Mortalité des salariés et anciens salariés de la branche industrielle d’Air France entre 1968 et 2007
// Mortality study of employees and former employees of the Air France industrial branch between 1968 and 2007
Résumé
Objectifs –
Dans le cadre de la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique à l’échelle de la branche industrielle d’Air France, les objectifs ont été (i) d’analyser les causes de décès des salariés en comparaison à la population générale française, et (ii) de comparer la mortalité des salariés selon leurs caractéristiques professionnelles.
Méthodes –
À partir des fichiers du personnel, tous les salariés en activité au moins 365 jours entre 1968 et 2007 ont été identifiés, ainsi que leur catégorie professionnelle (agent, technicien, maîtrise, cadre) et leur métier. Après obtention du statut vital et de la cause initiale de décès, la mortalité globale et par cause a été comparée à celle de la population générale française en calculant des ratios standardisés de mortalité (SMR) et leurs intervalles de confiance à 95% [IC95%]. Le risque relatif (RR) de décès et son IC95% en fonction de la catégorie professionnelle et du métier a été estimé à l’aide de modèles de Cox.
Résultats –
Le suivi de la mortalité des 22 299 hommes et 1 978 femmes de l’étude a identifié 4 371 décès (4 222 chez les hommes et 149 chez les femmes). Une sous-mortalité est observée par rapport à la population générale (SMR=0,77 chez les hommes et SMR=0,75 chez les femmes). En revanche, un excès de décès par mélanome malin de 70% est observé chez les hommes (SMR=1,70 [1,08-2,55] ; 23 décès observés contre 14 attendus). L’analyse de la survie montre que 50% des individus étaient encore vivants à l’âge de 80 ans. Un gradient social de mortalité est observé, avec un risque de décès plus élevé pour les personnes ayant travaillé le plus longtemps en tant qu’agent par rapport aux cadres (RR=1,50 [1,33-1,68]).
Conclusion –
Mettre en œuvre une démarche épidémiologique à l’échelle d’une entreprise est possible et utile. Cela permet à l’entreprise de disposer de données quantifiées et objectives sur l’état de santé de ses salariés. L’identification dans notre étude d’un risque de décès par mélanome malin plus élevé chez les hommes a entraîné la mise en place d’actions de prévention spécifiques (sensibilisation au risque solaire, journées de dépistage).
Abstract
Objectives –
As part of the epidemiological surveillance system in the maintenance repair and overhaul branch of Air France, the objectives were (i) to analyze the causes of death of employees in comparison with the general French population, and (ii) to compare the mortality of employees according to their occupational characteristics.
Methods –
Using administrative files of the company, all employees who worked at least 365 consecutive days between 1968 and 2007 were identified, as well as their socio-professional category (operator, technician, supervisor and executive) and their occupation. After obtaining vital status and the initial cause of death, we compared the overall and cause-specific mortality to that of the general French population by computing standardized mortality ratios (SMR) and their 95% confidence intervals [95%CI]. We estimated the hazard risk (HR) of death and its 95%CI according to professional category and occupation groups using Cox models.
Results –
Mortality follow-up of 22,299 men and 1,978 women resulted in 4,371 deaths (4,222 in men and 149 in women). A lower mortality is observed compared to the general population (SMR=0.77 in men and SMR=0.75 in women). In contrast, an excess of death for malignant melanoma of the skin of 70% is observed in men (SMR=1.70 [1.08-2.55], 23 deaths vs 14 expected). The survival analysis shows that 50% of individuals were still alive at 80 years-old. However, a social gradient in mortality is observed with a higher risk of death for those who worked the longest as an operator compared to the executives (HR=1.50 [1.33-1.68]).
Conclusion –
Developing epidemiological study at company level is possible and useful. This allows companies to quantify the health of their employees. The identification in our study of a higher risk of death for malignant melanoma in men led to specific prevention actions (solar risk awareness, screening program).
Introduction
Les activités d’entretien, de maintenance et de réparation des avions regroupent les métiers de technicien aéronautique mécanicien ou électronicien, d’agent d’ingénierie, de logisticien, de tractiste, de magasinier, de chaudronnier, de peintres, etc. Ces activités peuvent être associées à l’utilisation de produits chimiques comme les solvants chlorés utilisés comme dégraissant, ou les chromates comme agents anticorrosion dans les peintures, mastics et vernis 1. Par ailleurs, les travailleurs de ce secteur peuvent aussi être concernés par des contraintes physiques (port de charge, bruit, contraintes posturales lors d’intervention dans l’avion) et des contraintes organisationnelles (horaires décalés).
Peu de données épidémiologiques existent sur les travailleurs de la maintenance aéronautique ou ceux travaillant dans la fabrication d’avions 2,3,4,5,6. Néanmoins, certaines études ont observé des excès de décès par cardiopathies ischémiques 3, cancers des os 3, mélanomes 4 ou cancers du sein 6.
Dans ce contexte épidémiologique et suite à la survenue d’un cas de cancer hématologique chez une personne travaillant en zone aéroportuaire reconnu en maladie professionnelle, la branche industrielle d’Air France – et particulièrement son service de santé au travail – a réalisé, en partenariat avec Santé publique France (Institut de veille sanitaire à l’époque), une description épidémiologique de la santé de ses salariés et anciens salariés.
Dans le cadre de la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique, les objectifs de l’étude ont été (i) de comparer la mortalité des salariés de la branche industrielle d’Air France à celle de la population française entre 1968 et 2007, et (ii) d’analyser la mortalité des salariés selon leurs caractéristiques professionnelles.
Population et méthode
Reconstitution de la cohorte
La population d’étude correspond à l’ensemble des salariés actifs au moins 365 jours consécutifs entre le 01/01/1968 et le 31/12/2007. Ils ont été identifiés à partir des fichiers du personnel comprenant les historiques de carrière de l’ensemble des salariés (n=29 573). Après exclusion des personnes ayant travaillé moins de 365 jours (n=3 983), de celles n’ayant pas travaillé après le 01/01/1968 (n=1 227) et de celles présentant des données manquantes ou incohérentes (n=86), la population d’étude comprenait 24 277 personnes.
Données de mortalité
Une recherche des statuts vitaux a été effectuée auprès du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2009 (décret n° 98-37). Pour les personnes décédées, la cause initiale du décès a été obtenue auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Les causes de décès sont définies à partir des informations renseignées sur les certificats de décès 7. Elles ont été regroupées en utilisant la liste européenne à 65 modalités (version de 1998) 8 modifiée, en séparant, d’une part, les tumeurs malignes du larynx et les tumeurs malignes de la trachée, des bronches et du poumon et en ajoutant, d’autre part, les tumeurs malignes de la plèvre et les leucémies.
Cette recherche a permis d’identifier tous les décès – et leur cause – survenus jusqu’au 31 décembre 2007 chez l’ensemble des personnes, y compris celles ayant quitté l’entreprise (retraite ou autre motif).
Données professionnelles
Les informations professionnelles comprenaient la date d’entrée dans l’entreprise et dans la branche industrielle, ainsi qu’un historique des affectations comprenant pour chacune d’elle : la date de début et de fin, la catégorie professionnelle et le métier exercé. Ces informations ont permis de définir, pour chaque individu et de façon dynamique au cours du temps, (i) le statut d’emploi (actif dans l’entreprise, retraité, sorti de l’entreprise pour une autre raison que la retraite) ; (ii) la catégorie professionnelle des salariés en activité (agent, technicien, maîtrise, cadre) et (iii) le métier exercé. Les métiers présentant des conditions de travail similaires ont été regroupés, aboutissant à la définition de 34 groupes de métiers. Seuls les 20 groupes de métiers les plus fréquents, représentant 97% des personnes-années de la cohorte, ont été individualisés dans cette étude ; les autres ont été regroupés dans une catégorie « autres groupes de métiers ». Pour décrire la cohorte, la catégorie professionnelle (ou le groupe de métiers) exercée au début du suivi a d’abord été utilisée. Puis, pour les analyses, la catégorie professionnelle (ou le groupe de métiers) la plus longtemps occupée dans la branche industrielle d’Air France a été privilégiée car elle permet − avec une classification mutuellement exclusive des personnes-années − de résumer l’information professionnelle en considérant les changements d’affectation au cours de la carrière de l’individu. Pour chaque catégorie professionnelle (ou groupe de métiers), l’âge médian de début et de fin d’affectation a été calculé, ainsi que la durée médiane d’affectation. À noter que pour un individu, la catégorie professionnelle (ou le groupe de métiers) la plus longtemps exercée peut être différente de celle du début du suivi, et qu’au cours de sa carrière un individu a pu avoir plusieurs catégories professionnelles (ou groupes de métiers) les plus longtemps exercées.
Stratégie d’analyse
Les analyses ont d’abord comparé la mortalité globale et par cause à celle de la population générale française en calculant des ratios standardisés de mortalité (SMR) et leurs intervalles de confiance à 95% [IC95%] en tenant compte de l’âge et de l’année 9. Le nombre de décès attendus a été calculé en utilisant les taux de mortalité toutes causes et par cause à partir des données du CépiDc. Les comparaisons ont été effectuées séparément suivant le sexe, et des analyses complémentaires par statut d’emploi ont été réalisées.
Les probabilités de survie (tous sexes confondus) en fonction de l’âge ont été décrites pour les différentes catégories professionnelles les plus longtemps exercées (agent, technicien, maîtrise, cadre), à l’aide d’un modèle de Cox utilisant l’âge comme axe du temps et la méthode par processus de comptage prenant en compte la troncature à gauche 10. Les risques relatifs (RR) de décès toutes causes et leur IC95% ont été estimés suivant la catégorie professionnelle la plus longtemps exercée à l’aide d’un modèle de Cox similaire au précédent, en ajustant en plus sur le sexe, la période (1968-1979, 1980-1989, 1990-1999, 2000-2007) et le statut d’emploi. L’hypothèse des risques proportionnels a été évaluée à partir des résidus standardisés de Schoenfeld. L’association entre le risque de décès et la catégorie professionnelle a été évaluée en testant l’égalité des risques relatifs pour cette variable à l’exclusion de la modalité inconnue.
De plus, chez les hommes, les risques de décès toutes causes en fonction des groupes de métiers les plus longtemps exercés ont été comparés, en prenant comme référence les métiers administratifs sans relation avec la production. Le modèle décrit ci-dessus a été utilisé, en ajoutant l’information sur le métier et en ajustant sur la catégorie professionnelle la plus longtemps exercée.
Au vu des résultats, un focus a été réalisé pour étudier le risque de décès par mélanome malin de la peau en fonction de la catégorie professionnelle la plus longtemps exercée. Compte tenu du nombre plus faible d’évènements, il n’a pas été possible d’étudier l’effet du métier ou de conduire les analyses chez les femmes. Le même modèle que ci-dessus a été estimé en utilisant comme évènement d’intérêt le décès par mélanome malin de la peau et les autres causes de décès comme une censure (approche cause-spécifique 11).
Résultats
Description de la cohorte
Les caractéristiques de la cohorte sont présentées dans le tableau 1. Elle comprend 91% d’hommes (22 299 hommes et 1 978 femmes).
Les hommes sont entrés dans la cohorte en moyenne à l’âge de 32 ans (écart-type=10 ans), principalement en tant qu’agent (n=15 538 ; 70%). La majorité des salariés ont intégré la branche industrielle après 1970 (n=14 690 ; 66%) et 70% d’entre eux (n=15 598) ont intégré l’étude dès leur embauche dans l’entreprise. Le suivi moyen est de 24 ans (écart-type=11 ans).
Les groupes de métiers les plus fréquents chez les hommes au début du suivi sont : les ouvriers spécialisés (n=3 404 ; 15%), les personnels administratifs en relation avec la production (n=2 961 ; 13%), les personnels de la mécanique travaillant directement sur les avions (n=2 869 ; 13%) et les personnels administratifs sans relation avec la production (n=2 229 ; 10%). Les médianes d’âges au début et à la fin d’emploi dans les différentes catégories professionnelles ou groupes de métiers les plus longtemps exercés sont présentées dans le tableau 2. Par exemple, les hommes ayant exercé le plus longtemps en tant qu’ouvriers spécialisés ont commencé, en médiane, à l’âge de 28 ans et ont quitté ce groupe de métiers à 38 ans.
Mortalité observée
On recense 4 371 décès entre 1968 et 2007 (4 222 chez les hommes et 149 chez les femmes ; tableau 3). La cause de décès était informative dans 91% des cas (n=3 960). Les tumeurs malignes représentaient la première cause de mortalité (1 décès sur 3) devant les maladies cardiovasculaires (1 sur 4) et les causes externes de blessure et d’empoisonnement (1 sur 13).
Comparaison de la mortalité à la population française
Le nombre de décès observé est significativement inférieur à celui attendu (hommes : SMR=0,77 ; femmes : SMR=0,75 ; tableau 3). Cette sousmortalité est également observée parmi les hommes retraités (SMR=0,80 [0,77-0,84] ; 2 649 décès observés contre 3 295 attendus). Des nombres de décès inférieurs aux nombres attendus sont observés chez les hommes pour la plupart des causes de décès : tumeurs malignes (SMR=0,83), maladies de l’appareil circulatoire (SMR=0,76), maladies de l’appareil digestif (SMR=0,67), causes externes (SMR=0,54). Aucun excès de décès par leucémie n’est observé (SMR=0,89). Cependant, un excès de décès par mélanome malin de la peau de 70% statistiquement significatif est observé chez les hommes (SMR=1,70 [1,08-2,55] ; 23 décès observés contre 14 attendus ; tableau 3). Chez les femmes, aucun excès statistiquement significatif n’est observé.
Survie suivant la catégorie professionnelle
Avant 40 ans, la survie est similaire et supérieure à 98% pour toutes les catégories professionnelles (figure 1). Entre 40 et 90 ans, la survie est plus faible pour les individus ayant été le plus longtemps agent par rapport à ceux ayant été technicien, maîtrise ou cadre ; la moitié des individus étaient toujours vivants aux âges de 80 ans, 83 ans, 82 ans et 84 ans pour chaque catégorie respectivement. Les RR de décès sont différents suivant la catégorie professionnelle (p<0,001). Par rapport aux cadres, les risques de décès sont plus élevés pour ceux ayant été le plus longtemps agent (RR=1,50 [1,33-1,68]), technicien (RR=1,11 [1,00-1,35]) ou maîtrise (RR=1,16 [1,00-1,35]).
L’analyse du risque de décès par mélanome malin de la peau ne met en pas évidence d’effets différents suivant la catégorie professionnelle (p=0,174).
Comparaison de la mortalité suivant le métier exercé
En comparaison aux personnels administratifs sans relation avec la production, des risques de décès significativement plus élevés sont observés pour quatre groupes de métiers (figure 2) : les ouvriers spécialisés (RR=1,57 [1,39-1,78]), les peintres/décapeurs (RR=1,49 [1,09-2,03]), les personnels en charge de l’électronique sur les avions (RR=1,32 [1,03-1,70]) et les personnels de la logistique (RR=1,30 [1,10-1,52]).
Discussion
Le suivi de la mortalité sur une période de 40 ans des salariés et anciens salariés de la branche industrielle d’Air France montre une sous-mortalité toutes causes par rapport à la population générale française. Cette sous-mortalité s’observe pour plusieurs causes de décès, dont les leucémies ; cependant, un excès de décès par mélanome malin est noté. Même si 50% des agents étaient encore vivants à l’âge de 80 ans, un gradient social de mortalité est observé dans l’entreprise, avec une survie plus faible des agents par rapport aux cadres. Enfin, certains groupes de métiers sont caractérisés par un risque de décès plus élevé (ouvriers spécialisés, peintres/décapeurs, personnels en charge de l’électronique sur les avions, personnels de la logistique) par rapport aux salariés administratifs de l’entreprise.
Sous-mortalité globale
La sous-mortalité globale par rapport à la population générale est une observation habituelle des études de cohortes professionnelles. Elle s’explique par les différents phénomènes de sélection appelés « effets du travailleur en bonne santé », notamment ceux liés à l’accès à l’emploi 12.
Excès de décès par mélanome malin de la peau
L’excès de décès par mélanome malin est un résultat original de notre étude. Parmi les cinq études s’intéressant à la mortalité de travailleurs de la fabrication ou de la maintenance aéronautique 2,4,5,6,13, une seule étude italienne rapporte un résultat similaire 4. En revanche, la survenue de mélanomes chez le personnel navigant est davantage documentée, et une méta-analyse de 19 études retrouve une incidence respectivement 2,4 fois et 1,9 fois plus élevée de mélanome chez les hommes et les femmes par rapport à la population générale 14. Les raisons de cette incidence plus élevée restent discutées, certains auteurs évoquant le rôle de l’exposition aux rayonnements ionisants ou une exposition plus importante au soleil pendant les loisirs.
Notre résultat suggère une incidence plus élevée de mélanome malin parmi les salariés, suggérant la présence d’un facteur de risque pour ce cancer. Les facteurs de risque du mélanome sont multiples et incluent le type de peau, le nombre de grains de beauté, les antécédents familiaux de mélanome, les coups de soleil durant l’enfance, l’exposition aux rayonnements ultraviolets 15,16. Ce dernier élément fait que l’exposition au soleil lors de travaux en extérieur représente le principal facteur de risque professionnel du mélanome malin 17. Le faible nombre de décès observés pour cette pathologie n’a pas permis de comparer les risques de décès en fonction des métiers ; en revanche, même si on ne peut pas totalement l’écarter en raison de la puissance limitée de l’analyse, l’observation de risques de décès similaires quelles que soient les catégories professionnelles n’est pas en faveur d’une composante professionnelle forte. En l’absence de données sur les facteurs de risque cités précédemment, nous n’avons pas pu décrire leur distribution dans notre étude et, par conséquent, expliquer l’excès observé.
Quelle qu’en soit la cause, l’entreprise a mis en place, dès la connaissance de ces résultats en 2009, des mesures de prévention au bénéfice de ses salariés : sensibilisation au risque solaire par les médecins du travail lors des visites périodiques, campagne annuelle par la mutuelle Air France avec plusieurs journées d’information et de dépistage, comprenant des consultations dermatologiques sur les sites de production.
Gradient social de mortalité
Les différences de mortalité suivant la catégorie professionnelle, notamment une survie médiane inférieure de 4 ans des agents par rapport aux cadres, sont moins marquées dans la branche industrielle d’Air France que dans l’ensemble de la population française, où l’Insee observe que les hommes ouvriers ont une espérance de vie inférieure en moyenne de 6 ans par rapport aux hommes cadres 18. Les déterminants de ces disparités comprennent des facteurs socioéconomiques (éducation, revenu, conditions de travail, etc.) et aussi des comportements de santé individuels ou liés au groupe social. Une disparité moins forte dans l’entreprise entre les catégories professionnelles pour ces déterminants pourrait expliquer le résultat observé.
Le service de santé au travail a décrit les possibles expositions professionnelles au cours du temps des groupes de métiers présentant des risques de décès plus élevés. Il en résulte que (i) les ouvriers spécialisés ont pu être professionnellement exposés à l’aluminium, aux chromates, aux gaz d’échappement et au kérosène ; (ii) les peintres/décapeurs à des agents chimiques dangereux, aux solvants aliphatiques, aux chromates, aux horaires décalés et à une activité physique intense ; (iii) les personnels en charge de l’électronique sur les avions à l’aluminium, aux contraintes de temps, aux horaires décalés et à une activité physique intense ; (iv) les personnels de la logistique aux gaz d’échappement. Cependant, ces expositions sont également retrouvées dans d’autres groupes de métiers et il n’a pas été possible d’étudier leurs associations avec le risque de décès, notamment en raison de la difficile évaluation rétrospective des expositions. Même sans en comprendre les déterminants, l’identification de groupes de métiers avec des risques de décès plus élevés permet au service de santé de l’entreprise de renforcer le suivi médical des personnes exerçant ou ayant exercé ces métiers.
Limites
Une limite de ce système de surveillance est que seule la mortalité est analysée, ce qui ne donne qu’une vision partielle de la santé de cette population. L’étude ne renseigne pas sur les problématiques de santé non létales. Pour le mélanome malin, s’il est correctement renseigné sur les certificats de décès 19, la bonne survie pour cette pathologie (survie nette à 15 ans variant de 71% à 84% en fonction de l’âge 20) implique que les taux de mortalité ne permettent pas de quantifier la survenue de cette pathologie dans la cohorte.
Compte tenu des effets du travailleur en bonne santé, qui tendent à sous-estimer les effets potentiels des facteurs professionnels quand la population générale est utilisée comme référence, on ne peut pas exclure l’existence d’autres risques spécifiques de décès parmi le personnel de la branche industrielle.
La définition de groupes de métiers, en raison des faibles effectifs de la cohorte, limite l’étude de fonctions spécifiques, comme par exemple les assistants de maintenance et les mastiqueurs, qui sont regroupés parmi les ouvriers spécialisés.
Sans information sur les carrières professionnelles hors d’Air France, on ne peut pas exclure le rôle d’expositions professionnelles hors de l’entreprise. Cependant, cet impact est vraisemblablement limité car l’âge à l’entrée dans l’entreprise était jeune (25 ans en médiane) et 58% des salariés ayant quitté l’entreprise étaient partis pour leur retraite.
Certaines analyses, notamment chez les femmes, ont été limitées en raison des effectifs faibles. Néanmoins, la cohorte est exhaustive du personnel et les faibles effectifs féminins reflètent la réalité de l’entreprise.
Enfin, les données sont anciennes et l’étude ne permet pas de renseigner l’état de la santé de la branche industrielle après 2007.
Conclusion
Avec une période d’étude de 40 ans, ce travail donne une description détaillée de la mortalité des salariés de la branche industrielle d’Air France, même après leur départ à la retraite. En s’équipant d’un système de surveillance épidémiologique, l’entreprise a pu répondre à une interrogation initiale concernant la survenue de cancers hématologiques en ne mettant pas en évidence d’excès de décès pour ces pathologies. La force de l’approche populationnelle a permis d’identifier un risque spécifique pour le mélanome malin dans cette population, risque difficile à mettre en évidence uniquement lors du suivi médical individuel réalisé par le service de santé au travail compte tenu de la rareté de l’évènement.
Mettre en œuvre une démarche épidémiologique à l’échelle d’une entreprise est possible et utile. C’est un outil complémentaire de l’expertise du service de santé au travail. Cette démarche permet à l’entreprise de disposer de données quantifiées et objectives sur l’état de santé de ses salariés et d’identifier des actions à mener pour préserver leur santé. L’identification dans notre étude d’un risque de décès pour le mélanome malin a entraîné, dès 2009, la réalisation d’actions de prévention spécifiques (sensibilisation au risque solaire, journées de dépistage). La mise à jour dans le temps des indicateurs permettra d’en évaluer l’efficacité.
Références
nomenclatures/index.cfm?TargetUrl=LST_NOM_DTL&StrNom=COD_1998&StrLanguageCode=EN&IntPcKey=&
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publiquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV12817
Citer cet article
france.fr/beh/2019/2/2019_2_2.html