Épidémiologie de l’hypertension artérielle en France : prévalence élevée et manque de sensibilisation de la population
// Epidemiology of hypertension in France: high prevalence and lack of public awareness
Résumé
Contexte –
L’hypertension artérielle (HTA) est la maladie chronique la plus fréquente en France et un facteur de risque important de maladies cardiovasculaire, rénale et de démence. À l’occasion de la journée mondiale de l’HTA du 17 mai 2023, cet article dresse un panorama des dernières données épidémiologiques françaises.
Méthode –
Les résultats compilés dans ce panorama sur l’HTA en France sont issus de plusieurs sources de données : deux enquêtes en population générale (Esteban 2014-2016 et le Baromètre de Santé publique France 2019), une enquête auprès d’un panel de médecins généralistes et le Système national des données de santé.
Résultats –
En France, l’étude Esteban a mis en évidence que près de 30% des adultes étaient hypertendus, correspondant à près de 17 millions d’hypertendus. La connaissance, le traitement et le contrôle de l’HTA restent sous-optimaux en France et n’ont connu aucune amélioration récente, certains indicateurs ayant même subi une dégradation. Ainsi, près de 6 millions d’adultes sont hypertendus sans le savoir en France et plus de 4 millions d’hypertendus traités n’ont pas une pression artérielle contrôlée. Si plus d’1,6 million d’adultes initient chaque année un traitement antihypertenseur, la crise de la Covid-19 a eu un impact significatif avec une baisse de 11% de ces initiations en lien avec une diminution du recours aux soins.
Conclusion –
Des politiques de santé en faveur de la prévention primaire de l’HTA, de son dépistage, et de sa prise en charge doivent être mises en place rapidement pour permettre, comme dans d’autres pays, une évolution favorable des indicateurs sur l’HTA et ses complications cardiovasculaires.
Abstract
Background –
Hypertension is the most common chronic disease in France and a major risk factor for cardiovascular disease, kidney disease, and dementia. For the occasion of World Hypertension Day on May 17, 2023, this article presents an overview of the latest French epidemiological data.
Method –
The results compiled in this overview of hypertension in France came from several data sources: two surveys carried out in the general population (ESTEBAN 2014-2016 and the Santé publique France 2019 Health Barometer), a survey carried out in a panel of general practitioners, and the National Health Data System.
Results –
In France, the ESTEBAN study showed that nearly 30% of adults were hypertensive, corresponding to nearly 17 million hypertensives. Awareness, treatment, and control of hypertension remain suboptimal in France and have not improved recently. Thus, nearly 6 million adults in France are not aware of their hypertension and more than 4 million treated hypertensives do not have a controlled blood pressure. Although more than 1.6 million adults start antihypertensive treatment each year, the COVID-19 crisis has had a significant impact on these initiations, which have decreased by 11% in connection with lower use of care.
Conclusion –
Health policies that favor primary prevention, screening, and management of hypertension must be implemented rapidly to achieve a positive evolution of indicators on hypertension and its cardiovascular complications, as seen in other countries.
Introduction
Considérée comme maladie ou comme simple facteur de risque, l’hypertension artérielle (HTA) reste, de loin, la maladie chronique la plus fréquente en France avec près d’un adulte hypertendu sur trois 1. Souvent qualifiée de tueuse silencieuse en raison de l’absence fréquente de symptômes, l’HTA demeure l’une des principales causes de complications cardiovasculaires, rénales ou cognitives (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, insuffisance rénale, démence, etc.) 2,3. Malgré une baisse de la mortalité cardiovasculaire depuis plusieurs dizaines d’années en France et un infléchissement de l’incidence des maladies coronariennes chez les personnes de plus de 65 ans, les maladies cardiovasculaires restent en tête du fardeau des maladies (Burden of disease) en France 4,5,6,7. Dans ces mêmes analyses du fardeau des maladies, l’HTA était le premier facteur de risque de mortalité devant le tabac et le deuxième facteur de risque d’années de vie perdues en bonne santé en 2019 (1) 7. Qu’elle passe par des mesures hygiéno-diététiques ou des traitements pharmacologiques ou interventionnels, les bénéfices de la prise en charge de l’HTA ont été très clairement démontrés. En effet, un contrôle de la pression artérielle (PA) permet d’abaisser la mortalité et les handicaps liés aux complications de l’HTA 8,9. Ainsi, un contrôle tensionnel permet non seulement d’allonger l’espérance de vie, mais également la qualité de vie des patients hypertendus 10.
Malgré les bénéfices démontrés de la prévention, du dépistage et de la prise en charge de l’HTA 3,11,12,13, plusieurs indicateurs comme la prévalence, le dépistage ou le contrôle n’ont pas connu d’amélioration depuis 2006, contrairement à de nombreux pays 14.
À l’occasion de la journée mondiale de l’HTA du 17 mai 2023, cet article dresse un panorama des dernières données épidémiologiques françaises. Ce panorama compile des résultats récents, certains déjà publiés 1,15,16,17,18,19 et d’autres originaux provenant de plusieurs enquêtes nationales représentatives de la population française. Il propose pour la première fois une estimation robuste du nombre d’hypertendus en France 20.
Sources de données
Les données présentées dans cet article sont issues de deux enquêtes en population générale (Esteban et le Baromètre de Santé publique France), d’une enquête auprès d’un panel de médecins généralistes (MG) et du Système national des données de santé (SNDS).
L’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban)
L’étude Esteban est une étude transversale comportant un examen de santé, réalisée en population générale, en France métropolitaine entre 2014 et 2016, sur un échantillon de 3 021 adultes âgés de 18 à 74 ans. Le plan de sondage et d’échantillonnage, ainsi que la méthodologie détaillée de l’enquête ont été décrits dans le protocole de l’étude 21. Elle repose sur un plan de sondage probabiliste à trois degrés (communes ou regroupement de communes, ménages, individus) avec une stratification en fonction de la région et du degré d’urbanisation. La PA a été mesurée avec un tensiomètre Omron® 705-IT sur le bras droit à l’aide d’un brassard adapté à la circonférence du bras. Les mesures ont été effectuées à distance de 30 minutes de la prise de sang et après 5 minutes de repos, sans changement de position. Trois mesures ont été réalisées, à 1 minute d’intervalle. Les pressions artérielles systoliques (PAS) et diastoliques (PAD) ont été obtenues par la moyenne des deux dernières mesures. Les traitements à action antihypertensive ont été obtenus par un appariement des données individuelles des sujets inclus dans l’étude avec les données du SNDS. L’HTA a été définie par une PAS≥140 mm Hg ou une PAD≥90 mm Hg à l’examen de santé ou la prise d’un traitement à action antihypertensive 16. L’HTA était considérée comme connue si les personnes avaient répondu « oui » à la question : « Votre médecin vous a-t-il déjà dit que votre tension était trop élevée ? » ou si les personnes avaient coché « HTA » à la question « Avez-vous, ou avez-vous déjà eu, une de ces maladies ou problèmes de santé ? ». Chez les patients traités, l’HTA était considérée comme contrôlée si la PA était inférieure à 140/90 mm Hg. L’étude Esteban partage une méthodologie commune avec l’Enquête nationale nutrition santé (ENNS) menée en 2006, permettant d’étudier les évolutions temporelles de différents indicateurs sur l’HTA entre 2006 et 2015.
Le panel de médecins généralistes
Un panel de 1 300 MG volontaires, affiliés au Collège de médecine générale, a été invité à participer à une enquête début 2019. L’objectif était de décrire leurs opinions et ressentis sur différentes thématiques, dont l’HTA.
Le recueil des données a été réalisé par Internet du 28 janvier au 18 février 2019. En plus de l’invitation initiale à participer, deux relances par mail ont été effectuées. Au total, 753 questionnaires complets ont été remplis, soit un taux de participation de 58%. Les données ont été redressées sur la structure de la population des MG sur les critères de sexe et d’âge, disponibles dans le répertoire partagé des professionnels de santé (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Drees – 2018).
Le Baromètre de Santé publique France
Cette enquête menée par téléphone à intervalles réguliers a pour objectif de mesurer les connaissances, opinions et pratiques en matière de santé de la population résidant en France métropolitaine. La constitution de son échantillon repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphone, fixe comme mobile 22. L’édition 2019 a été menée par l’Institut Ipsos, entre le 9 janvier et le 29 juin 2019, auprès de 10 352 personnes âgées de 18 à 85 ans. Le taux de participation révisé s’est élevé à 50,8%. L’ensemble des participants a été interrogé sur plusieurs thématiques de santé, dont l’HTA. Les données ont été pondérées afin de tenir compte de la probabilité d’inclusion, puis redressées sur la structure de la population par sexe croisé avec l’âge en tranches décennales, la région, la taille d’unité urbaine, la taille du foyer et le niveau de diplôme (population de référence : Institut national de la statistique et des études économiques – Insee –, enquête emploi 2018).
Le Système national des données de santé
Le SNDS est une base de données française regroupant, pour l’ensemble, des affiliés à un régime de sécurité sociale, les données de l’Assurance maladie (base du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie – SNIIRAM –). Celles-ci comprennent l’ensemble des prestations de soins de ville ayant donné lieu à un remboursement (actes médicaux, délivrance de médicaments, consultations, etc.), les données hospitalières de la base du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et les causes médicales de décès (CépiDC).
Résultats
Une estimation de la prévalence de la maladie complexe
L’estimation de la prévalence de l’HTA cache une réalité complexe. En effet, la non-prise en compte de la variabilité intra-individuelle de la pression artérielle (PA) dans les études épidémiologiques dans lesquelles celle-ci n’est mesurée qu’au cours d’une visite unique, conduit à une surestimation de la prévalence de l’hypertension artérielle. Dans la pratique clinique, plusieurs mesures sont réalisées des jours différents avec des automesures à domicile ou une mesure ambulatoire sur 24 heures pour confirmer le diagnostic. De plus, pour estimer la prévalence de l’HTA en France, il est nécessaire de disposer d’un échantillon qui soit représentatif de la population française.
L’étude Esteban, réalisée entre 2014 et 2016 en France métropolitaine, répondait aux critères de représentativité et disposait d’une mesure standardisée de la PA pour l’identification des patients hypertendus. Cette nouvelle étude transversale en population générale a mis en évidence une stabilité de la prévalence de l’HTA depuis l’ENNS en 2006 (31%) avec presque 1 adulte sur 3 hypertendu 1,16.
Un travail réalisé à partir des données de cette enquête a permis de corriger cette prévalence pour tenir compte de ce biais. Pour cela, les données de l’enquête américaine National Health and Nutrition Examination Survey III, dans laquelle la PA a été mesurée lors de trois visites successives, ont été utilisées comme source externe.
Les différents composants de la variabilité de la PA systolique et diastolique ont été estimés, par âge et par sexe, à partir d’un modèle hiérarchique Bayesien chez les adultes. En effet, la variabilité de la PA moyenne des individus dans une étude épidémiologique (VPA-pop) résulte de la vraie variabilité de la PA entre individus (variabilité inter-individuelle – Vinter-ind), de la variabilité de PA entre plusieurs visites pour un même individu (variabilité intra-individuelle inter-visite – Vintra-visite) et de la variabilité des mesures de la PA pour un individu au cours de la même visite (variabilité intra-individuelle, intra-visite – Vinter_visite). Si m mesures de PA sont réalisées durant v visites dans l’étude, la variabilité de la PA moyenne des individus est donnée par l’équation :
L’estimation de ces différents composants de la variabilité dans une étude comportant plusieurs visites permet de déduire des facteurs de corrections des valeurs de la PAS et de la PAD, donc de proposer une mesure corrigée de la PA individuelle pour un individu i :
Avec, pour un individu i, PAcorr_i la pression artérielle corrigée ; PAnoncorri la moyenne des valeurs de PA mesurées et PAmoypop la pression artérielle moyenne de la population d’étude.
Les facteurs de corrections pour la PAS et la PAD ont ensuite été estimés et appliqués à l’ensemble des adultes inclus dans l’étude Esteban 20.
Les résultats montrent une surestimation de la prévalence de l’HTA dans Esteban. Après correction, la prévalence de l’HTA en France passe de 31,3% [28,8-34,0] à 27,9% [25,5-30,5] (tableau). L’application de la prévalence corrigée (27,9% de la population) aux données de l’Insee de population permet d’estimer le nombre d’hypertendus en France à 12,7 millions d’adultes entre 18 et 74 ans. L’extrapolation de la prévalence de l’HTA chez les plus de 74 ans, en projetant la prévalence des 65-74 ans aux classes d’âge supérieures, estimait ce nombre à 17 millions chez les adultes de plus de 18 ans (figure).
La correction de la prévalence de l’HTA dans la population a un impact sur l’évaluation de la proportion de personnes ayant connaissance de leur HTA, étant traitées ou contrôlées. En effet, si la non-prise en compte de la variabilité intra-individuelle de la PA dans une étude a tendance à surestimer la prévalence, elle participe au contraire à la sous-estimation de la connaissance, du traitement et du contrôle en réduisant le dénominateur (tableau). Ainsi, après correction, 30% des hypertendus étaient contrôlés, contre seulement 24% avant prise en compte de la variabilité. Néanmoins, si ces chiffres reflètent probablement plus la réalité, ils ne sont pas comparables avec les autres études épidémiologiques françaises ou étrangères souffrant du même biais lié à la non-prise en compte de la variabilité et dont les résultats ne sont pas redressés.
Une prise en charge sous-optimale malgré un recours aux soins important
Le dépistage et la connaissance de la maladie, première étape de la prise en charge
Le dépistage précoce de l’HTA permet de limiter les complications. Il constitue le premier maillon de la prise en charge. L’étude Esteban a mis en évidence qu’en France, malgré des mesures régulières de la PA, seul 1 hypertendu sur 2 avait connaissance de son hypertension 20 (figure). Aucune amélioration de la connaissance de l’HTA n’a été observée dans la population française depuis l’ENNS réalisée en 2006. Ce chiffre reste très en dessous du niveau de connaissance atteint dans les autres pays européens ou nord-américains. En effet, en Allemagne 23, au Canada 24, au Québec 25 et aux États-Unis 26, plus de 80% des hypertendus avaient connaissance de leur hypertension. Au Portugal 27 et en Angleterre 28, ce taux dépassait les 70%, et la moyenne dans les pays développés atteignait 67% 2. Compte tenu de la facilité de dépistage de l’HTA, du développement des appareils d’automesure tensionnels à domicile et du niveau de recours aux soins en France, la stagnation du niveau de connaissance alors qu’il progresse dans de nombreux pays pose question.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce manque de connaissance, notamment un dépistage insuffisamment performant ou la difficulté de compréhension et d’acceptation du diagnostic par les patients lors de l’annonce de la maladie 17.
Dans l’étude Esteban, le manque de connaissance ne concernait pas seulement les hypertendus de bas grade (c’est-à-dire avec une PA inférieure à 160/100 mm Hg) puisque respectivement 43% et 35% des adultes hypertendus de grade 2 et de grade 3 ne se savaient pas hypertendus (figure).
Ce déficit de dépistage en France devrait interroger sur la nécessité d’une promotion de la mesure de la PA dans toute visite avec un professionnel de santé, sur l’importance de l’information et de l’éducation à la santé données au public et sur la nécessité d’un suivi tensionnel rapproché en cas de mesure élevée.
Un recours aux soins important
L’enquête Esteban a également mis en évidence que chez les adultes hypertendus ayant connaissance de leur maladie, 93% avaient au moins eu une consultation chez le MG dans l’année et 11,4% chez le cardiologue 16. En moyenne, les hypertendus avaient 10 consultations par an chez le généraliste (figure). Néanmoins, le motif de la consultation n’étant pas connu dans cette étude, toutes n’avaient pas forcément pour motif l’HTA.
Un recours trop peu préconisé aux mesures hygiéno-diététiques…
Chez les patients dépistés, les règles hygiéno-diététiques constituent le traitement de première ligne pour les hypertensions de grade I 12,13,29. Dans le cas où un traitement pharmacologique est requis, les mesures hygiéno-diététiques constituent des compléments, compte tenu de leur efficacité démontrée dans l’aide au contrôle de la PA, mais également dans le contrôle des autres facteurs de risque cardiovasculaires comme le diabète, les dyslipidémies, la sédentarité ou l’obésité. Malgré le recours aux soins important chez les hypertendus en France, dans Esteban, 57% des patients hypertendus connus déclaraient ne pas avoir reçu de conseils hygiéno-diététiques au cours de l’année précédente 19 (figure). Dans une étude réalisée auprès des MG, moins de la moitié des médecins interrogés se sentait impliquée dans la prévention nutritionnelle de la surcharge pondérale, de la sédentarité et de la consommation d’alcool 17.
… et aux traitements pharmacologiques
En 2019, les données du SNDS montrent qu’un traitement antihypertenseur a été initié chez plus de 1 600 000 adultes en France 18. Pourtant, moins d’1 patient hypertendu sur 2 était traité pharmacologiquement 20, ce qui restait très inférieur aux taux observés dans d’autres pays européens ou nord-américains 23,24,25,27 (figure). La proportion de femmes avec une HTA connue traitées par un médicament antihypertenseur a même diminué entre les études ENNS de 2006 et Esteban de 2015 alors que cette proportion est restée stable chez les hommes sur la même période. Si la situation au niveau national ne semble pas favorable, elle ne doit pas totalement éclipser des améliorations dans certains territoires comme en témoignent les résultats de certaines études infranationales 30.
Comme pour le dépistage, les patients non traités pharmacologiquement ne se limitaient pas à des patients avec un niveau de PA proche du seuil de l’HTA. En effet, en 2015, dans l’étude Esteban une proportion significative de patients non traités avait une hypertension de grade 2 ou 3 (20%). Parmi les patients traités, moins d’1 sur 2 était contrôlé, amenant la proportion d’hypertendus contrôlés à environ 1 sur 4 20 (figure).
Ce niveau de contrôle bas était lié à une inertie thérapeutique comme en témoigne la proportion importante de patients en monothérapie (60%). Si celle-ci est recommandée en première intention dans l’initiation du traitement pharmacologique, elle doit faire l’objet d’une réévaluation de la PA au bout d’un mois, avec comme recommandation de passer à une bithérapie fixe en cas de non-contrôle 12,31,32. De plus, parmi les adultes traités par monothérapie, près d’1 sur 5 recevait un bêta-bloquant alors que les recommandations françaises de la Haute Autorité de santé (HAS) et de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA) précisaient leur moindre efficacité par rapport aux quatre autres classes d’antihypertenseurs (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, antagonistes de l’angiotensine II, inhibiteurs calciques et diurétiques) pour l’initiation d’un traitement en monothérapie 12,31,32 (figure). Des résultats similaires et complémentaires à ceux d’Esteban ont également été décrits dans les enquêtes Flash, réalisées régulièrement en France. Ces enquêtes ont également mis en évidence que les hypertendus avaient en moyenne 1,7 médicament antihypertenseur sur leur ordonnance en 2017 33.
Enfin, l’observance aux traitements pharmacologiques restait faible dans l’étude Esteban, avec seulement 40% des hypertendus connus et traités qui pouvaient être considérés comme observant, c’est-à-dire qu’ils avaient au moins 80% des jours de l’année couverts par un traitement antihypertenseur 34 (figure). Cette observance basse aux traitements est à mettre en regard des résultats de l’enquête auprès des médecins généralistes. En effet, près de 30% des médecins généralistes rapportaient que les patients émettaient fréquemment des réserves importantes lors de la prescription de traitements pharmacologiques (figure). Ces réserves avancées par les patients lors de la prescription étaient les mêmes que celles rapportées pour justifier de la prise irrégulière du traitement : (1) ne se sent pas malade, n’a pas de symptômes et (2) n’a pas envie de prendre un traitement à vie 17.
La SFHTA en 2013, et la HAS en 2016, recommandaient la mise en œuvre d’une consultation dédiée d’annonce du diagnostic et d’information du patient sur les risques liés à l’HTA, ainsi que sur les bénéfices et éventuels problèmes de tolérance des traitements antihypertenseurs 12,31,32. Compte tenu des réserves fréquemment rapportées par les patients lors de la prescription et de la mauvaise observance, cette consultation d’annonce apparaît être un élément important pour pallier la difficulté d’acceptation de la maladie et la lassitude face à la prise d’un traitement chronique. Le recours plus systématique à ce type de consultation pourrait permettre une amélioration de la prise en charge des patients hypertendus.
L’automesure tensionnelle
Point positif, environ 1 Français sur 5 disposait d’un appareil d’automesure tensionnelle à son domicile en 2015 selon l’étude Esteban. Cette proportion montait à 54% chez les hypertendus connus et 59% chez les hypertendus connus et traités 15 (figure). Dans le Baromètre de Santé publique France de 2019, plus de 60% des adultes avec une hypertension connue possédait un appareil d’automesure tensionnelle. En revanche, seul 1 hypertendu sur 2 possédant un appareil transmettait les résultats à son médecin traitant.
Quel impact de la crise sanitaire sur la prise en charge de l’hypertension ?
Une étude réalisée à partir du SNDS a mis en évidence qu’en 2020, l’initiation des traitements antihypertenseurs avait diminué de manière significative (-11%), comparativement à la période 2017-2019 18. Une observation similaire a été faite pour les autres traitements du risque vasculaire. La diminution des initiations de traitements antihypertenseurs était particulièrement importante chez les femmes (-16%), atteignant même plus de 30% de baisse chez celles âgées de 75 à 84 ans par rapport à la baisse observée chez les hommes (-5%). En 2021, contrairement à ce qui était observé chez les hommes, aucun rattrapage n’a été observé chez les femmes avec des niveaux d’initiation qui restaient inférieurs aux niveaux de 2019.
Une baisse concomitante des visites chez le MG et le cardiologue a été observée sur la même période et constitue l’hypothèse privilégiée pour expliquer cette diminution des dépistages et prise en charge de nouveaux patients 18. En effet, non seulement la diminution du recours aux soins a été plus marquée chez les femmes et les plus âgés, mais les femmes ont également plus téléconsulté que les hommes, limitant peut-être les dépistages opportunistes de l’HTA pendant la pandémie.
Ces résultats, qui montrent un recul du dépistage et de la prise en charge de l’HTA en France pendant la crise sanitaire, soulignent la nécessité de renforcer l’information du public concernant la prévention cardiovasculaire et l’importance de ne pas renoncer à recourir aux soins de ville, notamment pour les femmes
Quelles pistes d’amélioration ?
Les pistes d’amélioration de la situation dans le champ de l’HTA sont nombreuses. L’amélioration de la prescription et de l’adhésion aux mesures hygiéno-diététiques, de la prise en charge thérapeutique et de l’observance aux traitements, qui passent par l’éducation thérapeutique et la formation initiale et continue des médecins, sont autant de domaines dans lesquels la marge de progression reste importante. Le nombre d’heures d’enseignement sur l’HTA pendant le cursus de formation des médecins varie d’une université à l’autre, mais reste très anecdotique (moins de deux heures dans certaines universités), compte tenu de la fréquence de cette maladie. Cependant, le maintien d’une promotion active des bons comportements de santé pour limiter le risque d’HTA et l’amélioration du dépistage, première étape indispensable de la prise en charge, semblent prioritaires à mettre en œuvre en France.
Les Français acteurs de leur santé
La promotion des comportements sains pour la santé dès le plus jeune âge, notamment une alimentation équilibrée, riche en fruits et légumes avec une consommation de sel et d’alcool limitée, l’activité physique et la lutte contre la sédentarité doivent rester une priorité pour lutter contre l’HTA. Ces mesures ont prouvé leur efficacité et doivent rester au cœur des programmes de prévention chez les enfants et les adultes. Si certains déterminants sont bien identifiés par la population, d’autres comme l’alcool restent moins connus.
La mise en œuvre des campagnes de prévention permettant une amélioration de l’autonomisation du patient ou l’ « empowerment concept » (qui repose sur la prise de contrôle par le patient lui-même des prises de décision concernant sa santé, notamment cardiovasculaire) sont des pistes d’action pour tenter d’infléchir la situation de l’HTA en France. La connaissance par les adultes des chiffres concernant leur santé cardiovasculaire, comme par exemple les chiffres de PA, mais aussi leur signification et les valeurs seuils, est l’une des conditions préalables à l’adoption de comportements plus sains. Si cette connaissance n’est pas suffisante pour initier un changement de comportement, elle reste l’une des premières étapes du cheminement pour y parvenir. S’assurer également qu’une personne comprend ses chiffres de PA et son risque cardiovasculaire peut lui permettre d’envisager des mesures pour les changer, mais aussi d’évaluer l’impact des changements de mode de vie mis en œuvre sur ses chiffres.
Conclusion
Avec 17 millions d’hypertendus en France, dont plus de 6 millions n’ayant pas connaissance de leur pathologie, et seulement 1 patient sur 4 ayant une PA contrôlée, l’HTA est un enjeu important de santé publique. Des politiques de santé en faveur de la prévention primaire de l’HTA, de son dépistage, et de sa prise en charge doivent être mises en place rapidement pour permettre, comme dans d’autres pays, une évolution favorable des indicateurs épidémiologiques de la maladie chronique la plus fréquente et de ses complications cardiovasculaires.
Liens d’intérêts
Valérie Olié, Clémence Grave, Arnaud Gautier, Édouard Chatignoux, Amélie Gabet et Christophe Bonaldi ne déclarent pas de liens
d’intérêt.
Jacques Blacher déclare des liens d’intérêt avec Abbott, Bayer, Bottu, Ferring, Steripharma, Kantar, Teriak, Pfizer, Sanofi,
Servier et Quantum Genomics en dehors du travail soumis.
Références
2023/5/2023_5_2.html
santepubliquefrance.fr/beh/2020/5/2020_5_3.html
memo_rapport_elaboration_hta_mel.pdf