L’entretien postnatal précoce réalisé par les sages-femmes de la Protection maternelle et infantile (PMI) de l’Hérault : données issues d’une étude départementale sur le dépistage de la dépression du post-partum en 2024
// Early postnatal interview carried out by midwives from the Hérault Maternal and Child Protection Service: Data from a departmental study on screening for postpartum depression in 2024
Résumé
Introduction –
L’entretien postnatal précoce (EPNP) a été rendu obligatoire en France en 2022 afin de repérer les premiers signes de la dépression du post-partum (DPP) ou les facteurs de risques qui y exposent et d’évaluer les éventuels besoins de la femme ou du conjoint. L’objectif de notre travail était d’explorer les données issues de la réalisation de l’EPNP par les sages-femmes de Protection maternelle et infantile (PMI) du département de l’Hérault en 2024 pour voir si la pratique permettait de répondre aux principaux enjeux de prévention, de repérage et d’évaluation des besoins d’accompagnement inscrits dans le Code de la santé publique.
Méthodes –
Toute patiente majeure ayant accouché d’un enfant vivant, pesant au moins 500 grammes ou âgé d’au moins 22 semaines d’aménorrhée, vue en consultation ou en visite à domicile par une sage-femme de PMI entre les 4e et 8e semaines après l’accouchement dans le cadre de l’EPNP, sur la période du 1er avril 2024 au 30 septembre 2024, sur le territoire du département de l’Hérault, était éligible. Les 24 sages-femmes de PMI formées à l’EPNP ont utilisé une trame d’entretien commune. Le dépistage de la DPP a été réalisé avec l’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS).
Résultats –
En 2024, sur 6 mois, 277 EPNP ont été réalisés par les sages-femmes de PMI sur le département de l’Hérault : 14 patientes ont refusé de participer à l’étude, 263 EPNP ont été inclus. Les EPNP ont majoritairement été réalisés au domicile des patientes. La grossesse a été vécue difficilement dans 40% des cas (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [34,5-46,9]), l’accouchement dans 31% des cas [25,3-37,0], avec pour près de 15% [10,8-20,0] des patientes un accouchement vécu comme traumatique. Les mères ont vécu difficilement le retour à domicile pour près d’un quart d’entre elles. Bien qu’elles étaient majoritaires à déclarer être soutenues au retour à domicile (80%), en sécurité (89%), et entourées (57%), la fatigue était fréquemment retrouvée (73%), tout comme l’isolement (39%) et l’anxiété (33%). Plus de 94% des EPNP ont abouti à la réalisation du dépistage de la DPP par l’EPDS. Près de 3 femmes sur 10 (29,8% [24,3-36,0]) présentaient des signes modérés à majeurs de DPP (EPDS≥10), 1 femme sur 6 (16,1% [11,9-21,4]) était fortement symptomatique (EPDS≥13).
Discussion –
Notre étude révèle que l’EPNP est bien accepté par les patientes, qu’il permet de recueillir des données importantes sur l’état de santé des femmes dans les semaines qui suivent l’accouchement, répondant ainsi aux principaux objectifs inscrits dans la loi. La prévalence estimée de la DPP à partir de l’EPDS réalisé lors de l’EPNP entre les 4e et 8e semaines après l’accouchement vient confirmer les résultats observés lors de l’Enquête nationale périnatale 2021. L’ensemble de nos résultats montre toute la pertinence de l’ajout de l’EPNP dans le parcours périnatal, à condition qu’il soit réalisé par des professionnels formés disposant d’outils adaptés et validés, avec un réseau pour orienter les patientes.
Abstract
Introduction –
Early postnatal interview became mandatory in France in 2022 in order to identify the first signs of postpartum depression (PPD) or risk factors for PPD and to assess the potential needs of women and their partners. The objective of our work was to explore the data from the early postnatal interview carried out by midwives working in maternal and child protection centres (PMI) in the Hérault department in 2024 to see whether the practice was effective in addressing the main challenges of prevention, identification and assessment of support needs set out in the French Public Health Code.
Methods –
Any adult patient who had given birth to a live child weighing at least 500 grams or aged at least 22 weeks of amenorrhea, seen in consultation or during a home visit by a PMI midwife between the 4th and 8th weeks after delivery as part of the early postnatal interview over the period from April 1, 2024 to September 30, 2024 in the Hérault department, was eligible. The 24 PMI midwives trained in the early postnatal interview used a common interview framework. PPD screening was carried out using the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS).
Results –
In 2024, over 6 months, 277 early postnatal interviews were carried out by PMI midwives in the Hérault department : 14 patients refused to participate in the study, 263 interviews were included. Most of the interviews were carried out at the patients' homes. Pregnancy was difficult in 40% of cases (95% confidence interval, 95%CI: [34.5-46.9]), childbirth in nearly 31% of cases [25.3-37.0] with nearly 15% [10.8-20.0] of patients experiencing childbirth as traumatic. Nearly a quarter of mothers found returning home difficult. Although the majority reported feeling supported upon returning home (80%), safe (89%), and surrounded by loved ones (57%), fatigue was frequently reported (73%), as were isolation (39%) and anxiety (33%). More than 94% of interviews resulted in PPD screening using EPDS. Nearly 3 out of 10 women (29.8% [24.3-36.0]) presented moderate to major signs of PPD (EPDS≥10), 1 out of 6 women (16.1% [11.9-21.4]) was highly symptomatic (EPDS≥13).
Discussion –
Our study reveals that the early postnatal interview is well accepted by patients and that it allows us to collect important data on the women’s health status in the weeks following childbirth, thus meeting the main objectives set out in the law. The estimated prevalence of PPD based on the EPDS carried out during the interview between the 4th and 8th weeks after childbirth confirms the results observed during the 2021 National Perinatal Survey. All of our results show the relevance of adding the early postnatal interview to the perinatal pathway, provided that it is carried out by trained professionals with appropriate and validated tools, with a network to refer patients.
Introduction
L’entretien postnatal précoce (EPNP) est apparu dès 2014 dans une recommandation de bonne pratique de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les conditions et l’organisation du retour à domicile des mères et de leurs nouveau-nés en sortie de maternité. Les mères pourraient bénéficier de deux séances postnatales réalisées par une sage-femme entre le 8e jour suivant l’accouchement et la visite postnatale. La recommandation de la HAS visait à renforcer l’accompagnement des mères en sortie de maternité, en proposant systématiquement l’EPNP lors de ces séances. Le texte précisait que cet entretien, réalisé entre le 8e et le 15e jour après l’accouchement, permettrait aux femmes d’exprimer leur vécu, leurs besoins et leurs difficultés, afin d’ajuster leur suivi en s’appuyant sur les ressources du réseau de santé périnatal 1. Peu utilisé malgré la publication de cette recommandation, l’EPNP réapparaît parmi les propositions du rapport de la commission des 1 000 premiers jours de septembre 2020 avec pour finalité de repérer les difficultés liées à la parentalité et à l’enfant, et d’identifier les manifestations de la dépression du post-partum (DPP) 2. La plus récente étude dont les données étaient issues de l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2021 estimait la prévalence de la DPP à 16,7% en France. Plus d’un quart des femmes étudiées décrivaient des manifestations anxieuses importantes à deux mois post-partum et une femme sur 20 déclarait avoir des idées suicidaires. Les résultats de cette étude sont venus réaffirmer le besoin de repérage et de soutien des femmes en période postnatale 3. En juillet 2022, l’EPNP est inscrit dans le Code de la santé publique. L’article précise : « un entretien postnatal précoce obligatoire est réalisé par un médecin ou une sage-femme entre les quatrième et huitième semaines qui suivent l’accouchement. Cet entretien a pour objet, dans une approche globale de prévention en postpartum, de repérer les premiers signes de la dépression du post-partum ou les facteurs de risques qui y exposent et d’évaluer les éventuels besoins de la femme ou du conjoint en termes d’accompagnement. Un deuxième entretien peut être proposé, entre les dixième et quatorzième semaines qui suivent l’accouchement, par le professionnel de santé qui a réalisé le premier entretien aux femmes primipares ou pour lesquelles ont été constatés des signes de la dépression du post-partum ou l’existence de facteurs de risques qui y exposent » 4. Associé aux visites au domicile réalisées par une sage-femme dans les 12 jours après l’accouchement, à la consultation médicale obligatoire réalisée par un médecin ou une sage-femme dans les 6 à 8 semaines après l’accouchement, ainsi qu’aux deux séances possibles de suivi postnatal avec une sage-femme du 8e jour à la 14e semaine après l’accouchement, l’EPNP est venu enrichir le suivi médical et l’accompagnement des mères après l’accouchement. Le parcours périnatal comprenait déjà un temps d’entretien essentiel pour la future mère et le couple, premier moment clé du parcours des 1 000 premiers jours de l’enfant : l’entretien prénatal précoce (EPP) réalisé à partir du 4e mois de grossesse, créé en 2007 et rendu obligatoire en 2020 5,6. En miroir de cet entretien réalisé en anténatal, l’EPNP constitue ce deuxième temps essentiel en postnatal.
Depuis l’inscription de l’EPNP dans le Code de la santé publique visant notamment à dépister la DPP, aucune donnée issue de la pratique clinique n’est disponible, aussi bien en ce qui concerne la réalisation de l’EPNP que le dépistage de la DPP. Si des préconisations pour sa pratique ont été émises en 2022 par le Collège national des sages-femmes de France, enrichies d’un guide pratique en 2024, il n’existe pas non plus de trame commune au niveau national sur laquelle se référer pour réaliser cet entretien, que l’on soit médecin ou sage-femme 7,8.
Une étude a ainsi été réalisée à partir de la pratique clinique courante de l’EPNP effectué par les sages-femmes de la Protection maternelle et infantile (PMI) à l’échelle du département de l’Hérault en 2024. L’objectif de notre travail était d’explorer les données issues de la réalisation de l’EPNP pour voir si la pratique permettait de répondre aux principaux enjeux de prévention, de repérage et d’évaluation des besoins d’accompagnement inscrits dans le Code de la santé publique.
Méthodes
Sources des données
Était éligible toute patiente majeure ayant accouché d’un enfant vivant, pesant au moins 500 grammes ou âgé d’au moins 22 semaines d’aménorrhée, vue en consultation ou en visite à domicile par une sage-femme de PMI entre les 4e et 8e semaines après l’accouchement dans le cadre de l’EPNP, sur la période du 1er avril 2024 au 30 septembre 2024 (6 mois), sur le territoire du département de l’Hérault couvert par les 10 services de PMI du Conseil départemental.
Données collectées
Les données de notre étude quantitative, descriptive, transversale, multicentrique ont été recueillies lors de l’EPNP en consultation ou en visite à domicile par les sages-femmes de PMI du Conseil départemental de l’Hérault, à partir d’une trame de réalisation de l’EPNP commune aux 24 sages-femmes. Les données collectées pour l’étude étaient : la date et le lieu de passation de l’EPNP (dans le service ou au domicile), la date de naissance de la mère, la situation familiale, les antécédents obstétricaux, le vécu de la grossesse, la réalisation d’un entretien prénatal, des informations sur l’accouchement, sur le vécu du retour à domicile, la place du co-parent, la réalisation ainsi que le score de l’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) pour le dépistage de la DPP, l’évocation ou non du sujet des violences conjugales, le repérage d’antécédents d’événements traumatiques, les orientations et dispositifs de soutien proposés, le suivi postnatal prévu.
Outils
Trame de l’entretien postnatal précoce
Les 24 sages-femmes de PMI ont été formées à la réalisation de l’EPNP sur l’année 2023, tout en débutant sa pratique. Elles ont dans le même temps travaillé à la confection d’une trame commune d’EPNP. Cette trame a été finalisée pour aboutir à un outil permettant de disposer de l’ensemble des éléments pertinents à la pratique de l’EPNP. Cette trame est disponible en annexe. Seules les données utiles à l’étude, issues de cette trame, ont été utilisées après avoir été anonymisées.
Edinburgh Postnatal Depression Scale
Le dépistage de la DPP a été réalisé avec l’outil le plus utilisé au niveau international et validé aussi bien en ante– qu’en postnatal pour évaluer la dépression périnatale : l’EPDS 9. Il s’agit d’un auto-questionnaire utilisé comme tel pour cette étude, composé de 10 items cotés de 0 à 3 évaluant la symptomatologie dépressive durant la semaine précédant sa passation, permettant ainsi d’évaluer le risque de DPP 10. L’échelle a été validée en français 11.
Statistiques
Le logiciel LimeSurvey® (Version 6.2.9+230925) a été utilisé pour la saisie et la construction de la base de données anonymisée à partir des informations recueillies lors de l’EPNP. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Rstudio® version 4.2.1 (2022-06-23). Les caractéristiques de notre échantillon, les données issues de l’EPNP, et la répartition des scores EPDS ont été présentées, ainsi que leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%).
Variables
L’âge de la mère au moment de l’EPNP a été catégorisé, tout comme la situation familiale et la parité.
Le vécu de la grossesse était déclaratif et libre, puis a été catégorisé en « avec difficulté » ou « sans difficulté ». La réalisation d’un entretien prénatal était précisée.
Concernant les informations sur la naissance, le mode d’accouchement était catégorisé en : voie basse / voie basse instrumentalisée ; césarienne programmée / césarienne en urgence.
Le vécu de l’accouchement était déclaratif et libre. Il a été catégorisé en : « avec difficulté » ou « sans difficulté ». Il était possible de préciser si l’accouchement avait été vécu comme traumatique.
Le vécu du retour à domicile était déclaratif et libre. Il a été catégorisé en : « avec difficulté » ou « sans difficulté ». Il a été étayé de six items dont la présence ou non était à cocher : soutien, entourage familial, sécurité, isolement, fatigue et anxiété. Ces six items ont permis de préciser le ressenti du vécu du retour à domicile des mères. Enfin, il était possible de connaître la présence et le soutien d’un co-parent.
Dépistage de la DPP : la réalisation ou non de l’EPDS était précisée, ainsi que son score. Les seuils de 10 et 13 ont été retenus pour répartir les femmes en 3 catégories. Les femmes obtenant un score supérieur ou égal à 13 sur 30 étaient considérées comme fortement symptomatiques, celles avec un score compris entre 10 et 12 étaient considérées comme ayant une symptomatologie dépressive modérée. Ces seuils ont été retenus en cohérence avec les recommandations d’une méta-analyse reposant sur 53 études 12.
Concernant les violences conjugales, seule l’évocation ou non du sujet par la sage-femme avec la patiente a été recueillie.
Les antécédents d’événements traumatiques repérés par la sage-femme ont été indiqués. Toutes les sages-femmes avaient bénéficié d’une sensibilisation à la psychotraumatologie et un rappel sur la définition d’événement traumatique leur a été fait lors d’une réunion préparatoire, trois semaines avant le lancement de l’étude. La définition retenue était celle du DSM-5, à savoir qu’un événement traumatique est une exposition réelle ou sous forme de menaces, à la mort, à des blessures graves ou à des violences sexuelles, d’une (ou de plusieurs) des façons suivantes : expérience directe de l’événement ou des événements traumatiques ; témoin, en personne, de l’événement ou des événements tels qu’ils se sont produits pour d’autres ; découverte que le ou les événements traumatiques ont touché un membre de la famille proche ou un ami proche ; exposition répétée ou extrême à des détails aversifs de l’événement traumatique. Dans le cas d’un décès réel ou d’une menace de décès d’un membre de la famille ou d’un ami, l’événement ou les événements doivent avoir été violents ou accidentels.
L’orientation des patientes vers un professionnel de santé, médecin généraliste, psychologue, psychiatre, ou autre était relevée.
L’existence ou non de proposition de soutien interne à la PMI a été relevée en précisant son type le cas échéant : soutien par une infirmière puéricultrice PMI, technicien de l’intervention sociale et familiale, appui parental (soutien à la parentalité soutenu, à domicile par une infirmière puéricultrice), autre.
Dans le cadre du suivi postnatal, la réalisation ou non de la consultation postnatale obligatoire, et la proposition ou non d’un 2e EPNP ont été relevées.
Aspects éthiques, confidentialité et sécurité des données
Pour sa réalisation, cette étude a reçu l’avis favorable du Comité de protection des personnes Sud Est 1 le 9 février 2024 (numéro national : 2023-A02625-40). Une déclaration a été déposée auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil, référence 2232081) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sous le numéro 2023-A02625-40. Une lettre d’information et de consentement en conformité avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) a été remise à chaque patiente. Le consentement écrit des patientes devait être obtenu pour collecter leurs données. Les données, anonymisées, ont été saisies sur le logiciel LimeSurvey.
Résultats
Deux cent soixante-dix-sept EPNP ont été réalisés, 14 patientes ont refusé de participer à l’étude, 263 EPNP ont été inclus.
Caractéristiques des femmes étudiées
Les femmes de notre échantillon avaient pour la plupart entre 25 et 34 ans (49%). La grande majorité des femmes vivaient en couple (85%), dont 33% maritalement. Près de 42% étaient primipares, les trois quarts ont accouché par voie basse. La majorité des femmes avaient bénéficié d’un entretien prénatal avec certitude (66%), un quart d’entre elles n’en avaient pas bénéficié, et la donnée était manquante pour près de 10% d’entre elles. Les caractéristiques de l’échantillon d’étude sont détaillées dans le tableau 1.
Agrandir l'imageDonnées de l’entretien postnatal précoce
Les EPNP ont été majoritairement réalisés au domicile des patientes (65,9%). La grossesse a été vécue difficilement dans 40% des cas, l’accouchement dans près de 31%, avec un accouchement vécu comme traumatique pour près de 15% des patientes. Un quart des mères ont vécu difficilement le retour à domicile. Bien qu’elles étaient majoritaires à déclarer être soutenues au retour à domicile (80%), en sécurité (89%), et entourées (57%), la fatigue était fréquemment retrouvée (73%), tout comme l’isolement (39%) et l’anxiété (33%). Les principales données de l’EPNP sont regroupées dans le tableau 2.
Agrandir l'imageDépistage de la dépression du post-partum
Plus de 94% des EPNP ont abouti à la réalisation du dépistage de la DPP par l’EPDS. Bien que l’échelle soit traduite et validée dans plusieurs langues, sa non-réalisation était liée à la barrière de certaines langues avec impossibilité de faire intervenir un interprète pour expliquer l’intérêt du dépistage et son mode de passation. Trois femmes sur 10 présentaient des signes modérés à majeurs de DPP (EPDS≥10), 1 femme sur 6 était fortement symptomatique (EPDS≥13). Le tableau 3 détaille la répartition des scores EPDS selon les 3 catégories.
Agrandir l'imageViolences conjugales et antécédents d’événements traumatiques
La question des violences conjugales a été abordée chez 66% des patientes (n=255). Un antécédent d’événement traumatique a été repéré chez près de 60% des patientes de notre échantillon, sachant que cet antécédent avait été repéré en anténatal dans la majorité des cas (80%) et lors de l’EPNP chez 16% des patientes.
Orientation, soutien, suivi
Plus de 40% des EPNP (n=263) ont abouti à au moins une orientation. Pour 31,9% des EPNP, il s’agissait d’une seule orientation, et pour 7,2%, il s’agissait de 2 orientations. Seulement 1,2% des EPNP ont débouché sur 3 orientations. La majorité des orientations a été réalisée vers un psychologue (24%). Associées aux orientations vers un psychiatre, ce sont plus de 31% des orientations qui concernent un professionnel de la santé mentale.
Un dispositif de soutien PMI a été proposé dans 84% des cas (n=263), dont très majoritairement un soutien par l’infirmière puéricultrice de PMI (82%).
Le suivi postnatal était prévu dans 95% des cas (n=263), dans 94% des cas il s’agissait d’une consultation postnatale (n=261). Un 2e EPNP a été proposé à 36,9% des femmes (n=249).
Le tableau 4 regroupe les résultats concernant l’orientation, le soutien et le suivi.
Agrandir l'imageProposition d’un 2e entretien postnatal précoce
Un 2e EPNP a été proposé chez 4 primipares sur 10 (n=249). Un 2e EPNP a été proposé près de 8 fois sur 10 en cas de score EPDS≥13. La figure détaille la fréquence de proposition d’un 2e EPNP en fonction des 3 classes de score EPDS.
Agrandir l'imageDiscussion
À notre connaissance, il s’agit de la première étude en France réalisée dans les conditions de la pratique clinique de l’EPNP depuis son instauration dans le CSP en 2022. Notre étude révèle que l’EPNP est bien accepté par les patientes, qu’il permet de recueillir des données importantes sur l’état de santé des femmes dans les semaines qui suivent l’accouchement, répondant ainsi aux principaux objectifs inscrits dans la loi, à savoir repérer les premiers signes de la DPP ou les facteurs de risques qui y exposent et évaluer les éventuels besoins de la femme ou du conjoint en termes d’accompagnement dans une approche globale de prévention entre les 4e et 8e semaines post-partum.
La prévalence estimée de la DPP à partir de l’EPDS réalisé lors de l’EPNP, à savoir 16,1% de femmes fortement symptomatiques (EPDS≥13), près de 30% de femmes à risque modéré à majeur (EPDS≥10), concorde avec la prévalence mondiale estimée à 17,22%, et avec celle retrouvée dans les pays occidentaux qui varie entre 10 et 20% 13,14. Elle est proche de ce qui avait été observé en France dans la cohorte Elfe dans laquelle près de 12% des femmes primipares vivant en couple étaient atteintes de DPP (score EPDS≥12) 15. Notre étude vient surtout confirmer les résultats observés lors de l’ENP 2021 réalisée sur une semaine auprès de 7 133 femmes avec le même outil de dépistage (EPDS) et les mêmes seuils utilisés (score EPDS compris entre 10 et 13 et score EPDS≥13) qui révélait une prévalence estimée de la DPP de 16,7% 3. Cette même étude retrouvait une prévalence de 15,8% pour la région Occitanie, soit un résultat encore plus proche de celui obtenu dans notre étude sur le département de l’Hérault faisant partie de cette région. Le tableau 5 permet de comparer les résultats de notre étude départementale réalisée en 2024 à partir de l’EPNP à ceux de l’ENP 2021. Une proportion plus importante de femmes jeunes de 18 à 24 ans et de femmes célibataires dans notre échantillon par rapport à la population de l’ENP 2021 pourrait expliquer la fréquence légèrement plus élevée de score EPDS≥13, bien que ce constat ne se vérifie pas pour la fréquence de score EPDS compris entre 10 et 13, qui se révèle être au contraire plus faible.
Agrandir l'imageSi nos résultats viennent confirmer la fréquence de la DPP, trouble mental ayant un triple impact sur la mère, le couple, et l’enfant, notre étude donne également des indications plus globales sur l’état des mères dans les premières semaines après l’accouchement. Outre une grossesse, un accouchement et un retour à domicile fréquemment déclarés comme ayant été vécus avec difficulté (respectivement 40,6% / 30,9% / 29,6%) dont près de 15% d’accouchements déclarés comme traumatiques, elles sont plus d’un tiers à déclarer souffrir d’anxiété. Cette prévalence d’anxiété déclarée (33,3%) est proche de la prévalence de l’anxiété retrouvée lors de l’ENP 2021 correspondant à un score supérieur ou égal à 5 en additionnant les items 3, 4 et 5 de l’EPDS (EPDS-3A). Cette prévalence était de 27,6% au niveau national, et de 28,1% en Occitanie. Si l’utilisation de l’EPDS-3A dans notre étude aurait permis de comparer précisément ces prévalences, elle aurait aussi permis de comparer le taux d’anxiété déclarée au taux d’anxiété dépistée. Néanmoins, ce résultat issu de l’interrogatoire des patientes lors de la réalisation de l’EPNP montre une certaine cohérence avec ce qui est retrouvé dans d’autres études estimant la fréquence de l’anxiété, elle-même plus fréquente que la DPP 3,16. L’anxiété périnatale pouvant être un facteur favorisant la DPP, intégrer son dépistage lors de l’EPNP est nécessaire 17.
La présence et le soutien du co-parent sont deux éléments fréquemment retrouvés. Pour répondre pleinement à l’objectif de l’EPNP voulu par le CSP, à savoir « évaluer les éventuels besoins de la femme ou du conjoint en termes d’accompagnement », il serait utile d’intégrer dans une approche globale des éléments plus précis concernant le co-parent. La DPP pouvant également atteindre les pères avec une prévalence de 5 à 10% d’après certaines études, proposer la passation de l’EPDS chez le co-parent lors de l’EPNP semble pertinent 18,19. D’autant plus qu’il existe une corrélation entre DPP maternelle et DPP paternelle 20,21.
La grossesse et le post-partum sont des périodes durant lesquelles le risque de violences conjugales est majoré, avec un impact sur la mère, l’enfant et le lien mère/enfant. Un lien semble établi entre violences conjugales et risque de DPP 22. Le dépistage systématique des violences conjugales est recommandé par la HAS notamment tout au long du parcours périnatal de la femme 23. L’EPNP représente à ce titre un moment pertinent de plus pour réaliser ce dépistage. Notre étude révèle que ce systématisme est difficile à appliquer, puisque la question des violences conjugales a été abordée chez 66% des patientes. Ce taux reste malgré tout bien supérieur aux résultats du dernier baromètre de novembre 2023 sur le repérage des violences conjugales en médecine générale, révélant que seulement 3% des femmes ont été questionnées sur le sujet 24. Si l’EPNP est aussi prévu pour évaluer les éventuels besoins du conjoint comme cela est écrit dans le Code de la santé publique et qu’il paraît pertinent de repérer les signes de DPP également chez le père, sa présence lors de l’EPNP peut au contraire être un frein pour aborder la question des violences conjugales avec la mère. L’exposition à des événements traumatiques est deux fois plus fréquente au sein de notre population d’étude (60%) qu’en population générale en France 25. Nous n’avons pas trouvé d’études estimant la prévalence d’exposition traumatique spécifiquement chez les femmes en période périnatale. Une analyse plus fine de ce résultat sera réalisée, notamment pour observer un éventuel lien entre des antécédents d’événements traumatiques et le score EPDS. Au-delà du dépistage systématique des violences conjugales, nos résultats plaident pour un dépistage plus large lors de l’EPNP de tout événement potentiellement traumatique, quelle que soit la période de survenue.
Plus de 4 EPNP sur 10 ayant débouché sur une orientation vers un autre professionnel, en grande partie vers des professionnels de la santé mentale (psychiatre et psychologue), un réseau psycho-périnatal adapté et en capacité de recevoir ces nombreuses patientes est nécessaire pour assurer la prise en charge des fragilités dépistées chez les mères lors de l’EPNP. Associé au soutien que peuvent apporter les services de PMI aux parents et à leurs enfants, notamment par le biais des infirmières puéricultrices vers lesquelles plus de 80% des mères sont orientées à la suite des EPNP réalisés par les sages-femmes de PMI, la continuité des parcours et le réseau partenarial pluriprofessionnel permettent une prise en charge optimale des familles, tout en poursuivant le travail de prévention.
Concernant le suivi postnatal de la mère après l’EPNP, si la consultation postnatale obligatoire est quasiment systématique (93,9%), la proposition d’un 2e EPNP aux femmes primipares comme le prévoit le Code de la santé publique ne l’est pas puisque ce second entretien n’a été proposé qu’à 40% des femmes primipares de notre étude. Un lien significatif est en revanche observé entre une proposition de 2e EPNP et un score EPDS élevé, un second entretien ayant été proposé à près de 80% des femmes avec un score EPDS supérieur ou égal à 13. Ces résultats peuvent être liés au manque de disponibilité des sages-femmes pour assurer ce 2e entretien, les incitant à prioriser leur proposition ou encore à une pratique encore trop récente de l’EPNP dont les objectifs ne seraient pas encore complètement maîtrisés. Il serait intéressant pour des études futures d’obtenir des résultats quant au taux de réalisation de ce 2e entretien, ainsi que de suivre l’évolution du score EPDS.
L’ensemble de ces résultats montre toute la pertinence de l’ajout de l’EPNP dans le parcours périnatal, à condition qu’il soit réalisé par des professionnels formés disposant d’outils adaptés et validés, avec un réseau pour orienter les patientes. Il conviendrait d’éviter sa sous-utilisation comme c’est le cas pour l’EPP. Si les femmes de notre échantillon sont près de 66% à avoir bénéficié d’un EPP avec certitude, l’ENP 2021 révélait qu’elles n’étaient que 36,5% à en avoir bénéficié, EPP réalisé de façon quasiment exclusive par les sages-femmes, dont une majorité étaient libérales 26. Créé en 2007, rendu obligatoire en 2020, pris en charge à 100%, pouvant être réalisé par un médecin ou une sage-femme, bénéficiant d’une cotation spécifique pour les sages-femmes et les médecins, l’EPP demeure sous utilisé comme le démontre notre étude. L’EPNP, rendu obligatoire en 2022, pris en charge à 70%, pouvant être réalisé par un médecin ou une sage-femme, mais bénéficiant d’une cotation spécifique seulement pour les sages-femmes, risque également, dans ces conditions, d’être sous-utilisé, alors que l’association de ces deux moments-clés du parcours périnatal offre une opportunité primordiale de prévention et de dépistage à fort enjeu. Sa prise en charge à 70% risque d’en priver les patientes les plus démunies, multipliant les facteurs de risques contre lesquels l’EPNP est censé lutter. Son caractère obligatoire justifierait sa prise en charge à 100% ce qui contribuerait à lutter contre les inégalités sociales en santé, et ce, dès les premières semaines de vie du nourrisson.
L’EPNP comme l’EPP pourraient être organisés sur un modèle similaire à celui des trois certificats de santé de l’enfant établis dans les huit premiers jours de vie, au cours du 9e puis du 24e mois. Ces trois certificats reposent en effet sur des modèles réglementés à l’échelon national, avec un objectif sur le plan individuel, mais aussi sur le plan de la santé publique, permettant un suivi épidémiologique des données de santé périnatale au niveau départemental, régional et national. Ces examens bénéficient d’une cotation spécifique et d’une prise en charge à 100%. Cela rendrait l’EPNP et l’EPP plus homogènes, universellement accessibles et d’autant plus efficaces. Des indicateurs annuels pourraient être produits, estimant l’état de santé des mères en anténatal et en postnatal, avec notamment un suivi de la prévalence de la DPP. Ces indicateurs permettraient d’ajuster des politiques de santé publique de soutien, de prévention, et d’en évaluer leur impact par le suivi annuel de ces indicateurs. La complication la plus grave de la DPP étant le suicide maternel, lui-même devenu la 1re cause de mortalité maternelle, ces morts évitables renforcent la nécessité d’optimiser les entretiens clés du parcours périnatal 27.
Différentes préconisations tirées de notre étude permettraient d’améliorer la pratique de l’EPNP, d’homogénéiser sa réalisation, de faciliter le dépistage individuel de la DPP et de recueillir des données de santé périnatale à l’échelon national (tableau 6).
Forces et limites
Notre étude a permis pour la première fois en France de recueillir des données sur l’état de santé des mères après l’accouchement, en condition de pratique clinique réelle à partir de l’EPNP, réalisé par les sages-femmes de PMI depuis son instauration dans le CSP en 2022. Notre travail a été mis en place sur une période de six mois sur l’ensemble des territoires du département de l’Hérault, peuplé de 1 232 800 habitants, comprenant des zones urbaines dont la 7e ville de France (Montpellier) et des zones rurales, par des sages-femmes formées à la pratique de l’EPNP, sur un échantillon de 263 mères. Cette étude donne des éléments précieux sur l’intérêt de ce moment clé supplémentaire dans le parcours et le suivi périnatal. L’utilisation de l’EPDS pour le dépistage de la DPP nous a permis de comparer nos résultats à ceux de précédentes études, notamment l’ENP 2021. En révélant que trois femmes sur dix étaient à risque de DPP, qu’une femme sur six présentait un score EPDS≥13, notre étude vient confirmer les résultats de cette enquête de 2021. Cela, à distance de la pandémie liée à la Covid-19 dont l’impact sur la santé mentale, avec notamment une augmentation du trouble dépressif majeur chez les femmes, a été mis en évidence par de nombreux travaux 28. Notre étude permet de plus de dégager certaines pistes de facteurs de risque potentiels de DPP comme les antécédents d’exposition à des événements traumatiques. Ces résultats seront précisés, étudiés plus finement et feront l’objet d’un article distinct.
Notre étude apporte des résultats pertinents, mais elle présente plusieurs limites. Malgré des similitudes entre plusieurs caractéristiques de notre échantillon départemental et les caractéristiques de la population de l’ENP 2021, nous ne pouvons extrapoler nos résultats à la population générale. Le recueil du niveau socio-économique des patientes de notre échantillon aurait permis une comparaison plus fine, notamment avec la population de l’ENP 2021, mais notre étude étant fondée sur la pratique de terrain des sages-femmes, cette donnée n’a pas fait partie de leur trame utile à leur exercice. Notre effectif de 263 EPNP représente seulement 5% des 4 989 naissances survenues sur la période et le territoire de l’étude. Par ailleurs l’inclusion de mères vues exclusivement par les sages-femmes de PMI constitue un biais de sélection. D’autres travaux à partir des EPNP réalisés par les sages-femmes libérales, celles des maternités publiques et privées, par les médecins à l’échelon national seraient nécessaires pour valider nos résultats. Les mineures n’ont pas été incluses, alors que l’étude de cette population particulière serait pertinente. Pour une meilleure exhaustivité et améliorer l’utilité de l’EPNP, le recueil et l’étude des données sur le co-parent, ainsi que sur l’enfant, devraient être inclus.
Conclusion
En France, l’entretien postnatal précoce a été rendu obligatoire en juillet 2022, afin d’améliorer la prévention, le dépistage et la prise en charge des difficultés et troubles repérés après l’accouchement. Parmi ces troubles, la dépression du post-partum représente une des pathologies primordiales à dépister du fait de son triple impact sur la mère, le couple, et le développement de l’enfant. L’EPDS est un outil de dépistage validé, internationalement utilisé, aisé à intégrer lors de l’EPNP. Les résultats de notre étude réalisée en PMI dans le département de l’Hérault en 2024, trois ans après l’Enquête nationale périnatale 2021, viennent confirmer les estimations de prévalence de la DPP à l’échelle nationale, tout en apportant des indications plus globales sur l’état de santé des mères dans les semaines qui suivent l’accouchement. L’EPNP pratiqué par les sages-femmes de PMI, à condition d’avoir été formées, d’utiliser une base d’entretien commune, un outil de dépistage systématique validé, et de l’existence d’un réseau de prise en charge adapté, répond aux objectifs qui lui ont été fixés. Cet entretien, associé à l’EPP peut réellement représenter un moment clé du parcours périnatal. Il est important de le rendre le plus accessible possible pour les patientes, et le plus réalisable possible par les sages-femmes et les médecins, quel que soit leur secteur d’exercice, libéral, hospitalier ou territorial. L’exploitation anonyme des données issues de cet entretien au niveau national permettrait de mieux identifier les troubles du post-partum, pour ajuster des stratégies de prévention et de prise en charge, dont l’impact pourrait ainsi être évalué.
Remerciements
Nous remercions les mères qui ont accepté de participer à cette étude, les sages-femmes de PMI du Conseil départemental de l’Hérault pour leur contribution ainsi que Muriel Bolano, sage-femme responsable du service départemental prénatal et planification à la Direction PMI du Conseil départemental de l’Hérault.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article






