Sévérité de l’épidémie de dengue à La Réunion : données de surveillance des cas hospitalisés, avril 2017 à décembre 2018

// Severity of the dengue outbreak in Reunion Island: Hospitalized cases monitoring data, April 2017 to December 2018

Florian Verrier1, Aurélie Etienne1 (aurelie.etienne@santepubliquefrance.fr), Muriel Vincent1, Pascal Vilain1, Marine Lafont2, Gil Mourembles2, Yatrika Koumar2, Claire François3, Youssouf Hassani1, Elsa Balleydier1, Eve Robinson4, Luce Menudier1
1 Santé publique France, Océan Indien, La Réunion, France
2 Centre hospitalier universitaire site Sud, La Réunion, France
3 Centre hospitalier Ouest Réunion, La Réunion, France
4 Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 17.04.2019 // Date of submission: 04.17.2019
Mots-clés : Dengue | Sévérité | Hospitalisations | La Réunion
Keywords: Dengue | Severe cases | Hospitalizations | Reunion Island

Résumé

Introduction –

Une épidémie de dengue a été observée à La Réunion en 2018, faisant suite à une circulation virale à bas bruit en 2017. Une surveillance des cas de dengue hospitalisés a été mise en place. Cette étude a comme objectifs de décrire les caractéristiques des cas hospitalisés, d’évaluer l’exhaustivité de cette surveillance ainsi que la sévérité de l’épidémie.

Matériel et méthodes –

Les caractéristiques des cas hospitalisés pendant plus de 24 heures entre avril 2017 et décembre 2018 ont été décrites. L’exhaustivité de la surveillance a été évaluée pour la période d’avril 2017 à juin 2018 par la méthode de capture-recapture, à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et de la surveillance de Santé publique France – Océan Indien.

Résultats –

Entre avril 2017 et décembre 2018, 168 cas hospitalisés ont été identifiés par Santé publique France – Océan Indien, soit 2% des cas confirmés ou probables signalés au cours de la même période. Vingt-huit cas (18%) étaient sévères et 112 (70%) présentaient au moins un signe d’alerte. Cinq patients (3%) sont décédés. Cette surveillance a permis de décrire l’évolution du nombre de cas hospitalisés et de caractériser la sévérité de ces cas. Son exhaustivité était toutefois estimée à 50% entre avril 2017 et juin 2018.

Conclusion –

Les pourcentages de cas hospitalisés et de formes sévères parmi ces cas sont inférieurs à ceux décrits lors des dernières épidémies en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Le suivi de la sévérité de l’épidémie a été possible grâce à cette surveillance. Des pistes d’amélioration sont cependant envisagées concernant les modalités de cette surveillance.

Abstract

Introduction –

After a period of sustained low-level viral circulation since April 2017, an outbreak of dengue occurred on the Reunion Island in 2018. A surveillance system for hospitalized cases of dengue was implemented. The aim of this study is to describe characteristics of hospitalized cases, to assess the completeness of the surveillance system, and finally the severity of the outbreak.

Material & methods –

Characteristics of cases hospitalized for at least 24 hours between April 2017 and December 2018 are described. The exhaustivity of the system from April 2017 to June 2018, was assessed through a capture-recapture method using data from the Program for medicalization of information systems (PMSI) and the surveillance system of Santé publique France – Indian Ocean.

Results –

Between April 2017 and December 2018, 168 hospitalized cases were identified by the surveillance system, representing 2% of all reported dengue cases during the same period. Twenty eight cases (18%) were severe and 112 (70%) had at least one alert sign. Five cases (3%) died. The surveillance system enabled the monitoring of the evolution of hospitalized cases number, and to characterize the severity of hospitalized cases. Between April 2017 and June 2018, the exhaustivity of the surveillance system was estimated to be 50%.

Conclusion –

In comparison to previous outbreaks in French Guiana and New Caledonia, the percentage of hospitalized cases, and severe hospitalized cases, is lower. The surveillance system fulfilled its objective to assess the severity of the outbreak. However, improvements are considered on hospitalized cases monitoring modalities.

Introduction

La dengue est l’arbovirose la plus fréquente et la plus répandue : dans le monde, 4 milliards de personnes sont exposées et à risque d’infection 1,2, 390 millions de personnes (intervalle de confiance,
IC95%: [284-528]) sont infectées chaque année, dont 96 millions [67-136] présentent des symptômes, quelle que soit la sévérité 3. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 500 000 personnes atteintes d’une forme sévère sont hospitalisées chaque année dans le monde, dont 2,5% décèdent ; 25 000 décès sont observés chaque année, essentiellement des enfants 4,5.

La sévérité de l’infection peut s’illustrer par des formes hémorragiques, une fuite plasmatique sévère pouvant mener à un syndrome de choc, un épanchement avec détresse respiratoire, ou encore des atteintes organiques 4. Les formes sévères sont observées dans 1% des cas, essentiellement chez les enfants de moins de 15 ans, et seraient plus fréquentes en cas d’infection secondaire, avec un sérotype différent, du fait d’un mécanisme de facilitation immunologique 6.

Les premières épidémies de dengue identifiées à La Réunion datent de 1851, 1873 et 1977-1978 (due au virus de sérotype 2 (DENV-2)) ; taux d’attaque estimé à 30%) 7. Plus récemment, lors d’une épidémie en 2004 due au virus DENV-1, 200 cas ont été observés, essentiellement sur la côte ouest de l’île. Entre 2010 et 2014, une circulation modérée a été observée chaque année (environ 20 à 30 cas importés ou autochtones avec un arrêt de la circulation virale au cours de l’hiver austral). En 2008, la séroprévalence de la dengue a été estimée à 3,1% chez les donneurs de sang âgés de 18 ans et plus, révélant que la population réunionnaise était largement non-immune 8.

Une épidémie de dengue a été observée à La Réunion en 2018, touchant essentiellement le sud et l’ouest de l’île. Elle faisait suite à une circulation virale inhabituelle à bas bruit en 2017, y compris durant l’hiver austral. Jusqu’à fin 2018, le sérotype 2 était le seul identifié parmi les cas autochtones 9. Une surveillance des cas de dengue hospitalisés a été mise en place par Santé publique France – Océan Indien en avril 2017, dès le passage au niveau 2A du plan d’organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) comme prévu dans ce plan, et comme recommandé par l’OMS 10. Elle avait pour objectif la production et le suivi d’indicateurs de sévérité de l’épidémie.

Les objectifs de cette étude étaient de décrire les caractéristiques des cas de dengue hospitalisés, d’estimer l’exhaustivité de cette surveillance et ainsi d’évaluer la sévérité de l’épidémie.

Matériel et méthodes

La surveillance des cas hospitalisés a reposé sur le signalement par les médecins hospitaliers volontaires de tous les patients avec un diagnostic de dengue confirmé ou probable et hospitalisés à La Réunion plus de 24 heures (afin de sélectionner les cas les plus sévères) ou moins de 24 heures s’il s’agissait d’un cas sévère et a fortiori d’un décès. Pour chaque résultat de laboratoire positif (PCR, sérologie) dont la prescription émanait d’un service hospitalier, les médecins de ces services ont été contactés par Santé publique France – Océan Indien. Les signes cliniques et biologiques d’alerte et de sévérité, la présence de facteurs de risque et l’évolution du patient étaient recueillis via une fiche de surveillance standardisée. Les médecins hospitaliers étaient également invités à signaler spontanément tout autre patient avec un diagnostic de dengue confirmé ou probable (en médecine de ville par exemple) et ayant été hospitalisé dans leur service.

Cette surveillance a permis de produire des indicateurs pour suivre la sévérité de l’épidémie. Les principaux étaient le nombre de cas hospitalisés et la proportion parmi les cas confirmés ou probables, ainsi que la proportion de cas sévères parmi les cas hospitalisés et parmi les cas confirmés ou probables. Les cas biologiquement confirmés et probables ont été définis par ailleurs 11. Les cas autochtones et importés étaient concernés par cette surveillance.

Les signes d’alerte et de sévérité recueillis différaient quelque peu de ceux définis par l’OMS 12. Les signes d’alerte étaient : douleurs abdominales intenses et continues, vomissements persistants, présence d’œdème ou d’un épanchement, saignements muqueux mineurs persistants, léthargie prononcée, hépatomégalie chez l’enfant, élévation de l’hématocrite (≥10% de l’hématocrite de récupération ou normale), thrombopénie (plaquettes <50 000/mm3). Les signes de sévérité étaient : état de choc constitué, épanchement avec détresse respiratoire, signes hémorragiques majeurs, ASAT ≥1 000 UI/L, troubles de la conscience (score de Glasgow <7), altération d’un organe. Les facteurs de risque de sévérité recueillis étaient : un âge extrême, la présence d’un diabète, un facteur d’immunodépression, une grossesse.

Les dossiers médicaux des cas décédés ont été étudiés par un groupe de travail dédié, en charge de l’évaluation de l’imputabilité de la dengue dans la survenue des décès, selon une méthodologie similaire à celle définie dans les Antilles 13.

Les caractéristiques cliniques et biologiques des cas hospitalisés signalés à Santé publique France – Océan Indien entre le 1er avril 2017 et le 31 décembre 2018 ont été décrites. Les données quantitatives sont exprimées sous forme de moyenne ± écart type ou médiane, minimum et maximum, et les données qualitatives sous forme d’effectifs et de pourcentages. Les facteurs associés à la sévérité ont été recherchés par une analyse univariée. Le test de Chi2 ou le test exact de Fisher ont été utilisés pour la comparaison des variables qualitatives. Le test de Wilcoxon a été utilisé pour la comparaison des variables quantitatives. Le niveau de signification était fixé à 5%. L’analyse statistique a été effectuée avec le logiciel R version 3.5.1.

L’exhaustivité de la surveillance des cas hospitalisés a été estimée pour la période du 1er avril 2017 au 30 juin 2018, globalement puis par établissement hospitalier. La méthode de capture-recapture 14 a été utilisée à partir de deux sources indépendantes : les données de surveillance de Santé publique France – Océan Indien et les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Bien que ce ne soit pas leur objectif initial, les données du PMSI sont utilisées à visée épidémiologique, notamment pour l’évaluation d’exhaustivité de systèmes de surveillance 15,16. Les codes de la Classification internationale des maladies – 10e révision (CIM-10) correspondant à la dengue ont été utilisés : A97.0 (dengue sans signe d’alerte), A97.1 (dengue avec signes d’alerte), A97.2 (dengue sévère), A97.9 (dengue, sans précision). Tous les cas hospitalisés à La Réunion entre le 1er avril 2017 et le 30 juin 2018 avec un diagnostic principal et/ou associé de dengue ont été inclus.

Les estimateurs de Chapman et Seber 17,18, pertinents dans le cas d’effectifs faibles, ont été utilisés. Les conditions d’applications 19 de la méthode de capture-recapture ont été vérifiées.

En l’absence d’identifiant unique commun aux deux bases, plusieurs critères ont permis l’identification des cas communs : âge (±1 an), sexe, commune de résidence, établissement d’hospitalisation, mois et année d’hospitalisation. Les cas étaient considérés comme communs aux deux sources lorsque toutes ces variables concordaient dans les deux bases. Si ces variables concordaient pour plus de deux séjours, des variables supplémentaires étaient examinées : durée du séjour, décès, hospitalisation en réanimation.

Cette étude a été menée conformément aux dispositions de l’autorisation n°341194v42 délivrée par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) à Santé publique France pour le traitement de données à caractère personnel mis en œuvre lors d’investigations urgentes. Les données du PMSI ont été extraites par un épidémiologiste formé et agréé à l’exploitation de ces données.

Résultats

Caractéristiques des cas hospitalisés

Entre avril 2017 et décembre 2018, 168 cas de dengue hospitalisés pendant plus de 24 heures, confirmés (79%) ou probables (21%), ont été identifiés par Santé publique France – Océan Indien, dont 14 cas (8%) hospitalisés en 2017 et 154 (92%) en 2018. Les données étaient disponibles pour 160 cas (95%).

Ces cas hospitalisés représentaient 2% des 6 887 cas de dengue confirmés ou probables signalés au cours de cette période. En 2018, l’évolution du nombre de cas hospitalisés a suivi la dynamique de l’épidémie (nombre de cas biologiquement confirmés ou probables) (figure 1).

Figure 1 : Évolution du nombre de cas de dengue biologiquement confirmés ou probables et du nombre de cas hospitalisés pendant plus de 24 heures, par mois de début des signes/d’hospitalisation et par établissement, La Réunion, 1er janvier au 31 décembre 2018
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L’âge moyen était de 52 ans (min-max : 0-88 ans) ; 96% des cas avaient 15 ans ou plus ; 1 nouveau-né a été hospitalisé ainsi que 2 nourrissons âgés de moins de 3 mois. Le sex-ratio était de 0,87 (tableau).

Tableau : Caractéristiques cliniques et biologiques des cas de dengue biologiquement confirmés ou probables et hospitalisés plus de 24 heures, La Réunion, 1er avril 2017 au 31 décembre 2018 (n=160)
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Le sérotype, connu pour 40 cas, était de type 2 pour 39 cas et de type 1 pour 1 cas (importé).

Selon la classification adaptée de l’OMS dans le cadre de cette surveillance, 112 cas (70%) présentaient au moins un signe d’alerte, dont 22 (20%) présentaient également au moins un signe de sévérité ; 42 cas (26%) ne présentaient ni signe d’alerte ni signe de sévérité (figure 2). Les signes d’alerte les plus fréquents étaient une thrombopénie (34%), une léthargie (33%), des vomissements persistants (17%) et des douleurs abdominales intenses et continues (17%) (tableau, figure 3).

Figure 2 : Présence de signes d’alerte et de sévérité parmi les cas hospitalisés, adaptation du schéma OMS à l’épidémie de La Réunion, 1er avril 2017 au 31 décembre 2018
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Figure 3 : Présence de signes cliniques et biologiques parmi les cas de dengue biologiquement confirmés ou probables et hospitalisés plus de 24 heures, non sévères (n=132) et sévères (n=28), La Réunion, 1er avril 2017 au 31 décembre 2018
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Vingt-huit cas présentaient au moins un signe de sévérité, soit 18% des cas hospitalisés et 0,4% de l’ensemble des signalements. Les signes de sévérité les plus fréquents étaient une atteinte rénale (n=10 ; 6%) et hépatique (n=9 ; 5%). Parmi les cas sévères, 22 (79%) présentaient au moins un signe d’alerte, les plus fréquents étant une thrombopénie (n=16 ; 57%) et une léthargie (n=8 ; 29%) (figure 3). Seuls 3 cas ont présenté des signes hémorragiques majeurs, 3 cas un épanchement avec détresse respiratoire et 2 cas un état de choc (tableau). Seuls 6 cas sévères n’avaient pas présenté de signe d’alerte selon les informations recueillies : ils étaient âgés de 14 à 72 ans ; 5 avaient une altération d’un organe (trouble de la conscience, atteinte hépatique, atteinte rénale), et 1 a présenté un choc. Parmi les 17 femmes enceintes aucune ne présentait une forme sévère. Un seul des enfants de moins de 15 ans présentait une forme sévère.

Une thrombopénie était plus fréquente chez les cas sévères (respectivement 57% et 29%, p=0,008), de même que la présence d’un œdème ou d’un épanchement (15% et 3%, respectivement, p=0,03). Les cas de dengue sévères étaient significativement plus âgés que les cas de dengue simples (respectivement 61 ans et 50 ans en moyenne, p=0,03) et hospitalisés plus longtemps (respectivement 8 et 5 jours en moyenne, p=0,002).

Les cas hospitalisés l’étaient en majorité au Centre hospitalier universitaire (CHU)-site Sud (84 cas, 50%) et au Centre hospitalier Gabriel Martin (CHGM, 60 cas, 36%). La moitié des cas étaient hospitalisés dans quatre types de services : maladies infectieuses (17% des cas), gynécologie-obstétrique (13% des cas, essentiellement des femmes enceintes), gastroentérologie (13% des cas, presque exclusivement au CHGM) et en réanimation ou soins continus (11% des cas).

Parmi les 19 cas hospitalisés en réanimation ou en soins continus, l’âge médian était de 54 ans (45-76 ans) et le sex-ratio de 0,73 ; 16 cas (94%) présentaient au moins un signe d’alerte, et, parmi eux, 9 (53%) avec au moins un signe de sévérité. Les motifs d’hospitalisation en réanimation étaient variés : thrombopénie, détresse respiratoire aigüe, insuffisance rénale aigue, myocardite, méningo-encéphalite, sepsis.

Cinq cas hospitalisés sont décédés (3% des cas hospitalisés et 18% des formes sévères : ces cas étaient âgés de 45 à 87 ans (âge médian de 74 ans) ; tous présentaient au moins un facteur de risque de forme sévère, et au moins un signe d’alerte et de sévérité. Trois décès étaient directement liés à la dengue et 2 indirectement liés. Le sérotype était connu pour 3 cas, de type 2.

Exhaustivité de la surveillance

Entre avril 2017 et juin 2018, 155 cas hospitalisés pendant plus de 24 heures, confirmés ou probables, ont été identifiés par Santé publique France – Océan Indien et 253 cas via le PMSI. Au total, il est estimé que 309 cas de dengue ont été hospitalisés au cours de cette période, soient 126 cas hospitalisés qui n’auraient pas été identifiés par la surveillance mise en place par Santé publique France – Océan Indien. L’exhaustivité de cette surveillance était estimée à 50% (IC95%: [48-53]) et était plus élevée pour le CHU (sites Nord et Sud) (62% [59-65]) que pour le CHGM (39% [36-44]).

Compte tenu de ce résultat, le taux d’hospitalisation entre avril 2017 et décembre 2018 est estimé à 5%. Du fait de disparités dans la définition de la sévérité entre les deux bases, il n’était pas possible d’estimer une proportion corrigée de cas sévères en tenant compte de la sous-exhaustivité.

Entre les mois d’avril 2017 et de juin 2018, l’évolution du nombre mensuel de cas hospitalisés suivait la même tendance quelle que soit la source de données (surveillance et PMSI).

Parmi les cas non identifiés par la surveillance mise en place par Santé publique France – Océan Indien mais présents dans le PMSI, l’âge moyen était de 57 ans, le sex-ratio de 0,97, 58% (78 cas) étaient hospitalisés au CHGM (contre 36% au CHU, les services concernés ne pouvant être identifiés). Peu de cas non identifiés étaient codés A97.2 (dengue sévère) (7 cas, 5%) et 43% (57 cas) étaient codés A97.9 (dengue, sans précision).

Discussion-conclusion

Le taux d’hospitalisation entre avril 2017 et décembre 2018 s’élevait à 2%. Il était estimé à près de 5% en tenant compte de la sous-exhaustivité du système de surveillance. Au cours de cette période, 18% des cas hospitalisés étaient des cas sévères. Cinq décès ont été signalés : la létalité était de 18% parmi les cas sévères et de 3% parmi les cas hospitalisés.

Le taux d’hospitalisation était inférieur à celui observé précédemment en Nouvelle-Calédonie et en Guyane ; la proportion de cas sévères parmi les cas hospitalisés était inférieure à celle observée en Nouvelle-Calédonie mais comparable à celle observée en Guyane. En Nouvelle-Calédonie lors de l’épidémie de 2017, le taux d’hospitalisation était de 11,5%. Parmi les cas hospitalisés, 34% étaient sévères 20. En Guyane, en 2012-2013, le taux d’hospitalisation était de 13% et la proportion de formes sévères parmi les cas hospitalisés de 12% 21. Les différences observées à La Réunion peuvent, entre autres, s’expliquer par la circulation d’un seul sérotype en 2017-2018, alors que plusieurs sérotypes circulaient lors des épidémies en Guyane (le DENV-2 étant cependant largement majoritaire) et en Nouvelle-Calédonie. Les pratiques professionnelles diffèrent aussi sans doute entre les territoires, notamment en ce qui concerne les indications d’hospitalisation. De plus, les cas hospitalisés étaient plus jeunes en Guyane (âge médian de 21 ans ; 36% des cas avaient moins de 15 ans versus 4% à La Réunion) ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie (âge médian de 32 ans et 31% des cas avaient moins de 20 ans). Ce constat peut être expliqué par un possible sous-diagnostic de la dengue chez les enfants à La Réunion. Enfin, une classification différente était utilisée en Guyane pour définir les cas sévères (celle de l’OMS, 2009).

Comme lors de l’épidémie de 2017 en Nouvelle-Calédonie, l’âge était significativement associé à la sévérité. En revanche, à La Réunion, la présence d’au moins un signe d’alerte n’était pas associée à la sévérité. Cette différence de résultat peut s’expliquer par les faibles effectifs de notre étude et par l’utilisation du critère « thrombopénie » isolément (et non associé à l’élévation de l’hématocrite).

Des indicateurs différents utilisés dans les Antilles rendent difficile la comparaison avec la situation observée à La Réunion.

La surveillance des cas hospitalisés est essentielle pour le suivi de la sévérité de l’épidémie, notamment dans un contexte d’une seconde vague épidémique en 2019. Du fait du risque d’introduction de sérotypes différents sur le territoire par des cas importés, une augmentation du nombre de formes sévères est possible et pourrait être détectée par cette surveillance.

Une limite du système de surveillance au cours de la période d’étude réside dans le mode de réception des signalements, indirect via les résultats biologiques effectués à l’hôpital, et reposant sur le volontariat des médecins hospitaliers. Les patients ayant eu un prélèvement en ville et étant secondairement hospitalisés n’étaient pas identifiés. Ceci explique en partie que la moitié des cas hospitalisés n’auraient pas été identifiés par la surveillance de Santé publique France – Océan Indien entre avril 2017 et juin 2018. Les limites de l’exploitation du PMSI pour des études épidémiologiques ont été discutées par ailleurs 14. L’exhaustivité a pu être sous-estimée dans ce travail du fait de la variable « durée d’hospitalisation », moins précise dans le PMSI : 43 cas hospitalisés moins de 24 heures ont pu être pris en compte à tort.

Malgré une exhaustivité estimée perfectible, la surveillance mise en place a permis de décrire l’évolution du nombre de cas hospitalisés et de caractériser les patients concernés en termes de sévérité. Aussi, l’évolution des cas hospitalisés suit celle des passages aux urgences, autre indicateur de sévérité de l’épidémie.

Une évolution de cette surveillance a été mise en place afin d’en améliorer l’exhaustivité et pouvoir détecter des complications inattendues : une sensibilisation des médecins hospitaliers est réalisée ; des sources de données complémentaires pourront être utilisées dont les données du PMSI, accessibles chaque mois, malgré un délai nécessaire à leur consolidation. Une attention particulière sera portée à l’évaluation de la sévérité (recueil des informations à l’issue de l’hospitalisation) et à la complétude des fiches reçues (en particulier pour les facteurs de risque et le motif d’hospitalisation). La surveillance des cas hospitalisés et sévères doit être sanctuarisée en période d’épidémie et reste essentielle pour la planification de l’offre de soins lors des prochaines vagues épidémiques. Cette surveillance pourrait être plus ciblée sur certains services hospitaliers « sentinelles » (réanimation, maladies infectieuses, gynécologie-obstétrique, pédiatrie par exemple) afin de focaliser sur les cas les plus sévères. Les attentes des médecins hospitaliers doivent être prises en compte afin de permettre une bonne adhésion à cette surveillance. Des réflexions plus globales seront menées par Santé publique France – Océan Indien en collaboration avec les cliniciens concernés localement pour repréciser les objectifs et les modalités de la surveillance, notamment en période inter-épidémique ou en cas d’endémicité de la dengue à La Réunion.

Remerciements

L’ensemble des professionnels de santé ayant participé à cette surveillance sont vivement remerciés.

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Citer cet article

Verrier F, Etienne A, Vincent M, Vilain P, Lafont M, Mourembles Gil, et al. Sévérité de l’épidémie de dengue à La Réunion : données de surveillance des cas hospitalisés, avril 2017 à décembre 2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(19-20):383-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/19-20/2019_19-20_3.html