Mortalité des agents et ex-agents de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) entre 1980 et 2012

// Mortality among current and former employees of the RATP Group between 1980 and 2012

Nicolas Méthy1, Frédéric Moisan2, Amélie Debatisse1 (amelie.debatisse@ratp.fr)
1 Service de prévention et de santé au travail, RATP, Paris
2 Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 29.01.2024 // Date of submission: 01.29.2024
Mots-clés : Cohorte professionnelle | Entreprise de transport public | Exposition professionnelle | Mortalité | Indices comparatifs de mortalité
Keywords: Occupational cohort | Public transport company | Occupational exposure | Mortality | Standardized
mortality ratio (SMR)

Résumé

Introduction –

Les travailleurs de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) sont exposés à de multiples nuisances ou contraintes professionnelles. Les objectifs de cette étude étaient de comparer la mortalité globale et par cause des salariés et ex-salariés de la RATP à celle de la population générale d’Île-de-France et de réaliser une analyse selon les métiers exercés.

Matériel et méthodes –

L’ensemble des salariés ayant travaillé à la RATP entre le 1er janvier 1980 et le 31 décembre 2012 et ayant une ancienneté d’au moins un an ont été inclus dans l’étude. Lorsqu’il était inconnu, le statut vital du salarié a été obtenu auprès du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Les causes initiales de décès des salariés décédés ont été obtenues auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). Elles ont été classées en suivant la nomenclature de la liste européenne succincte des causes de décès. Les carrières des agents ont été reconstituées depuis leur entrée dans l’entreprise et les différents métiers ont été regroupés en 22 modalités. La mortalité globale et par cause des agents a été comparée à celle de la population générale d’Île-de-France en calculant des indices comparatifs de mortalité (standardized mortality ratios, SMR). La mortalité par catégorie socioprofessionnelle (CSP) a été comparée à celle de la CSP correspondante en France hexagonale. Un modèle de Cox a été utilisé pour calculer le risque relatif de décès selon le métier exercé.

Résultats –

La cohorte se compose de 96 634 agents, dont 78 702 hommes et 17 932 femmes. Au 31 décembre 2012, ils étaient respectivement 11 466 (14,6%) et 1 174 (6,5%) à être décédés. La mortalité toutes causes était significativement inférieure à celle de la population générale francilienne : SMR=0,94 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,93-0,96]) chez les hommes, 0,91 [0,86-0,97] chez les femmes. Contrairement aux autres CSP, les employés montraient une surmortalité chez les hommes (1,15 [1,10-1,21]) et chez les femmes (1,12 [1,04-1,21]). Tous métiers confondus, le cancer du rein (1,24 [1,03-1,48]), les infarctus aigus du myocarde (1,17 [1,08-1,26]), les cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques (1,11 [1,01-1,21]) ainsi que les suicides et lésions auto-infligées (1,20 [1,08-1,32]) étaient des causes de décès significativement en excès chez les hommes par rapport à la population de référence. Chez les femmes, une surmortalité significative par accidents de transport était mise en évidence (1,85 [1,22-2,69]). Les analyses par groupe de métiers ont montré des risques de décès plus élevés dans certains groupes (tels que les ouvriers non qualifiés de maintenance, les agents de gare ou de station) et, également des causes de décès en excès parmi les agents ayant exercé certains groupes de métiers (notamment les tumeurs de la plèvre parmi les ouvriers qualifiés de la maintenance ou les cardiopathies ischémiques parmi les conducteurs de bus, les agents de sécurité et les ouvriers non qualifiés de la maintenance).

Conclusion –

Ces résultats incitent à renforcer les actions de prévention ciblées mises en place au sein de l’entreprise auprès des salariés exerçant les métiers identifiés dans cette étude afin de réduire les inégalités observées. Une nouvelle analyse intégrant des données plus récentes permettra d’augmenter la puissance statistique et d’actualiser les résultats.

Abstract

Introduction –

Employees working for the public transport company RATP Group (Régie autonome des transports parisiens) are exposed to a wide range of occupational hazards and constraints. The aims of this study were to compare overall mortality and mortality by cause among current and former RATP employees with that of the general population of Île-de-France (Paris region), and to carry out an analysis according to the occupations performed.

Material and methods –

All RATP employees who had worked for at least one year between 1 January 1980 and 31 December 2012 were included in the study. If unknown, the vital status of employees was obtained from the national register of physical persons (Répertoire national d’identification des personnes physiques, RNIPP). For deceased employees, primary cause of death was obtained from the Centre for the Epidemiology of Medical Causes of Death (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, CépiDc) and classified according to the nomenclature of the European shortlist of causes of death. The careers of the employees were reconstituted from the time they joined the company, and the various occupations were grouped into 22 categories. Overall mortality and mortality by cause were compared with that of the general population of the Île-de-France region by calculating standardized mortality ratios (SMR). Mortality by socio-professional category (SPC) was compared with that of the corresponding SPC in mainland France. A Cox model was used to calculate the relative risk of death according to occupation.

Results –

The cohort comprises 96,634 agents, including 78,702 men and 17,932 women. At 31 December 2012, 11,466 (14.6%) and 1,174 (6.5%) of them were deceased. All-cause mortality was significantly lower than in the reference population: SMR=0.94 (95% confidence interval, 95%CI: [0.93–0.96]) in men, SMR=0.91 [0.86–0.97] in women. In contrast to the other SCP, the SCP “employee” showed a higher mortality rate in both men (SMR=1.15 [1.10–1.21]) and women (SMR=1.12 [1.04–1.21]). Among all occupations taken together, kidney cancer (SMR=1.24 [1.03–1.48]), acute myocardial infarction (SMR=1.17 [1.08–1.26]), cirrhosis, fibrosis and chronic hepatitis (SMR=1.11 [1.01–1.21]), and suicide and self-inflicted injury (SMR=1.20 [1.08–1.32]) showed significant excess in causes of death for men. Among women, a significant excess of deaths was due to transport accidents (SMR=1.85 [1.22–2.69]). Analyses by occupational group showed higher risks of death in certain groups (such as unskilled maintenance workers, station agents) and also causes of death in excess among agents who had worked in certain occupational groups (in particular pleural tumours among skilled maintenance workers or ischaemic heart disease among driver-receivers, security guards and unskilled maintenance workers).

Conclusion –

These results support stepping up targeted prevention measures implemented within the company for employees in the occupations identified in this study. A new analysis incorporating data that are more recent will increase the statistical power and update the results.

Introduction

Les travailleurs de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) sont exposés, selon les métiers, et parfois de manière simultanée, à de multiples nuisances ou contraintes professionnelles : pollution de l’air des enceintes ferroviaires souterraines, pollution de l’air extérieur (notamment pour les conducteurs de bus et de tramway), produits chimiques dans les ateliers de maintenance, contraintes organisationnelles (rythme de travail, horaires décalés) ou psychosociales (comportements potentiellement hostiles du public). Peu de données épidémiologiques existent sur les différents métiers présents à la RATP, et aucune dans le contexte français à l’exception d’une étude de cohorte menée à la RATP. En effet, une première étude de mortalité (cohorte Edgar) sur la période 1980-1999 a été réalisée dans les années 2000 dans laquelle un excès de mortalité par cardiopathies ischémiques avait été observé dans l’ensemble de la cohorte 1. Pour compléter ce résultat, un prolongement de la période d’observation de la cohorte en y intégrant les non-statutaires (agents hors régime spécial) a été réalisé.

Les objectifs de cette étude étaient de comparer la mortalité globale et par cause des salariés de la RATP à celle de la population d’Île-de-France entre 1980 et 2012 et d’analyser la mortalité selon les métiers exercés.

Matériel et méthodes

Constitution de la cohorte

La population d’étude correspond à tous les salariés de la RATP ayant travaillé entre le 1er janvier 1980 et le 31 décembre 2012 avec au moins un an d’ancienneté. Ont été inclus, à partir des fichiers du personnel, les agents statutaires, dépendant du régime spécial de retraite, et les contractuels, affiliés au régime général.

Données de mortalité

Les agents présents dans les listes du personnel et ceux qui percevaient une pension de retraite au 1er janvier 2013 ont été considérés comme vivants. Pour les autres, le statut vital a été déterminé à partir du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). La cause initiale de décès définie à partir des informations du certificat de décès a été obtenue auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces données sont venues compléter celles qui sont disponibles dans le premier volet de l’étude (1980-1999).

Les causes initiales de décès, codées selon la Classification internationale des maladies, 9e révision
(CIM-9) de 1979 à 1999 et 10e révision (CIM-10) depuis 2000, ont été regroupées en suivant la nomenclature de la liste européenne succincte des causes de décès à 86 modalités 2 en y ajoutant deux causes de décès : les décès par tumeur maligne de la plèvre et les décès par pneumoconiose due à l’amiante et à d’autres fibres minérales. Inversement, les causes de décès intitulées « autres » (excepté pour les cancers) et celles codées comme inconnues ou mal définies (code CIM-10 R00-R99) ne sont pas détaillées car difficilement interprétables.

Données professionnelles

Les caractéristiques professionnelles, transmises par le service du personnel, comprenaient pour chaque agent les dates d’embauche et de sortie éventuelle de l’entreprise (avec le motif), le type de contrat et l’historique du parcours professionnel. Les différents postes et fonctions occupés étaient répertoriés, ainsi que la catégorie socioprofessionnelle (CSP). La carrière au sein de l’entreprise a été reconstituée sous forme d’épisodes professionnels successifs. Après homogénéisation des données avant et après 2008 (changement de système informatique), il a été défini, pour chaque individu et de façon dynamique dans le temps (i) le statut d’emploi (actif dans l’entreprise, retraité, sortie de l’entreprise non liée à la retraite), (ii) la CSP du salarié en activité (cadre, agent de maîtrise, employé, ouvrier) et (iii) le métier exercé.
Vingt-deux groupes de métiers imbriqués dans les CSP ont été établis à partir des professions renseignées et présentant des conditions de travail similaires.

Le statut d’emploi a été déterminé à partir du motif de sortie renseigné dans les fichiers de l’entreprise ou de l’âge et du statut (statutaire, contractuel) du salarié.

Stratégie d’analyse

Le suivi du statut vital débute le 1er janvier 1980 pour les personnes ayant plus d’un an d’ancienneté à cette date et un an après la date d’entrée dans l’entreprise pour les autres. La fin du suivi est le 31 décembre 2012 (date de point) pour les personnes vivantes à cette date ; la date de décès pour les personnes décédées ; la date de sortie de l’entreprise pour les personnes dont le statut vital était inconnu après recherche dans le RNIPP.

Analyse de la mortalité par comparaison à une population de référence

La mortalité globale et par cause des agents de la cohorte a été comparée à celle de la population générale d’Île-de-France en calculant des indices comparatifs de mortalité (standardized mortality ratios, SMR) et leurs intervalles de confiances à 95% (IC95%) en tenant compte de l’âge et de l’année 3 séparément chez les hommes et les femmes. Le nombre de décès attendus (att.) a été calculé en utilisant les taux de mortalité d’Île-de-France. Les analyses ont été réalisées en considérant l’ensemble de la cohorte puis chacun des 22 groupes de métiers, un salarié étant inclus dans l’analyse à partir de la première fois où il exerce ce métier (définition « avoir été »). Les SMR ont été considérés interprétables si au moins 10 décès étaient observés (obs.) ou attendus (att.).

Des SMR ont été calculés par CSP en prenant comme référence les taux de mortalité toutes causes de la population hexagonale française âgée de 30 ans et plus 4 (non disponibilité des données de mortalité par CSP à l’échelle régionale). Dans ces analyses, la CSP au moment de l’activité et la dernière CSP connue pour les agents sortis de l’entreprise ont été utilisées en cohérence avec les données de référence.

Dans le cadre d’une analyse de sensibilité, afin de tenir compte de la sous-estimation différentielle entre régions (et plus forte en Île-de-France) du nombre de suicides à partir des données des certificats de décès 5, un nombre de décès corrigé pour la sous-estimation a été calculé en appliquant un coefficient de correction 5 (1,094 pour l’ensemble de la France ; 1,48 pour l’Île-de-France) et en faisant l’hypothèse que tous les décès par suicide chez les moins de 60 ans avaient lieu en Île-de-France et que la moitié des décès chez les 60 ans et plus avaient lieu hors d’Île-de-France (répartition observée d’après les lieux de résidence dans les certificats de décès). Le nombre de décès attendu a été corrigé (att. corrigé) pour la sous-estimation d’Île-de-France.

Analyses de survie au sein de la cohorte

Les risques relatifs de décès toutes causes ont été comparés entre les groupes de métiers les plus longtemps exercés, en prenant comme référence le métier d’agent de maîtrise tertiaire (métiers administratifs). Pour cela, séparément pour les hommes et les femmes, un modèle de Cox utilisant l’âge comme axe du temps et prenant en compte la troncature à gauche a été estimé en ajustant sur le statut d’emploi et la période (1980-1984, 1985-1989, 1990-1994, 1995-1999, 2000-2004, 2005-2009, 2010-2012). L’hypothèse des risques proportionnels a été évaluée graphiquement à partir des résidus standardisés de Schoenfeld. Les métiers pour lesquels moins de 30 décès étaient observés ont été regroupés par CSP.

Le seuil de significativité a été fixé à 5% et toutes les analyses ont été réalisées à l’aide des logiciels SAS Enterprise guide® 8.1 et R Studio® 4.3.0. L’étude a bénéficié d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil, n° 902381v2).

Résultats

Description et suivi de la cohorte

La cohorte est composée de 96 634 agents (78 702 hommes et 17 932 femmes), dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau 1. Environ trois-quarts des agents sont entrés dans l’entreprise à partir de 1970 (71,7% des hommes et 77,8% des femmes). Au début du suivi, la majorité des agents étaient embauchés depuis tout juste un an (63,1% des hommes et 72,6% des femmes), alors que 28,3% des hommes et 22,2% des femmes avaient au moins 10 ans d’ancienneté. Les hommes ont été suivis en moyenne 21,1 années (écart-type, ET=10,9) et les femmes 20,2 années (ET=10,7). À la date de point (31 décembre 2012), 43,4% des hommes et 47,4% des femmes étaient toujours actifs à la RATP. Parmi les autres, 35,3% des hommes et 31,8% des femmes avaient quitté l’entreprise pour prendre leur retraite. L’âge moyen à la fin du suivi était de 53,0 ans (ET=15,9).

Tableau 1 : Caractéristiques des agents de la RATP ayant travaillé entre 1980 et 2012
Agrandir l'image

La très grande majorité des salariés (96,5% des hommes et 90,8% des femmes) étaient statutaires au sein de l’entreprise (dernier contrat). Parmi eux, 56 979 hommes (72,4%) et 11 802 femmes (65,8%) étaient présents dans le premier volet de l’étude (1980-1999). Les salariés contractuels avaient soit un contrat à durée indéterminée (1 228 hommes (1,5%) et 445 femmes (2,5%)), soit à durée déterminée (1 546 hommes (2,0%) et 1 199 femmes (6,7%)).

Chez les hommes, le métier de machiniste-receveur (conducteur de bus) était le plus fréquent, il a été exercé au moins une fois par 34 065 agents de la cohorte et comptait pour 675 860 personnes-années
(p-a). Chez les femmes, il s’agissait du métier d’agent de station avec un total de 202 711 p-a (8 933 agentes) (figure 1).

Figure 1 : Distribution selon le sexe des groupes de métiers exercés par les agents de la RATP ayant travaillé
entre 1980 et 2012
Agrandir l'image

Mortalité toutes causes

Les listes du personnel et des bénéficiaires d’une pension de retraite ont permis d’identifier respectivement 42 630 et 29 240 agents vivants au 31 décembre 2012. Parmi les autres, les recherches auprès du RNIPP ont révélé 11 466 décès chez les hommes (14,6%) et 1 174 décès chez les femmes (6,5%), soit 12 640 décès sur la période de suivi. Le statut vital est resté inconnu pour moins de 1% des agents (461 hommes et 232 femmes). Au total, 84,8% des hommes (n=66 775) et 92,2% des femmes (n=16 526) de la cohorte étaient considérés vivants au 31 décembre 2012.

La mortalité toutes causes était significativement inférieure à celle de la population francilienne.
Chez les hommes, une sous-mortalité globale de 6% était observée (SMR=0,94 [0,93-0,96], 11 466 obs.
vs 12 148 att.). Chez les femmes, elle était de 9% (0,91 [0,86-0,97], 1 174 obs. vs 1 288 att.). Chez les retraités, la mortalité n’était pas significativement différente de celle de la population francilienne (hommes : 1,00 [0,98-1,02], 8 513 obs. vs 8 500 att. ; femmes : 0,94 [0,88-1,01], 855 obs. vs 905 att.).

La comparaison de la mortalité chez les 30 ans et plus selon la CSP indiquait, chez les hommes de la RATP, une sous-mortalité significative de 11% pour les cadres (0,89 [0,84-0,95], 959 obs. vs 1 072 att.),
de 6% pour les agents de maîtrise (0,94 [0,90-0,98], 2 180 obs. vs 2 311 att.) et de 20% pour les ouvriers (0,80 [0,78-0,82], 6 053 obs. vs 7 598 att.) par rapport aux personnes de la même CSP au niveau national. En revanche, une surmortalité significative de 15% était observée pour les employés (1,15 [1,10-1,21], 1 720 obs. vs 1 496 att.). Chez les femmes, la mortalité n’était pas significativement différente de la population française pour les cadres, les agents de maîtrise et les ouvrières. Pour les employées, une surmortalité significative de 12% était constatée (1,12 [1,04-1,21], 719 obs. vs 641 att.).

Mortalité par cause de décès

La cause initiale de décès était inconnue chez 1,2% des décédés (137 hommes et 14 femmes). Les causes de décès les plus fréquentes chez les hommes comme chez les femmes étaient les tumeurs (environ 4 décès sur 10), les maladies de l’appareil circulatoire (environ 2 décès sur 10), les causes externes de mortalité (accident, suicide, etc.) (1 décès sur 10), les causes de décès inconnues/mal définies ou celles liées aux maladies de l’appareil digestif (moins de 1 décès sur 10).

Tous métiers confondus (tableau 2), une sous-mortalité par rapport à la population francilienne était observée pour plusieurs grandes causes de décès : maladies infectieuses et parasitaires, tumeurs malignes dans leur ensemble, maladies de l’appareil respiratoire, maladies de l’appareil génito-urinaire. Néanmoins, le cancer du rein (1,24 [1,03-1,48], 125 obs. vs 101 att.), les infarctus aigus du myocarde
(1,17 [1,08-1,26], 675 obs. vs 577 att.), les cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques (1,11 [1,01-1,21], 450 obs. vs 407 att.) ainsi que les suicides et lésions auto-infligées (1,20 [1,08‑1,32], 383 obs. vs 320 att.) étaient des causes de décès significativement en excès chez les hommes. L’excès de mortalité par suicide était observé chez les 60-69 ans (2,01 [1,56‑2,56], 67 obs. vs 33 att.) et les 70-79 ans (1,75 [1,22-2,42], 36 obs. vs 21 att.). Dans l’analyse de sensibilité réalisée sur les décès par suicide, un excès toujours statistiquement significatif était observé (1,15 [1,06‑1,25], 545 obs. corrigé vs 474 att. corrigé). Chez les femmes, une surmortalité significative par accidents de transport a été mise en évidence (1,85 [1,22-2,69], 27 obs. vs. 15 att.). Les résultats pour l’ensemble des causes initiales de décès sont présentés dans l’annexe 1.

Tableau 2 : Comparaison de la mortalité par cause de décès selon le sexe des agents ayant travaillé entre 1980 et 2012 à la RATP par rapport à celle de la population francilienne
Agrandir l'image

Dans les analyses par cause de décès et groupe de métiers (figure 2, annexe 2), aucune surmortalité significative chez les hommes cadres n’était observée. Parmi les métiers appartenant à la CSP des agents de maîtrise, deux causes étaient significativement en excès : les tumeurs malignes de la plèvre chez les agents de maîtrise maintenance (gestion managériale et programmation des activités de maintenance) et la maladie d’Alzheimer chez les agents de maîtrise exploitation (gestion managériale et programmation des activités de conduite).

Figure 2 : Comparaison, par cause de décès, et selon le groupe de métiers ayant été exercés, de la mortalité des hommes ayant travaillé à la RATP entre 1980 et 2012 par rapport à celle de la population francilienne
Agrandir l'image

Parmi les métiers appartenant à la CSP des employés, les agents de station présentaient une surmortalité significative par tumeur du larynx et tumeur du rein. Le diabète sucré était également une cause de mortalité significativement en excès. Les agents du tertiaire présentaient une surmortalité significative par tumeur du côlon, rectum et anus, par tumeur de la plèvre, ainsi que par diabète, infarctus du myocarde, et cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques. Chez les agents de contrôle, une surmortalité significative par tumeur du rein était observée. L’infarctus aigu du myocarde était significativement en excès chez les agents de sécurité.

Parmi les métiers appartenant à la CSP des ouvriers, les machinistes-receveurs (conducteurs de bus) présentaient un excès significatif de décès par tumeur de la prostate, infarctus du myocarde et suicide. Une surmortalité significative par tumeur de la plèvre, tumeur du rein et suicide était observée chez les ouvriers qualifiés de maintenance (groupe incluant notamment des mécaniciens et les poseurs de voie). Parmi ce groupe, les poseurs, régleurs, soudeurs présentaient une surmortalité significative par tumeur maligne, toutes localisations confondues ainsi que par maladies de l’appareil circulatoire et par accidents.

Les ouvriers non qualifiés de maintenance (ouvriers des ateliers de maintenance des matériels roulants) présentaient une surmortalité significative par tumeur maligne toutes localisations confondues et par tumeur de l’œsophage, tumeur de la trachée, des bronches et du poumon et tumeur de la prostate. Le diabète, l’abus d’alcool et les cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques étaient également des causes de décès significativement en excès, tout comme les maladies de l’appareil circulatoire, incluant les cardiopathies ischémiques et les maladies cérébrovasculaires.

Chez les agents de manœuvre et transport, la maladie d’Alzheimer et les cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques étaient deux causes de décès significativement supérieures à l’attendu. Les conducteurs réseau (métro ou RER) et les électroniciens/électrotechniciens présentaient une sous-mortalité significative pour plusieurs pathologies et aucune cause significativement en excès.

Chez les femmes, une surmortalité significative par accidents, en particulier accidents de transport (1,48 [1,08-1,96], 47 obs. vs 32 att.) était observée chez les agentes de station. Les machinistes-receveuses (conductrices de bus) présentaient un excès de mortalité significatif par accident de transport (1,73 [1,06-2,67], 20 obs. vs 12 att.) et par maladies cérébrovasculaires (1,85 [1,23-2,68], 28 obs. vs 15 att.). Les analyses n’ont pas mis en évidence de surmortalité statistiquement significative pour les autres groupes de métiers.

Comparaison relative du risque de décès par métier

Les résultats du modèle de Cox indiquent un risque de décès significativement plus faible chez les cadres (risque relatif, RR= 0,69 [0,60-0,78]) et les agents de maîtrise exploitation (0,75 [0,66-0,86]) par rapport aux agents de maîtrise tertiaire (métiers administratifs pris comme référence) (figure 3). Parmi les ouvriers, le risque relatif de décès était significativement plus élevé chez les machinistes-receveurs (1,17 [1,06-1,30]), les ouvriers qualifiés de maintenance (1,23 [1,11-1,37]), les conducteurs de véhicule léger ou poids lourd (1,41 [1,09-1,81]), les agents manœuvres et transport (1,50 [1,33-1,69]) et les ouvriers non qualifiés de maintenance avant 65 ans (2,39 [2,09-2,73]) et après 65 ans (1,39 [1,19-1,62]) (divisé selon l’âge en raison de l’hypothèse des risques proportionnels). Parmi les employés, les agents de station (1,68 [1,49-1,90]) et de gare (1,54 [1,31-1,80]) présentaient un risque de décès significativement plus élevé que les agents de maîtrise tertiaires, tout comme les agents tertiaires avant 65 ans (2,44 [2,07-2,89]).

Chez les femmes, en comparaison à celles ayant été le plus longtemps agentes de maîtrise tertiaire,
un risque accru de décès statistiquement significatif est observé pour celles ayant été le plus longtemps agentes tertiaires (1,47 [1,13-1,91]), de station (1,51 [1,23-1,85]) ou machinistes-receveuses (1,56 [1,24-1,97]).

Figure 3 : Risques de décès toutes causes selon le groupe de métiers le plus longtemps exercés par les agents de la RATP entre 1980 et 2012 selon le sexe
Agrandir l'image

Discussion

Dans le cadre d’un suivi épidémiologique de plus de 30 ans de l’ensemble des personnes ayant travaillé à la RATP entre 1980 et 2012, soit plus de 95 000 personnes, une mortalité plus faible statistiquement significative en comparaison à celle des habitants franciliens est observée, en lien avec l’effet du travailleur sain classiquement observé dans les études de mortalité conduites auprès de travailleurs. Certaines causes de décès sont observées en excès : chez les hommes, il s’agit des cardiopathies ischémiques, du cancer du rein, des cirrhoses et du suicide ; chez les femmes, des accidents de transports. Les analyses par groupe de métiers montrent des risques de décès plus élevés dans certains groupes de métiers (tels que les ouvriers non qualifiés de maintenance, les agents de gare ou de station) par rapport aux agents tertiaires de l’entreprise. Des causes de surmortalité sont également observées parmi les agents ayant exercé certains groupes de métiers (notamment les tumeurs de la plèvre parmi les ouvriers qualifiés de la maintenance ou les cardiopathies ischémiques parmi les conducteurs de bus, les agents de sécurité et les ouvriers non qualifiés de la maintenance).

Gradient social de mortalité au sein de la RATP

Un gradient social est fréquemment observé dans les études de mortalité au niveau national 6 et dans d’autres entreprises en France 7. Dans les comparaisons externes de mortalité tenant compte de la CSP, une sous-mortalité statistiquement significative est observée chez les hommes pour toutes les CSP, sauf pour celle des employés où une surmortalité est observée. Ce résultat se voit également chez les femmes employées. Cette différence peut tenir au fait que certains postes appartenant à la catégorie des employés, en particulier les agents tertiaires et les agents de station, sont en partie occupés par des salariés à la suite d’un reclassement pour raison médicale. De plus, les agents de station (métro) et les agents des gares (RER) – nombreux compte tenu de la spécificité de l’activité de la RATP – sont classés comme employés par la RATP, alors que des métiers similaires dans d’autres structures peuvent être classés – et être considérés dans les données de référence – comme des ouvriers (code 655a de la nomenclature professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) « autres agents et ouvriers qualifiés (sédentaires) des services d’exploitation des transports »). Ainsi, si la comparaison externe par CSP permet de tenir compte partiellement des différences de comportements de santé entre les CSP 8, elle présente la limite que les résultats peuvent s’expliquer par une composition différente des métiers de la catégorie dans l’entreprise par rapport aux données de référence. En outre, pour ces analyses, les taux de mortalité de France hexagonale, et non d’Île-de-France, ont été utilisés, en raison de la non-disponibilité des taux par CSP par région.

Le risque augmenté de décès toutes causes des agents tertiaires (métiers administratifs) de moins de 65 ans, peut se comprendre par le fait que ce groupe de métiers inclut des postes d’appel au reclassement pour inaptitude médicale au travail (par exemple, en reprographie, au courrier ou à l’accueil), donc qu’il inclut une proportion plus importante de personnes en moins bon état de santé. Pour les autres métiers où un risque de décès plus élevé est observé, ces analyses soulignent la particularité de ces populations pour lesquelles plusieurs déterminants de santé, qu’ils soient professionnels ou non, doivent intervenir. Sans pouvoir émettre d’hypothèses spécifiques compte tenu des données disponibles, ces résultats appellent à renforcer les actions existantes 9 de prévention globales auprès de ces groupes dans une démarche d’« aller-vers » afin de réduire les inégalités observées.

Causes de décès en excès dans la cohorte

Observé lors de l’analyse sur la période 1980-1999 1, un excès statistiquement significatif de cardiopathies ischémiques (code CIM-10 I20 à I25), d’un ordre de grandeur similaire, reste observé sur la période 1980-2012. La spécificité des conducteurs de bus vis-à-vis du risque cardiovasculaire a été observée dans d’autres études épidémiologiques 10,11,12. Un excès de décès par maladies cardiovasculaires a également été observé parmi des salariés de la maintenance de voies de chemin de fer aux États-Unis 13. Les facteurs de risque professionnels de cardiopathies ischémiques sont le stress au travail, le travail posté, le déséquilibre de la balance effort-récompense, les longues heures de travail, l’insécurité vis-à-vis de son emploi et le bruit au travail 14,15. Ces facteurs pouvant interagir de façon indépendante ou non avec les facteurs de risque non professionnels de cardiopathies ischémiques que sont l’âge, la consommation de tabac, l’obésité abdominale, les anomalies lipidiques, l’hypertension, la consommation d’alcool, l’absence de consommation de fruits ou de légumes, le manque d’exercice, et le diabète 16. Sans exclure le rôle de ces facteurs dans cette population, dans l’enquête Sumer 2017, une plus grande proportion des conducteurs de véhicules franciliens déclaraient être exposés à des nuisances sonores (62% vs 23%), des comportements hostiles (31% vs 17%), un manque de reconnaissance (62% vs 54%) et de fortes tensions psychosociales (forte demande psychologique et faible latitude décisionnelle) (22% vs 20%) par rapport à l’ensemble des salariés franciliens 17. Par ailleurs, compte tenu des connaissances entre mortalité cardiovasculaire – dont les cardiopathies ischémiques – et pollution atmosphérique 18, cette nuisance peut également intervenir. Dans l’attente d’investiguer et d’expliquer les motifs de cet excès au niveau de la population, le service de prévention et de santé au travail de la RATP a proposé un protocole spécifique aux machinistes-receveurs (conducteurs de bus) lors de leur visite périodique avec un suivi cardiorespiratoire renforcé.

L’excès de décès par tumeurs malignes de la plèvre (CIM-10 C384, C450, C459) observé dans deux métiers de la maintenance (ouvrier qualifié de la maintenance et agent de maîtrise de maintenance) se comprend par une exposition à l’amiante qui a existé dans les ateliers notamment par la présence de fibre minérale dans les plaquettes de frein et les boîtes d’embrayage de bus (pour les ouvriers de la maintenance du réseau bus), dans les revêtements d’insonorisation des caisses de voiture des trains (pour les ouvriers de la maintenance du réseau ferré) et dans des colles amiantées (pour les ouvriers des équipements et systèmes des espaces).

Concernant l’excès de décès par cancer du parenchyme rénal (code CIM-10 C64) observé dans la cohorte, il ne peut pas être expliqué par l’augmentation de l’incidence décrite en France pour cette pathologie 19 car les indicateurs sont standardisés sur l’année. Aucun excès significatif de décès pour cette cause n’avait été observé lors la précédente analyse sur la période 1980-1999 (SMR=1,06 [0,78‑1,41]) 1. Ceci peut s’expliquer par le fait que lors des précédentes analyses plus de 70% des hommes avaient moins de 60 ans en 1999 et que les âges médians au diagnostic et au décès associés aux tumeurs du rein sont respectivement de 68 ans et 74 ans 19. En plus de l’âge et du sexe masculin, les principaux facteurs de risque non génétiques avérés pour le cancer du rein sont le tabagisme, l’obésité, l’hypertension et l’exposition à des produits de type solvants 20. Le tabagisme ne semble pas une hypothèse pertinente pour comprendre l’excès observé car aucun excès de décès par cancer du poumon n’est observé dans la cohorte, alors que le tabagisme est plus fortement associé à cette pathologie qu’au cancer du rein (risque de décès par cancer du poumon 21,3 fois plus élevé chez les fumeurs actuels en comparaison aux non-fumeurs vs risque de décès 2,5 fois plus élevé pour le cancer du rein 21). La consommation d’alcool ne semble pas non plus une hypothèse pertinente car les résultats concernant son association avec le cancer du rein sont contradictoires et une association inverse a même été rapportée dans une méta-analyse de 24 études 20. Si une exposition au trichloréthylène utilisé dans certains secteurs de la maintenance entre 1973 et 1989 pourrait expliquer l’excès de décès par cancer du rein parmi les ouvriers qualifiés de maintenance, comme cela a été observé parmi des salariés de la maintenance de rail aux États-Unis 13, cette hypothèse semble peu pertinente pour les agents de station ou les agents de contrôle où une surmortalité pour cette cause est aussi observée. Des travaux complémentaires sont nécessaires pour essayer de comprendre l’excès observé dans ces deux populations.

Concernant l’excès de décès par cirrhoses, fibroses et hépatites chroniques (code CIM-10 K70, K73-K74), compte tenu de l’importance du rôle de l’alcool dans la cirrhose 22 et de l’observation d’un excès de décès par troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool (code CIM-10 F10) parmi les ouvriers non qualifiés, les actions visant à sensibiliser sur les risques des addictions dont l’alcool sur la santé doivent être poursuivies.

L’analyse de sensibilité permet d’exclure le fait que l’excès de suicide (code CIM-10 X60-X84, Y87.0) observé puisse être expliqué par les différences régionales de taux de suicide. L’interprétation de cet excès est néanmoins délicate car le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel 23. Le rôle du travail dans sa survenue est hétérogène avec un rôle potentiellement aggravant via la charge de travail importante ou le harcèlement au travail par exemple, mais aussi un rôle protecteur via le soutien entre collègues 24. Concernant l’excès observé chez les machinistes-receveurs, dans le mesure où les comportements hostiles des usagers sont la première cause d’inaptitude dans ce groupe, et compte tenu des connaissances épidémiologiques 25, on peut faire l’hypothèse que les violences constituent un élément à prendre en compte dans la survenue de syndromes dépressifs et/ou de conduites suicidaires.

Parmi les agentes de la RATP, l’excès de décès par accident de transport (code CIM-10 V01-V99, Y85), notamment pour celles ayant été machinistes-receveuses, incite à renforcer la prévention des risques d’accident de la circulation auprès de cette population spécifique. Pour l’excès observé parmi les agentes de station, on peut faire l’hypothèse qu’il est lié à la venue plus fréquente sur le lieu de travail avec un véhicule individuel (transports collectifs fermés) pendant des heures de nuit (ouverture et fermeture des stations) par rapport à la moyenne des salariées franciliennes. Pour ces deux populations, le travail en 3x8 (par tranche de 8 heures) peut avoir joué un rôle et incite à renforcer la prévention des accidents de la route auprès des salariés ayant des horaires décalés.

Avantages et limites

L’archivage des données de l’entreprise a permis d’identifier tous les agents éligibles. Les informations sur les statuts vitaux et causes de décès ont été obtenues pour 99% d’entre eux, assurant une validité interne élevée de l’étude. Une autre force est l’utilisation des données des certificats de décès qui permet d’obtenir une information médicale et standardisée pour des évènements de santé de nature variée (cancer, accident, suicide, etc.).

L’effet du travailleur sain (healthy worker effect) connu dans les cohortes professionnelles est observé dans cette étude avec une sous-mortalité globale statistiquement significative chez les hommes (-6%) et chez les femmes (-9%) par rapport à la population francilienne. Même s’il s’est amoindri avec l’augmentation du suivi et le vieillissement de la cohorte (-12% chez les hommes dans le premier volet de l’étude), il reste présent et tend, dans les comparaisons à la population française, à sous-estimer les excès de mortalité et à ne pas permettre de mettre en évidence des excès de décès d’amplitude modérée.

Les données des ressources humaines ont permis d’attribuer un métier à la majorité des agents (94,5%), les métiers indéterminés correspondant aux données les plus anciennes. Pour cette étude, lorsque la disponibilité de l’information le permettait, les données professionnelles de gestion (et non de paie comme lors du premier volet) ont été privilégiées, car elles étaient plus proches de l’activité effectivement exercée par l’agent, par exemple à la suite d’un reclassement. La mise en place d’un nouveau système de gestion des ressources humaines en 2008 avec une nomenclature interne actualisée a pu engendrer quelques erreurs dans la classification des épisodes de carrière sur la période la plus récente, mais de façon similaire pour tous les agents. Enfin, en raison de la classification des métiers en 22 groupes, il peut exister des métiers ou des environnements professionnels particuliers, peu fréquents et caractérisés par une mortalité spécifique que l’étude n’a pas mis en évidence. De même, cette dernière ne rend pas compte de conditions de travail qui seraient caractérisées par une mortalité spécifique limitée à une courte période. Et elle ne permet pas d’apporter des connaissances associées aux nouvelles conditions de travail qui seraient apparues dans l’entreprise depuis 2012.

Comme pour le premier volet, l’Île-de-France a été choisie comme population de référence pour la majorité des analyses, dans la mesure où les activités de la RATP se situent sur le territoire francilien et que la très grande majorité du personnel actif habite cette région (92% en septembre 2007, près de 93% en décembre 2018, source service du personnel). Néanmoins, cette proportion diminue avec le passage à la retraite : les retraités étaient 48% à toujours y résider à la fin de l’année 1 et 47% des décédés de 55 ans ou plus entre 2000 et 2012 résidaient en Île-de-France (données de mortalité de la cohorte). Ceci peut biaiser les estimations de SMR pour les causes de décès pour lesquelles les taux de mortalité franciliens diffèrent de ceux des autres régions. Néanmoins, l’analyse de sensibilité réalisée pour les suicides, pour lesquels une forte différence régionale est documentée 5, montre que ce n’est pas de nature à expliquer l’excès observé.

Les différences de comportements de santé (tabagisme, consommation d’alcool, activité physique, etc.) pouvant exister entre les agents de la RATP et la population francilienne, et entre les agents de la RATP, ne sont pas pris en compte dans les analyses, notamment en raison de l’absence de ce type de données. Néanmoins, cette absence ne remet pas en cause les excès observés. Les profils de mortalité décrits sont suffisants à eux seuls pour orienter la mise en place d’actions de prévention au regard des connaissances sur les différentes pathologies. Compte tenu du rapprochement entre la santé au travail et la santé publique, l’employeur peut avec l’aide de son service de prévention et de santé au travail proposer des interventions sur les facteurs professionnels et non professionnels connus pour les événements de santé observés en excès dans l’étude.

Conclusion

La description de la mortalité à l’échelle de l’entreprise en incluant l’ensemble des agents permet au service de prévention et de santé au travail de la RATP et aux acteurs de la prévention des risques professionnels de l’entreprise de disposer d’un panorama objectif de l’état de santé des salariés via la mortalité. Des études de morbidité sont prévues par le service de prévention et de santé au travail pour compléter ce panorama et une nouvelle convention de partenariat, signée en janvier 2024 entre la RATP et Santé publique France, comprend l’extension de la description de la mortalité jusqu’en 2022. Sans pouvoir émettre de nouvelles hypothèses spécifiques, les résultats de l’étude incitent dès à présent à renforcer les actions existantes limitant l’exposition au bruit, aux situations de stress, aux violences au travail et aux horaires décalés, et de mieux identifier les travailleurs les plus exposés à ces nuisances dans une démarche « d’aller-vers » afin de réduire les inégalités observées. Les actions de prévention des addictions et des facteurs de risque cardiovasculaires mises en place par le service de prévention et de santé au travail sont à continuer (sommeil, activité physique, nutrition). Les différentes actions de prévention étant interconnectées, l’approche holistique sur différentes thématiques – déjà mise en œuvre dans l’entreprise 9 – doit être poursuivie. Cela conforte dans l’entreprise la démarche de rapprochement entre la santé au travail et la santé publique. Plus largement, les résultats de l’étude apportent des informations épidémiologiques sur les métiers de conducteur de bus, de conducteur de métro et d’ouvriers de la maintenance.

Remerciements

Les auteurs remercient toutes les personnes qui ont participé à la mise en place de la cohorte et notamment la direction de la RATP. Ils remercient le service des ressources humaines pour sa contribution au recueil des données de carrière et les services de la CRP (caisse de retraite du personnel RATP) pour leur contribution à la détermination des statuts vitaux des salariés retraités. Ils remercient le Dr Valérie Jouannique, médecin coordonnateur du service de prévention et de santé au travail de la RATP pour sa contribution scientifique.

Liens d’intérêts

Cette étude a été conduite sous la responsabilité scientifique du médecin du travail dont l’indépendance technique est encadrée réglementairement par l’article L4622-4 du code du travail. En l’espèce, l’indépendance a été garantie dans la méthodologie et la conduite de l’étude, aussi bien concernant le protocole que les analyses et leurs interprétations.

Financement

Le financement de l’étude (ressources humaines, matériel, locaux, récupération des statuts vitaux et des causes de décès) a été assuré par le département des ressources humaines de la RATP.

Références

1 Campagna D, Ihaddadene K, Randon A, Mattei N, Marchand JL, Le Naour C, et al. Analyse de la mortalité des agents et ex-agents de la RATP sur la période 1980-1999. Cohorte EDGAR. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2008. 24 p. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/analyse-de-la-mortalite-des-agents-et-ex-agents-de-la-ratp-sur-la-pe​riode-1980-1999.-cohorte-edgar
2 Eurostat. Liste européenne succincte pour les causes de décès. 2012. https://ec.europa.eu/eurostat/web/meta
data/classifications
3 Marchand JL. Décompte des personnes-années avec SAS et calculs de SMR : présentation d’un programme simple pour faire des calculs de façon exacte. Rev Épidémiol Santé Publique. 2010;58(5):370-4.
4 Institut national de la statistique et des études économiques. Les inégalités sociales face à la mort. Tables de mortalité par catégorie sociale et par diplôme. 2016. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893092?sommaire=
1893101
5 Aouba A, Péquignot F, Camelin L, Jougla E. Évaluation de la qualité et amélioration de la connaissance des données de mortalité par suicide en France métropolitaine, 2006. Bull Épidémiol Hebd. 2011;(47-48):497-500. https://www.santepub​liquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/sui​cides-et-tenta​tives-de-suicide/documents/article/evaluation-de-la-qualite-et-amelioration-de-la-connaissance-des-donnees-de-mor​talite-par-suicide-en-france-metropolitaine-2006
6 Blanpain N. Les hommes cadres vivent toujours 6 ans de plus que les hommes ouvriers. Insee première. 2016;1584:1-4. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908110
7 Moisan F, Schwaab Y, Rabet G, Dourlat T, Guidez B, Kindel M, et al. Mortalité des salariés et anciens salariés de la branche industrielle d’Air France entre 1968 et 2007. Bull Épidémiol Hebd. 2019;(2):25-33. http://beh.sante
publique​france.fr/beh/2019/2/2019_2_2.html
8 Stringhini S, Sabia S, Shipley M, Brunner E, Nabi H, Kivimaki M, et al. Association of socioeconomic position with health behaviors and mortality. JAMA. 2010;303(12):1159-66.
9 RATP : « Donner aux salariés des clés pour devenir acteurs de leur propre santé ». La Santé en Action. 2023;463:31-3. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/ratp-donner-aux-salaries-des-cles-pour-devenir-acteurs-de-leur-propre-sante-interview
10 Michaels D, Zoloth SR. Mortality among urban bus drivers. Int J Epidemiol. 1991;20(2):399-404.
11 Paradis G, Theriault G, Tremblay C. Mortality in a historical cohort of bus drivers. Int J Epidemiol. 1989;18(2):397-402.
12 Tüchsen F, Andersen O, Costa G, Filakti H, Marmot MG. Occupation and ischemic heart disease in the European community: A comparative study of occupations at potential high risk. Am J Ind Med. 1996;30(4):407-14.
13 Goldsmith DF, Barlet G. Proportionate mortality study of unionized maintenance of way railroad workers. Occup Med. 2021;71(1):41-7.
14 Moretti Anfossi C, Ahumada Muñoz M, Tobar Fredes C, Pérez Rojas F, Ross J, Head J, et al. Work exposures and development of cardiovascular diseases: A systematic review. Ann Work Expo Health. 2022;66(6):698-713.
15 Li J, Landsbergis P, Sembajwe G, Descatha A, Siegrist J. Comments to Moretti Anfossi et al.’s (2022) “Work exposures and development of cardiovascular diseases: A systematic review”: What is current scientific consensus? Ann Work Expo Health. 2022;66(6):822-4.
16 Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S, Dans T, Avezum A, Lanas F, et al. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): Case-control study. Lancet. 2004;364(9438):937-52.
17 Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France. Expositions aux risques professionnels – J3Z – Les conducteurs de véhicules. Aubervilliers: DRIEETS ; 2021. 14 p. https://idf.drieets.gouv.fr/Les-expositions-aux-risques-professionnels-en-Ile-de-France-19-familles
18 de Bont J, Jaganathan S, Dahlquist M, Persson Å, Stafoggia M, Ljungman P. Ambient air pollution and cardiovascular diseases: An umbrella review of systematic reviews and meta-analyses. J Intern Med. 2022;291(6):779-800.
19 Defossez G, Le Guyader-Peyrou S, Uhry Z, Grosclaude P, Colonna M, Dantony E, et al. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018 – Volume 1. Tumeurs solides : Étude à partir des registres des cancers du réseau Francim. Saint-Maurice: Santé publique France; 2019. 372 p. https://www.santepublique​france.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-nationales-de-l-in​cidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropoli​taine-entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud
20 Bukavina L, Bensalah K, Bray F, Carlo M, Challacombe B, Karam JA, et al. Epidemiology of renal cell carcinoma: 2022 Update. Eur Urol. 2022;82(5):529-42.
21 Ezzati M, Henley SJ, Lopez AD, Thun MJ. Role of smoking in global and regional cancer epidemiology: current patterns and data needs. Int J Cancer. 2005;116(6):963-71.
22 Huang DQ, Terrault NA, Tacke F, Gluud LL, Arrese M, Bugianesi E, et al. Global epidemiology of cirrhosis – aetiology, trends and predictions. Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2023;20(6):388-98.
23 Fazel S, Runeson B. Suicide. N Engl J Med. 2020;382(3):266-74.
24 Greiner BA, Arensman E. The role of work in suicidal behavior – uncovering priorities for research and prevention. Scand J Work Environ Health. 2022;48(6):419-24.
25 Magnusson Hanson LL, Pentti J, Nordentoft M, Xu T, Rugulies R, Madsen IEH, et al. Association of workplace violence and bullying with later suicide risk: A multicohort study and meta-analysis of published data. Lancet Public Health. 2023;8(7):e494-503.

Citer cet article

Méthy N, Moisan F, Debatisse A. Mortalité des agents et ex-agents de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) entre 1980 et 2012. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(13):267-83. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/13/​2024_13_2.html
Annexe 1 : Comparaison de la mortalité par cause de décès selon le sexe des agents ayant travaillé entre 1980 et 2012 à la RATP par rapport à celle de la population francilienne
Agrandir l'image
Annexe 2 : Comparaison, par cause de décès, et selon le groupe de métiers ayant été exercés, de la mortalité des hommes ayant travaillé à la RATP entre 1980 et 2012 par rapport à celle de la population francilienne
Agrandir l'image
Annexe 2 (suite)
Agrandir l'image