Montreuil, Seine-Saint-Denis, 2021-2022

// A medical check-up offered to all fathers-to-be in Montreuil, Seine-Saint-Denis, France, 2021–2022

Pauline Penot1,2 (pauline.penot@ght-gpne.fr), Gaëlle Jacob1, Audrey Guerizec1, Clotilde Trevisson1, Valérie-Anne Letembet1, Raya Harich1, Thomas Phuong1, Bruno Renevier1, Pierre-Etienne Manuellan3, Yazdan Yazdanpanah4, Annabel Desgrées du Loû2
1 Centre hospitalier André Grégoire, Montreuil
2 Centre population et développement (Ceped), Institut de recherche pour le développement (IRD) et Université de Paris, Inserm ERL 1244, Paris
3 Direction de la santé, ville de Montreuil, Montreuil
4 Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales, la tuberculose et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), PariSanté Campus, Paris
Soumis le 14.11.2023 // Date of submission: 11.14.2023
Mots-clés : Santé sexuelle | Santé périnatale | Inégalités sociales de santé | Médecine préventive | Santé des immigrés
Keywords: Sexual health | Prenatal health | Social inequalities in health | Prevention | Immigrant health

Résumé

Introduction –

En France comme ailleurs, les hommes bien portants ont moins de contact avec le système de santé que les femmes. Le suivi gynécologique et obstétrical fournit aux femmes des occasions de consultations de prévention qui n’ont pas d’équivalent pour les hommes, y compris lorsque les couples attendent un enfant. L’objectif du projet Partage (Prévention, accès aux droits, rattrapage vaccinal, traitement des affections pendant la grossesse et pour l’enfant) était d’évaluer le niveau et les déterminants de l’acceptation d’une consultation prénatale de prévention dédiée aux futurs pères.

Matériel et méthodes –

Entre janvier 2021 et avril 2022, tous les pères d’enfants à naître à l’hôpital de Montreuil (Seine-Saint-Denis) se sont vu proposer une consultation prénatale de prévention, dépistage, accès aux droits, rattrapage vaccinal et référencement vers le soin primaire, sous réserve du consentement préalable de leur conjointe à transmettre leurs coordonnées.

Résultats –

3 038 femmes (80% des femmes éligibles) ont donné des coordonnées qui ont permis de contacter leurs conjoints ; 44% des hommes éligibles (N=3 038) et 53% des hommes avec lesquels un contact effectif a été établi (N=2 516) sont venus en consultation prénatale masculine. Le taux d’adhésion des immigrés était supérieur à celui des futurs pères nés en France (56% vs 49%, p<0,001). Il était particulièrement élevé chez les immigrés les plus précaires (ceux arrivés sur le sol français depuis moins de sept ans, originaires de régions pauvres du globe, sans droit au séjour). En analyse multivariée, les hommes nés en Afrique subsaharienne et en Asie étaient près de deux fois plus enclins à adhérer à l’offre que ceux nés en Europe ou en Amérique du Nord.

Discussion-Conclusion –

L’adhésion globale à l’offre était élevée ; cette consultation a été plébiscitée par les immigrés les plus vulnérables qui y ont vu une occasion d’intégrer le système de santé français auquel ils sont théoriquement éligibles, mais auquel ils n’ont souvent pas un accès effectif.

Abstract

Introduction –

In France, as elsewhere, men have less routine contact with the healthcare system than women do. Gynaecological and obstetrical check-ups provide women with opportunities for preventive consultations that have no equivalent for men, even future fathers. The aim of the project PARTAGE (prevention, access to rights, vaccination update and medical treatment during pregnancy and for the child) was to assess the level and determinants of acceptance for prevention consultations offered to men during their partner’s pregnancy.

Methods –

Between January 2021 and April 2022, all fathers of babies to be born at Montreuil hospital (Seine-Saint-Denis) were offered a prenatal consultation for prevention, screening, access to rights, vaccination update and referral to primary care, subject to the woman’s prior consent to pass on their contact information.

Results –

3,038 women (80% of those eligible) provided contact information for the father-to-be; effective contact was established with 2,516 men, of whom 1,333 (53%) came for a prenatal prevention consultation. Uptake was higher among immigrant men than French-born men (56% versus 49%, p<0.001). It was particularly high among immigrants living in the most precarious conditions (those who had arrived in France for less than 7 years, born in poor regions of the word, with no residence permit). In a multivariate analysis, men born in sub-Saharan Africa and Asia were almost twice as likely to take up the offer as those born in Europe or North America.

Discussion-Conclusion –

Overall acceptance was high. This consultation was very popular with the most vulnerable immigrants, who saw it as an opportunity to integrate the French healthcare system; a system for which they are theoretically eligible, but to which they often do not have effective access.

Introduction

Les hommes ont moins de contacts avec le système de santé que les femmes 1 et recourent moins souvent qu’elles aux soins primaires 2. Cette différence s’explique en partie par le suivi gynécologique, qui crée pour de nombreuses femmes des occasions de rencontrer des professionnels de santé sans être malades. Il constitue une opportunité de prévention, de dépistage et d’amélioration de la santé qui n’a pas d’équivalent masculin.

Au cours de leur grossesse, les femmes font l’objet d’un suivi médical régulier, tandis qu’un intérêt marginal est porté à la santé du futur père, à travers le prisme du risque de transmission à l’enfant d’une infection ou d’une pathologie génétique. Ainsi, la Haute Autorité de santé (HAS), la stratégie nationale de santé sexuelle et le groupe d’experts français sur la prévention et la prise en charge du VIH s’accordent à recommander un dépistage systématique du VIH des deux membres d’un couple lors de chaque grossesse 3,4,5. Cependant, aucun dispositif ne permet actuellement d’évaluer ce recours au dépistage prénatal paternel, qui reste probablement faible au regard du dépistage prénatal maternel, quasi exhaustif et bien documenté 6. Or les opportunités différenciées de dépistage expliquent probablement le retard à la découverte de la séropositivité VIH chez les hommes hétérosexuels (délai médian de 4,4 ans entre infection et diagnostic) par rapport aux femmes (délai médian de 3 ans) 7.

Le projet national des 1 000 premiers jours va plus loin dans la prise en compte des futurs pères : le livret produit par le ministère de la Santé et envoyé par la Caisse d’allocations familiales (CAF) en version papier aux primipares et en format numérique pour les grossesses suivantes mentionne la possibilité donnée aux hommes de demander un examen de santé pendant la grossesse de leur partenaire, spécifiant son remboursement à 100% par l’Assurance maladie 8. De même, le carnet de maternité, qui doit être remis par un professionnel de santé à chaque grossesse, précise qu’un examen général, éventuellement accompagné d’examens de laboratoire, est pris en charge pour le futur père 9. Enfin, l’Assurance maladie délivre la même information dans l’édition 2023 de son guide « Ma maternité » 10. Nous avons donc en France la possibilité théorique non seulement de mieux prendre en compte un risque de transmission des hommes vers leurs partenaires enceintes et les enfants qu’elles portent, mais aussi d’améliorer l’accès des hommes à la prévention et à la promotion de la santé à l’occasion de l’arrivée d’un enfant, à travers une consultation prénatale masculine remboursée.

La Seine-Saint-Denis, département de 1,6 million d’habitants situé au nord-est de Paris, enregistre le taux de pauvreté le plus élevé de France métropolitaine 11. Sa démographie est fortement marquée par l’immigration : 36% des femmes et 39% des hommes de 15-54 ans qui y résident sont nés à l’étranger. Il s’agit du deuxième département métropolitain le plus touché par l’épidémie de VIH : 9 000 personnes infectées par le VIH y sont suivies et environ 600 y découvrent leur séropositivité chaque année, ce qui, rapporté à la population, correspond à une incidence de 4 pour 10 000, au moins trois fois supérieure à la moyenne française. L’épidémie y est à 74% hétérosexuelle 12. La prévalence du VIH non diagnostiqué chez les hommes adultes nés en Afrique subsaharienne vivant en Seine-Saint-Denis a été estimée à 0,8% 7.

Environ 3 500 grossesses sont suivies chaque année à la maternité de l’hôpital de Montreuil. Cinquante-deux pour cent des femmes qui y ont accouché en 2020-2021 ont été rétrospectivement identifiées comme socialement vulnérables : parmi elles, 41% étaient nées en Afrique subsaharienne et 11% en Asie 13.

Dans ce contexte, c’est l’épidémie cachée de VIH qui nous a d’abord conduits à nous intéresser aux futurs pères, dans l’objectif d’étendre la pratique du dépistage prénatal aux deux parents. Rapidement, des besoins plus larges sont apparus chez les premiers hommes auxquels ce dépistage était proposé : symptômes cliniques, retard vaccinal, difficultés à consulter pour des raisons de remboursement des soins ou d’absence de médecin traitant.

Une consultation prénatale masculine de prévention, accès aux droits, rattrapage vaccinal, référencement vers le soin primaire a été structurée, proposée pendant 15 mois et évaluée. Nous présentons ici le niveau et les déterminants de son acceptation par les hommes.

Matériel et méthodes

Partage (Prévention, accès aux droits, rattrapage vaccinal, traitement des affections pendant la grossesse et pour l’enfant) est une étude monocentrique interventionnelle sans bras contrôle menée de janvier 2021 à avril 2022 évaluant l’acceptabilité d’une nouvelle consultation prénatale de prévention proposée aux conjoints des femmes enceintes suivies à la maternité de l’hôpital de Montreuil, sous réserve de l’accord préalable de la femme enceinte à communiquer leurs coordonnées.

Population d’étude

Étaient éligibles les femmes majeures reçues à l’hôpital pour une première consultation prénatale, qui déclaraient un futur père vivant en Île-de-France et impliqué dans leur grossesse. La période d’éligibilité s’échelonnait de la première consultation prénatale à la date d’accouchement.

Étaient éligibles les futurs pères dont les partenaires étaient incluses dans l’étude. La période d’éligibilité s’échelonnait du lundi suivant l’inclusion de la femme enceinte jusqu’à la naissance de l’enfant : un père qui souhaitait venir en consultation après la naissance n’était pas exclu, mais plus aucune sollicitation n’était faite au père une fois l’enfant né.

Intervention

Des enquêtrices salariées de l’hôpital étaient présentes à la maternité, dans un bureau dédié, tous les jours ouvrés. Elles proposaient aux femmes enceintes éligibles de répondre au questionnaire maternel. Le protocole du projet Partage ainsi que le questionnaire sont disponibles (1). Ce questionnaire comportait des variables sociodémographiques (âge, pays de naissance, date, principal motif de venue en France et droit au séjour pour les immigrées, niveau d’études, couverture maladie, situation professionnelle, type de logement), des éléments liés à la vie conjugale et familiale des enquêtées (parité, situation matrimoniale, durée de la relation avec le père de l’enfant à naître, antécédent de discussion de couple autour du VIH et des infections sexuellement transmissibles, antécédent de dépistage) et des éléments concernant le futur père (caractéristiques sociodémographiques, insertion dans le système de santé, pronostic sur sa venue à la consultation qui lui serait proposée). Un service de traduction téléphonique était accessible pour les femmes allophones.

Les femmes qui acceptaient de répondre au questionnaire se voyaient proposer de donner les coordonnées (téléphone et courriel) du futur père afin qu’il soit contacté. Si le père était présent, le projet était présenté d’emblée au couple et la consultation paternelle pouvait être programmée par les enquêtrices. Si le père était absent, une lettre d’information était remise à la femme enceinte mentionnant les modalités de prise de rendez-vous (ligne téléphonique et courriel dédiés, plateforme Doctolib). En l’absence de sollicitation spontanée d’un rendez-vous par le père, une sage-femme de recherche prenait contact avec lui la semaine suivante pour lui proposer un rendez-vous soit à l’hôpital, soit en centre municipal de santé. Les créneaux de consultations étaient larges, avec des rendez-vous proposés le soir et le samedi matin, afin de tenir compte des normes sociales et des contraintes professionnelles pesant sur les hommes. Le père recevait un texto de rappel avant son rendez-vous et il était systématiquement rappelé s’il ne se présentait pas : il pouvait alors soit refuser la consultation (un motif était renseigné s’il acceptait d’en donner un et ses coordonnées étaient censurées), soit reprogrammer un rendez-vous, et il était à nouveau rappelé en cas de nouveau rendez-vous manqué. Le jour de la consultation, le père était vu par un médecin ou une sage-femme. La pression artérielle était mesurée, un examen clinique pouvait être pratiqué s’il présentait des symptômes, le bilan biologique était adapté aux expositions rapportées à l’entretien, à l’histoire individuelle et aux antécédents vaccinaux lorsqu’ils étaient documentés. Les vaccins étaient mis à jour ; tous les pères sans droits ouverts à l’Assurance maladie pouvaient rencontrer une assistante sociale. Le père pouvait choisir de programmer la consultation de restitution des examens biologiques en présentiel, par téléphone ou par mail. Les pères qui n’avaient pas de médecin traitant se voyaient proposer un référencement vers un médecin généraliste partenaire du projet. Un référencement vers la psychologue du CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic), un médiateur santé ou un spécialiste hospitalier était réalisé si besoin.

Éthique

Le Comité de protection des personnes Nord Ouest II a approuvé le projet (21.01.19.44753).

Analyses statistiques

Les caractéristiques des pères venus en consultation prénatale ont été comparées à celles des pères non venus, par des tests de Chi2 ou des tests exacts de Fisher pour les variables catégorielles et des tests de Student ou Wilcoxon pour les variables continues. Plusieurs modèles de régression logistique multivariée ont été construits pour identifier les facteurs associés à la venue des hommes, en fonction de leurs propres caractéristiques et des caractéristiques de leurs partenaires enceintes. Ces modèles ont été réalisés dans la population générale d’étude, puis dans les sous-populations des hommes et femmes immigrés. La construction des modèles finaux a été faite selon une approche manuelle pas à pas descendante en retenant les variables associées à la venue avec un degré de significativité <0,05. Compte tenu du faible nombre de données manquantes et pour éviter d’introduire des biais, aucune imputation n’a été réalisée. Toutes les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata SE 17®.

Résultats

Taux d’acceptation et caractéristiques de la population d’étude

Parmi les 4 205 femmes reçues en consultation prénatale sur la période, 3 808 étaient éligibles à l’étude et 3 038 (80%) ont donné des coordonnées qui ont permis de contacter leur partenaire. Un contact effectif a eu lieu avec 2 516 hommes (physique lors de l’enquête maternelle, par téléphone, par échange de message ou via Doctolib). Parmi eux, 1 333 (53% des contacts effectifs et 44% des hommes éligibles) sont venus en consultation (figure 1).

Figure 1 : Diagramme de flux, étude Partage, janvier 2021-avril 2022
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L’âge médian des femmes était de 31 ans (intervalle interquartile, IQ: [28-35]). Un tiers attendaient leur premier enfant ; 49% avaient un niveau d’études supérieures, 46% étaient sans emploi avant leur grossesse ; 13% pensaient n’avoir jamais fait de test VIH tandis que 15% identifiaient leur sérologie de la grossesse en cours comme la première qu’elles aient réalisée. Seules 36% se souvenaient d’une discussion de couple sur le VIH ou les infections sexuellement transmissibles (IST) et 56% ignoraient si leur conjoint avait déjà fait un test VIH ; 78% prédisaient que le futur père viendrait à la consultation prénatale qui lui serait proposée.

Cinquante-deux pour cent des femmes étaient immigrées, 20% étaient originaires d’Afrique subsaharienne et 18% d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. La moitié des 1 590 immigrées étaient en France depuis moins de sept ans ; 19% n’avaient aucun droit au séjour et 9% aucune couverture maladie. Deux tiers de ces femmes étaient venues rejoindre soit leur mari (43%), soit un membre de leur famille (26%), tandis que 17% étaient venues « tenter leur chance », 8% étudier, 6% fuir des menaces ou des violences et 0,7% pour des raisons de santé.

L’âge médian des hommes était de 35 ans [30-40 ans] ; 35% avaient un niveau d’études supérieures, 14% n’avaient aucun emploi. Cinquante-neuf pour cent étaient immigrés (N=1 490) : 25% venaient d’Afrique subsaharienne, 19% d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Vingt-neuf pour cent étaient en France depuis moins de sept ans ; 18% n’avaient aucun droit au séjour et 11% aucune couverture maladie.

La description complète de la population d’hommes et de femmes inclus dans Partage figure dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques de la population d’étude, Montreuil, janvier 2021-avril 2022
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Caractéristiques des femmes en fonction de la venue, ou non, de leur conjoint en consultation

Comparaison des femmes dont le conjoint est venu en consultation, par rapport à celles dont le conjoint n’est pas venu

La proportion de venue était plus élevée parmi les conjoints des femmes nées en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique latine-Haïti que parmi ceux des femmes nées en France (56%, 62% et 50%, respectivement, vs 38%) (tableau 2).

Les conjoints des femmes sans domicile, titulaires d’une Aide médicale de l’État (AME) ou sans couverture maladie sont venus davantage que ceux des femmes vivant dans leur propre logement ou affiliées au régime général de l’Assurance maladie.

Tableau 2 : Caractéristiques des femmes en fonction de la venue ou non de leur conjoint, Montreuil, janvier 2021-avril 2022
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Caractéristiques des femmes associées à la venue de leur conjoint, en analyse multivariée

Après ajustement aux autres caractéristiques des femmes, leurs conjoints sont venus davantage lorsqu’elles étaient nées en Afrique subsaharienne (odds ratio, OR=2,23 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,79-2,78]), en Asie (3,14 [2,15-4,59]) ou en Amérique latine-Haïti (1,71 [1,04-2,82]) qu’en France et lorsqu’elles attendaient leur premier enfant. Les conjoints des femmes avec un niveau d’étude bas (pas d’enseignement formel ou école primaire) ou au contraire élevé (niveau universitaire) sont venus davantage que ceux des femmes avec un niveau secondaire (figure 2a). L’analyse a été réalisée à partir de 3 029 observations complètes parmi 3 038.

Caractéristiques de la sous-population des femmes immigrées associées à la venue de leur conjoint, en analyse multivariée

Après ajustement sur la durée de séjour, le motif de migration, le logement, la situation administrative et la parité des femmes, les conjoints de celles originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie ont davantage eu recours à la consultation que ceux des femmes originaires des pays du Nord (OR=1,61 [1,16-2,23] et OR=2,35 [1,50-3,68], respectivement). L’absence de domicile, une migration pour leur propre sécurité ou pour « tenter leur chance » et un séjour de moins de sept ans étaient indépendamment associés à la venue de leur conjoint (figure 2c).

L’analyse a été réalisée à partir de 1 583 observations complètes parmi 1 590.

Caractéristiques des hommes qui ont accepté l’offre

Comparaison des hommes venus en consultation, par rapport à ceux qui n’y ont pas eu recours

La proportion de venue était plus élevée parmi les hommes de 30 ans et plus, parmi ceux originaires d’Afrique subsaharienne, d’Asie et d’Amérique latine-Haïti, parmi les immigrés installés depuis moins de sept ans, en situation irrégulière ou non affiliés au régime général de l’Assurance maladie, tandis que la proportion d’hommes avec un suivi médical était comparable dans les deux groupes (53% vs 47%, p=609) (tableau 3).

Tableau 3 : Comparaison des hommes éligibles avec lesquels il y a eu un contact effectif, selon qu’ils ont adhéré ou non à l’offre de consultation prénatale masculine, Montreuil, janvier 2021-avril 2022
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Facteurs associés à l’adhésion des hommes à la consultation prénatale dédiée aux pères,
en analyse multivariée

En analyse multivariée, la venue des hommes était associée à une première grossesse pour le couple (OR=2,00 [1,67-2,40]) et à une naissance des hommes en Afrique subsaharienne (1,83 [1,45-2,31]) ou en Asie (1,82 [1,26-2,63]) plutôt qu’en France. Les hommes pas ou peu scolarisés et les hommes diplômés de l'enseignement supérieur recouraient davantage à la consultation que les hommes qui s’étaient arrêtés en secondaire, et les hommes de plus de 30 ans venaient davantage que les plus jeunes (figure 2b). L’analyse a été réalisée à partir de 2 422 observations complètes parmi 2 516.

Facteurs associés à l’adhésion des hommes dans la sous-population des hommes immigrés,
en analyse multivariée

Après ajustement aux autres caractéristiques des hommes immigrés, ceux originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie sont venus davantage à la consultation que ceux originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord (OR=1,96 [1,33-2,88] et OR=2,06 [1,28-3,34], respectivement) ; l’absence de droit au séjour restait associée au recours à la consultation, tandis que l’âge ne l’était plus (figure 2d). L’analyse a été réalisée à partir de 1 390 observations complètes parmi 1 490.

Figure 2 : Caractéristiques des femmes et des hommes associées à la venue des hommes à une consultation prénatale dédiée aux pères, Montreuil, janvier 2021-avril 2022
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Discussion

Le principal résultat de Partage était un niveau d’adhésion élevé (44% des hommes appelés, 53% de ceux avec lesquels un contact a été établi), bien qu’inférieur aux prévisions féminines : 78% des hommes seraient venus si les prédictions de leurs partenaires avaient été suivies d’effet.

En choisissant pour dénominateur la population d’hommes contactés, le taux de participation était de 44%. Si nous le comparons à d’autres campagnes de dépistage systématique pour lesquelles un taux de participation est disponible à l’échelon départemental, ce recours est supérieur au dépistage du cancer du sein (36%) et colorectal (25% chez les hommes) 14,15.

Les populations précaires et immigrées ont moins recours aux dépistages de cancers 16 : ce constat a conduit à l’expérimentation aux États-Unis de « navigateurs en santé », personnes chargées de guider les patients vulnérables à travers le système de soins. Les navigateurs appellent les patients, leur expliquent le déroulement du dépistage, prennent les rendez-vous, fournissent des solutions de mobilité et d’accompagnement, lèvent les obstacles financiers 17. L’efficacité de tels programmes a été démontrée pour le dépistage du cancer colorectal, du sein et du col utérin 18.

Notre taux de participation élevé résulte probablement en grande partie de notre approche proactive : les hommes ne prenaient presque jamais rendez-vous spontanément à réception de la lettre d’information, mais la mentionnaient lorsqu’ils étaient appelés par les sages-femmes de recherche, leur signifiant qu’ils s’attendaient à être contactés. L’adaptation des horaires de consultation à leurs contraintes, le texto de rappel et la résilience de l’équipe aux rendez-vous manqués ont contribué au succès de l’intervention. Il est intéressant de se souvenir que les allocations familiales ont été initialement conditionnées à la réalisation des 7 consultations prénatales féminines, aujourd’hui si intégrées au fonctionnement social qu’elles n’ont plus besoin d’être assorties d’une incitation financière 19.

Donner une place aux hommes dans un parcours prénatal jusqu’ici construit uniquement autour des femmes implique d’adresser un projet émancipateur à un groupe dominant sans renforcer les mécanismes de domination. Nous présentons un taux d’acceptation calculé à partir du nombre de femmes ayant accepté de transmettre les coordonnées de leur conjoint plutôt qu’à partir du nombre de femmes éligibles, car il nous a paru important, pour ne pas réduire l’autonomie des femmes, que l’offre procède d’un consentement maternel 20.

Ce sont les immigrés qui se sont le plus saisis de cette nouvelle offre, en particulier ceux nés en Afrique subsaharienne et en Asie (le nombre limité de femmes et d’hommes nés en Amérique latine-Haïti, respectivement 70 et 69, a probablement conduit à un défaut de puissance pour associer cette région de naissance à la venue en consultation).

La précarité des femmes enceintes et des pères immigrés était associée à la venue des hommes : l’absence de logement des femmes, leur migration pour des raisons économiques ou de sécurité, l’absence de titre de séjour du père étaient indépendamment associés au recours à cette consultation.

A contrario, l’absence de suivi médical n’était pas associée à la venue des hommes : de nombreux hommes nés en France et bien insérés socialement ne sont pas venus alors qu’ils n’avaient pas de médecin traitant. Une hypothèse serait que ces hommes auraient le capital social pour recourir aux soins, si un problème de santé devait survenir, tandis que les immigrés les plus vulnérables ont vu dans l’offre de consultation une première accroche avec un système de santé qui, bien que théoriquement accessible à tous, leur restait en pratique fermé.

La plupart des travaux publiés sur le deuxième parent soulignent l’importance de l’impliquer du point de vue d’un bénéfice attendu sur la santé materno-infantile : il s’agit à notre connaissance de la première étude qui évalue l’acceptabilité d’une intervention destinée à préserver et à améliorer la santé des futurs pères pour eux-mêmes.

Cette étude a plusieurs limites : son succès repose sur des financements spécifiques dans un contexte de recherche, des efforts « d’aller vers » constants des soignants, et sur l’accès gratuit à une équipe pluridisciplinaire rendu possible par son adossement au CeGIDD. Dans notre contexte territorial marqué par l’immigration, nous avons touché des hommes qui ne sont pas représentatifs de la population générale des futurs pères, à laquelle nous voudrions voir cette offre étendue. Tester une consultation prénatale masculine de prévention en population générale permettrait d’évaluer si, dans d’autres territoires, des hommes présentant des vulnérabilités similaires (majoritairement liées à l’immigration) ou différentes (précarité, éloignement du système de santé à l’âge adulte) accepteraient d’y recourir et en tireraient bénéfice.

Conclusion et perspectives

Cette étude montre qu’une consultation prénatale de prévention dédiée aux futurs pères est bien acceptée quand elle est, pour la première fois, structurée et effectivement proposée. Son succès est fondé sur une approche proactive qui tient compte des contraintes exercées sur les hommes. Les plus vulnérables sur les plans administratifs et sociaux s’en s’ont largement saisis et elle a constitué pour eux un point d’entrée dans le système de santé. Le passage à l’échelle de cette intervention serait un levier parmi d’autres de réduction des inégalités sociales de santé.

Cependant, alors que cette consultation et les examens biologiques qui sont prescrits à son issue sont théoriquement remboursés en France, les mécanismes de ce remboursement sont en réalité inexistants : les futurs pères ne sont pas identifiables à travers la déclaration de grossesse et ne peuvent faire l’objet d’aucune campagne organisée d’invitation à consulter. Aucune nomenclature n’a encore été créée par la Caisse nationale d’assurance maladie pour rembourser la consultation et les examens biologiques prescrits à son issue. Ce remboursement est actuellement réalisable uniquement sur la prise en charge à 100% de leur partenaire enceinte, qui intervient au sixième mois de grossesse et pose des problèmes de déontologie, de confidentialité réciproque et d’identito-vigilance. L’élaboration des outils d’identification et de prise en charge financière par l’Assurance maladie est le prérequis à la généralisation de cette consultation prénatale paternelle.

Remerciements

Les autrices et auteurs remercient tous les participants. Le groupe de travail Partage comprend, en plus des autrices et auteurs : Anne-Laurence Doho, Patricia Obergfell, Djamila Gherbi, Emilie Daumergue, Anne Simon, Miguel de Sousa Mendes, Naima Osmani, Sandrine Dekens, Oumar Sissoko (Arcat), Virginie Supervie, France Lert, Stéphanie Demarest, Ngone Diop.
Nous remercions Christophe Michon, Nathalie Lydié, Joanna Orne-Gliemann, Laurent Mandelbrot, Corinne Taeron, Nicolas Derche, Gwenaelle Morvan, Bernadette Rwegera, Mélanie Jaunay, Ruth Foundje Notemi, Elisa Wardzala, Caroline Regnier, Paul Chalvin, Priscillia Ribouchon, Neima Sghiouar, Abdelkrim Imechket, Pauline Aubry, Francis Bouvier, David Benhammou, Andrainolo Ravalihasy, Karna Coulibaly, Guy Nielsen, Véronique Doré et Yoann Allier (ANRS-MIE), Frédéric Goyet (ARS Île-de-France), la ville de Montreuil, le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financements

Le projet Partage a été financé par l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales, la tuberculose et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE : financement des salaires de l’équipe de recherche) et par la Société française de lutte contre le sida (SFLS, mise en œuvre et évaluation d’une consultation hors les murs de l’hôpital le samedi matin). L’hôpital de Montreuil a également reçu une subvention de la société Gilead pour developer les outils informatiques et les supports de communication du projet Partage.

Références

1 Greig A, Kimmel M, Lang J. Men, masculinities & development: Broadening our work towards gender equality. Gender in development monograph series. 2000;10:1-29.
2 Institut national de la statistique et des études économiques. Femmes et hommes, l’égalité en question – Édition 2022. Montrouge: Insee; 2022. 208 p. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047805
3 Haute Autorité de santé. Réévaluation de la stratégie de dépistage de l’infection à VIH en France. Saint-Denis: HAS; 2017. 307 p. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2024411/fr/reevaluation-de-la-strategie-de-depistage-de-l-infection-a-vih-en-france
4 Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Stratégie nationale de santé sexuelle : agenda 2017-2030. 2017. 75 p. https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/sante-sexuelle-et-reproductive/article/sante-sexuelle
5 Conseil national du sida et des hépatites virales, Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH – Prévention et dépistage. Paris: Conseil national du sida et des hépatites virales; 2018. 46 p. https://cns.sante.fr/actualites/prise-en-charge-du-vih-recommandations-du-groupe-dexperts/
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Citer cet article

Penot P, Jacob G, Guerizec A, Trevisson C, Letembet VA, Harich R, et al. Partage : une consultation prénatale proposée à tous les pères d’enfants à naître à Montreuil, Seine-Saint-Denis. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(8):142-53. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/8/2024_8_1.html