Prévalence des états anxieux chez les 18-85 ans : Résultats du Baromètre Santé publique France (2017-2021)
// Prevalence of anxiety disorders among the 18-85 years-old: Results from the France Public Health Barometer survey (2017-2021)
Résumé
Introduction –
Les troubles anxieux figurent parmi les troubles mentaux les plus fréquents dans le monde. La pandémie de Covid-19 a eu un impact majeur sur la santé mentale des populations en France et à l’international. Dans ce contexte, cette étude vise à estimer la prévalence des états anxieux dans la population générale adulte en France hexagonale en 2021, à identifier les facteurs qui leur sont associés et à analyser les évolutions observées depuis 2017. Elle teste notamment l’hypothèse selon laquelle les états anxieux auraient pu augmenter à la suite de la crise sanitaire, comme cela a été observé pour les épisodes dépressifs caractérisés.
Méthode –
Les données sont issues du Baromètre de Santé publique France, enquête déclarative menée par téléphone, selon un sondage aléatoire, auprès de 4 829 personnes âgées de 18 à 85 ans en 2021 et de 6 413 personnes âgées de 18 à 75 ans en 2017. La présence d’un état anxieux a été évaluée à partir de la sous-échelle anxiété de la « Hospital Anxiety and Depression scale » (HAD-A). L’analyse des évolutions entre 2017 et 2021 a été restreinte à la population des 18-75 ans.
Résultats –
En 2021, 12,5% des personnes âgées de 18 à 85 ans présentaient un état anxieux au moment de l’enquête (score strictement supérieur à 10 sur la sous-échelle HAD-A), avec une prévalence trois fois plus élevée chez les femmes (18,2%) que chez les hommes (6,4%). Entre 2017 et 2021, la prévalence des états anxieux est restée stable chez les 18-75 ans, quels que soient le sexe, l’âge (sauf la tranche des 65-75 ans), le niveau d’éducation, la situation professionnelle, la composition du ménage et la situation financière. Les facteurs associés aux états anxieux, communs aux deux sexes, étaient une situation financière juste ou difficile, un niveau d’éducation inférieur au baccalauréat, ainsi que la présence de comorbidités dépressives et de pensées suicidaires.
Conclusion –
Contrairement à l’augmentation observée pour les épisodes dépressifs caractérisés, nos résultats ne montrent pas d’évolution significative de la prévalence des états anxieux entre 2017 et 2021. Ils suggèrent cependant une prévalence élevée des états anxieux, associée à de fortes inégalités sociales et à des comorbidités importantes. Ces résultats invitent à faciliter l’accès de la population, et notamment des plus défavorisés, aux dispositifs de prévention et de prise en charge des troubles anxieux.
Abstract
Introduction –
Anxiety disorders are among the most common mental disorders worldwide. The COVID-19 pandemic has had a significant impact on the mental health of populations in France and internationally. The present study aims to estimate the prevalence of anxiety disorders in the general adult population in mainland France in 2021, to identify associated factors and to analyze changes observed since 2017. It specifically tests the hypothesis that anxiety disorders may have increased following the health crisis, as it has been observed for major depressive episodes.
Method –
The data come from the French Public Health Barometer a declarative survey conducted by telephone, using a random sample, of 4,829 people aged 18 to 85 in 2021 and 6,413 people aged 18 to 75 in 2017. Anxiety was assessed using the anxiety subscale of the “Hospital Anxiety and Depression scale” (HAD-A). The analysis of changes between 2017 and 2021 were restricted to the population aged 18-75 years-old.
Results –
In 2021, 12.5% of people aged 18 to 85 reported anxiety at the time of the survey (score strictly above 10 on the HAD-A subscale), with a prevalence three times higher among women (18.2%) than among men (6.4%). Between 2017 and 2021, the prevalence of anxiety remained stable among 18-75 year olds, regardless of gender, age (except for the 65-75 age group), educational level, employment status, household composition and financial situation. Factors associated with anxiety disorders, common to both sexes, were a difficult or precarious financial situation, an educational level below the baccalaureate, and the presence of depressive comorbidities and suicidal thoughts.
Conclusion –
Contrary to the increase observed for depressive disorders, our results do not show a significant change in the prevalence of anxiety disorders between 2017 and 2021. However, they suggest a high prevalence of anxiety disorders, associated with significant social inequalities and important comorbidities. These findings highlight the need to facilitate access to prevention and care services for anxiety disorders, particularly for the most disadvantaged people.
Introduction
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les troubles anxieux représentent les troubles mentaux les plus fréquents dans le monde. Ils regroupent plusieurs formes cliniques parmi lesquelles le trouble de l’anxiété généralisée, le trouble panique, l’anxiété sociale, l’agoraphobie, l’anxiété de séparation, les phobies spécifiques 1. Entre 1990 et 2019, leur incidence a augmenté de près de 50% tandis que les années de vie corrigées sur l’incapacité (AVCI) ont connu une hausse de plus de 50% 2. Le fardeau associé aux troubles anxieux serait par ailleurs aggravé par les comorbidités psychiatriques (notamment troubles de l'humeur, addictions, suicides 3) et somatiques (pathologies cardiovasculaires et asthmatiques 4) qui y sont fréquemment associées.
La pandémie de Covid-19, survenue au début de l’année 2020, a accentué le fardeau mondial des troubles mentaux. Une méta-analyse internationale couvrant 204 pays, publiée dans le Lancet en octobre 2021, a estimé que la prévalence des troubles anxieux et dépressifs avait augmenté de plus de 25% au cours de la première année de la pandémie. Les plus fortes augmentations ont été observées dans les régions fortement touchées par le virus, soumises à des confinements stricts, à une diminution de la mobilité humaine et à des taux quotidiens d’infection élevés 5.
En France, les données du Baromètre Santé publique France ont confirmé la hausse des épisodes dépressifs caractérisés en population générale entre 2017 et 2021 (+3,5 points de prévalence chez les 18-75 ans et +9 points chez les 18-24 ans) 6. S’agissant des troubles anxieux, les enquêtes de suivi de la santé mentale de la population mises en œuvre après le début de la pandémie ont montré des augmentations importantes en lien avec la dynamique épidémique et les mesures de contrôle 7. Elles n’ont cependant pas permis de documenter l’évolution des troubles anxieux en population générale avant et après l’épidémie de Covid-19. Les dernières données publiées issues d’un échantillon probabiliste représentatif de la population française (enquête Epicov) ont estimé la prévalence du trouble anxieux généralisé, à partir de l’échelle Generalized Anxiety Disorder (GAD-7), à 11% parmi la population âgée de 16 ans et plus en France hexagonale 8. Avant 2020, les données de référence pour la prévalence des troubles anxieux étaient issues de European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD/MHEDEA), conduite entre 2001 et 2003. Elle avait estimé que 9,8% des personnes de 18 ans et plus interrogées avaient souffert d’au moins un trouble anxieux au cours des 12 derniers mois 9. Ce chiffre reposait sur l’utilisation du Composite International Diagnostic Interview (CIDI), un outil diagnostique standardisé de l’OMS 10.
À ce jour, seul le Baromètre de Santé publique France dispose d’une mesure comparable des symptomatologies anxieuses avant et après la pandémie de Covid-19 sur des échantillons représentatifs de la population hexagonale. La sous-échelle « anxiété » de la Hospital Anxiety and Depression scale (HAD) 11 a été introduite dans les éditions 2017 et 2021. Elle permet d’évaluer le niveau d’anxiété de la population interrogée au moment de l’enquête, sans indication spécifique sur la nature du trouble anxieux, mais avec un nombre réduit d’items.
Cet article vise principalement à vérifier l’hypothèse d’une augmentation durable de l’anxiété en population générale à la suite de l’épidémie de Covid‑19. Il présente une estimation de la prévalence des états anxieux (score strictement supérieur à 10 sur la sous-échelle HAD-A) dans la population adulte résidant en France hexagonale en 2021, examine les facteurs associés et analyse les évolutions par rapport à 2017.
Matériels et méthode
Sources de données
La méthode du Baromètre santé repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphone fixe et mobile. Les participants sont sélectionnés selon un sondage à deux degrés sur ligne fixe (sélection d’un individu par ménage selon la méthode Kish 12) et à un degré sur ligne mobile (sélection de la personne qui décroche), puis interrogés par la méthode de collecte assistée par téléphone et informatique (Cati). Les analyses reposent sur les données collectées lors des éditions 2017 et 2021 (1). La mesure des états anxieux a été réalisée sur un sous-échantillon de 4 829 personnes âgées de 18-85 ans en 2021 et de 6 413 personnes âgées de 18-75 ans en 2017.
Variables
La présence d’un état anxieux au moment de l’enquête a été évaluée à l’aide de l’échelle HAD, développée par Zigmond et Snaith 11. Le questionnaire initial se compose de 14 items : sept portant sur l’anxiété (HAD-A) et sept sur la dépression (HAD‑D). Dans les éditions 2017 et 2021 du Baromètre de Santé publique France, seule la sous-échelle HAD-A a été utilisée pour évaluer les états anxieux (encadré). Chaque item est noté de 0 à 3, permettant d’établir un score total compris entre 0 et 21. Un score strictement supérieur à 10 indiquant la présence d’un état anxieux 11,13. La version française de l’échelle HAD a été traduite et validée en français par Lépine et coll. 14.
–Vous vous sentez tendu(e) ou énervé(e)… La plupart du temps (3) ; souvent (2) ; de temps en temps (1) ; jamais (0)
–Vous avez une sensation de peur comme si quelque chose d’horrible allait vous arriver… Oui, très nettement (3) ; oui, mais ça n’est pas trop grave (2) ; un peu, mais cela ne vous inquiète pas (1) ; pas du tout (0)
–Vous vous faites du souci… Très souvent (3) ; assez souvent (2) ; occasionnellement (1) ; très occasionnellement (0)
–Vous pouvez rester tranquillement assis(e) à ne rien faire et vous sentir décontracté(e)… Oui, quoi qu’il arrive (0) ; oui, en général (1) ; rarement (2) ; jamais (3)
–Vous éprouvez des sensations de peur et avez l’estomac noué… Jamais (0) ; parfois (1) ; assez souvent (2) ; très souvent (3)
–Vous avez la bougeotte et n’arrivez pas à tenir en place… Oui, c’est tout à fait votre cas (3) ; un peu (2) ; pas tellement (1) ; pas du tout (0)
–Vous éprouvez des sensations soudaines de panique… Vraiment très souvent (3) ; assez souvent (2) ; pas très souvent (1) ; jamais (0)
D’après [11].
Initialement développée pour être auto-administrée, l’échelle a été hétéro-administrée dans le cadre d’un entretien téléphonique, comme cela est retrouvé dans la littérature pour d’autres enquêtes menées en population générale 15,16,17. Des enquêteurs formés lisaient les items et effectuaient le recueil des réponses (encadré). Une seule adaptation a été introduite : les personnes interrogées avaient la possibilité de répondre « Ne sait pas » si elles ne savaient pas ou ne souhaitaient pas répondre à un item.
Les variables sociodémographiques analysées ont été : le genre, l’âge au moment de l’enquête réparti en 6 tranches (18-24 ans, 25-34 ans, 35-44 ans, 45-54 ans, 55-64 ans, 65-74 ans et 75-85 ans), le niveau de diplôme (inférieur au baccalauréat, bac, supérieur au bac), la composition du ménage (seul, famille monoparentale, couple sans enfant, avec enfant(s), autre), la perception de sa situation financière (à l’aise, juste, difficile), la situation professionnelle en trois catégories (travail, chômage, inactivité intégrant notamment les retraités et les étudiants).
Les comorbidités prises en compte dans cette étude incluaient la présence d’un épisode dépressif caractérisé (EDC) et l’existence de pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. L’EDC a été mesuré à l’aide de la version abrégée du questionnaire CIDI-SF 10. Cet indicateur est utilisé depuis 2005 dans l’enquête du Baromètre Santé pour suivre l’évolution des épisodes dépressifs en population générale. L’EDC est défini par l’existence d’une période de 15 jours de tristesse ou de perte d’intérêt presque tous les jours et pratiquement toute la journée, ainsi que par la présence, sur la même période, d’au moins trois symptômes secondaires (épuisement, perte ou gain de poids supérieur à 5 kg, difficultés à dormir, à se concentrer, dévalorisation ou culpabilité excessive, pensées morbides), ainsi qu’un retentissement des symptômes sur sa vie quotidienne avec une perturbation des activités habituelles. La présence de pensées suicidaires a, quant à elle, été évaluée à partir de la question : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous pensé à vous suicider ? », avec trois options de réponse : « oui », « non » ou « ne souhaite pas répondre ».
Analyses statistiques
Les cas présentant des réponses « Ne sait pas » à au moins une des sept questions de l’échelle HAD-A ont été exclus de l’analyse. Cela représente 46 personnes de 18 à 75 ans en 2017 (soit 0,7% des personnes interrogées) et 112 personnes de 18 à 85 ans en 2021 (soit 1,5% des personnes interrogées).
Les estimations des prévalences ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage, et selon l’équipement téléphonique) et de la structure de la population hexagonale par un calage sur marges en intégrant les variables suivantes : sexe croisé avec l’âge (en tranches décennales), région, taille d’unité urbaine, taille du foyer et niveau de diplôme (population de référence : Institut national de la statistique et des études économiques – Insee, enquête emploi 2020).
Les proportions ont été comparées par le test d’indépendance (Chi2 de Pearson avec correction de second ordre de Rao-Scott), avec un seuil maximal de significativité statistique fixé à 5%. Les évolutions ont été analysées sur la tranche d’âge 18-75 ans, commune aux éditions des Baromètres santé 2017 et 2021, dont la méthodologie était comparable.
Des régressions logistiques ont été utilisées pour contrôler d’éventuels effets de structure liés aux caractéristiques de la population et pour quantifier la force du lien entre la variable principale (état anxieux au moment de l’enquête) et les variables sociodémographiques, ainsi que la survenue d’un EDC ou la présence de pensées suicidaires au cours de l’année. L’existence de ce lien a été évaluée par l’odds ratio ajusté (ORa) et la significativité statistique mesurée à l’aide du test de Wald (seuil maximal fixé à 5%).
Pour les régressions logistiques, les données des éditions du Baromètre santé 2017 et 2021 ont été agrégées et une variable spécifique à la vague d’enquête (2017 vs 2021) a été introduite dans les modèles. Les analyses ont été stratifiées par sexe et seules les covariables présentant une association significative en analyses univariées avec l’état anxieux (seuil maximal fixé à 5%) ont été intégrées dans les modèles multivariés. L’absence de multicolinéarité entre les covariables a été vérifiée (variance inflation factor), tout comme l’adéquation des modèles présentés (test de Hosmer-Lemeshow). Enfin, les interactions entre la vague d’enquête et chacune des covariables sélectionnées dans les modèles ont été examinées. Aucune n’a montré de significativité statistique.
Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® (version 15.0 SE).
Résultats
Score d’anxiété et prévalence des états anxieux en 2021 chez les 18-85 ans
Les scores moyens obtenus pour chaque item de l’échelle HAD sont présentés dans le tableau 1. En 2021, le score moyen d’anxiété obtenu à partir des réponses aux sept items de la sous-échelle HAD-A était de 6,46 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [6,33-6,59]) (sur un score total de 21). Il était supérieur chez les femmes (7,33 vs 5,52 chez les hommes ; p<0,001). Les items (symptômes) ayant les scores de fréquence les plus élevés étaient les mêmes pour les deux sexes (tableau 1).
Agrandir l'imageLa prévalence des états anxieux (score strictement supérieur à 10 sur la sous-échelle HAD-A) était estimée à 12,5% [11,4-13,7]. Elle était nettement plus élevée chez les femmes (18,2%) que chez les hommes (6,4% ; p<0,001) et ce, quelle que soit la tranche d’âge. Les adultes de 25-64 ans apparaissaient les plus concernés (environ 15%), tandis que la prévalence diminuait à partir de 65 ans (environ 7%). Les états anxieux ont été observés chez 11,3% des 18-24 ans (5,3% chez les hommes vs 17,4% chez les femmes ; p<0,001) (figure 1).
Agrandir l'imageÉvolution de la prévalence des états anxieux entre 2017 et 2021 parmi les 18-75 ans
La prévalence des états anxieux chez les 18-75 ans était de 13,5% [12,5-14,7] en 2017 et de 13,0% [11,8-14,2] en 2021 ; elle est restée stable sur la période 2017-2021. Peu d’évolutions ont été observées selon le genre et l’âge. Seule la tranche des 65-75 ans a connu une prévalence significativement différente (-5 points) entre 2017 (11,6%) et 2021 (7,0% ; p<0,01) (figure 2).
Agrandir l'imageEntre 2017 et 2021, la prévalence des états anxieux n’avait pas connu d’évolution significative, quels que soient le niveau de diplôme, la situation professionnelle, la perception de sa situation financière et la composition du ménage. Toutefois, certaines catégories de population continuaient d’afficher des niveaux plus élevés en 2021, comme c’était déjà le cas en 2017 : selon le diplôme, les personnes ayant un niveau d’étude inférieur au bac demeuraient les plus concernées par les états anxieux (14,8% en 2021) ; selon la situation professionnelle, les chômeurs (19,8%) et les « autres inactifs » (21,3%) restaient les plus touchés, devant les étudiants (14,2%), les actifs occupés (12,6%) puis les retraités (8,8%) ; selon la perception de sa situation financière, les personnes déclarant des difficultés financières étaient les plus exposées aux états anxieux (24,5%), tandis que celles se déclarant « à l’aise » étaient moins concernées (9,7%) ; selon la composition du ménage, les familles monoparentales apparaissaient comme les plus exposées (17,5%), suivies par les personnes vivant seules (13,6%).
Facteurs associés aux états anxieux
Indépendamment de la vague d’enquête, de l’âge, du niveau de diplôme, de la composition du ménage, de la situation financière et de la situation professionnelle, les femmes présentaient une probabilité trois fois supérieures aux hommes de manifester un état anxieux (ORa=3,0 [2,5-3,5]) (modèle non présenté).
Les personnes qui déclaraient une situation financière « juste » (ORa=1,8 chez les hommes et 1,4 chez les femmes) ou « difficile » (ORa=3,1 chez les hommes et 1,8 chez les femmes), par rapport à celles se déclarant « à l’aise », étaient significativement plus à risque d’état anxieux. Les individus ayant un niveau inférieur au bac (ORa=1,5), par rapport à ceux ayant un niveau supérieur au bac, présentaient également une probabilité plus élevée (tableau 2).
Chez les hommes uniquement, l’âge semblait jouer un rôle protecteur puisque le fait d’être âgé de 65-75 ans diminuait le risque d’état anxieux par rapport aux 18-24 ans (ORa=0,4) (tableau 2).
Après ajustement, la situation professionnelle et la composition du ménage n’étaient pas associées à la présence d’un état anxieux, quel que soit le sexe (tableau 2).
Enfin, le fait d’avoir vécu un EDC dans l’année augmentait fortement la probabilité d’état anxieux (28,4% ; ORa=3,9 chez les hommes et 47,8% ; ORa=4,3 chez les femmes). De même, avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois était un facteur de risque majeur (39,8% ; ORa=5,9 chez les hommes et 47,8% ; ORa=3,1 chez les femmes) (tableau 2).
Agrandir l'imageDiscussion
Selon le Baromètre de Santé publique France 2021, 12,5% des personnes âgées de 18 à 85 ans présentaient un état anxieux au moment de l’enquête, avec une prévalence trois fois plus élevée chez les femmes (18%) que chez les hommes (6%). Par rapport à 2017, le pourcentage de personnes concernées est resté stable, quelles que soient leurs caractéristiques sociodémographiques. Les facteurs associés aux états anxieux apparaissaient communs aux deux sexes. Ils étaient principalement associés à des situations sociales défavorables (difficultés financières, faible niveau de diplôme) et étaient fortement liés aux épisodes dépressifs et aux pensées suicidaires.
Contrairement aux épisodes dépressifs dont la prévalence a significativement augmenté entre 2017 et 2021 en population générale (+3,5 points, +9 points chez les 18-24 ans) 6, la fréquence des états anxieux est restée stable. Le taux observé dans le Baromètre santé est comparable à celui observé dans l’enquête EpiCov, conduite en juillet 2021, qui estimait, sur la base du GAD-7, que 11% de la population âgée de 16 ans ou plus présentait un syndrome anxieux 8.
Les prévalences estimées par le Baromètre santé sont inférieures à celles qui ont été publiées pendant la période épidémique sur la base d’enquêtes par quotas. L’enquête CoviPrev, mise en place pour suivre l’évolution de la santé mentale de la population adulte, estimait à 27% la prévalence des états anxieux en mars 2020 18, puis une diminution de celle-ci avec la fin du premier confinement (environ 16% entre mai et juin 2020), avant de se stabiliser autour de 23% fin 2021 7. L’enquête Coconel, qui s’appuyait également sur l’échelle GAD-7, estimait que 21% de la population adulte interrogée souffrait d’une anxiété modérée ou sévère en mai 2020 19. Les fortes prévalences observées au début de la phase pandémique ont pu être transitoires. Une revue systématique ayant analysé 65 études longitudinales concluait que l’augmentation générale des symptômes anxieux observée entre mars et avril 2020 avait diminué avec le temps, devenant non significative entre mai et juillet 2020, à l’inverse des troubles dépressifs dont l’augmentation était encore observée sur la même période 20. Les données issues du Système de surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD®) confirment également cette tendance. En 2020, les interventions de SOS Médecin pour des motifs d’angoisse ont augmenté de 26%, atteignant un pic durant le premier confinement, avant de revenir à des niveaux comparables à ceux observés avant la pandémie 7.
Si les écarts observés entre les données publiées sur l’année 2020 et celle de l’année 2021 peuvent s’expliquer par une prévalence plus élevée des états anxieux durant la première année de la pandémie, les différences observées pour une même période de référence (année 2021) suggèrent, quant à elles, une possible surestimation des taux rapportés dans les enquêtes fondées sur des échantillons par quotas recrutés via des panels web. Les données issues du Baromètre de Santé publique France ou de l’enquête EpiCov, qui garantissent une meilleure représentativité du fait de leurs échantillons aléatoires, estiment que la prévalence des troubles anxieux dans la population générale adulte en 2021 se situe entre 11 et 13%. Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus la même année dans d’autres enquêtes représentatives menées à l’international, notamment aux États-Unis (11,4%) 21, en Allemagne (13,4%) 22 ou en Espagne (11,8%) 16.
À âge, situation professionnelle, niveau d’études et composition du ménage équivalents, les femmes présentent une probabilité trois fois supérieure à celle des hommes de manifester un état anxieux. Ce constat est systématiquement observé dans les enquêtes conduites en France et à l’international. Il pourrait s’expliquer par des mécanismes psychologiques et sociaux 23,24 : les femmes seraient davantage exposées à des facteurs de stress spécifiques, tels que les contraintes familiales, les difficultés financières, la position sociale ou encore l’exposition aux violences. En parallèle, les hommes exprimeraient moins ouvertement leurs émotions, ce qui les rendraient moins susceptibles de déclarer des affects négatifs et des symptômes dans les enquêtes.
Concernant la distribution des états anxieux par catégories d’âge, nos résultats sont conformes aux études conduites en France 8,9,18. On observe une prévalence des états anxieux plus faible parmi les 65-85 ans, que parmi les 18-24 ans et les 25-64 ans (respectivement 7%, 11% et 15%). La plus faible prévalence observée parmi les catégories d’âge les plus âgées pourrait cependant relever d’une sous-estimation. En effet, certains groupes d’individus âgés, peut-être plus susceptibles de rapporter des symptômes anxieux, seraient non représentés ou sous-représentés dans les enquêtes en population générale, du fait qu’ils résident en institution ou qu’ils souffrent d’incapacités, peu compatibles avec la participation à une enquête téléphonique. D’autre part, l’expression clinique de l’anxiété chez le sujet âgé pourrait être masquée par des symptômes somatiques non dépistés par les échelles de repérage en population générale 25.
Nos résultats confirment aussi l’existence d’un lien fort entre les états anxieux et des conditions sociales et économiques défavorables, tels un niveau de diplôme inférieur au bac et des difficultés financières. Ce constat, également observé pour les épisodes dépressifs 6 et les conduites suicidaires 26, souligne l’importance des conditions économiques et sociales des individus dans l’apparition et la persistance des symptômes anxieux. Il suggère de protéger et d’accompagner les personnes les plus en difficulté pour garantir des conditions de vie plus favorables, réduire les facteurs de stress et favoriser le repérage et la prise en charge des troubles anxieux.
Enfin, notre étude met en évidence une association forte entre les états anxieux et les épisodes dépressifs ou les pensées suicidaires. Comme le confirment plusieurs études prospectives, l’anxiété aurait un impact significatif sur la sévérité clinique de la dépression, augmentant le risque d’évolution récidivante, voire chronique 27,28. Ces résultats soulignent ainsi la nécessité d’évaluations croisées : d’une part, pour identifier et prendre en charge les troubles anxieux chez les patients dépressifs ou présentant des pensées suicidaires, et d’autre part, pour évaluer systématiquement le risque suicidaire ainsi que la dépression chez les personnes souffrant d’anxiété. En complément d’une prise en charge médicale et/ou psychologique, l’OMS 1 et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) 29 recommandent d’agir sur les habitudes de vie (rythmes réguliers, sommeil, alimentation équilibrée, activité physique, réduction ou suppression des consommations de substances psychoactives, exercices de relaxation ou méditation…) pour mieux maîtriser les symptômes et améliorer le bien-être.
Limites
La HAD-A, telle que mesurée dans le Baromètre santé, ne prend pas en compte certains éléments constitutifs d’un diagnostic, comme les antécédents, la durée des symptômes, ou les facteurs contextuels qui pourraient influencer l’état psychologique de l’individu (traumatismes passés, pathologies somatiques, changements significatifs dans la vie personnelle ou professionnelle, etc.). Selon l’étude de validation de Bejland 13, les seuils utilisés permettent cependant d’identifier des états anxieux « cliniquement significatifs ». Les diagnostics les plus proches des symptômes évalués dans l’échelle HAD-A sont le trouble d’anxiété généralisée et le trouble panique. Toutefois, en dehors des phobies spécifiques ou des formes circonscrites de phobies sociales qui sont également caractérisées par des symptômes d’évitement (non pris en compte par la HAD), les symptômes mesurés par l’échelle HAD-A correspondent à la majorité des troubles anxieux. En pratique clinique, l’échelle est utilisée et recommandée pour dépister 30 et suivre les symptômes de la plupart des troubles anxieux caractérisés faisant l’objet de prises en charge 31. Des outils diagnostiques plus complets, tels que le CIDI (comme dans ESEMeD), seraient utiles pour distinguer chacun des troubles anxieux et en fournir une estimation globale plus précise 32. Les dernières données de prévalences détaillées par troubles sont anciennes (plus de 20 ans) et nécessiteraient d’être actualisées avec la mise en place d’une enquête dédiée sur un échantillon représentatif de la population.
Une autre limite de notre étude est qu’elle ne couvre pas les enfants et les adolescents qui ont été une population particulièrement exposée au effets de la pandémie et à ses conséquences négatives sur la santé mentale.
Conclusion
Les données du Baromètre santé suggèrent qu’il n’y a pas eu d’augmentation durable des symptomatologies anxieuses en population générale à la suite de l’épidémie de Covid-19. Elles témoignent cependant d’une prévalence élevée au sein de la population générale, avec des inégalités sociales marquées selon le sexe, le niveau d’éducation et les ressources financières, ainsi que l’existence d’une forte comorbidité avec les épisodes dépressifs caractérisés et les pensées suicidaires. Ces résultats invitent à faciliter l’accès de toute la population, et notamment des plus défavorisés, aux informations permettant de prévenir, repérer et prendre en charge les troubles anxieux.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.




