Prévalence du diabète connu dans 4 départements et régions d’outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. Résultats du Baromètre de Santé publique France de 2021

// Prevalence of known diabetes in four French overseas departments and regions: Guadeloupe, Martinique, French Guiana and Reunion Island. Results from the 2021 Santé publique France Health Barometer

Hugo Hernandez1, Clara Piffaretti1, Arnaud Gautier1, Emmanuel Cosson2, Sandrine Fosse-Edorh1 (sandrine.fosse@santepubliquefrance.fr)
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 AP-HP, CHU Avicenne, Université Paris 13, Sorbonne, CRNH Île-de-France, Cinfo, Bobigny
Soumis le 26.07.2023 // Date of submission: 07.26.2023
Mots-clés : Diabète connu | Prise en charge | Prévalence | Départements et régions d’outre-mer
Keywords: Known diabetes | Care management | Prevalence | French overseas departments and regions

Résumé

Introduction –

L’objectif de notre étude est d’estimer la prévalence du diabète auto-déclaré, i.e. connu, en population générale adulte, dans quatre départements et régions d’outre-mer (DROM) : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. En outre, nous explorons la notion de « petit diabète », défini dans le cadre de cette étude comme étant un « début de diabète, mais pas trop grave ». Nous décrivons également les caractéristiques des personnes atteintes d’un diabète ainsi que leur prise en charge.

Méthodes –

Les données utilisées proviennent du Baromètre de Santé Publique France DROM 2021, enquête transversale s’appuyant sur des échantillons constitués par génération aléatoire de numéros de téléphone. Plus de 6 500 personnes âgées de 18 à 85 ans (1 511 en Guadeloupe, 1 526 en Martinique, 1 478 en Guyane et 2 004 à La Réunion) ont été interrogées par téléphone sur leur connaissance d’un diabète ou d’un « petit diabète », sur la durée d’évolution de celui-ci ainsi que sur leur prise en charge respective.

Résultats –

En 2021, la prévalence du diabète connu s’élevait à 13,6% à La Réunion, 12,0% en Guadeloupe, 11,6% en Guyane et 11,5% en Martinique. Parmi les personnes n’ayant pas déclaré un diabète, la proportion de « petit diabète » était estimée à 4,1% en Martinique, 3,6% en Guadeloupe, 3,4% à La Réunion et 2,5% en Guyane. Quatre-vingt-deux pour cent des personnes ayant un diabète connu étaient traitées pharmacologiquement à La Réunion, alors que 90% l’étaient en Guyane, 92% en Martinique et 93% en Guadeloupe. Parmi les personnes diabétiques non traitées pharmacologiquement résidant dans les 4 DROM, 42% avaient recours à un régime alimentaire, 33% à de l’activité physique, 14% à l’autosurveillance glycémique et 26% à l’utilisation de plantes. Enfin, 44% des personnes diabétiques non traitées pharmacologiquement déclaraient n’utiliser aucune mesure de prise en charge recommandée (35% aucune mesure et 9% seulement des plantes).

Conclusion –

Notre étude rapporte une prévalence élevée du diabète connu dans les DROM, dont une fraction importante de cas non traités pharmacologiquement parmi lesquels plus de quatre personnes sur dix ne bénéficient d’aucune mesure hygiéno-diététique quel que soit le DROM. En outre, nous rapportons une fréquence élevée de cas de « petit diabète » qui représente un frein potentiel à une prise en charge adaptée.

Abstract

Introduction –

The aim of our study was to estimate the prevalence of self-reported diabetes, i.e. known diabetes, in the general adult population of four French overseas departments and regions (DROM): Guadeloupe, Martinique, French Guiana and Reunion Island. In addition, we explore the notion of “mild diabetes”, i.e. “onset of diabetes but not severe”. We also describe the characteristics of people living with diabetes and their care pathway.

Methods –

The data come from the 2021 Santé Publique France DROM Health Barometer, a cross-sectional survey based on randomly generated samples of telephone numbers. More than 6,500 participants aged between 18 and 85 (1,511 in Guadeloupe, 1,526 in Martinique, 1,478 in French Guiana and 2,004 in Reunion Island) were interviewed by phone about their experience of diabetes or “mild diabetes”, how long their condition had progressed and how it was managed.

Results –

In 2021, the prevalence of known diabetes was 13.6% in Reunion Island, 12.0% in Guadeloupe, 11.6% in French Guiana and 11.5% in Martinique. Among people who did not declare diabetes, the prevalence of “mild diabetes” was estimated at 4.1% in Martinique, 3.6% in Guadeloupe, 3.4% in Reunion Island and 2.5% in French Guiana. Eighty-two percent (82%) of people with diabetes in Reunion Island were pharmacologically treated, compared with 90% in French Guiana, 92% in Martinique and 93% in Guadeloupe. Among non-pharmacologically-treated people living in the four DROMs, 42% used diet, 33% physical activity, 14% self-monitoring of blood glucose and 26% the use of plants. Lastly, 44% of non-pharmacologically-treated diabetics declared they were not using any of the recommended measures (35% no measures at all, and 9% plants alone).

Conclusion –

Our study shows a high prevalence of known diabetes in the French DROMs, including a high proportion of non-pharmacologically treated cases, with more than four out of ten people in all DROMs not receiving any specific health or dietary care. In addition, we report a high frequency of cases of “mild diabetes”, which represents a potential obstacle to appropriate care management.

Introduction

Le diabète est une affection métabolique chronique qui touche 537 millions de personnes dans le monde 1. En 2021, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement en France s’élevait à 5,4% (1). Dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), en tenant compte de la structure d’âge de la population, souvent plus jeune, ces prévalences étaient fortement augmentées, voire presque doublées à La Réunion par rapport à l’ensemble du territoire (1).

Par ailleurs, l’International Diabetes Federation a estimé qu’en 2021, près d’un adulte ayant un diabète sur deux (20-79 ans) ignorait son statut de diabétique (44,7% ; 239,7 millions) 2. Cette proportion varie fortement selon les régions du monde et les pays 2. En France, l’enquête Rédia 3 menée à La Réunion en 1999-2001 auprès de personnes âgées de 30 à 69 ans, rapportait une prévalence du diabète méconnu de 7,0% chez les hommes et 5,6% chez les femmes, représentant environ un tiers de l’ensemble des cas de diabète. Plus récemment, en 2019, l’enquête Unono Wa Maore 4 menée à Mayotte, rapportait une prévalence du diabète méconnu de 4,7% parmi les personnes âgées de 18 à 69 ans, soit près de 40% de tous les cas de diabète. Dans l’Hexagone, deux études menées en 2013-2014 chez des personnes âgées de 18 à 69 ans et en 2014-2016 chez des personnes âgées de 18 à 74 ans rapportaient une prévalence du diabète méconnu de 1,6% 5 et 1,7% 6, respectivement. D’un point de vue clinique, il est essentiel de diagnostiquer la maladie le plus tôt possible au stade asymptomatique, afin de prévenir ou retarder le développement de complications micro- et macrovasculaires. Toutefois, ce diagnostic précoce doit être accompagné d’une prise en charge par des mesures hygiéno-diététiques voire un traitement pharmacologique, visant un contrôle adéquat de la glycémie.

D’un point de vue épidémiologique, décrire le fardeau du diabète consiste donc à s’intéresser au diabète connu et également au diabète non diagnostiqué, ou plus largement au diabète méconnu. Ce dernier pouvant être soit non diagnostiqué soit diagnostiqué, mais sans que la personne ne se reconnaisse comme atteinte par la maladie.

En France, la prévalence du diabète traité pharmacologiquement est bien décrite 7, mais les informations concernant le diabète non traité pharmacologiquement et le diabète méconnu sont plus rares. Ces dernières reposent sur des enquêtes transversales avec un examen de santé incluant des prélèvements biologiques, telles que les enquêtes Rédia 3, Unono Wa Maore 4. Ces enquêtes sont peu fréquentes car coûteuses et difficiles à mettre en œuvre. En complément de ces enquêtes, un recueil d’informations déclaratives auprès de la population générale, tel que le Baromètre de Santé publique France permet de décrire la situation épidémiologique du diabète connu, de façon plus régulière, donc plus réactive. Il permet également d’explorer le diabète méconnu en abordant la notion de « petit diabète », défini dans le cadre de cette étude, comme un « début de diabète, mais pas trop grave », parmi les personnes ne se déclarant pas diabétiques.

Les objectifs de notre étude étaient d’estimer la prévalence du diabète connu en population générale adulte, dans quatre DROM : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, ainsi que d’explorer la notion de « petit diabète » et de décrire les caractéristiques des personnes concernées, ainsi que leur prise en charge.

Méthodes

Cette étude a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France DROM de 2021 8,9, qui est une enquête transversale en population générale menée chez les personnes âgées de 18 à 85 ans résidant en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à La Réunion. L’enquête a été conduite entre le 7 avril et le 12 octobre 2021 aux Antilles et en Guyane, et du 20 avril au 13 juillet 2021 à La Réunion. Les échantillons ont été constitués à l’aide d’une génération aléatoire de numéros de téléphone fixes et mobiles par les enquêteurs.

Au total, 6 519 personnes âgées de 18 à 85 ans ont participé à l’enquête : 1 511 en Guadeloupe, 1 526 en Martinique, 1 478 en Guyane et 2 004 à La Réunion. Les taux de participation à l’enquête s’élevaient à 46% en Guadeloupe et Martinique, 51% à La Réunion et 54% en Guyane.

Au cours d’un entretien téléphonique réalisé par des enquêteurs créolophones, de nombreuses thématiques étaient abordées : l’environnement, les addictions, la vaccination, le diabète, l’hypertension artérielle, la Covid-19, la santé mentale, l’alimentation et l’activité physique. Le diabète connu a été identifié dans la population d’étude par la question « Un médecin vous a-t-il déjà dit que vous étiez diabétique ? ». La notion de « petit diabète » était explorée, parmi ceux qui n’avaient pas déclaré de diabète, par la question « Un médecin vous a-t-il déjà dit que vous aviez « un petit diabète » ou un début de diabète mais pas trop grave ? ». Puis, les personnes qui avaient répondu positivement à l’une des deux questions ont été interrogées sur des caractéristiques plus spécifiques concernant entre autres la durée d’évolution de leur diabète et sa prise en charge.

L’ensemble des résultats ont été pondérés en tenant compte des probabilités d’inclusion, redressées sur la structure de la population de chaque DROM selon les critères suivants : le sexe, l’âge, la taille du foyer et le niveau de diplôme issus de l’Enquête emploi 2020 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS software® (version 7.1, SAS Institute, Cary, NC, USA). Les proportions et les moyennes sont présentées avec leur intervalle de confiance à 95% associées (IC95%). Elles ont été estimées pour chaque DROM en utilisant l’information disponible pour l’ensemble des quatre territoires ce qui permet d’améliorer la précision des indicateurs. Les proportions ont été comparées à l’aide du test du Chi2 de Rao-Scott.

Résultats

Population d’étude

Les caractéristiques de la population d’étude sont présentées dans le tableau 1. Il y avait une majorité de femmes dans chacun des 4 DROM. La moyenne d’âge globale était de 48,1 ans. Il existait une disparité territoriale importante avec un âge moyen sensiblement plus bas en Guyane et dans une moindre mesure à La Réunion par rapport à la Martinique et la Guadeloupe.

Tableau 1 : Description de la population d’étude chez les personnes âgées de 18-85 ans. Baromètre
de Santé publique France, 2021
Agrandir l'image

Prévalence du diabète connu

La prévalence du diabète connu s’élevait à 12,0% en Guadeloupe, 11,5% en Martinique, 11,6% en Guyane et 13,6% à La Réunion (tableau 2).

Les répartitions selon le sexe, l’âge, le lieu de naissance et l’indice de masse corporelle (IMC) sont décrites dans le tableau 2. Un sex-ratio en défaveur des femmes était observé dans chaque territoire ultramarin. On observait entre les 4 DROM une élévation importante de la prévalence du diabète connu en fonction de l’âge, avec un rapport de 1 à 10 entre la classe d’âge des 18-49 ans et celle des 70-85 ans, quel que soit le sexe.

À La Réunion et en Guadeloupe, la prévalence du diabète connu était significativement plus importante chez les personnes nées dans les DROM que parmi celles nées dans l’Hexagone et dans une moindre mesure parmi celles nées à l’étranger. On notait, en Guyane, une spécificité par rapport aux autres territoires avec une prévalence très élevée du diabète connu chez les femmes nées à l’étranger (16,6%), prédominant notamment chez les femmes âgées de plus de 70 ans.

Enfin une prévalence plus élevée était observée chez les personnes ayant des revenus plus faibles, c’est-à-dire se situant dans les deux premiers terciles. De la même manière, il existait un gradient décroissant de la prévalence en fonction du niveau d’études et un gradient croissant en fonction de l’IMC.

Tableau 2 : Taux de prévalence du diabète connu global et décliné par groupe de population chez les personnes âgées de 18-85 ans. Baromètre de Santé publique France, 2021
Agrandir l'image

Le « petit diabète »

La fréquence du « petit diabète » parmi les personnes n’ayant pas déclaré un diabète était estimée à 3,6% en Guadeloupe, 4,1% en Martinique, 2,5% en Guyane et 3,4% à La Réunion (tableau 3). Le sex-ratio était comparable à celui du diabète connu sauf à La Réunion où il était supérieur chez les hommes par rapport aux femmes. La répartition selon les autres caractéristiques sociodémographiques était globalement équivalente à celle du diabète.

Tableau 3 : Prévalence du « petit diabète » parmi les personnes âgées de 18-85 ans n’ayant pas déclaré un diabète. Baromètre de Santé publique France, 2021
Agrandir l'image

Caractéristiques et prise en charge du diabète et du « petit diabète »

Les caractéristiques de la population ayant un diabète connu sont présentées dans le tableau 4. Il existait des disparités territoriales concernant l’ancienneté du diabète : en Guadeloupe, la proportion des personnes ayant un diabète connu depuis plus de 10 ans s’élevait à 54,8% contre 49,1% en Guadeloupe, 43,2% à La Réunion et seulement 39,8% en Guyane. Concernant le « petit diabète », on retrouvait une ancienneté beaucoup moins importante : moins de 6 mois pour 26,5% et entre 6 mois et un an pour 19,5% de la population. Cependant 18,5% présentaient une ancienneté d’au moins 2 ans.

Le recours à un traitement pharmacologique variait significativement selon les DROM : 82,4% des personnes ayant un diabète connu étaient traitées pharmacologiquement à La Réunion, contre 90,1% en Guyane, 91,7% en Martinique et 93% en Guadeloupe (tableau 4). Parmi les personnes actuellement traitées, près de 21% déclaraient une adhésion incomplète, c’est-à-dire qu’elles avaient déjà arrêté leur traitement au moins une fois, un chiffre assez homogène dans les 4 territoires ultramarins. Ce phénomène était plus souvent rapporté par les hommes que les femmes (tableau 4). Globalement, les raisons des arrêts de traitement citées étaient liées au « rejet du médicament » (30,1%, IC95%: [19,4-42,5]), à un oubli ponctuel (28,2% [19,6-38,2]), aux effets secondaires (18,9% [11,0-29,4]), à une rupture de médicaments (7,5% [2,1-18,1]), à la substitution par des plantes (6,9% [2,6-14,3]), ou plus rarement à une perte de poids (4,1% [1,1-10,4]) ou au ressenti d’un manque d’efficacité du traitement (1,2% [0,1-4,8]). Parmi les personnes non traitées, 26,8% [7,8-55,2] des résidents de Guadeloupe avaient déjà eu recours à un traitement pharmacologique, 34,8% [13,4-62,1] en Martinique, 21,7% [2,9-58,1] en Guyane et 10,1% [3,5-21,6] à La Réunion.

Les personnes présentant un diabète connu, mais non traitées pharmacologiquement, rapportaient recourir à d’autres types de mesures. Le plus souvent, plusieurs mesures étaient citées, notamment un régime alimentaire (42%), l’activité physique (33,3%), l’autosurveillance glycémique (14,2%) ou encore l’utilisation de plantes (25,9%). Enfin, 44% des personnes avec un diabète non traité pharmacologiquement déclaraient ne recourir à aucune mesure recommandée dans le cadre de la prise en charge d’un diabète : 34,7% citaient ne recourir à aucune mesure et 8,8% avaient déclaré un recours exclusif aux plantes.

Parmi les personnes déclarant un « petit diabète », 19,5% précisaient être traitées par des agents anti-hyperglycémiants oraux. Le recours à des stratégies hygiéno-diététiques comme le régime (45,7%), l’activité physique (41,4%) et l’autosurveillance glycémique (23,2%) était fréquent. L’utilisation des plantes (24,4%) était citée dans des proportions proches de la population avec un diabète non traité (tableau 5) mais aucune personne n’avait un recours exclusif aux plantes.

Parmi les personnes ayant un diabète connu, seulement 3,4% de celles traitées pharmacologiquement et 14,5% de celles non traitées pharmacologiquement n’avaient pas consulté un médecin généraliste dans les douze derniers mois. Parmi les personnes déclarant un « petit diabète », cette part s’élevait à 9,8% chez celles qui prenaient un agent anti-hyperglycémiant oral contre 14,5% pour celles non traitées pharmacologiquement.

Tableau 4 : Ancienneté du diabète et recours au traitement pharmacologique des personnes âgées de 18-85 ans, ayant un diabète connu. Baromètre de Santé publique France, 2021
Agrandir l'image
Tableau 5 : Mode de recours parmi les personnes ayant un diabète âgées de 18-85 ans non traitées pharmacologiquement et celles présentant un « petit diabète ». Baromètre de Santé publique France, 2021
Agrandir l'image

Discussion

Le Baromètre de Santé publique France 2021, enquête sur un échantillon probabiliste de la population générale adulte, a permis d’estimer la prévalence du diabète connu parmi les personnes âgées de 18 à 85 ans résidant dans quatre DROM : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion. Globalement, la prévalence était similaire aux Antilles et en Guyane (environ 12%) et plus élevée à La Réunion (13,6%), alors que la population réunionnaise s’avère plus jeune (47 ans en moyenne) que la population des Antilles. De même, en Guyane, la similitude du taux avec les Antilles masque une situation plus dégradée du fait de la jeunesse de la population (42 ans en moyenne vs 51 et 52 ans en Guadeloupe et Martinique).

Notre étude a permis également d’estimer la part du diabète traité pharmacologiquement parmi les cas de diabète connu qui varie selon les territoires, entre 90 et 93% en Guyane et aux Antilles et 82% à La Réunion.

Par rapport aux études antérieures menées dans ces territoires, l’étude Rédia 3 menée en 1999-2001 à La Réunion retrouvait une prévalence du diabète connu de 10,7% chez les hommes âgés de 30 à 69 ans et 11,7% chez les femmes de la même tranche d’âge tandis que l’enquête Kannari 10,11 menée en 2013 aux Antilles décrivait une prévalence du diabète connu de 11% en Guadeloupe et 10% en Martinique chez les personnes âgées de plus de 16 ans. Ces données apparaissent globalement comparables avec les résultats obtenus par le Baromètre de Santé publique France en tenant compte de l’âge différent des populations d’études. Plus récemment, l’enquête européenne EHIS 2019 12 rapportait des taux standardisés de prévalence similaires entre les quatre territoires étudiés. Néanmoins, la comparabilité avec notre étude est limitée car les taux de prévalence sont standardisés sur la structure d’âge de la population de l’Hexagone. De plus, la question relative à la déclaration d’un diabète n’était posée qu’aux personnes ayant déclaré une maladie chronique au préalable.

Si nous mettons ces résultats en perspective avec ceux observés en France hexagonale, estimés à partir des données de l’étude Esteban 6 en 2014-2016 parmi des personnes âgées de 18 à 74 ans, la prévalence du diabète connu était de 5,7% et 79% des cas étaient traités pharmacologiquement, une proportion nettement moindre que dans les quatre territoires de notre étude. Concernant la situation à Mayotte, l’étude Unono Wa Maore rapportait en 2019 une prévalence du diabète connu de 7,3% [6,1-8,5] parmi les personnes âgées de 18 à 69 ans, soit plus faible que dans notre étude. Quant à la fréquence du diabète méconnu, elle était de 4,7% [3,8-5,7] 4.

Notre étude ne permet pas d’estimer la prévalence du diabète méconnu car celle-ci ne peut être approchée qu’en croisant le statut individuel du diabète connu (déclaré) et le statut individuel mesuré par un dosage biologique. Ainsi, dans les études épidémiologiques telles qu’Esteban 6 ou Unono Wa Maore 4 ou encore Rédia 3, l’estimation de la prévalence du diabète méconnu repose sur un diagnostic de diabète établi pendant l’étude à partir d’un marqueur biologique (glycémie à jeun ou HbA1c) en l’absence de déclaration du diabète dans les questionnaires. Toutefois, cette déclaration, ou connaissance de son diabète, peut dépendre de la perception que la personne a de sa maladie. Dans une population où le diabète est fréquent et où les complications du diabète sont fréquentes, comme c’est le cas dans les DROM, il est possible que des personnes ne prennent conscience de leur statut de malade que lorsque la maladie atteint un stade avancé, par exemple en raison d’un traitement par insuline ou du diagnostic de complications graves du diabète. Ainsi, le diabète connu peut différer du diabète diagnostiqué et nous avons exploré ce concept, pour la première fois, dans le Baromètre de Santé publique France DROM 2021 en introduisant la notion de « petit diabète ». Cette notion, qui n’a aucun fondement clinique, est cependant couramment utilisée. Notre étude exploratoire permet de la quantifier et de montrer qu’environ 3%, voire 4%, des personnes se déclarant non diabétiques déclarent tout de même qu’un médecin leur a déjà dit qu’ils avaient un « petit diabète » ou « un début de diabète, mais pas trop grave ». Nous émettons l’hypothèse qu’il s’agirait d’un diabète diagnostiqué mais « méconnu » par la personne. Toutefois, nos données ne permettent pas d’écarter d’éventuels cas de prédiabète. Ce sujet mériterait d’être approfondi dans une étude avec un examen de santé permettant d’en mesurer l’impact sur le niveau de contrôle glycémique, donc sur l’état de santé de ces personnes. Par ailleurs, il serait intéressant d’étudier cette notion sous un angle anthropologique afin de mieux en comprendre l’origine : une représentation particulière de la maladie, de sa gravité et/ou un discours médical rassurant pour rendre compte d’un processus naissant, évolutif, pas « grave ». En outre, il serait intéressant de mener une étude similaire dans l’Hexagone afin d’étudier s’il s’agit de particularités des populations et du système médical des territoires ultramarins.

Une limite de notre étude est le manque de puissance statistique et la faible précision de certains indicateurs résultant de la taille de l’échantillon. Elle est particulièrement marquée lorsque l’on étudie le sous-groupe des personnes déclarant un « petit diabète » et le sous-groupe des personnes diabétiques non traitées pharmacologiquement en raison de leur faible prévalence. Cela nous a conduit à décrire le recours aux soins de ces deux populations en regroupant les quatre territoires ultramarins. Les particularités de ces quatre territoires, mises en lumière dans notre étude, suggèrent que ce regroupement présente un intérêt limité. Néanmoins, il s’agit d’une première exploration qui permet de décrire les populations concernées et d’apporter des éléments pour orienter des études complémentaires qu’il serait souhaitable de mettre en œuvre. En effet, les personnes qui se déclarent diabétiques mais sans aucune prise en charge ou celles qui déclarent un « petit diabète » non pris en charge sont exposées à une hyperglycémie délétère pour leurs organes. Par ailleurs, même si elles sont prises en charge, les personnes ne se déclarant pas diabétiques mais avec un « petit diabète » sont probablement moins engagées dans la gestion de leur maladie. S’il est fondamental d’identifier le plus tôt possible le diabète de type 2 au stade asymptomatique, afin d’initier une prise en charge visant à prévenir ou à retarder le développement de complications micro- et macrovasculaires 2, le diagnostic doit être immédiatement suivi par une prise en charge adaptée.

Conclusion

Notre étude rapporte une prévalence élevée de cas de diabète connu, non traités pharmacologiquement, parmi lesquels plus de 4 personnes sur 10 déclarent ne bénéficier d’aucune mesure hygiéno-diététique. Nous observons également une fréquence importante de personnes diabétiques qui n’auraient pas conscience de leur maladie. Du point de vue de la surveillance épidémiologique, nos résultats montrent que les études basées sur les données du Système national des données de santé (SNDS) 13, qui mettent en lumière le fardeau du diabète dans les territoires ultramarins à partir des données de remboursement des traitements pharmacologiques, sous estiment la réalité du problème de santé publique.

Ainsi, s’il est essentiel de renforcer les mesures de prévention primaire du diabète, qui passent en premier lieu par la lutte contre l’obésité et la sédentarité, il est également fondamental de diagnostiquer précocement le diabète et de réduire le délai entre le diagnostic et une prise en charge efficace des personnes atteintes d’un diabète de type 2. Un levier d’action pourrait passer par une sensibilisation collective, de la population générale et des professionnels de santé, à la nécessité de traiter le diabète dès sa survenue, par des mesures hygiéno-diététiques voire pharmacologiques, afin de retarder la survenue des complications associées.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 International Diabetes Federation. Diabetes Atlas 10th edition. Brussels: IDF; 2021. 141 p.
2 Ogurtsova K, Guariguata L, Barengo NC, Ruiz PL, Sacre JW, Karuranga S, et al. IDF diabetes Atlas: Global estimates of undiagnosed diabetes in adults for 2021. Diabetes Res Clin Pract. 2022;183:109118.
3 Favier F, Jaussent I, Le Moullec N, Debussche X, Boyer MC, Schwager JC, et al. Prevalence of Type 2 diabetes and central adiposity in La Reunion Island, the REDIA Study. Diabetes Res Clin Pract. 2005;67(3):234-42.
4 Azaz A, Jezewski-Serra D, Ruello M, Hassani Y, Piffaretti C, Fosse-Edorh S. Estimation de la prévalence du diabète et du prédiabète à Mayotte et caractéristiques des personnes diabétiques, Mayotte, 2019. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(9-10):164-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/9-10/2022_9-10_1.html
5 Lailler G, Fuentes S, Kab S, Piffaretti C, Guion M, Czernichow S, et al. Prevalence and risk factors associated with prediabetes and undiagnosed diabetes in France: The national CONSTANCES cohort. Diabet Epidemiol Manag. 2023;10.
6 Lailler G, Piffaretti C, Fuentes S, Nabe HD, Oleko A, Cosson E, et al. Prevalence of prediabetes and undiagnosed type 2 diabetes in France: Results from the national survey ESTEBAN, 2014-2016. Diabetes Res Clin Pract. 2020;165:108252.
7 Fosse-Edorh S, Mandereau-Bruno L, Piffaretti C. Le poids du diabète en France en 2016. Synthèse épidémiologique. Saint-Maurice: Santé publique France; 2018. 8 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/diabete/documents/rapport-synthese/le-poids-du-diabete-en-france-en-2016.-synthese-epidemiologique
8 Soullier N, Richard JB, Gautier A. Baromètre de santé publique France 2019. Méthode. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 14 p. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/barometre-de-sante-publique-france-2019-methode
9 Santé publique France. Baromètre de Santé publique France 2021. Questionnaire / Volet DROM. Saint-Maurice: Santé publique France; 2022. 29 p. https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/barometres-de-sante-publique-france/barometre-sante-2021-dans-les-drom
10 Observatoire régional de la santé de Guadeloupe. Le diabète en Guadeloupe en 2013 – Enquête Kannari 2017. Baie-Mahault: Observatoire régional de la santé de Guadeloupe; 2017. https://www.orsag.fr/wp-content/uploads/2018/06/ORSaG_DIABETE_KANNARI_rapport2017.pdf
11 Observatoire de la santé de la Martinique. Les principaux résultats de l’étude Kannari en Martinique 2017. https://ors-martinique.org/images/PDF/determinants/nutrition/Fiches_kannari_-_Martinique_-_Novembre_2018_impression.pdf
12 Leduc A, Deroyon T, Rochereau T, Renaud A. Premiers résultats de l’enquête santé européenne (EHIS) 2019 – Métropole, Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte. Les dossiers de la Drees. 2021;78:1-98. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/premiers-resultats-de-lenquete-sante-europeenne-ehis-2019-metrople-guadeloupe-martinique-guyane-la-r%C3%A9union-mayotte
13 Fuentes S, Mandereau-Bruno L, Regnault N, Bernillon P, Bonaldi C, Cosson E, et al. Is the type 2 diabetes epidemic plateauing in France? A nationwide population-based study. Diabetes Metab. 2020;46(6):472-9.

Citer cet article

Hernandez H, Piffaretti C, Gautier A, Cosson E, Fosse-Edorh S. Prévalence du diabète connu dans 4 départements et régions d’outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. Résultats du Baromètre de Santé publique France de 2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(20-21):424-31. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/20-21/2023_20-21_2.html