Émergences de dengue et de chikungunya en France métropolitaine, 2010-2018

// Autochthonous chikungunya and dengue fever outbreak in Mainland France, 2010-2018

Florian Franke1 (florian.franke@santepubliquefrance.fr), Sandra Giron1, Amandine Cochet2, Charles Jeannin3, Isabelle Leparc-Goffart4, Henriette de Valk5, Gilda Grard4, Mathilde Galla4, Frédéric Jourdain5, Pascal Chaud1, Grégory L’Ambert3, Jean-Baptiste Ferré3, Xavier de Lamballerie6, Marie-Claire Paty5
1 Santé publique France, Paca, Marseille, France
2 Santé publique France, Occitanie, Montpellier, France
3 Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée), Montpellier, France
4 Centre national de référence des arbovirus, Institut de recherche biomédicale des armées, Marseille, France
5 Santé publique France, Saint-Maurice, France
6 UMR Émergence des pathologies virales (UMR EPV), Université d’Aix-Marseille, IRD 190, Inserm 1207, EHESP, IHU Méditerranée infection, Marseille, France
Soumis le 12.04.2019 // Date of submission: 04.12.2019
Mots clés : Dengue | Chikungunya | Aedes albopictus | Émergence | Surveillance
Keywords: Dengue fever | Chikungunya | Aedes albopictus | Autochthonous transmission | Surveillance

Résumé

L’Aedes albopictus, vecteur des virus de la dengue et du chikungunya, expose au risque de transmission autochtone de ces arbovirus en France métropolitaine. Depuis son implantation, une surveillance épidémiologique et entomologique a pour objectif de prévenir l’apparition de foyers de cas autochtones ou d’en limiter l’extension.

Neuf épisodes de transmission autochtone de dengue et trois de chikungunya ont été recensés entre 2010 et 2018 en France métropolitaine, tous en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Occitanie, dans des départements anciennement colonisés par le vecteur, de juillet à octobre où la densité vectorielle était la plus importante. Les zones de circulation virale étaient limitées. Les épisodes de chikungunya ont entraîné plus de cas autochtones que ceux de dengue (31 versus 23). De très nombreux cas ont été identifiés par des enquêtes en porte-à-porte mises en place dans les zones de circulation identifiées. Seul un épisode a concerné deux zones de circulation distinctes. Les sérotypes 1 et 2 de la dengue étaient à l’origine des transmissions autochtones. Les virus à l’origine des cas autochtones de chikungunya étaient du lignage East Central South Africa. La grande majorité des émergences se sont produites en habitat individuel pavillonnaire situé dans du tissu urbain discontinu. Les traitements adulticides, la plupart du temps répétés, ont montré leur efficacité.

La survenue de ces émergences était due, pour huit épisodes, à un défaut d’identification du cas primaire importé et, pour quatre épisodes, à une absence ou à une insuffisance des actions de lutte anti-vectorielle (LAV) autour du cas primaire importé.

Si le dispositif de surveillance épidémiologique et les investigations menées autour des cas autochtones ont montré leur efficacité, l’expérience acquise et les causes d’émergences identifiées font ressortir des besoins d’évolution de la surveillance épidémiologique, de renforcement de la sensibilisation et de la formation des professionnels de santé.

Abstract

Aedes albopictus, vector of dengue and chikungunya viruses, is implanted in mainland France, exposing to the risk of autochthonous transmission. Since its detection, epidemiological and entomological surveillance activities aim to prevent, or to limit, the occurrence of autochthonous cases.

Between 2010 and 2018, nine episodes of autochthonous dengue fever transmission and three of chikungunya were recorded in mainland France. All of them occurred in the Provence-Alpes-Côte d’Azur and Occitanie regions, in districts colonized by the vector for many years, between July and October where vector density was the highest. Transmission areas were limited. Chikungunya episodes have led to more cases than dengue fever episodes (31 versus 23). Many cases were identified by door-to-door investigations set-up in virus circulation areas. Only one episode concerned two distinct areas. Serotypes 1 and 2 for dengue and East Central South Africa lineage for chikungunya were isolated in autochthonous cases. Most episodes occurred in single domestic houses located in discontinuous urban areas. Adulticide vector control measures were found to be effective.

Failure in identifying primary imported cases led to eight episodes of transmission, while the absence or the lack of vector controls measures around primary imported cases led to four episodes.

The epidemiological surveillance system, and autochthonous cases investigations, were found to be effective, acquired experience and identified causes, highlight the needs of evolution of epidemiological surveillance and awareness and training courses targeting health professionals.

Introduction

Implanté en France métropolitaine depuis 2004 (Alpes-Maritimes), le moustique Aedes albopictus, (vecteur des virus de la dengue, du chikungunya et des infections à virus Zika), expose au risque de transmission autochtone de ces arboviroses en métropole à partir de personnes infectées dans des zones où ces maladies sont endémo-épidémiques. En janvier 2018, il était implanté dans 42 départements 1.

Un plan national « anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole » 2 a été mis en place en 2006. Il prévoit une surveillance entomologique, et également épidémiologique, dans les départements colonisés par le vecteur. L’objectif de la surveillance est de détecter les cas importés virémiques et les cas autochtones des arboviroses transmises par l’Aedes albopictus, pour mettre en place les mesures de lutte anti-vectorielle (LAV) adaptées afin de prévenir l’apparition de foyers de cas humains autochtones ou d’en limiter l’extension.

Cet article a pour objectif de présenter une description des différentes émergences de ces arboviroses en France métropolitaine de 2010 à 2018, leurs caractéristiques épidémiologiques, biologiques, environnementales et entomologiques, et les causes identifiées comme étant à l’origine de ces épisodes 3,4,5,6,7,8,9,10.

Matériel-méthodes

Surveillance épidémiologique

La surveillance épidémiologique de la dengue, du chikungunya et des infections à virus Zika est basée sur la déclaration obligatoire (DO) des cas documentés biologiquement, probables et confirmés 10. Pendant la période d’activité du vecteur, de mai à novembre, dans les départements où il est implanté, la surveillance par la DO est dite « renforcée » par le signalement de cas importés dès la suspicion clinique, et un suivi quotidien des résultats d’analyse des laboratoires Biomnis et Cerba par Santé publique France, afin de « rattraper » des cas non signalés.

Suite au signalement d’un cas importé potentiellement virémique, des investigations entomologiques et des actions de LAV sont menées par les opérateurs publics de démoustication (OPD) autour des lieux fréquentés par ce cas pendant la période de virémie potentielle.

Devant un cas autochtone confirmé par le Centre national de référence (CNR) des arbovirus, l’investigation épidémiologique a pour objectif d’identifier le cas primaire importé à l’origine de la transmission et d’éventuels autres cas autochtones. Elle repose principalement sur une recherche active de cas en porte-à-porte (PAP) autour du domicile du ou des cas autochtone(s), dans une zone d’environ 200 mètres de rayon. Chaque cas cliniquement suspect est interrogé et une analyse virologique lui est proposée. En 2018, l’enquête en PAP a été simplifiée en proposant le prélèvement à domicile des cas suspects identifiés (dépôts de sang sur papier buvard) 10. Ces enquêtes sont réalisées en parallèle des investigations entomologiques. La recherche active de cas est complétée par :

une sensibilisation des professionnels de santé et de la population de la zone investiguée ;

une recherche rétrospective des cas suspects ou confirmés survenus dans cette zone dans les bases de données de la surveillance (bases des signalements reçus par les Agences régionales de santé (ARS) et des analyses biologiques) ;

une enquête de séroprévalence pour l’épisode de dengue à Nîmes en 2015 11.

Les définitions de cas sont données dans le tableau 1.

Tableau 1 : Définition de cas pour la surveillance du chikungunya et de la dengue en France métropolitaine
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Lutte anti-vectorielle

Dans les départements colonisés, chaque site fréquenté par un cas potentiellement virémique fait l’objet d’une enquête entomologique, dont l’objectif est de mettre en évidence la présence de l’Aedes albopictus. La présence d’œufs, de larves ou d’adultes confirme alors l’activité vectorielle dans la zone investiguée, donc un risque potentiel de transmission locale.

Cela déclenche des traitements de LAV. Cependant, depuis 2015, en pleine saison d’activité du vecteur, les lieux fréquentés situés en habitat horizontal et en secteur connu comme fortement colonisé, suffisent à déclencher la LAV, la prospection se résumant alors à une phase de repérage, de préparation et d’information de la population concernée par l’intervention. L’OPD met en œuvre prioritairement des traitements spatiaux adulticides dans la ou les zones de transmission potentielle. Ces traitements, à base de pyréthrinoïdes (deltaméthrine), sont réalisés par nébulisation à froid ultra-bas volume terrestre, autoportée à partir de la voirie, et par nébulisation à chaud terrestre manuelle dans les zones inaccessibles depuis l’espace public (jardins principalement).

Parallèlement, des traitements larvicides sont mis en œuvre, ainsi que des actions d’information et de sensibilisation de la population afin de supprimer le maximum de gîtes larvaires. Les gîtes larvaires sont vidés, supprimés ou traités à l’aide de larvicides à base de Bacillus thuringiensis israelensis (Bti) ou de polydiméthylsiloxane (PDMS ; film de surface). Lors de ces campagnes, des relevés peuvent permettre d’estimer les densités de gîtes larvaires par le calcul d’indices (tableau 2).

Enfin des pièges capturant des moustiques adultes à la recherche d’hôtes ou de sites de ponte peuvent également être déployés afin d’estimer la densité vectorielle et l’efficacité des traitements réalisés. Ces captures peuvent également permettre de rechercher les virus dans les moustiques. L’ensemble de ces actions est réalisé dans un périmètre de 150 à 200 mètres autour des lieux fréquentés par les cas pendant la période de virémie et correspondent aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé 12.

Caractéristiques des épisodes de circulation autochtone

Les caractéristiques des épisodes de circulation autochtone ont été établies à partir de l’expérience acquise par les auteurs et des documents d’investigation (points épidémiologiques, mains courantes) produits au cours des émergences de dengue, de chikungunya et d’infections à virus Zika identifiés en France métropolitaine depuis la mise en place en 2006 du dispositif de surveillance et de lutte. Ces épisodes ont par ailleurs fait l’objet de publications et de communications (orales et affichées).

Définitions :

Période de circulation du virus : période estimée à partir des dates de début des signes du ou des cas autochtone(s) et du cas primaire importé si identifié.

Zone de circulation du virus : cercle regroupant les différents cas identifiés (autochtones et primaire importé).

Cluster intra-domiciliaire : au moins deux cas contaminés dans un même logement.

Éléments pouvant être à l’origine d’une émergence

Les facteurs associés à la survenue d’une émergence peuvent être liés d’une part à un défaut d’identification par le système de surveillance du cas primaire importé et, d’autre part, à une absence ou insuffisance des actions de LAV autour du cas primaire importé.

Le cas primaire importé peut n’être pas détecté, soit parce qu’il était asymptomatique ou que les symptômes n’ont pas amené le patient à consulter un médecin, ou encore parce que le médecin n’a pas évoqué un diagnostic d’arbovirose. Le défaut d’identification peut aussi être consécutif à des analyses faussement négatives si elles ne sont pas adaptées à l’ancienneté de l’infection (PCR ou sérologie) ou au signalement absent ou tardif à l’ARS d’un cas pourtant diagnostiqué.

La survenue d’une émergence peut également être expliquée par une absence de traitement de LAV autour du cas (lieu de déplacement non identifié par l’interrogatoire, aucun vecteur identifié lors de la prospection…), à un traitement de LAV insuffisant pour éliminer la totalité des moustiques infectés ou à un traitement trop tardif.

Résultats

Entre 2010 et 2018, 12 épisodes de transmission autochtone ont été recensés en France métropolitaine : 9 de dengue et 3 de chikungunya 6,7,8,9,10,11,12. Il n’y a en revanche pas eu de cas autochtone d’infection à virus Zika par transmission vectorielle.

Les principales caractéristiques de ces épisodes sont synthétisées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Synthèse des principales caractéristiques des épisodes de circulation autochtone de dengue et de chikungunya, France métropolitaine, 2010-2018
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Autres caractéristiques épidémiologiques

Les périodes de circulation virale se sont étendues de juillet à octobre, mais ont majoritairement concerné les mois d’août (6 épisodes) et de septembre (11 épisodes). Pour la grande majorité des émergences, la durée de circulation virale était de 2 mois. Seules 2 d’entre elles (Nîmes en 2015, Var en 2017) ont duré trois mois 11,12.

Sur les 12 épisodes de circulation autochtone, 8 ont eu lieu en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) :
4 ​épisodes ont été identifiés dans le Var, contre 2 dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, le Gard et l’Hérault. Les zones de circulation virale étaient systématiquement inférieures à 300 mètres de rayon (information disponible pour 9 épisodes). La médiane était de 75 mètres.

Pour 8 épisodes, 5 de dengue et les 3 de chikungunya, le cas primaire importé a été identifié. Tous étaient des cas confirmés (6 par RT-PCR, un par test NS1 et un par sérologie).

Les zones d’importation des virus étaient :

l’outremer français pour 4 épisodes de dengue (2 de Polynésie-Française, 1 de Martinique et 1 de Guadeloupe) 3,6,8,11 ;

l’Asie du Sud-Est pour 2 épisodes, 1 de dengue (Thaïlande) et 1 de chikungunya (Inde) 7,9 ;

l’Afrique centrale pour 2 épisodes de chikungunya (Cameroun) 10,12.

Les 8 cas ont été identifiés par :

le signalement des professionnels de santé pour 3 cas 8,10,11 ;

le rattrapage laboratoire pour 2 cas 6,7 ;

l’enquête en PAP pour 2 cas 3,12 ;

l’interrogatoire d’un cas autochtone pour un cas 9.

Pour 5 des 8 épisodes, les cas primaires importés ont été identifiés avant la confirmation d’une circulation autochtone 6,7,8,10,11.

Les 9 émergences de dengue ont entrainé 23 cas autochtones. Pour 4 épisodes, 1 seul cas autochtone a été identifié 8,9. Pour 5 épisodes, il s’agissait de foyers isolés de 2 à 8 cas 3,6,9,11. Le nombre de cas le plus important (8) a été relevé à Nîmes en 2015 4,11.

Les trois émergences de chikungunya ont entrainé 31 cas autochtones. Pour 2 épisodes, il s’agissait de foyers isolés, composés de 2 à 12 cas 7,10. Dans le Var en 2017, l’investigation a permis d’identifier 2 foyers de 11 et 6 cas liés épidémiologiquement et microbiologiquement 12.

Les 54 cas autochtones se répartissaient en : 46 cas confirmés, 6 cas probables et 2 cas possibles.

Les cas autochtones ont été identifiés par :

le signalement des professionnels de santé pour 23 cas ;

le rattrapage laboratoire pour 5 cas ;

l’enquête en PAP pour 22 cas ;

l’interrogatoire d’autres cas autochtones pour 3 cas ;

une enquête de séroprévalence pour un cas.

Pour 7 épisodes, il y avait des clusters intra-domiciliaires 3,7,9,10,11,12. Dix ont été retrouvés, dont 4 pour la seule émergence du Var de 2017 12. Ils étaient composés de 2 à 4 cas. Tous étaient des clusters de cas autochtones à l’exception de l’épisode d’Aubagne en 2014 9 et de Nîmes en 2018 3, où ils étaient composés par le cas primaire importé et un cas autochtone.

Caractéristiques biologiques des virus circulants

Un virus de sérotype 1 était à l’origine de 5 circulations autochtones de dengue 3,6,9,11. Le sérotype 2 a été retrouvé pour les 4 autres épisodes 3,8,9. Le séquençage du virus a été réalisé pour 7 de ces épisodes. Il s’agissait de 3 souches asiatiques 3,9, de 2 souches d’Amérique centrale 3,9, d’une souche circulant en Martinique 6 et d’une souche du Pacifique 3.

Les 3 émergences de chikungunya étaient dues à des virus du lignage East Central South Africa (ECSA). Une des souches était d’origine indienne 7. Les 2 autres étaient des souches qui circulaient principalement en Afrique centrale et étaient porteuses de la mutation A226V 10,12.

Caractéristiques environnementales et entomologiques

La durée médiane entre l’année de détection du vecteur dans les départements concernés par les émergences et les années de circulation autochtone était de 6,5 ans (extrêmes : 3-14).

Sur les 12 épisodes autochtones, 10 se sont produits dans de l’habitat individuel pavillonnaire, 1 dans l’habitat individuel mitoyen (Saint-Laurent-du-Var en 2018) 3 et 1 en dehors d’une zone d’habitat (Venelles en 2013) 8. Concernant l’occupation des sols (nomenclature Corine land cover 2018), 10 épisodes se sont produits dans du tissu urbain discontinu, 1 dans du tissu urbain continu (Nice 2010) 6 et 1 dans une zone industrielle et commerciale 8. Et 75% des émergences se sont produites en habitat individuel pavillonnaire situé dans du tissu urbain discontinu (périphéries des agglomérations).

Parmi les 12 émergences, 6 ont fait l’objet d’une estimation de la densité des gîtes larvaires 3,7,10,11,12 et 4 ont fait l’objet d’une estimation de la densité de moustiques adultes 3,10,11,12. Lorsque les 2 estimations ont été réalisées conjointement, celles-ci concordaient. Les densités de gîtes et d’adultes observées à Montpellier en 2014 10 étaient bien supérieures à celles de Nîmes en 2015 11, elles-mêmes supérieures à celles du Var en 2017 12.

Les traitements adulticides ont été réalisés entre le 11 août (Le Cannet-des-Maures 2017) 12 et le 13 novembre (Venelles 2013) 8. Le nombre de traitements adulticides variait de 1 à 9 par épisode en fonction du nombre de cas autochtones au cours du temps et de la durée de circulation du virus.

Les évaluations de l’efficacité des traitements (mesures de densité de moustiques adultes) et l’absence de cas après la mise en place des mesures de LAV (hormis un cas à Nîmes en 2015) 11 témoignaient de l’efficacité du dispositif de réponse. Les réductions d’effectifs qui ont pu être mesurées indiquaient des diminutions de plus de 90%, dans un contexte météorologique globalement propice au développement des vecteurs (climat méditerranéen).

Causes identifiées

Les facteurs identifiés comme associés à la survenue des émergences de dengue et de chikungunya étaient, pour 8 épisodes, liés à un défaut d’identification du cas primaire importé et, pour 4 épisodes, à une absence ou à une insuffisance des actions de LAV autour du cas primaire importé (tableau 3).

Le cas primaire importé n’a pas été découvert pour 4 épisodes de dengue, les 2 de Toulon en 2014, Saint-Laurent-du-Var et Clapiers en 2018 3,9. Pour Nice en 2010 6, il a été identifié tardivement (40 jours) en raison d’une prescription médicale à distance du début de sa maladie et de son identification par le rattrapage laboratoire. Pour 3 épisodes, Aubagne en 2014, Le Cannet-des-Maures en 2017 et Nîmes en 2018, il a été retrouvé après la détection du premier cas autochtone 3,9,12.

L’absence de traitement de LAV autour du cas importé signalé est à l’origine de 3 épisodes 8,10,11 : 2 car le vecteur n’a pas été identifié lors de la prospection entomologique (Venelles en 2013, Montpellier en 2014) ; 1 en raison d’un lieu de déplacement non signalé par le cas primaire importé (Nîmes en 2015). L’épisode de Fréjus de 2010 est dû à un traitement de LAV incomplet en raison de l’absence d’autorisation pour réaliser un traitement par thermonébulisation au domicile du cas primaire importé 7.

Tableau 3 : Causes à l’origine des épisodes de circulation autochtone de dengue et de chikungunya, France métropolitaine, 2010-2018
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Discussion-conclusion

Depuis la mise en place en métropole du plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue, 12 épisodes de circulation autochtone ont été identifiés. Si le nombre d’épisodes de dengue était plus important, les 3 épisodes de chikungunya ont entraîné plus de cas (10 versus 3 cas, en moyenne). Le nombre de cas et la zone de circulation virale par émergence étaient limités, malgré des périodes de circulation virale quelques fois longues. Très peu d’émergences étaient dues à des virus circulant dans les Antilles, malgré des épidémies importantes de dengue, de chikungunya et d’infections à virus Zika certaines années. Les deux dernières épidémies observées aux Antilles 13,14, n’ont pas été à l’origine d’une transmission vectorielle autochtone en métropole malgré un nombre très important de cas importés 15,16. Les deux émergences les plus importantes en nombre de cas étaient dues à des souches virales de chikungunya porteuses de la mutation A226V rendant le virus adapté à l’Aedes albopictus implanté en métropole 10,12. Par ailleurs, les différentes émergences ont eu lieu uniquement dans des départements anciennement et fortement colonisés par le vecteur, pendant les mois où la densité vectorielle était la plus importante (juillet-octobre). De plus, les types d’habitat et de tissus urbains dans lesquels se sont majoritairement produits les différentes émergences (habitat individuel pavillonnaire situé dans du tissu urbain discontinu) sont également les plus propices au développement d’Aedes albopictus 17,18. Une transmission du virus chikungunya par Aedes albopictus peut survenir même avec une densité faible de vecteurs, comme le témoigne le foyer du Cannet-des-Maures 12.

L’efficacité d’une espèce (voire d’une population) de vecteurs à répliquer et transmettre un virus donné à une population humaine est multifactorielle. Des facteurs climatiques, socioéconomique et environnementaux sont très souvent proposés pour expliquer la dynamique des populations de vecteurs et, par extension, le risque de transmission 19. Des aspects génétiques apparaissent également comme déterminants pour le risque d’émergence d’arboviroses. Le risque de transmission dépend ainsi fortement des interactions entre les génotypes des virus introduits, ceux des populations de vecteurs localement établis et l’environnement (en particulier la température). Ces éléments vont en effet impacter les capacités d’adaptation entre les génotypes des virus et des moustiques et, par conséquent, l’efficacité de la transmission 20. Ceci est particulièrement bien illustré par l’adaptation du virus chikungunya au vecteur Aedes albopictus du fait de différentes mutations virales 21.

La France n’est pas le seul pays européen à avoir connu des émergences de dengue et de chikungunya causées par l’Aedes albopictus. L’Italie a enregistré deux épidémies de chikungunya en 2007 et en 2017 22, avec plusieurs centaines de cas autochtones. Les souches responsables étaient du lignage ECSA. Seule celle de 2007 était porteuse de la mutation A226V 23. Des foyers de cas autochtones de dengue ont aussi été détectés en Croatie en 2010 24 et en Espagne en 2018 25.

Les investigations menées pour identifier d’autres cas autochtones à la suite d’une circulation virale confirmée par le CNR, ont montré leur efficacité. La recherche de cas en PAP est un moyen efficace pour retrouver des cas et sensibiliser les personnes aux risques de contamination et aux mesures de prévention. Pour l’épisode de dengue de Nîmes en 2015, une enquête de séroprévalence est venue compléter la recherche active de cas habituelle 4. Elle n’a permis d’identifier qu’un seul cas autochtone supplémentaire sur plus de 500 personnes testées. Les actions de LAV ont aussi montré leur efficacité puisque, sur les 54 cas autochtones, 1 seul est apparu après la mise en œuvre des premières mesures de LAV 11. L’efficacité des traitements adulticides spatiaux ultra bas volume routier peut être limitée en milieu urbain par la configuration du bâti et la présence d’obstacles. Afin de s’affranchir de ces paramètres, le recours à des traitements manuels péri-domiciliaires doit être privilégié. De plus, afin de garantir une efficacité significative, les traitements adulticides doivent être répétés dans le temps 26.

L’analyse des 12 épisodes de cas autochtones survenus entre 2010 et 2018 en France métropolitaine a montré que leur apparition étaient très majoritairement liée à l’absence d’identification des cas primaires importés par la surveillance renforcée, et dans une moindre mesure à des prospections et/ou des traitements de LAV incomplets sur les lieux fréquentés par le cas primaire importé pendant sa période de virémie. Un seul épisode de 2 cas autochtones était lié à un long délai d’identification par la surveillance renforcée du cas primaire importé (40 jours). L’absence ou le retard d’identification de cas importés rappelle l’importance de renforcer la sensibilisation et la formation des professionnels de santé, afin d’améliorer l’évocation du diagnostic des arboviroses transmises par Aedes albopictus, le signalement des cas aux ARS et les bonnes pratiques de prescription, en particulier en période d’activité du vecteur. Cette analyse a aussi mis en évidence l’importance des conclusions des prospections réalisées autour des cas importés qui conditionnaient systématiquement, jusqu’en 2014, la mise en place de traitement de LAV, en fonction de la présence ou non du vecteur lors de l’enquête. Depuis 2015, sous certaines conditions, l’enquête entomologique ne guide pas la LAV mais se résume à un repérage de terrain afin de préparer les interventions.

Cette surveillance et les actions de lutte anti-vectorielle qui en découlent, doivent être impérativement accompagnées d’une lutte préventive contre les gites larvaires. Une mobilisation sociale efficace contre l’Aedes albopictus doit être au cœur du dispositif 27,28. Cela nécessite l’implication, en dehors des mairies qui ont un rôle incontournable, d’un large panel d’acteurs et de partenaires locaux et nationaux.

L’amélioration du dispositif passe aussi par la sensibilisation des voyageurs sur les moyens de prévention contre les piqûres de moustiques et sur l’importance de consulter en cas de signes évocateurs de ces arboviroses de retour d’une zone à risque.

Si l’implantation du vecteur en métropole progresse chaque année (51 départements colonisés en 2018) 1, la proportion de la population réellement exposée et le risque que le vecteur soit au contact d’un cas importé sont très faibles dans certains départements. Si le risque d’émergence est réel dans certaines régions, il est quasiment nul dans d’autres. Ces constats justifieraient une évolution du plan national, actuellement appliqué de manière indifférenciée dans tous les départements colonisés, vers des stratégies de surveillance et de LAV prenant en compte le risque d’apparition et d’extension de foyers de transmission autochtone.

Remerciements

Nous tenons à remercier les laboratoires hospitaliers et privés ainsi que les médecins hospitaliers et libéraux, les agences régionales de santé, Santé publique France, les opérateurs publics de démoustication et les collectivités territoriales, qui ont collaboré et participé activement à la surveillance et aux investigations des arboviroses transmises par l’Aedes Albopictus en France métropolitaine.

Références

1 Ministère des Solidarité et de la Santé. Cartes de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France métropolitaine. [Internet]. https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/especes-nuisibles-et-parasites/article/cartes-de-presence-du-moustique-tigre-aedes-albopictus-en-france-metropolitaine
2 Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Instruction N° DGS/RI1/2015/125 du 16 avril 2015 mettant à jour le guide relatif aux modalités de mise en œuvre du plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole. http://circulaire.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire
&hit=1&r=39495
3 Terrien E, Fournet N, Giron S, Franke F, Cochet A, Calba C, et al. Surveillance du chikungunya, de la dengue et des infections à virus Zika en France métropolitaine, 2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(19-20):363-73. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/19-20/2019_19-20_1.html
4 Succo T, Noël H, Nikolay B, Maquart M, Cochet A, Leparc-Goffart I, et al. Dengue serosurvey after a 2-month long outbreak in Nîmes, France, 2015: Was there more than met the eye? Euro Surveill. 2018;23(23).
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Citer cet article

Franke F, Giron S, Cochet A, Jeannin C, Leparc-Goffart I, de Valk H, et al. Émergences de dengue et de chikungunya en France métropolitaine, 2010-2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(19-20):374-82. http://beh.sante
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