Adapter la stratégie de lutte contre les arboviroses aux nouveaux enjeux écologique et climatique

// Adapt the strategy to control arboviruses to the new ecological and climatic challenges

Christine Ortmans
Responsable du département Veille et sécurité sanitaire, Agence régionale de santé PACA, Marseille, France

Introduit en 2004, Aedes albopictus, alias le moustique tigre, est désormais implanté dans de nombreux départements métropolitains et expose la population au risque de transmission autochtone des arboviroses qu’il peut véhiculer, principalement le chikungunya et la dengue, à partir des personnes infectées dans les zones où circulent ces maladies.

Installé dans nos jardins et sur nos terrasses, où il aime pondre dans les coupelles, jouets ou objets abandonnés, réservoirs d’eau non couverts, il est devenu un compagnon indésirable, mais incontournable, des moments conviviaux en plein air, en particulier dans les départements méditerranéens.

Son implantation s’accélère ces dernières années. Très « anthropophile », ce voyageur clandestin n’hésite pas à s’inviter dans nos voitures pour remonter, par l’autoroute, vers le Nord et pondre ses œufs dans des réserves d’eau qu’il trouve en chemin.

Tenu sous haute surveillance par les autorités sanitaires en raison de sa capacité de transmission virale, il est à l’origine d’épidémies de grande ampleur comme actuellement à la Réunion, malgré une lutte anti vectorielle (LAV) assidue et des moyens humains importants. En métropole aussi, le moustique tigre a réussi à transmettre, à plusieurs reprises, la dengue et le chikungunya à quelques-uns de nos concitoyens.

Depuis 2010, en métropole, 12 épisodes de transmission autochtone ont été identifiés, 9 de dengue et 3 de chikungunya, qui ont entraîné au total 54 cas autochtones, 23 de dengue et 31 de chikungunya. Huit épisodes ont eu lieu en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. L’analyse de ces émergences et des mesures prises pour en limiter l’extension a montré l’efficacité du dispositif de surveillance mis en place ainsi que des investigations réalisées car elles ont permis d’identifier rapidement les foyers et de les circonscrire.

Les épidémies d’arboviroses pèsent fortement sur notre système de soins. La sensibilisation des médecins et la préparation du système de soins seront des atouts importants pour faire face aux éventuelles nouvelles vagues épidémiques dans les prochaines années dans les départements métropolitains et ultramarins. Ainsi, à La Réunion, qui subissait depuis 2017 la première épidémie importante de dengue depuis celle de 1978, les épidémiologistes ont souhaité évaluer la sévérité de cette épidémie. Entre avril 2017 et juin 2018, 168 cas de dengue ont été hospitalisés durant plus de 24 heures, soit 2% des signalements de dengue reçus à l’Agence régionale de santé (ARS). Si le taux d’hospitalisations durant cette période reste inférieur à ceux observés en Nouvelle-Calédonie en 2017 ou en Guyane en 2012-2013, le risque de formes sévères de dengue justifie l’évaluation de la surveillance des cas sévères et des complications inattendues, afin de proposer des améliorations en vue d’une meilleure exhaustivité, alors que la dengue pourrait devenir une menace récurrente.

Le plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue en métropole, ainsi que le guide qui l’accompagne, préconisent une « surveillance renforcée ». Elle prévoit d’une part, la déclaration de tous les cas importés, potentiellement virémique, revenant d’une zone où sévissent ces pathologies, dès leur suspicion et, d’autre part, la mise en œuvre de LAV autour de ces cas. Cependant, en raison de la non-spécificité des symptômes des arboviroses, une proportion très élevée de ces cas suspects a été par la suite infirmée. Or, ces situations ont fait l’objet d’interventions de LAV, au risque de développement de résistances aux traitements insecticides.

La population « exposée » augmente chaque année, proportionnellement au nombre de départements dits colonisés ainsi qu’au nombre de voyageurs de retour des zones à risque, et en conséquence le nombre d’interventions de LAV. Certaines régions comme l’Île-de-France sont particulièrement concernées (1).

En métropole, après 15 ans de lutte contre Aedes albopictus, dans un nouveau contexte écologique, avec le changement climatique et la disparition de nombreuses espèces d’insectes, il devient urgent de recentrer nos moyens de LAV sur les risques avérés afin de réduire les risques de résistance aux traitements insecticides.

Devant ces évolutions, les auteurs des investigations proposent, dans le contexte métropolitain, de nouvelles stratégies :

limiter les interventions de LAV autour des seuls cas confirmés ;

renforcer la sensibilisation et la formation des professionnels de santé ;

s’assurer de disposer de moyens humains et logistiques conséquents lors d’apparition de cas autochtones, afin de limiter la survenue d’une épidémie importante.

Si la population de la métropole est très majoritairement non immunisée, donc vulnérable vis-à-vis des arboviroses, toutes les émergences ont été jusqu’à ce jour rapidement contrôlées, même lors de la transmission du chikungunya, dont certaines souches virales semblent bien adaptées au moustique tigre qui colonise notre pays. Cependant, des épisodes plus importants pourraient survenir. Face à ce risque, il est important de développer une stratégie intersectorielle de lutte contre les arboviroses et d’y associer la population.

Il est de la responsabilité de chacun de nos concitoyens d’entretenir terrasses et jardins, afin de limiter la prolifération de ces hôtes indésirables et particulièrement pugnaces. Il faut par ailleurs inciter les voyageurs à se protéger des piqûres de moustiques lors de leurs déplacements en zone à risque, mais aussi lors de leurs retours en France, et à consulter dès l’apparition de symptômes évocateurs d’arboviroses.

Face aux arboviroses, dans un contexte de changement environnemental et de mondialisation, notre système de santé doit se préparer.

Citer cet article

Ortmans C. Éditorial. Adapter la stratégie de lutte contre les arboviroses aux nouveaux enjeux écologique et climatique. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(19-20):362-3. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/19-20/2019_19-20_0.html