Bilan de la surveillance de la dengue, du chikungunya et du Zika en France hexagonale en 2023
// Surveillance of dengue, chikungunya and Zika in mainland France in 2023
Résumé
Au 1er janvier 2023, le moustique Aedes albopictus, vecteur des virus de la dengue, du chikungunya et du Zika était implanté dans 71 départements hexagonaux (Corse comprise) exposant au risque de transmission locale de ces arboviroses. La surveillance épidémiologique est adaptée à la saisonnalité de ce risque et vise principalement à prévenir et/ou limiter l’installation d’un cycle de transmission autochtone.
En 2023, 2 524 cas importés de dengue, 44 cas de chikungunya, 11 cas de Zika et une co-infection dengue-chikungunya ont été signalés par des professionnels de santé par déclaration obligatoire ou détectés par les données du réseau de laboratoires partenaires. La majorité des cas de dengue importés avaient séjourné en Guadeloupe et/ou en Martinique (71%, n=1 795). Neuf épisodes de transmission autochtone de dengue ont été identifiés, pour un total de 45 cas infectés dans l’Hexagone. Ces épisodes ont eu lieu en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (n=4), Occitanie (n=3), Auvergne-Rhône-Alpes (n=1) et Île-de-France (n=1).
En 2023, le nombre de cas de dengue importés était le plus élevé observé depuis la mise en place du dispositif en 2006, avec une majorité de cas revenant de Guadeloupe et de Martinique. L’année 2022 avait mis en évidence une nette augmentation du nombre de foyers de transmission de dengue et de cas autochtones en France hexagonale. L’année 2023 confirme la tendance, avec un nombre d’épisodes identique (n=9), et de nouveaux départements touchés, dont un en Île-de-France, actant ainsi la première transmission de dengue dans une zone aussi septentrionale en Europe.
Abstract
The mosquito Aedes albopictus is a vector of the viral diseases dengue, chikungunya and Zika. On 1 January 2023, the species was present in 71 departments of mainland France (including Corsica), exposing those areas to a risk of local transmission. Epidemiological surveillance of these viruses is geared towards the seasonal nature of the risk, with the primary aim of preventing and/or limiting the onset of an autochthonous transmission cycle.
In 2023, 2,524 imported cases of dengue virus, 44 of chikungunya virus, 11 of Zika virus and one dengue-chikungunya co-infection were reported by health professionals or identified using laboratory data. Most imported cases of dengue virus had visited Guadeloupe or Martinique (71%, n=1,795). Nine autochthonous transmission events were detected for dengue virus, causing 45 infections in mainland France. These events occurred in Provence-Alpes-Côte d’Azur (n=4), Occitania (n=3), Auvergne-Rhône-Alpes (n=1) and Île-de-France (n=1).
In 2023, the number of imported dengue cases was the highest recorded since surveillance began in 2006, with the majority of cases returning from Guadeloupe or Martinique. The year of 2022 was characterised by a sharp increase in the number of autochthonous transmission events and the same number of events (n=9) was recorded in 2023, seeming to confirm the trend.
Introduction
Les virus de la dengue (DENV), du chikungunya (CHIKV) et du Zika (ZIKV) sont transmis par des moustiques du genre Aedes. Depuis 2004, le moustique Aedes albopictus (moustique tigre), vecteur de ces virus, est implanté en France hexagonale (1). Au cours des vingt dernières années, la présence d’Ae. albopictus s’est étendue sur le territoire. Au 1er janvier 2023, 71 départements hexagonaux avaient au moins une commune colonisée par ce moustique et 45% de la population résidait dans une commune colonisée (2) (3). La surveillance épidémiologique de la dengue, du chikungunya et du Zika en France hexagonale vise en premier lieu à prévenir et/ou limiter l’installation d’un cycle de transmission du DENV, du CHIKV et du ZIKV. Elle a également pour but d’améliorer les connaissances sur l’épidémiologie de ces pathologies. Afin de répondre à ces objectifs, cette surveillance s’adapte au risque de transmission au cours de l’année.
Cet article vise à présenter les résultats de la surveillance épidémiologique de la dengue, du chikungunya et du Zika en France hexagonale pour l’année 2023 et des investigations qui en résultent.
Matériel et méthodes
La surveillance de la dengue, du chikungunya et du Zika repose sur la déclaration obligatoire (DO) des cas documentés biologiquement, probables et confirmés, qu’ils soient importés ou autochtones (tableau 1). Les DO comportent des informations sur la biologie, la clinique et la notion de voyage. Cette surveillance est pérenne, mise en place toute l’année en France hexagonale.
Une surveillance renforcée est mise en place du 1er mai au 30 novembre, période d’activité d’Ae. albopictus, pour faire face au risque de transmission locale du DENV, du CHIKV et du ZIKV. En début de saison, les agences régionales de santé (ARS) en collaboration avec les équipes de Santé publique France sensibilisent les professionnels de santé au diagnostic et à la déclaration des cas. Les cas sont saisis dans un système d’information dédié à la surveillance renforcée (Voozarbo). Afin d’identifier les cas qui n’auraient pas été signalés par ces professionnels, un dispositif de transfert automatisé des résultats biologiques des laboratoires Eurofins Biomnis et Cerba est mis en place pour ces trois pathologies. Ces résultats sont analysés quotidiennement par les équipes de Santé publique France en région (« rattrapage laboratoire ») et sont confrontés à ceux déjà présents dans Voozarbo.
Chaque cas identifié, importé ou autochtone, donne lieu à une investigation épidémiologique par l’ARS, en collaboration avec Santé publique France, et déclenche l’intervention rapide des services de lutte antivectorielle (LAV) autour des cas virémiques en France hexagonale, afin de limiter le risque de transmission locale du virus.
Une recherche active de cas est mise en œuvre autour des cas autochtones, pour déterminer l’étendue de la transmission locale et ajuster le périmètre du traitement de LAV si nécessaire : enquête en porte-à-porte dans une zone de 150 mètres de rayon, sensibilisation renforcée des professionnels de santé, sensibilisation de la population générale, notamment via la publication de communiqués de presse. Des mesures adaptées de sécurisation des produits issus du corps humain (sang, tissus, organes…) sont également mises en œuvre en cas de transmission en France hexagonale, exclusion temporaire ou dépistage en application des recommandations du groupe de travail Sécurité des éléments et produits du corps humains (Secproch) du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 1.
Les mesures de contrôle et de gestion autour des cas importés et autochtones sont décrites de façon détaillée dans une publication précédente 2.
Résultats
Cas importés
En 2023, 2 524 cas importés de dengue, 44 cas de chikungunya, 11 cas de Zika et une co-infection DENV-CHIKV ont été identifiés. La majorité des cas est survenue pendant la surveillance renforcée (mai-novembre) : 80% (n=2 014) des cas de dengue, 64% (n=28) des cas de chikungunya et 82% (n=9) des cas de Zika. Au cours de cette période, 47% des cas ont été signalés par les professionnels de santé et 53% par le rattrapage laboratoire. Le délai médian entre la date de début des signes et la date de déclaration était de 9 jours, contre 14 jours pour le rattrapage laboratoire.
Deux pics de signalements ont été observés au cours de l’année, le premier en août et le second en novembre (figure 1). La majorité des cas de dengue importés avaient séjourné en Guadeloupe et/ou en Martinique (71%, n=1 795) (figure 2). Les cas de chikungunya revenaient quant à eux principalement d’Inde (n=12), d’Indonésie (n=7) et du Sénégal (n=5), et les cas de Zika de Thaïlande (n=9) et du Sri Lanka (n=2).
Cas autochtones
Neuf épisodes de transmission autochtone du DENV ont été identifiés en 2023, pour un total de 45 cas autochtones de dengue.
Ces épisodes ont eu lieu (figure 3) en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (n=4), Occitanie (n=3), Auvergne-Rhône-Alpes (n=1) et Île-de-France (n=1).
Parmi les 45 cas autochtones, 43 ont été confirmés biologiquement, un cas a été classé comme cas probable et un comme cas épidémiologique. Pour 5 des 9 épisodes, le 1er cas a été signalé par un professionnel de santé, pour les autres, il a été identifié grâce au rattrapage laboratoire. Les autres cas autochtones ont été identifiés lors des enquêtes en porte-à-porte (n=21), par les signalements des professionnels de santé (n=7), le rattrapage laboratoire (n=3) et lors de l’interrogatoire de cas (n=5).
Le cas primaire importé à l’origine de la transmission a pu être identifié pour 3 des 9 épisodes investigués (tableau 2) : tous étaient de retour d’un voyage dans les Antilles, deux de Martinique et un de Guadeloupe.
Pour 7 des 9 épisodes autochtones, le sérotype du DENV a pu être identifié. Il s’agissait du sérotype 2 (DENV-2) pour 4 épisodes, du sérotype 1 (DENV-1) pour 2 épisodes et du sérotype 3 (DENV-3) pour 1 épisode.
La distance maximale entre les cas rattachés à un même épisode de transmission n’a pas excédé 950 mètres. Deux épisodes n’incluaient que des personnes vivant au sein d’un même foyer, en Auvergne-Rhône-Alpes (n=2) et en Île-de-France (n=3).
Discussion
La surveillance de la dengue, du chikungunya et du Zika en 2023 a mis en évidence le nombre de cas de dengue importés le plus élevé identifié depuis la mise en place du dispositif en 2006. La proportion élevée de cas importés de Guadeloupe et de Martinique s’explique par l’épidémie de DENV-2 qui touche ces deux îles depuis 2023 3,4. Malgré les épidémies de dengue majeures en Amérique latine 5, notamment au Brésil, en Bolivie et au Pérou début 2023 et au Nicaragua, au Costa Rica et au Mexique à l’automne 2023, peu de cas importés de ces territoires ont été identifiés. Les flux importants de voyageurs entre les Antilles françaises et la France hexagonale ont largement contribué à ce phénomène. L’épidémie de 2023 n’étant toutefois pas la plus grande épidémie de ces 20 dernières années en Guadeloupe et Martinique, elle ne peut expliquer à elle seule le niveau élevé de cas identifiés. Une amélioration du diagnostic et de la déclaration par les professionnels de santé et une meilleure sensibilisation des voyageurs ont pu y contribuer.
La dynamique des cas importés en 2023 a été différente de celles observées entre 2006 et 2022. En plus du pic annuel observé en août, un deuxième pic a été observé pendant les vacances scolaires de la Toussaint, sans doute en lien avec la circulation du DENV toujours active dans les Antilles.
Après l’année 2022 qui avait mis en évidence une nette augmentation du nombre de foyers de transmission du DENV et de cas autochtones en France hexagonale 2, la tendance se confirme pour l’année 2023. Si le nombre de cas identifiés a été plus faible qu’en 2022 (45 vs 66), le nombre d’épisodes a été identique (n=9) et trois comportaient de 9 à 11 cas (figure 4).
Deux épisodes sont survenus dans des départements jusqu’à présent épargnés, la Drôme et le Val-de-Marne 6, confirmant l’expansion géographique du risque observée en 2022, s’étendant désormais plus au nord avec le premier épisode de transmission vectorielle en Île-de-France. Malgré une implantation d’Ae. albopictus relativement récente dans cette région, avec la première commune colonisée déclarée en 2015 (4), le vecteur est désormais présent dans l’ensemble des départements franciliens. En 2023, plus de 100 communes franciliennes étaient colonisées par le vecteur regroupant près de 50% de la population francilienne 7 (5). Bien que limité à la survenue de 3 cas intrafamiliaux, le cluster francilien de dengue de 2023 indique qu’il existe un risque sérieux de transmission des arboviroses dans cette région, notamment dans le contexte des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Les enquêtes en porte-à-porte sont primordiales dans la recherche active de cas autochtones. En 2023, elles ont permis d’identifier près de la moitié des cas autochtones, et contribuent ainsi à limiter l’ampleur des épisodes. Leur efficacité, et plus largement celle du dispositif, a été démontrée à deux reprises lors d’enquêtes de séroprévalence réalisées en 2015 8 et 2019 9. Ces enquêtes n’avaient permis d’identifier qu’un seul cas non répertorié par les recherches actives de cas.
Parmi les 9 épisodes de transmission autochtone, le cas primaire importé a été identifié pour seulement 3 d’entre eux. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l’absence d’identification des autres cas primaires importés : l’introduction du virus par des cas asymptomatiques, le non-recours aux soins des cas symptomatiques, la non-évocation du diagnostic par le professionnel de santé consulté ou une prescription d’examen biologique incorrecte, non réalisée ou absente. Bien qu’il soit difficile d’estimer la part de ces différents facteurs, la sensibilisation des professionnels de santé au diagnostic est un enjeu majeur de la surveillance. En Occitanie, la moitié des cas autochtones identifiés en 2023 avait consulté un professionnel de santé (médecin généraliste ou service d’urgence) à la suite de la survenue de signes évocateurs, sans que le diagnostic de dengue n’ait été évoqué 10. Dans une étude menée auprès de 122 médecins généralistes en 2022, 54% des médecins interrogés estimaient ne pas connaître les modalités diagnostiques de ces arboviroses 11.
La sensibilisation des professionnels de santé doit aussi porter sur l’importance du signalement précoce des cas aux autorités sanitaires. Le signalement permet la mise en place plus rapide des mesures de LAV, réduisant le risque de transmission autochtone.
Afin de répondre à ces deux enjeux, Santé publique France a renforcé ses liens avec le Collège de médecine générale et a actualisé son guide « Repères pour votre pratique » à destination des professionnels de santé pour compléter les campagnes de sensibilisation réalisées par les ARS 12. D’autres travaux sont également menés par la Direction générale de la santé, Santé publique France et les ARS pour améliorer la surveillance. La révision des formulaires de DO permettra de faciliter la déclaration par les professionnels de santé. Le futur dispositif de transfert automatisé des résultats biologiques des laboratoires, LABOé-SI, a pour objectif d’augmenter l’exhaustivité de la surveillance.
Le nombre important de cas identifiés en 2023 a fortement impacté les acteurs impliqués dans la surveillance épidémiologique ainsi que les opérateurs de démoustication, nécessitant parfois une priorisation des actions de LAV. Le dispositif avait déjà connu des tensions en 2022. Ces situations de tension sont appelées à se reproduire, voire à s’aggraver dans les années à venir et des réflexions nationales sont nécessaires pour y faire face. Si la priorisation des interventions de LAV 13 et la possibilité de mobiliser des renforts (plans ORSEC LAV – organisation de la réponse de sécurité civile – en cours d’élaboration) font partie de la solution, le dimensionnement des structures en charge de la surveillance, des investigations et de la gestion doit être proportionné au risque. Cela permettrait au dispositif de surveillance renforcée et d’investigation des épisodes de transmission autochtone en France hexagonale de rester un des plus performants en Europe 2.
L’augmentation en 2022 et 2023 du nombre d’épisodes de transmission autochtone et l’ampleur de certains font craindre à moyen terme des transmissions de plus grande ampleur. L’estimation du risque d’épidémie fait l’objet d’un groupe de travail « Risque d’épidémie d’arbovirose et impacts socio-économiques » piloté par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Vingt ans après l’implantation d’Ae. albopictus dans les Alpes-Maritimes, son territoire continue de s’étendre, et le risque de transmission d’arboviroses augmente chaque année. Ces différents éléments rendent nécessaires l’adaptation constante du dispositif de la surveillance et de prévention, et une meilleure sensibilisation des professionnels de santé et des voyageurs, et plus généralement de l’ensemble de la population.
Groupe d’investigation
Les investigations épidémiologiques des cas importés et autochtones ont été réalisées par les agences régionales de santé et les équipes de Santé publique France.
Remerciements
Nous remercions les professionnels de santé qui ont collaboré et participé activement à la surveillance et aux investigations
des épisodes de transmission autochtone.
Nous tenons également à remercier tous les acteurs de la lutte anti-vectorielle, opérateurs de démoustication et services
santé-environnement des ARS, qui ont été particulièrement sollicités et ont joué un rôle majeur dans la gestion des cas importés
et des épisodes de transmission autochtone.
Nous remercions également toutes les personnes qui ont été contactées au cours des investigations et les élus locaux pour
leur collaboration tout au long de l’été.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.