Facteurs associés à l’envie d’arrêter de fumer et aux tentatives d’arrêt chez les fumeurs. Résultats du Baromètre de Santé publique France 2021
// Factors associated with smokers’ desire to quit and quit attempts. Results from the Santé publique France Health Barometer, 2021
Résumé
Introduction –
La prévalence tabagique a globalement baissé en France depuis 2016, mais un rebond des inégalités sociales semble s’opérer depuis 2020. L’objectif de cet article est de présenter certains facteurs associés à l’envie d’arrêter de fumer, au projet d’arrêt dans les 6 mois et à la réalisation d’une tentative d’arrêt l’année passée.
Méthodes –
Cette étude repose sur les données du Baromètre de Santé publique France 2021, enquête menée sur un échantillon aléatoire de la population résidant en France. L’analyse porte sur les 4 733 fumeurs quotidiens âgés de 18 à 75 ans interrogés en métropole. Des régressions logistiques multivariées ont été réalisées incluant des covariables socio-économiques, la consommation d’alcool et la survenue d’un épisode dépressif caractérisé dans l’année précédente.
Résultats –
Parmi les fumeurs quotidiens, 59,3% déclaraient avoir envie d’arrêter de fumer, 26,4% déclaraient avoir le projet d’arrêter dans les six prochains mois et 30,3% avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine dans les 12 derniers mois. L’envie d’arrêter de fumer était associée au sexe masculin, à un âge supérieur à 35 ans, au fait de ne pas se déclarer à l’aise financièrement et à la survenue d’un épisode dépressif caractérisé dans l’année. Le projet d’arrêt dans les six mois était associé à un niveau de diplôme supérieur au baccalauréat, à une situation financière perçue comme difficile et à la survenue d’un épisode dépressif caractérisé. Les tentatives d’arrêt dans l’année étaient associées au sexe masculin, à un âge inférieur à 35 ans et à un niveau de diplôme supérieur ou égal au bac. La consommation d’alcool (usage quotidien ou alcoolisations ponctuelles importantes mensuelles) était négativement associée aux trois variables d’intérêt.
Conclusion –
Il est important de continuer à adapter les dispositifs de prévention pour non seulement inciter les fumeurs plus vulnérables sur le plan socio-économique à faire des tentatives d’arrêt du tabac, mais aussi mieux les aider à transformer ces tentatives en sevrage réussi.
Abstract
Introduction –
Smoking prevalence has decreased overall in France since 2014, but social inequalities in smoking seem to have increased since 2020. This paper presents several factors associated with the desire to quit smoking, planning to quit within 6 months, and quit attempts in the past year among daily smokers.
Methods –
This study is based on the Santé publique France Health Barometer 2021, a nationwide survey conducted on a random sample of the population residing in mainland France. The analysis focuses on the 4,733 daily smokers aged 18 to 75 who participated in the survey. Multivariable logistic regressions were performed including socioeconomic variables, alcohol use, and experience of a major depressive episode within the previous year.
Results –
Among daily smokers, 59.3% reported they wanted to quit smoking, 26.4% said they planned to quit in the next 6 months and 30.3% had made a quit attempt lasting at least 7 days in the past 12 months. Desire to quit smoking was associated with being male, being older than 35, reporting financial disadvantage, and experiencing a major depressive episode in the previous year. Planning to quit within 6 months was associated with a higher education qualification, a financial situation perceived as difficult, and experience of a major depressive episode in the previous year. Quit attempts in the past year were associated with being male, being under 35, and a level of education greater than or equal to the baccalaureate (upper secondary). Alcohol consumption (daily use or monthly binge drinking) was negatively associated with the three outcomes of interest.
Conclusion –
It is important to continue adapting prevention schemes, not only to encourage smokers with a lower socio-economic status to attempt to quit, but also to help them transform these attempts into successful cessation.
Introduction
De nombreux travaux ont montré que l’envie et l’intention d’arrêter de fumer d’une part, et les tentatives d’arrêt passées d’autre part, étaient des déterminants majeurs de l’arrêt du tabac 1,2,3,4.
Les résultats des études sur le lien entre niveau socio-économique, intention d’arrêter de fumer ou tentative d’arrêt sont contradictoires. Dans une étude menée en Angleterre entre 2006 et 2008, les fumeurs des catégories socioprofessionnelles les plus modestes, n’ayant jamais travaillé ou au chômage de longue durée étaient aussi nombreux que les cadres à faire des tentatives d’arrêt, mais leurs chances de succès étaient plus faibles 5. Une étude de cohorte réalisée dans quatre pays (États-Unis, Canada, Royaume-Uni et Australie) entre 2002 et 2007 a montré que les fumeurs ayant un plus haut niveau de diplôme et/ou de revenu avaient une probabilité plus élevée d’envisager d’arrêter de fumer, d’avoir fait une tentative d’arrêt et d’être abstinents au moment de leur interrogation 6. Plus récemment, en Allemagne, sur la période 2016-2019, la réalisation d’une tentative d’arrêt dans l’année était associée à un niveau de diplôme plus élevé, mais aussi à un niveau de revenu plus faible 7. En France, l’étude DePICT (Description des perceptions, images, et comportements liés au tabagisme) menée en 2016 a montré que l’arrêt du tabac était associé à un niveau de diplôme du supérieur 8.
Des liens forts sont observés entre tabagisme et troubles anxio-dépressifs 9. Néanmoins, une revue de littérature suggère que la motivation à l’arrêt du tabac est aussi forte chez les fumeurs souffrant de troubles mentaux que chez les autres, des différences étant toutefois observées selon le type de troubles 10. Enfin, certaines études ont montré qu’une consommation d’alcool plus importante était associée à une plus faible probabilité de faire une tentative d’arrêt 11, et à davantage de difficultés pour arrêter de fumer 12.
En 2014, en France, la proportion de fumeurs ayant envie d’arrêter de fumer augmentait avec l’avancée en âge, mais n’était pas liée au niveau socio-économique. Les ouvriers étaient néanmoins moins nombreux à avoir le projet d’arrêter de fumer dans les 6 mois suivant l’entretien. Aucun lien n’était observé entre le niveau socio-économique et la réalisation d’une tentative d’arrêt 13.
La prévalence du tabagisme quotidien parmi les 18-75 ans a globalement baissé en France (de 29,4% en 2016 à 25,3% en 2021) et les inégalités sociales avaient cessé de s’accroître depuis 2016, mais un rebond de ces inégalités sociales semble s’opérer depuis 2020 14. Il est important d’actualiser les résultats sur les facteurs associés à ces variables prédictives de l’arrêt du tabac (envie d’arrêter de fumer, projet d’arrêt dans les 6 mois, tentative d’arrêt dans l’année) pour orienter les interventions de prévention, dans un contexte de sortie progressive de l’épidémie de Covid-19. Cet article présente les résultats de cette analyse à partir des données métropolitaines du Baromètre de Santé publique France 2021.
Méthodes
Source de données
Cette étude repose sur les données du Baromètre de Santé publique France 2021, enquête menée sur un échantillon aléatoire de la population des 18-85 ans résidant en France métropolitaine. Au total, 24 514 individus ont été interrogés par téléphone entre février et décembre 2021. Le taux de participation révisé, c’est-à-dire tenant compte de la part d’éligibles parmi les ménages non-joints, était de 44,3%. La méthode détaillée de l’enquête est décrite ailleurs 15. L’analyse porte sur les 4 733 fumeurs quotidiens âgés de 18 à 75 ans interrogés sur leurs intentions et leurs tentatives d’arrêt du tabac 14. Ils incluent des fumeurs de cigares ou cigarillos, de pipe ou de chichas, mais pas de vapoteurs exclusifs. Les fumeurs occasionnels (n=1 529), qui présentent par ailleurs des comportements spécifiques, n’ont pas été interrogés sur leurs tentatives d’arrêt passées et n’ont donc pas été inclus dans l’analyse.
Variables
Les trois variables d’intérêt sont l’envie d’arrêter de fumer, le projet d’arrêter dans les 6 prochains mois – cette question étant posée aux fumeurs déclarant avoir envie d’arrêter de fumer – et la réalisation d’une tentative d’arrêt d’au moins 7 jours au cours des 12 derniers mois (cf. questionnaire en ligne 16).
Les variables sociodémographiques suivantes ont été considérées, ayant déjà été identifiées comme étant associées aux comportements tabagiques dans la littérature : sexe, âge (en classes), niveau de diplôme (< bac, bac, > bac), situation financière perçue en 5 modalités (à l’aise, ça va, c’est juste, y arrive difficilement, ne peut y arriver sans faire de dettes) et situation professionnelle (en emploi, au chômage, inactif/étudiant, retraité ou autre).
Le niveau de dépendance tabagique a été estimé à partir du nombre de cigarettes fumées par jour et du délai avant la première cigarette le matin (Heaviness of smoking index, HSI) 17. Deux variables relatives à la consommation d’alcool issues de l’Audit-C 18 ont été considérées : l’usage quotidien et des alcoolisations ponctuelles importantes (API, c’est-à-dire 6 verres ou plus en une occasion) mensuelles. Enfin, la survenue d’un épisode dépressif caractérisé (EDC) au cours des 12 mois précédents a été mesurée à partir du Composite International Diagnostic Interview – Short Form (CIDI-SF) 19,20.
Analyses
Les variables d’intérêt ont été croisées avec les variables sociodémographiques, le niveau de dépendance tabagique, la consommation d’alcool et la survenue d’un EDC. Les proportions sont pondérées afin de tenir compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique) et de la structure de la population via un calage sur marges utilisant les variables suivantes : le sexe croisé avec l’âge en tranches décennales et la région, la taille d’unité urbaine, la taille du foyer et le niveau de diplôme (population de référence : Insee, enquête emploi 2020). Les différences ont été testées au moyen du test du Chi2 de Pearson avec correction du second ordre de Rao-Scott. Les effectifs indiqués dans le texte et le tableau correspondent aux effectifs bruts. Chacune des trois variables d’intérêt (envie d’arrêter de fumer, projet d’arrêt dans les 6 mois, tentative d’arrêt dans les 12 derniers mois) a été modélisée par une régression logistique multivariée incluant l’ensemble des variables explicatives.
Résultats
Parmi les fumeurs quotidiens, 59,3% [57,5-61,0] (n=2 817) déclaraient avoir envie d’arrêter de fumer, 26,4% [24,9-28,1] (n=1 292) déclaraient avoir le projet d’arrêter dans les 6 prochains mois et 30,3% [28,6-32,0] (n=1 410) avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine dans les 12 mois précédents. Seulement un tiers des fumeurs (32,1%) déclaraient n’avoir ni envie d’arrêter de fumer, ni fait de tentative d’arrêt dans l’année précédente.
Envie d’arrêter de fumer
Les hommes (61,7% vs 56,5% des femmes, p<0,01) et les 35-54 ans (62,3% vs 55,8% des 18-34 ans et 58,5% des 55-75 ans, p<0,01) étaient les plus nombreux à avoir envie d’arrêter de fumer, les écarts restant cependant modestes. La différence entre les hommes et les femmes était significative entre 18 et 34 ans seulement (60,2% vs 50,6%, p<0,01) (figure). Les fumeurs ayant vécu un EDC dans l’année (64,5% vs 58,2% des autres fumeurs, p<0,01) étaient également plus nombreux à avoir envie d’arrêter de fumer. Après ajustement sur les autres variables du modèle, un âge supérieur à 35 ans (35-54 ans et 55 ans et plus : OR=1,3 [1,1-1,5], par rapport aux 18-34 ans), le fait de ne pas y arriver financièrement sans faire de dettes (OR=2,0 [1,4-2,8], par rapport au fait d’être à l’aise financièrement), une dépendance moyenne au tabac (HSI 2-3 : OR=1,2 [1,0-1,3]) et la survenue d’un EDC au cours des 12 derniers mois (OR=1,4 [1,2-1,6]) étaient associés à une probabilité plus élevée d’avoir envie d’arrêter de fumer. À l’inverse, le fait d’être une femme (OR=0,8 [0,7-0,9]) ou d’avoir des comportements d’API tous les mois (OR=0,8 [0,7-1,0]) était associé à une plus faible propension à l’arrêt du tabac.
Projet d’arrêt dans les 6 mois
Dans l’analyse bivariée, le projet d’arrêter de fumer dans les 6 prochains mois apparaissait plus fréquent à mesure que le niveau de diplôme augmentait (< bac : 24,8%, bac : 26,8%, > bac : 29,9%). Après ajustement sur les autres variables, le projet d’arrêter de fumer dans les 6 prochains mois était positivement associé à un niveau de diplôme supérieur au bac (OR=1,3 [1,1-1,5], par rapport à un niveau de diplôme inférieur au bac), au fait de ne pas y arriver financièrement sans faire de dettes (OR=1,4 [1,0-2,0]) et à la survenue d’un EDC dans les 12 derniers mois (OR=1,3 [1,1-1,6]), et négativement associé aux API mensuelles (OR=0,8 [0,7-1,0]).
Tentatives d’arrêt dans l’année
Enfin, les hommes (34,3% vs 25,8% des femmes, p<0,001) et les 18-34 ans (42,6% vs 27,1% des 35-54 ans et 19,2% des 55 ans et plus, p<0,001) étaient plus nombreux à déclarer avoir fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine dans l’année. L’écart entre hommes et femmes était particulièrement marqué chez les 18-34 ans (50,4% vs 33,4%, p<0,001) et significatif également chez les 35-54 ans (29,4% vs 24,4%, p<0,05) (figure). Les fumeurs ayant un niveau de diplôme au moins égal au bac étaient plus nombreux à déclarer avoir essayé d’arrêter dans l’année (36,2% de ceux ayant le bac et 35,3% de ceux ayant un diplôme du supérieur vs 26,0% des fumeurs ayant un niveau de diplôme inférieur au bac, p<0,001). Dans l’analyse multivariée, une association positive entre une tentative d’arrêt dans les 12 derniers mois et un niveau de diplôme supérieur ou égal au bac était observée (bac et > bac : OR=1,3 [1,1-1,5], par rapport à un niveau inférieur au bac), de même qu’avec la survenue d’un EDC dans les 12 derniers mois (OR=1,2 [1,1-1,5]) (tableau). À l’inverse, la probabilité d’avoir fait une tentative d’arrêt était plus faible chez les femmes (OR=0,8 [0,7‑0,9]), les plus de 35 ans (35-54 ans : OR=0,5 [0,4‑0,6] ; 55 ans et plus : OR=0,3 [0,3-0,4]), les fumeurs moyennement (OR=0,6 [0,5-0,7]) ou fortement (OR=0,5 [0,4-0,6]) dépendants et les consommateurs quotidiens d’alcool (OR=0,7 [0,6-0,9]).
Discussion
D’après cette analyse basée sur les données du Baromètre de Santé publique France 2021, les hommes fumeurs étaient plus nombreux que les femmes fumeuses à avoir envie d’arrêter de fumer et à avoir fait une tentative d’arrêt dans l’année. Cette association persistait après contrôle sur d’autres variables sociodémographiques, la consommation d’alcool et la dépression dans les 12 derniers mois. Les différences étaient les plus marquées dans les classes d’âge les plus jeunes, et notamment chez les 18-34 ans. Ce résultat n’était pas observé en 2014 13. Même si la prévalence du tabagisme quotidien reste supérieure chez les hommes (27,8% en 2021) à celle observée chez les femmes (23,0%), une hausse de cette prévalence a été observée chez les femmes entre 2019 et 2021 14. Tous ces résultats, assez défavorables pour les femmes, pourraient être dus à des difficultés liées à l’épidémie de Covid-19 potentiellement plus importantes chez elles (conditions de travail, organisation familiale, santé mentale…) 21,22 et/ou à des spécificités féminines quant aux raisons de la consommation comme la réduction d’une tension 23 ou le contrôle du poids 24. Dès la première phase de l’épidémie en 2020, les femmes fumeuses étaient déjà plus nombreuses à avoir augmenté leur consommation de tabac 25.
Par ailleurs, l’envie d’arrêter de fumer en 2021 était la plus fréquente parmi les personnes âgées de 35 à 54 ans, mais comme en 2014, les plus jeunes (18-34 ans) étaient les plus nombreux à avoir fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine dans l’année. Ce dernier point pourrait s’expliquer par une facilité plus importante à s’abstenir de fumer pour les fumeurs les plus jeunes pour lesquels le comportement tabagique est moins ancré dans les habitudes et le niveau de dépendance plus faible, même si cela est en partie contrôlé dans l’analyse multivariée. En outre, seules sont considérées dans cet article les tentatives d’arrêt qui se sont soldées par une reprise du tabagisme. La proportion d’ex-fumeurs augmente quant à elle avec l’âge 26, et une étude réalisée en France en 2017 avait montré que l’abstinence tabagique parmi les fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt dans les deux dernières années augmentait nettement avec l’âge chez les hommes, mais pas chez les femmes 27.
Alors qu’aucun lien n’était observé entre l’envie d’arrêter de fumer et le niveau de diplôme, le projet d’arrêt dans les 6 prochains mois augmentait légèrement avec le niveau de diplôme en 2021. Cela pourrait refléter des difficultés à se projeter dans l’avenir parmi les personnes moins diplômées 28, une moins bonne perception des risques comme observé dans le Baromètre cancer 2021 29, mais aussi une méconnaissance des outils d’aide à l’arrêt du tabac, ou encore une norme tabagique plus prégnante que dans d’autres milieux 30. Le projet d’arrêt dans les 6 prochains mois était en revanche le plus fréquent parmi les fumeurs ne pouvant y arriver financièrement sans faire de dettes, probablement en lien avec la place prépondérante du coût du tabac dans la décision d’arrêt exprimée désormais par les fumeurs socio-économiquement défavorisés, à la suite des hausses de prix des dernières années 30. En 2021, les tentatives d’arrêt du tabac s’avéraient également moins fréquentes parmi les fumeurs les moins diplômés, résultat qui n’était pas observé en 2014 et qui pourrait marquer une différenciation sociale plus nette des comportements d’arrêt du tabac ces dernières années. Des résultats similaires ont été observés dans plusieurs pays européens 7,31. Cependant, les résultats de notre analyse portent sur une période marquée par la crise sanitaire liée à la Covid-19, ce qui a pu avoir un impact sur les indicateurs étudiés.
L’envie d’arrêter de fumer et le projet d’arrêter dans un avenir proche étaient moins fréquents chez les fumeurs déclarant des alcoolisations ponctuelles importantes et régulières. Les tentatives d’arrêt étaient moins fréquentes chez les buveurs quotidiens. Cela souligne le lien étroit entre les différentes pratiques addictives. Dans une étude menée aux États-Unis auprès de fumeurs latino-américains, aucune association entre la consommation d’alcool et l’intention d’arrêter de fumer n’était observée 12, mais une autre étude réalisée en Angleterre avait montré que les fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt au cours de la dernière semaine avaient une consommation d’alcool au sens de l’Audit-C plus faible que ceux n’en ayant pas fait, ce qui s’expliquait principalement par une fréquence moindre des pratiques de binge drinking 11. Cette dernière étude montrait également que, parmi les consommateurs d’alcool les plus à risque, les tentatives d’arrêt du tabac étaient associées à des tentatives de réduction de sa consommation d’alcool.
Enfin, cette étude montre que l’envie d’arrêter de fumer, le projet d’arrêt et les tentatives d’arrêt étaient plus fréquents parmi les fumeurs ayant vécu un EDC dans l’année. Le lien entre troubles de santé mentale et envie d’arrêter de fumer est observé également en Grande-Bretagne, même si ce lien concerne davantage l’anxiété que la dépression 32. Une méta-analyse suggère également une amélioration des symptômes anxio-dépressifs après l’arrêt du tabac, par rapport au fait de continuer à fumer, y compris chez des patients psychiatriques 33. Le lien entre l’envie ou la démarche d’arrêt du tabac et l’EDC observé dans notre étude pourrait donc surtout refléter des difficultés plus importantes à parvenir à arrêter de fumer chez les fumeurs souffrant d’un tel trouble 32. Quoi qu’il en soit, les fumeurs souffrant de troubles mentaux semblent aussi motivés que les autres à arrêter de fumer 10. Il est nécessaire de les soutenir dans leur démarche, alors que selon une revue de littérature, près de la moitié des professionnels de santé mentale ont des attitudes négatives vis-à-vis de l’arrêt du tabac ou permissives vis-à-vis du tabagisme de leurs patients, et considèrent que leurs patients fumeurs ne sont pas intéressés par l’arrêt du tabac 34.
Parmi les limites de cette étude, il est important de noter que les données sont déclaratives et qu’un biais de mémoire est possible, en particulier concernant les tentatives d’arrêt du tabac recueillies de manière rétrospective, sur une période relativement longue (12 mois). Le caractère transversal de l’enquête ne permet pas non plus de tirer de conclusions en matière de causalité. La principale force de l’étude repose sur l’utilisation d’un large échantillon représentatif de la population des fumeurs, issu d’un sondage aléatoire et de taille suffisante pour détecter des différences en fonction des groupes de population. Le caractère multithématique de cette enquête permet aussi de croiser différents types de comportements et problèmes de santé.
Il ressort de cette étude qu’au-delà des différences observées sur la prévalence tabagique, les fumeurs ayant un plus faible niveau de diplôme se projettent un peu moins dans l’arrêt du tabac que les fumeurs socio-économiquement plus favorisés. C’est toutefois le cas pour une part importante d’entre eux : ainsi, un quart des fumeurs de niveau de diplôme inférieur au bac ont fait une tentative d’arrêt dans l’année. Plusieurs études ont montré que lorsque les fumeurs de faible niveau socio-économique essayaient d’arrêter de fumer, ils avaient plus de difficultés à y parvenir. Il est donc important de continuer à adapter les dispositifs de prévention pour non seulement inciter les fumeurs plus vulnérables sur le plan socio-économique à faire des tentatives d’arrêt du tabac, mais aussi mieux les aider à transformer ces tentatives en sevrage réussi. Pour ce faire, il s’agit de les convaincre d’utiliser des aides validées (soutien comportemental, traitements pharmacologiques si nécessaire, aide à distance Tabac info service…), les fumeurs des groupes sociaux moins favorisés considérant encore trop souvent que l’arrêt du tabac est un exercice solitaire, dont la réussite dépend de la seule volonté individuelle 30,35. Par ce biais, l’objectif est à la fois de déclencher des tentatives d’arrêt du tabac (en renforçant le sentiment d’auto-efficacité des fumeurs) et d’améliorer les chances de succès du sevrage tabagique. Le rôle des professionnels de santé, permettant d’augmenter de façon significative l’arrêt du tabac effectif de leurs patients, devrait également être valorisé et renforcé : les données de plusieurs enquêtes récentes menées en France montrent que les pratiques de repérage et d’accompagnement du tabac par les médecins, par exemple, restent encore trop peu systématiques 29,36,37,38. Une expérimentation est en cours à Santé publique France pour évaluer l’impact d’une intervention s’appuyant sur les sciences comportementales visant à augmenter les pratiques de repérage et de prise en charge du sevrage tabagique par les médecins généralistes. Enfin, les fumeurs ayant vécu des épisodes dépressifs récents montrent un désir important d’arrêter de fumer et doivent également être davantage soutenus par les professionnels de santé dans leur démarche d’arrêt du tabac.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.