Évaluation sanitaire et économique de Mois sans tabac : un retour sur investissement positif

// Health and economic impact assessment of “No Smoking Month” in France: A positive return on investment

Romain Guignard1 (romain.guignard@santepubliquefrance.fr), Marion Devaux2, Viêt Nguyen-Thanh1, Aliénor Lerouge2, Marina Dorfmuller Ciampi2, Michele Cecchini2, François Beck1,3, Pierre Arwidson1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Paris
3 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), Inserm U1018, Université Paris-Saclay, Université Paris-Sud, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), Villejuif
Soumis le 21.05.2024 // Date of submission: 05.21.2024
Mots-clés : Tabagisme | Campagne médiatique | Marketing social | Évaluation économique | Retour sur investissement
Keywords: Tobacco smoking | Mass media campaign | Social marketing | Economic evaluation | Return on investment

Résumé

Introduction –

Chaque année depuis 2016, Santé publique France déploie l’intervention Mois sans tabac, qui incite les fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours au mois de novembre. L’objectif de cet article est de présenter une estimation de l’impact sanitaire et économique de cette campagne.

Méthode –

L’étude repose sur le modèle de planification des stratégies de santé publique pour les maladies non transmissibles (SPHeP-NCD) développé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’impact de l’intervention Mois sans tabac a été estimé en comparant les résultats d’un scénario de statu quo (sans mise en place de l’intervention) avec un scénario où Mois sans tabac est mis en œuvre chaque année sur la période 2023-2050.

Résultats –

La campagne Mois sans tabac permettrait d’éviter à l’horizon 2050 : 241 000 cas d’infections respiratoires basses, 210 000 cas de troubles musculo-squelettiques, 44 000 cas de bronchopneumopathies chroniques obstructives, 28 000 cas de cancers imputables au tabac, 18 000 cas de maladies cardiovasculaires, 8 000 cas de démence et 4 000 cas de diabète. Elle permettrait de gagner 107 000 années de vie et 149 000 années de vie corrigées de l’incapacité, d’économiser en moyenne 94 millions d’euros par an en dépenses de santé, et d’augmenter l’emploi et la productivité du travail de 2 800 équivalents temps plein par an pour une valeur estimée à 85 millions d’euros (contre un coût moyen annuel de Mois sans tabac de 12,5 millions d’euros sur la période 2016-2021).

Conclusion –

Le retour sur investissement de l’opération Mois sans tabac est largement favorable, de l’ordre de 7 euros économisés en dépenses de santé pour 1 euro investi. Ces résultats incitent à poursuivre le déploiement de cette importante opération de santé publique.

Abstract

Introduction –

Every year since 2016, Santé publique France coordinates the “No Smoking Month” (“Mois sans tabac”), a national scheme that encourages smokers to quit for 30 days in November. This article presents an estimate of the campaign’s health and economic impacts.

Method –

The study was conducted using the Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD) microsimulation model for Strategic Public Health Planning for Non-Communicable Diseases (SPHeP-NCD). The impact of the “Mois sans tabac” campaign was estimated by projecting the results of a status-quo scenario (without the campaign) and comparing them with a scenario where the “Mois sans tabac” is implemented every year over the period 2023–2050.

Results –

According to our estimates, by 2050 the “Mois sans tabac” campaign will prevent 241,000 cases of lower respiratory infections, 210,000 cases of musculoskeletal disorders, 44,000 cases of chronic obstructive pulmonary diseases, 28,000 cases of tobacco-related cancers, 18,000 cases of cardiovascular diseases, 8,000 cases of dementia and 4,000 cases of diabetes. It would save 107,000 life years and 149,000 disability-adjusted life years, reduce healthcare expenditure by an average amount of €94 million a year, and increase employment and labor productivity to the equivalent of 2,800 full-time workers per year for an estimated value of €85 million. The average annual cost of the campaign was €12.5 million for the period 2016–2021.

Conclusion –

The return on investment for the “Mois sans tabac” campaign is highly favorable, with around 7 euros saved in healthcare expenditure for every 1 euro invested. These results support the continued implementation of this important public health initiative.

Introduction

Le tabac reste la première cause de mortalité évitable en France avec 75 000 décès attribuables en 2015, soit 13% de l’ensemble des décès 1. Le coût social du tabac était estimé à 156 milliards d’euros en 2019, dont 1,7 milliard pour les dépenses publiques 2. En France, en 2022, la prévalence du tabagisme quotidien parmi les 18-75 ans était de 24,5%, un niveau élevé par rapport à celui observé dans les autres pays occidentaux 3.

Chaque année depuis 2016, Santé publique France déploie le dispositif Mois sans tabac 4, basé sur les principes du marketing social 5 et inspiré de la campagne britannique Stoptober 6,7, qui avait bénéficié d’une évaluation économique. L’objectif de cette intervention est d’inciter les fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours au mois de novembre. Le seuil de 30 jours correspond à une durée après laquelle les symptômes de sevrage tabagique sont considérablement réduits, multipliant par cinq les chances de succès définitif 8.

Mois sans tabac associe une campagne nationale de communication qui commence dès le mois d’octobre pour recruter des participants, et des actions de proximité menées par des établissements de santé, des organismes publics, des entreprises, des municipalités et des associations 4. Ces dernières sont principalement des actions de sensibilisation dans les lieux de vie ou de travail des personnes résidant en France (stands d’information, réunions, défis sportifs…), mais également des actions visant à faciliter le sevrage tabagique comme la mise en place de consultations individuelles ou en groupe. Pour aider au déploiement de l’opération, des structures, le plus souvent associatives, jouant le rôle d’ambassadeurs régionaux sont mobilisées, sous l’égide des agences régionales de santé (ARS). Elles sont en charge de promouvoir l’intervention au niveau régional, de former et soutenir méthodologiquement les porteurs de projet locaux et d’assurer un reporting de ces actions aux niveaux régional et national. Le dispositif d’aide à distance Tabac info service (ligne téléphonique 39 89, site Internet et application mobile) est largement promu pendant l’opération. Une communication est adressée spécifiquement à l’ensemble des professionnels de santé qui peuvent ainsi saisir l’opportunité de la campagne pour inciter à l’arrêt du tabac et accompagner le sevrage tabagique de leurs patients fumeurs.

L’efficacité de Mois sans tabac a été démontrée lors de la première édition 9, et, sur la période 2016-2020, on estime que plus de deux millions de tentatives d’arrêt du tabac peuvent être directement attribuables à l’opération 10.

Dès la première édition de l’opération, une large majorité des fumeurs quotidiens déclaraient en avoir entendu parler (82,9%), plus souvent ceux de 50 ans ou plus (89,7%), les femmes (87,7%), les professions intermédiaires (87,3%), et moins souvent les chômeurs (76,3%) et les ouvriers (80,3%). La proportion de fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt liée à Mois sans tabac était de 2,9%, sans différence entre les hommes et les femmes. Cette proportion diminuait avec l’âge, de 4,4% chez les 18-24 ans à 1,7% chez les 65-75 ans. Elle était plus élevée chez les fumeurs ayant un niveau de diplôme supérieur au bac, mais l’association n’était pas significative après ajustement sur les autres caractéristiques sociodémographiques 11. Les agriculteurs exploitants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise étaient moins nombreux à avoir fait une tentative d’arrêt liée à Mois sans tabac (1,7%). Aucune association n’était observée en fonction du niveau de revenu. Parmi les fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt pendant Mois sans tabac 2016, 30,8% ont été abstinents pendant au moins 30 jours, et entre 6% et 10% étaient abstinents depuis au moins un an en 2018 12.

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une évaluation économique de l’ensemble des politiques antitabac mises en place entre 2016 et 2020 a été menée, concluant à un retour sur investissement important 13,14. Ces mesures comportent notamment une augmentation forte du prix du tabac (+41% sur l’ensemble de la période pour le paquet de la marque la plus vendue), la mise en place du paquet de cigarettes neutre ou standardisé en 2017, la campagne annuelle Mois sans tabac et l’inscription du remboursement des substituts nicotiniques dans le droit commun en 2019. L’objectif de cet article est de présenter les résultats relatifs à l’impact de la campagne Mois sans tabac qui a fait l’objet d’une analyse dédiée.

Méthodes

L’évaluation de l’impact de l’intervention Mois sans tabac et ses prédictions sur le long terme utilisent le modèle de planification des stratégies de santé publique pour les maladies non transmissibles (SPHeP-NCD), modèle de microsimulation (modélisation d’une population représentant la population nationale du pays) développé par l’OCDE 15 (figure). Cet outil de modélisation avancé permet de prédire les résultats sanitaires et économiques des politiques et stratégies de santé publique jusqu’en 2050, en modélisant les tendances épidémiologiques historiques et projetées de la population résidant en France hexagonale. Le modèle SPHeP-NCD a été utilisé par ailleurs 14, le matériel supplémentaire en ligne de cet article précédent offrant davantage de détails sur son fonctionnement et ses hypothèses.

Figure : Schématisation du modèle SPHeP-NCD de l’OCDE
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Les résultats ont été obtenus à partir de paramètres combinant des données sur les facteurs de risque comportementaux tels que le tabagisme, ainsi que des données démographiques et de santé de la population, provenant de bases de données nationales et internationales. Par exemple, les données sur le statut tabagique, l’initiation et l’arrêt tabagique, reposent sur le Baromètre de Santé publique France pour la population adulte 16, et sur l’enquête EnClass de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives pour les jeunes 17. La quantité de tabac consommé est simulée à partir des statistiques de l’OCDE et de l’Enquête européenne par entretien sur la santé (EHIS-2). L’incidence et la prévalence des maladies sont issues des bases de données internationales (1) (2). Le modèle simule plusieurs maladies, dont huit liées au tabagisme : les accidents vasculaires cérébraux, les maladies cardiaques ischémiques, les cancers, les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO), les infections des voies respiratoires inférieures (par exemple des bronchites), la démence, les troubles musculo-squelettiques et le diabète.

Chaque individu dans la modélisation possède un profil de risque défini à partir de l’âge, du sexe, du statut tabagique, du niveau de consommation de tabac mesuré en paquet-années et du délai depuis l’arrêt tabagique chez les ex-fumeurs. Le risque de développer une maladie est quantifié par des risques relatifs liés au tabagisme, spécifiques à l’âge et au sexe, retrouvés dans la littérature 18. Chaque individu est confronté à divers risques de maladie (liée ou non au tabagisme), ces risques étant en concurrence pour causer un décès (événements mutuellement exclusifs).

Les coûts de traitement des maladies ont été estimés sur la base d’un coût annuel par cas, à partir de l’échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) dans le cadre d’un projet mené en collaboration avec des chercheurs de l’Université d’Aix-Marseille 19. Les effets sur le marché du travail ont été également fondés sur les risques relatifs entre le statut des maladies et l’absentéisme, le présentéisme, la retraite anticipée et l’emploi, issus de la littérature 20,21. Ces effets ont été estimés en nombre d’équivalents temps plein (ETP) et la valeur monétaire a été évaluée sur la base du salaire moyen national.

L’impact de l’intervention Mois sans tabac a été estimé en comparant les résultats d’un scénario de statu quo (sans mise en place de l’intervention) avec un scénario d’action publique (prenant en compte la mise en place de Mois sans tabac).

L’hypothèse retenue dans le scénario incluant une mise en œuvre de Mois sans tabac sur les comportements tabagiques a été tirée d’une étude réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 16 et repose sur le lien déclaré par les répondants entre la réalisation d’une tentative d’arrêt d’au moins 24 heures au dernier trimestre de l’année précédente et la campagne Mois sans tabac 22. Entre 2016 et 2020, le taux de tentatives d’arrêt attribuables à Mois sans tabac parmi les fumeurs quotidiens a oscillé entre 2,5% et 4,8%. Le dispositif a accru le taux de tentatives d’arrêt de 14% à 27% en fonction des années, avec une moyenne de 21% sur la période 10 (tableau 1). Nous n’avons pas fait d’hypothèse d’un effet éventuel de Mois sans tabac sur le taux de rechute après une tentative d’arrêt, autrement dit, nous supposons que le taux de rechute reste inchangé.

L’impact économique de Mois sans tabac a été calculé sur la période 2023-2050 sur l’ensemble de la population résidant en France hexagonale. Les effets quantifiés sur la santé et les gains économiques liés au marché du travail ont inclus le nombre de nouveaux cas de maladies chroniques évités, les années de vie et années de vie corrigées de l’incapacité (Disability-adjusted life years, DALYs) gagnées, ainsi que les économies de santé et celles liées à l’emploi et à la productivité.

Tableau 1 : Principaux paramètres du modèle
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Résultats

Selon les estimations du modèle de microsimulation, l’opération Mois sans tabac, si elle était maintenue annuellement, permettrait d’éviter à l’horizon 2050 : 241 000 cas d’infections respiratoires basses (soit 0,24% des nouveaux cas qui seraient observés en l’absence de l’opération), 210 000 cas de troubles musculo-squelettiques (0,22%), 44 000 cas de bronchopneumopathies chroniques obstructives (0,88%), 28 000 cas de cancers imputables au tabac (0,55%), 18 000 cas de maladies cardiovasculaires (0,08%), 8 000 cas de démences (0,15%) et 4 000 cas de diabète (0,16%) (tableau 2).

En outre, cette opération permettrait de gagner 12 années de vie et 17 années de vie corrigées de l’incapacité pour 100 000 habitants chaque année.

Le coût annuel de l’opération a été estimé à 12,5 millions d’euros en moyenne sur la période 2016-2021. Cela inclut 7,3 millions d’euros d’achat d’espace publicitaire, 1,6 million d’euros d’appel à projets de l’Assurance maladie dans le cadre du Fonds de lutte contre les addictions, 1,3 million d’euros de subventions aux ambassadeurs régionaux de l’opération, 1,2 million d’euros de frais d’impressions et de routage de documents, 800 000 euros de frais de création publicitaire, 300 000 euros d’informatique, 150 000 euros d’études et d’évaluation. En comparaison, d’après les résultats du modèle de simulation, l’opération Mois sans tabac permettrait d’économiser en moyenne 94 millions d’euros par an en dépenses de santé. Enfin, elle permettrait d’augmenter l’emploi et la productivité du travail de 2 800 équivalents temps plein par an, pour une valeur estimée à 85 millions d’euros.

Tableau 2 : Effets de Mois sans tabac sur les cas de maladies évités, les années de vie gagnées, les dépenses de santé et le marché du travail, sur la période 2023-2050
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Discussion

Les résultats de cette étude, basée sur un modèle de microsimulation éprouvé qui a pu s’appuyer sur des paramètres sur les comportements tabagiques, montrent des bénéfices importants de l’opération Mois sans tabac sur les pathologies liées au tabac à l’horizon 2050, si le dispositif était reconduit chaque année. D’après le modèle, le retour sur investissement est largement favorable, de l’ordre de 7 euros pour 1 euro investi, en considérant seulement l’impact sur les dépenses de santé. Ce ratio serait encore plus favorable, de l’ordre de 14 pour 1, si l’impact sur le marché du travail, valorisé à 85 millions d’euros par an, était intégré. Ces résultats montrent qu’investir dans des mesures de prévention du tabagisme efficaces permet non seulement de promouvoir la santé des populations, mais aussi de protéger le système de soins en évitant la prise en charge d’un nombre important de pathologies chroniques, pour certaines particulièrement lourdes.

Malgré des approches méthodologiques très différentes invitant à la prudence dans les comparaisons, cette estimation économique favorable est cohérente avec l’analyse coût-efficacité réalisée en Angleterre pour la première édition de Stoptober, opération dont s’inspire Mois sans tabac en France 6. Pour l’édition 2012, il avait été estimé que Stoptober avait permis de gagner 10 400 années de vie, à moins de 415 livres sterling (soit environ 515 euros à cette époque) par année de vie gagnée pour le groupe d’âge des 35-44 ans. Les auteurs indiquaient que les estimations de rapport coût-efficacité des interventions pharmacologiques pour arrêter de fumer étaient beaucoup plus élevées, de l’ordre de 3 455 dollars (soit 2 660 euros en octobre 2012) par année de vie gagnée pour les traitements nicotiniques de substitution en plus du conseil d’arrêt par exemple. La comparaison de ces ratios soulignait l’intérêt de Stoptober en termes de santé publique.

Parmi les limites de cette analyse, soulignons que les risques relatifs considérés proviennent d’études précédentes réalisées à l’étranger qu’il pourrait être utile de mettre à jour et spécifier au contexte français. D’autre part, certains coûts n’ont pas été pris en compte. Il s’agit notamment des coûts indirects liés à la prise en charge du tabagisme, plus difficiles à estimer car venant en complément de coûts déjà existants (par exemple celui des consultations d’aide à l’arrêt du tabac en face-à-face induites par l’opération, ou bien du soutien téléphonique proposé par la ligne 39 89 du dispositif Tabac info service). Dans le modèle proposé par l’OCDE concernant plus globalement l’impact de l’ensemble des politiques mises en place entre 2016 et 2020, la prise en charge des traitements nicotiniques de substitution représente une part importante des coûts (132 millions d’euros par an), mais le retour sur investissement reste nettement favorable (4 euros pour 1 euro investi) 13. Le coût des actions locales financées notamment par les ARS n’est pas non plus inclus dans l’analyse, mais leur efficacité comportementale est elle-même difficile à estimer. Le modèle ne prend pas en compte les pensions de retraite supplémentaires versées par l’État, en raison des années de vie générées par l’opération. Soulignons néanmoins que la structure de coûts inclus dans nos estimations est globalement similaire à celle qui avait été adoptée dans l’analyse coût-efficacité de la campagne Stoptober en Angleterre.

Enfin, l’hypothèse selon laquelle l’efficacité comportementale de Mois sans tabac reste constante sur la période 2023-2050 pourrait être optimiste : d’une part l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur les comportements tabagiques sur le long terme est encore incertain 3, et d’autre part une certaine lassitude vis-à-vis de l’opération dans les années à venir ne pourrait être exclue. Concernant le premier point, l’analyse de la politique globale de lutte contre le tabagisme sur la période 2016-2020 a montré que ses effets pourraient être amoindris de 10% à 15% en raison de l’épidémie de Covid-19.

Les forces de l’analyse sont de plusieurs ordres. La mesure de l’efficacité comportementale de Mois sans tabac est fondée sur les données du Baromètre de Santé publique France, une enquête robuste, menée sur un large échantillon représentatif de la population résidant en France 23. L’étude se distingue également par l’utilisation d’un modèle sophistiqué de microsimulation dynamique, qui intègre les changements démographiques et la structure d’âge de la population, permettant une évaluation réaliste de l’impact des politiques sur la santé et l’économie. Enfin, l’analyse est menée dans une perspective de long terme, ce qui est adéquat dans le cas du tabagisme où les effets délétères interviennent plusieurs années après l’exposition à ce facteur de risque.

Malgré les limites mentionnées plus haut, l’efficacité économique de Mois sans tabac reste très probable, avec un retour sur investissement positif. Ces résultats incitent à poursuivre le déploiement de cette opération de santé publique, avec des enjeux importants de renouvellement pour maintenir un certain niveau d’efficacité, et d’accentuation des efforts pour toucher les populations socio-économiquement défavorisées, dans une optique de réduction des inégalités sociales liées au tabagisme. Les études réalisées en 2016 avaient montré que l’impact de Mois sans tabac n’était pas différencié selon les catégories sociales considérées 9. Ce résultat est particulièrement important, dans la mesure où la plupart des interventions d’incitation ou d’aide à l’arrêt du tabac ont tendance à être plus efficaces parmi les fumeurs socio-économiquement plus favorisés 24. Pour chaque édition de Mois sans tabac depuis 2016, un effort important a été fait pour garantir l’adhésion et la participation des fumeurs défavorisés, même si les résultats de l’édition 2020 sur les tentatives d’arrêt du tabac ont montré des écarts en fonction du niveau socio-économique, qui peuvent être au moins en partie attribuables au contexte de crise liée à la Covid-19 10. Les résultats de cette étude invitent en tous cas à maintenir, voire renforcer, ces efforts pour les prochaines éditions, afin que Mois sans tabac reste une opération conjuguant promotion de la santé, protection du système de santé et équité en santé. Les données du Baromètre de Santé publique France 2024 permettront de mettre à jour les effets de Mois sans tabac sur les tentatives d’arrêt.

Remerciements

Nous remercions Anne Pasquereau pour le traitement et la mise à disposition des données de statut tabagique de la population résidant en France sur la période 2016-2020.

Financement

Le projet a été financé par une contribution volontaire de Santé publique France versée à l’OCDE.
Les opinions exprimées et les arguments utilisés ici sont uniquement ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues officielles de l’OCDE ou de ses pays membres.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Guignard R, Devaux M, Nguyen-Thanh V, Lerouge A, Dorfmuller Ciampi M, Cecchini M, et al. Évaluation sanitaire et économique de Mois sans tabac : un retour sur investissement positif. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(22):492-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/22/2024_22_1.html

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(2) International Agency for Research on Cancer (IARC). Global cancer observatory. https://gco.iarc.fr/en