Surveillance des arboviroses en France métropolitaine : nette augmentation des cas de dengue autochtone en 2022

// Arboviruses surveillance in mainland France: Significant increase in the number of autochthonous dengue cases in 2022

Clémentine Calba1 (clementine.calba@santepubliquefrance.fr), Amandine Cochet2, Frédéric Jourdain2, Gilda Grard3,4, Guillaume André Durand3,4, Anne Guinard5, Lucie Fournier6, Alexia Barbry7, Anaïs Soares7, Laura Verdurme8, Benoit Visseaux8, Marie-Claire Paty6, Florian Franke1
1 Santé publique France-Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, Marseille
2 Santé publique France-Occitanie, Montpellier
3 Institut de recherche biomédicale des armées, Centre national de référence des arbovirus, Marseille
4 Unité des virus émergents (UVE) Aix-Marseille Univ-IRD 190-Inserm 1207, Marseille
5 Santé publique France-Occitanie, Toulouse
6 Santé publique France, Saint-Maurice
7 Laboratoire Eurofins-Biomnis, Lyon
8 Laboratoire Cerba, Saint-Ouen l’Aumône

Les travaux présentés dans cet article ont fait l’objet d’une première publication présentant le bilan provisoire des épisodes de transmission de dengue autochtone en France métropolitaine : Cochet A, Calba C, Jourdain F, Grard G, Durand GA, Guinard A, et al. Autochthonous dengue in mainland France, 2022: Geographical extension and incidence increase. Euro Surveill. 2022;27(44):2200818.
Soumis le 15.03.2023 // Date of submission: 03.15.2023
Mots-clés : Aedes albopictus | Moustique tigre | Dengue autochtone | Surveillance épidémiologique | France métropolitaine
Keywords: Aedes albopictus | Tiger mosquito | Autochthonous dengue | Epidemiological surveillance | Mainland France

Résumé

Le moustique Aedes albopictus, implanté en France métropolitaine depuis 2004, ne cesse d’accroître son aire de répartition. Pour limiter le risque de transmission autochtone des arbovirus qu’il peut transmettre (dengue, chikungunya et Zika), une surveillance des cas, importés et autochtones, est mise en place depuis 2006.

La surveillance repose sur la déclaration obligatoire des cas documentés biologiquement. Elle est renforcée entre mai et novembre notamment par l’analyse de données de laboratoires permettant d’identifier les cas non déclarés et oriente l’application de mesures de contrôle (lutte anti-vectorielle).

En 2022, 378 cas importés de dengue, 23 de chikungunya et six de Zika ont été notifiés en France métropolitaine. Neuf épisodes de transmission autochtone de dengue totalisant 66 cas ont été documentés : cinq épisodes en Occitanie (12 cas), trois en Provence-Alpes-Côte d’Azur (52 cas) et un en Corse (deux cas). Six de ces épisodes sont survenus dans des départements où aucun cas autochtone n’avait été rapporté auparavant.

La survenue de cas de dengue autochtone est dorénavant un phénomène attendu dans le sud de la France mais la situation a été exceptionnelle en 2022 : augmentation du nombre d’épisodes, de leur intensité et des zones géographiques concernées. La multiplication des épisodes et l’extension de leur distribution géographique pourraient mettre en péril la viabilité du dispositif. Le maintien de la capacité à limiter la transmission autochtone des arboviroses nécessite l’implication soutenue des acteurs de la surveillance, de la prévention et du contrôle, une attention aux ressources nécessaires au dispositif et l’anticipation de foyers plus importants.

Abstract

Aedes albopictus mosquito, which has been established in mainland France since 2004, is constantly expanding its geographical distribution. To limit the risk of autochthonous transmission of arboviruses by this vector (dengue, chikungunya and Zika), surveillance of imported and autochthonous cases is implemented since 2006.

Surveillance is based on the mandatory notification of biologically documented cases. It is strengthened during the period of vector activity (May-November) by monitoring laboratory data to identify unreported cases and by the application of control measures (vector control) around cases.

In 2022, 378 imported cases of dengue, 23 of chikungunya and six of Zika were notified in mainland France. Nine episodes of autochthonous dengue transmission totalling 66 cases were documented: five episodes in Occitanie (12 cases), three in Provence-Alpes-Côte d’Azur (52 cases) and one in Corsica (two cases). Six episodes occurred in departments where no autochthonous cases had been notified to date. The largest episode involved 35 cases.

Autochthonous dengue transmission is now expected in the south of France, but the epidemiological situation was exceptional in 2022: an increase in the number of episodes, their intensity and the geographical areas affected. The multiplication of episodes and the extension of affected geographical areas may threaten the system’s viability. Maintaining the capacity to limit autochthonous transmission requires the sustained involvement of stakeholders in surveillance, prevention and control, the consideration of the resources devoted to the system and the anticipation of larger outbreaks.

Introduction

La dengue est une maladie due à un arbovirus, le virus de la dengue, appartenant au genre Flavivirus. Il s’agit de l’arbovirose la plus fréquente et la plus répandue dans le monde 1. Cette maladie est transmise de personne à personne par l’intermédiaire de moustiques du genre Aedes (Ae. aegypti et Ae. albopictus notamment). En France métropolitaine, le moustique tigre (Ae. albopictus) a fait son apparition en 2004 dans les Alpes-Maritimes, à la frontière avec l’Italie 2. Depuis, son aire de répartition sur le territoire métropolitain n’a cessé d’augmenter, phénomène également observé aux niveaux européen et mondial 3. Au 1er janvier 2022, il était considéré comme implanté et actif dans 67 des 96 départements métropolitains (1).

L’implantation de ce vecteur expose au risque de transmission autochtone du virus de la dengue, du chikungunya et du Zika, à partir de personnes infectées de retour de zones de transmission, notamment la zone intertropicale où ils sont endémo-épidémiques. Sa progression sur le territoire augmente chaque année le risque de transmission. Afin de limiter ce risque, un dispositif de surveillance de ces trois arboviroses est mis en place depuis 2006. Il permet le déclenchement des mesures de lutte anti-vectorielle (LAV) appropriées autour des cas. Ce dispositif a permis de documenter différents épisodes de transmission autochtone en France métropolitaine, les premiers datant de 2010 2. L’année 2022 a été marquée par une augmentation du nombre d’épisodes, de leur intensité et une extension des zones géographiques affectées 4.

Cet article dresse le bilan consolidé des épisodes de transmission autochtone de dengue identifiés en en 2022. Il présente la synthèse des cas importés identifiés dans le cadre de la surveillance.

Matériel et méthodes

Surveillance épidémiologique

Le dispositif de surveillance de la dengue, du chikungunya et du Zika est basé sur la déclaration obligatoire (DO) des cas documentés biologiquement, probables et confirmés, qu’ils soient importés ou autochtones (tableau 1). Cette surveillance est mise en place toute l’année sur l’ensemble du territoire métropolitain.

La surveillance est renforcée pendant la période estimée d’activité du vecteur, du 1er mai au 30 novembre, considérée comme la période à risque de transmission locale 5. En début de saison, les agences régionales de santé (ARS) en lien avec les équipes de Santé publique France sensibilisent les professionnels de santé au diagnostic et au signalement des cas. Un dispositif de transfert automatisé des résultats des laboratoires Eurofins Biomnis et Cerba, réalisant les diagnostics biologiques pour ces trois pathologies, vient compléter cette surveillance. L’objectif est d’identifier des cas qui n’auraient pas été signalés par les professionnels de santé via la DO (« rattrapage laboratoire »).

Les objectifs de cette surveillance sont d’identifier précocement les cas, importés et autochtones, afin de mettre en place immédiatement les interventions permettant de prévenir ou limiter une transmission sur le territoire métropolitain. Pendant la période de surveillance renforcée, des investigations épidémiologiques et entomologiques spécifiques et des mesures de LAV sont mises en place autour des cas. La survenue de cas autochtone déclenche des mesures de sécurisation des produits du corps humain.

Tableau 1 : Définitions de cas pour la surveillance de la dengue, du chikungunya et du Zika en France métropolitaine
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Modalités de diagnostic

Les modalités de diagnostic de la dengue, du chikungunya et du Zika, varient selon le délai entre la date de début des symptômes des cas et la date de prélèvement. Les tests biologiques à réaliser dépendent de la cinétique de la virémie et des anticorps : la recherche de l’ARN viral peut être réalisée par RT-PCR pendant la période de virémie pouvant débuter deux jours avant les premiers signes cliniques et se poursuivre jusqu’à sept jours après, tandis que la recherche des anticorps IgM et IgG pourra être réalisée par sérologie à partir du cinquième jour après le début des signes cliniques. Il est donc recommandé d’effectuer ces deux types de tests sur la période de cinq à sept jours après les premiers signes. Pour la dengue, un test de détection de l’antigène NS1 sérique peut être réalisé jusqu’au septième jour après le début de la maladie. Sa sensibilité est sérotype dépendant, souvent inférieure à celle de la RT-PCR en début de virémie, mais d’excellente valeur prédictive positive permettant de confirmer les cas dont la virémie serait déjà passée sous le seuil de détection. Pour le Zika, il est aussi conseillé de réaliser une RT-PCR sur les urines dans les 10 jours qui suivent les premiers symptômes. Il est également recommandé de rechercher simultanément les trois infections en raison de symptomatologies souvent peu différentiables et d’une répartition géographique superposable de ces arbovirus (région intertropicale).

Investigations et mesures de contrôle autour des cas importés

Les cas importés signalés au cours de la période de surveillance renforcée sont contactés afin d’identifier les lieux fréquentés pendant leur période de virémie, période au cours de laquelle un vecteur peut s’infecter par le biais d’une piqûre. Ces lieux sont ensuite transmis aux opérateurs de démoustication qui réalisent des prospections afin de déterminer si le vecteur est présent et de mettre en place les mesures de LAV adaptées (i.e. traitements larvicides et/ou traitements adulticides, destruction mécanique des gîtes larvaires). Les prospections et les traitements sont réalisés dans un rayon de 150 mètres autour de l’adresse considérée, distance de déplacement communément admise pour un Ae. albopictus adulte 6. Les mesures de prévention sont rappelées aux patients, à savoir l’importance de se protéger des piqûres, notamment par l’utilisation de répulsifs cutanés, et de limiter ses déplacements pendant la période de virémie.

Investigations et mesures de contrôle autour des cas autochtones

Les premiers cas autochtones sont systématiquement validés par le Centre national de référence (CNR) des arbovirus. Ils font l’objet d’investigations spécifiques avec, en complément du recensement des lieux de passage en période de virémie, la recherche des lieux de contamination possibles. Cela implique l’identification des déplacements pendant la période maximale d’incubation estimée à 15 jours tout comme la recherche de cas dans l’entourage des patients. Les mesures de LAV autour des cas autochtones sont renforcées avec la mise en place de deux traitements adulticides dans une zone élargie à 200 mètres, au lieu d’un traitement pour les cas importés. Les mesures de prévention sont les mêmes que pour les cas importés et sont rappelées aux patients.

Des investigations épidémiologiques sont réalisées afin d’identifier le cas primaire importé à l’origine de la transmission et d’éventuels autres cas autochtones. Une recherche dans les bases de données de la surveillance épidémiologique est réalisée afin d’identifier les cas importés ayant fréquenté la zone et pouvant être à l’origine de la transmission. Une recherche active de cas est mise en place via des enquêtes porte-à-porte dans un rayon de 150 à 250 mètres dans les zones de circulation suspectées. Les cas cliniquement suspects sont interrogés et font l’objet d’un prélèvement sanguin sur papier buvard, ou reçoivent une ordonnance pour effectuer un prélèvement en laboratoire s’il n’est pas réalisable. Les mesures de prévention sont expliquées à la population rencontrée au cours de ces enquêtes. Cette recherche active est complétée par la sensibilisation renforcée des professionnels de santé des secteurs identifiés comme à risque et d’une sensibilisation de la population. Des mesures de sécurisation des dons de sang et d’organes, tissus et cellules sont également appliquées selon les recommandations du groupe de travail Sécurité des éléments et produits du corps humains (Secproch) du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 7.

Résultats

Cas importés identifiés pendant la période de surveillance renforcée 2022

En 2022, 378 cas importés de dengue, 23 de chikungunya et six de Zika ont été notifiés. Parmi ces cas, 285 (75%) cas de dengue ont été identifiés entre le 1er mai et le 30 novembre, ainsi que l’ensemble des cas de chikungunya et de Zika. La majorité de ces cas (53%) ont été déclarés par des professionnels de santé, les autres (47%) ont été identifiés par le rattrapage laboratoire. Les cas de dengue étaient principalement importés de Cuba (n=77), d’Inde (n=25) et d’Indonésie (n=24). Les cas de chikungunya revenaient principalement d’Indonésie (n=9) et du Brésil (n=6), les cas de Zika de Thaïlande (n=4), du Cameroun (n=1) et du Sri Lanka (n=1).

Les taux de notification des cas importés de dengue étaient les plus élevés dans les régions Occitanie (8,4/1 000 000 habitants), Provence-Alpes-Côte d’Azur (7,0/1 000 000) et Île-de-France (6,7/1 000 000) (figure), représentant respectivement 51, 36 et 83 cas.

Figure : Taux de notification pour 1 000 000 d’habitants des cas importés de dengue, chikungunya et Zika déclarés dans chaque région de France métropolitaine, mai-novembre 2022
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Cas autochtones identifiés pendant la période de surveillance renforcée 2022

En 2022, 9 épisodes de transmission de dengue autochtone ont été identifiés en France métropolitaine (tableau 2). Ils sont survenus dans les régions Occitanie (n=5), Provence-Alpes-Côte d’Azur (n=3) et Corse (n=1) et 6 d’entre eux dans des départements où aucun cas autochtone n’avait été identifié jusqu’à présent. Ils comptabilisaient entre 1 et 35 cas, l’épisode de plus grande ampleur étant survenu dans les communes limitrophes de Saint-Jeannet et de Gattières (Provence-Alpes-Côte d’Azur), avec respectivement 24 et 11 cas appartenant à une même chaîne de transmission. En Occitanie, 1 épisode totalisant 4 cas comprenait également 2 zones de circulation dans les communes d’Andrest et de Rabastens-de-Bigorre, localisées à moins de 10 km de distance.

Tableau 2 : Principales caractéristiques des épisodes de transmission de dengue autochtone identifiés en France métropolitaine en 2022 (n=9)
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Le cas primaire importé, probablement à l’origine de la transmission, a été identifié pour 2 des 9 épisodes : personne de retour de l’île de La Réunion pour le foyer d’Andrest/Rabastens-de-Bigorre (Occitanie), identifiée par le rattrapage laboratoire, et de République démocratique du Congo pour le foyer de la Salvetat-Saint-Gilles, identifiée au cours de l’enquête porte-à-porte. Tous deux avaient été diagnostiqués biologiquement, mais aucun n’avait été signalé par un professionnel de santé.

Le sérotype de la dengue a pu être identifié pour 8 épisodes : il s’agissait du sérotype 3 (DENV-3) pour 5 d’entre eux et du sérotype 1 (DENV-1) pour 3 autres. Les souches de 7 épisodes ont pu être séquencées par le CNR des arbovirus : toutes étaient significativement différentes, confirmant donc des introductions distinctes.

Les dates de début des signes cliniques des cas étaient comprises entre le 12 juin et le 22 septembre. Le cas index autochtone a été signalé par un professionnel de santé pour 6 de ces épisodes et identifié par le rattrapage laboratoire pour les 3 autres. La majorité de ces épisodes (8/9) sont survenus en zone péri-urbaine (zone urbaine pour un épisode) où l’habitat était principalement individuel pavillonnaire (7/9).

Au total, 66 cas autochtones de dengue ont été identifiés : 54 cas confirmés, 9 cas probables et 3 cas épidémiologiques. Les cas ont principalement été signalés par des professionnels de santé (48,5%). Les autres cas ont été identifiés au cours des enquêtes porte-à-porte (30,3%), par l’interrogatoire d’autres cas (12,1%) ou par le rattrapage laboratoire (9,1%).

Il s’agissait de 37 hommes et de 29 femmes (sex-ratio homme/femme : 1,3), âgés de 5 à 89 ans (âge médian de 55 ans, écart interquartile, EI: [29-66]). Tous les cas étaient symptomatiques, les principaux signes cliniques décrits étaient de la fièvre (98,5%), une asthénie (78,8%), des céphalées (75,8%), des myalgies (63,6%) et des arthralgies (62,1%) (tableau 3). Parmi les autres signes cliniques déclarés, la majorité se rapportait à des troubles digestifs (nausées, diarrhées, vomissements), tous accompagnés de fièvre. Deux cas ont été hospitalisés, aucune forme sévère ou décès n’ont été signalés.

Tableau 3 : Description des signes cliniques déclarés par les cas autochtones de dengue identifiés en France métropolitaine en 2022 (n=66)
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Prospections entomologiques et lutte anti-vectorielle

Au total, 92 prospections ont été réalisées autour des cas autochtones de dengue identifiés en 2022 : 33 en Occitanie, 50 en Provence-Alpes-Côte d’Azur et 9 en Corse. Ces prospections ont entraîné la réalisation de 110 traitements adulticides : 29 en Occitanie, 79 en Provence-Alpes-Côte d’Azur et 2 en Corse.

Discussion

La survenue de cas de dengue autochtone n’est pas un phénomène inattendu dans le sud de la France du fait de l’historique de colonisation par Ae. albopictus et de l’identification de plusieurs épisodes de transmission autochtone depuis 2010 8. Malgré tout, la situation épidémiologique vis-à-vis de la dengue en France métropolitaine a été exceptionnelle en 2022.

Les transmissions autochtones ont été plus intenses avec un nombre élevé d’épisodes et de cas identifiés : le nombre de cas autochtones de dengue recensés pour la seule année 2022 est supérieur au nombre total de cas identifiés sur l’ensemble de la période 2010-2021 (66 cas versus 48) 4. Le nombre de cas rattachés à chaque épisode était également plus important, avec notamment le plus grand épisode de transmission autochtone de la dengue documenté sur le continent européen qui comptabilise un total de 35 cas. Ces augmentations s’inscrivent dans un contexte où le nombre de cas importés de dengue pendant la période de surveillance renforcée en 2022 était du même ordre de grandeur qu’en 2021 (164 cas), mais plus faible qu’en 2020 (834 cas) et 2019 (657), années épidémiques de dengue dans certains territoires d’outre-mer. De nouvelles zones géographiques ont été concernées avec la survenue de six des neuf épisodes dans des départements où aucun cas autochtone n’avait été identifié auparavant, dans le sud-ouest de la France et en Corse. La transmission a été plus précoce avec deux cas ayant présenté des signes cliniques en juin contre le mois de juillet pour les cas identifiés le plus précocement jusqu’à présent. Enfin, il s’agit de la première transmission documentée du sérotype 3 sur le territoire métropolitain.

Les facteurs favorisant une transmission vectorielle sont multiples, mais concernent principalement les interactions entre les populations de vecteurs, les souches virales introduites sur le territoire et l’environnement de manière générale 9. Les conditions environnementales ont un impact majeur sur l’efficacité de la transmission vectorielle, sur les densités de vecteurs tout comme sur l’interaction hôte-vecteur 10. Le printemps et l’été ont été particulièrement chauds en 2022 11, favorisant l’activité du vecteur et l’efficacité de la transmission de la dengue 12. La compatibilité entre la souche virale et le vecteur joue également un rôle primordial dans la transmission. L’identification d’un nombre important d’épisodes impliquant le DENV-3 est inhabituelle. Si elle est en partie liée à l’épidémiologie mondiale, certaines des souches responsables d’épisodes importants, comme celui de Saint-Jeannet et Gattières, pourraient être plus adaptées à notre vecteur. La caractérisation génomique des souches ainsi que des études de compétences vectorielles pourraient venir conforter cette hypothèse.

La surveillance mise en place en métropole depuis 2006 s’avère sensible et efficace : la France a détecté 28 des 35 épisodes de transmission de dengue autochtone sur le continent européen. En 2022, elle est la seule avec l’Espagne, où un épisode de six cas a été identifié tardivement (2), à avoir détecté des cas autochtones de dengue. Cette sensibilité ne doit pas masquer un manque d’exhaustivité dans l’identification des cas importés et possiblement de certaines transmissions autochtones spontanément résolutives. En 2022, les deux cas primaires importés identifiés n’avaient pas été déclarés par les professionnels de santé. Pour les sept autres épisodes, l’absence d’identification de cas primaire peut également être liée à une absence de signalement ou de diagnostic par le professionnel de santé, mais aussi à l’absence de recours aux soins de la personne malade. Un biais d’identification peut être aussi dû à des prescriptions biologiques inadaptées. Les formes asymptomatiques ou pauci-symptomatiques, plus importantes pour les flavivirus dont la dengue, rendent impossible une exhaustivité de l’identification des personnes virémiques au retour de zone de transmission. Les définitions de cas proposées dans le cadre de cette surveillance sont établies pour des formes classiques de dengue, de chikungunya et de Zika et limitent l’identification de formes atypiques.

Les mesures de contrôle mises en place lors de l’identification de cas ont permis jusqu’à présent de contribuer à limiter la taille des transmissions autochtones. La recherche active de cas déployée pour chaque épisode de transmission autochtone semble efficace, comme le montrent les résultats des enquêtes de séroprévalence conduites en 2015 et 2019 qui n’ont permis d’identifier qu’un seul cas autochtone supplémentaire 13,14.

Toutefois, les épisodes de 2022 ont mis le dispositif en tension en Provence-Alpes-Côte d’Azur, que ce soit pour la recherche active de cas ou pour les traitements de LAV. Afin de préserver nos capacités à limiter la transmission autochtone, il est indispensable de maintenir voire de renforcer l’implication des différents acteurs dans ce dispositif. La population doit être mieux sensibilisée à l’importance des gestes de prévention des piqûres de moustiques et de lutte contre les gîtes larvaires, et à consulter un professionnel de santé en cas de syndrome pseudo-grippal, en l’absence de signes respiratoires, notamment à la suite d’un test Covid-19 négatif, au retour de zones de transmission. Les professionnels de santé doivent être mieux informés du risque de transmission autochtone de la dengue, du chikungunya et du Zika. Même en Occitanie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, régions historiquement concernées par la surveillance, où les taux de notification des cas importés sont les plus élevés, des limites ont été identifiées. Les modalités de diagnostic, de signalements et de déclaration obligatoire des cas doivent être rappelées à ces acteurs en première ligne, et cela sur l’ensemble du territoire métropolitain. La mobilisation sociale de la population et une meilleure implication des collectivités territoriales sont aussi des facteurs de succès dans la lutte contre le vecteur.

Les modalités de surveillance pourraient être complétées dans un avenir proche. La mise en place d’une base de données nationale de l’ensemble des résultats biologiques permettrait de disposer de l’exhaustivité des analyses diagnostiques et de consolider le réseau de laboratoires partenaires. Le développement des analyses génomiques apporterait des informations très utiles aux investigations, notamment autour des épisodes autochtones. La faisabilité et la pertinence d’une surveillance de la présence des arbovirus, dont la dengue, dans les eaux usées pourrait également étudiée.

Des recherches complémentaires restent nécessaires pour mieux caractériser les déterminants climatiques, socio-économiques et environnementaux des transmissions autochtones d’arboviroses telles que la dengue et de leur extension. Le risque épidémique en métropole doit quant à lui être anticipé par la définition de stratégies de surveillance épidémiologique et de contrôle adaptées, et des modalités de déploiement et de coordination des moyens à mobiliser.

Groupe d’investigation des cas autochtones 2022

Michèle Auzet-Caillaud, Catherine Aventini, Alice Borel, Christiane Bruel, Anne Decoppet, Maurin Gossa, Mounira Krouk, Chloé Laboureyras, Alexia Mazza, Marie Mihoubi, Alexandra Muriel, Françoise Peloux-Petiot, Clément Piétin, Jérôme Raibaut, Laurent Saintillan, Camille Schmitt, Monique Travanut, Camille Vassal, Patricia Albert, Léa Bulmanski-Then, Cédric Cahuzac, Laura Catala, Aline Cot, Pierre-Marie Creton, Angélique Dubois, Jean Sébastien Dehecq, Isabelle Estève-Moussion, Fanny Gaillard, Christine Giraud, Olivier Glass, Vincent Lagarde, Aurélie Larrose, Catherine Lecerf, Radia Ould Larabi, Blandine Maes, Guylaine Peiffer, Christine Rico, Isabelle Rouvié-Laurie, Nicolas Roux, Giselle Santana, Nicolas Sauthier, Sarah Sellami, Stéphane Wagner, Betty Zumbo, Estelle Balle, Lauranne Coiplet, Stéphanie Gaucher, Gabriel Leccia, Delphine Morel, Fabienne Jouanthoua, Lorène Belkadi, Oriane Broustal, Cécile Durand, Damien Mouly, Gabriel Yubero, Adeline Riondel, Leila Bekheira, David Kelly, Isabelle Mertens-Rondelart, Miguel-Angel Sanchez-Ruiz, Yvan Souares, Nathan Yanwou, Thibaut Durand, Anne Ovize, Bénédicte Roquebert, Jean-Michel Mansuy, Catherine Haudecoeur, Hugues Aumaître, Lionel Chanaud, Grégory L’Ambert, Yves-Marie Kervella, Guillaume Lacour, Antoine Mignotte, Charles Tizon, Anthony Biancarelli, Jean-Luc Maestracci, Barthélémy Pompa, Jean-Baptiste Santoni.

Remerciements

Nous remercions tous les personnels des ARS, de Santé publique France, des laboratoires hospitaliers et extrahospitaliers, et les médecins qui ont collaboré et participé activement à la surveillance du chikungunya, de la dengue et du Zika et aux investigations des épisodes de transmission autochtone. Nous remercions également tous les acteurs de la lutte anti-vectorielle qui ont été particulièrement sollicités et ont joué un rôle majeur dans la gestion des épisodes de transmission autochtone, ainsi que les personnes qui ont été contactées au cours des investigations et les élus locaux pour leur collaboration tout au long de l’été.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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2 Franke F, Giron S, Cochet A, Jeannin C, Leparc-Goffart I, de Valk H. Émergences de dengue et de chikungunya en France métropolitaine, 2010-2018. Bull Épidémiol Hebd. 2019;19(20):374-82. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/19-20/2019_19-20_2.html
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14 Giron S, Noël H, Franke F, Durand G, Ortu G, Decoppet A, etal. Première transmission vectorielle du virus Zika en Europe : enquête de séroprévalence pour étudier l’étendue de l’émergence dans le Var en novembre 2019. Bull Épidémiol Hebd. 2020;(22):456-62. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/22/2020_22_2.html

Citer cet article

Calba C, Cochet A, Jourdain F, Grard G, Durand GA, Guinard A, et al. Surveillance des arboviroses en France métropolitaine : nette augmentation des cas de dengue autochtone en 2022. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(14):248-54. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/14/2023_14_1.html

(2) European Centre for Disease Prevention and Control. Autochthonous vectorial transmission of dengue virus in mainland EU/EEA, 2010-present. Stockholm: ECDC. https://www.ecdc.europa.eu/en/all-topics-z/dengue/surveillance-and-disease-data/autochthonous-transmission-dengue-virus-eueea