Diabète dans les DROM : une prévalence deux fois supérieure à celle de l’Hexagone et une population de personnes vivant avec un diabète aux spécificités marquées
// Diabetes in the French overseas departments and regions: Prevalence twice as high as in mainland France and distinct features in the population of people living with diabetes
À la création de Santé publique France en 1996, les départements et régions d’outre-mer (DROM) ont été inscrits comme une priorité devant le constat d’un état de santé moins bon que dans l’Hexagone et de données de surveillance trop parcellaires 1,2. Il s’agissait de tenir compte des risques infectieux, environnementaux et de la forte prévalence des maladies chroniques, avec en particulier des taux de surpoids et d’obésité élevés, faisant le lit du diabète et de ses complications, notamment l’insuffisance rénale. Il paraissait important d’étayer les plaidoyers pour pouvoir définir des priorités d’actions et de disposer à intervalles réguliers des descriptifs de l’état de santé des populations résidant dans les outre-mer. Nous souhaitions disposer d’une première étude à Mayotte, ce qui a été fait 3,4, que les baromètres santé soient étendus aux DROM avec des échantillons suffisants et que certaines études sur le diabète réalisées dans l’Hexagone (Entred) soient déployées dans les outre-mer. Ce numéro thématique « Diabète en outre-mer : comprendre les spécificités locales pour cibler les actions » témoigne du travail réalisé depuis 2016. Nous disposons dorénavant de données précieuses de prévalence, des caractéristiques des personnes atteintes de diabète de type 2 en outre-mer qui permettront je l’espère d’étayer les politiques publiques pour mieux prévenir et traiter le diabète et ses complications.
Nous avons la confirmation que la prévalence du diabète connu estimée à partir des données du Baromètre santé est très élevée dans les DROM, de l’ordre de 12% aux Antilles et en Guyane et de 13,6% à La Réunion 5. L’estimation pour l’Hexagone issue de l’étude Esteban 2014-2016 6 est de 5,7%. Il est probablement nécessaire d’ajouter à ces pourcentages la part des personnes qui se sont déclarées non diabétiques, mais ayant déclaré qu’un médecin leur avait déjà dit qu’ils avaient « un petit diabète » ou « un début de diabète, mais pas trop grave ». Les auteurs de cette étude estiment cette part à 3 à 4%. Le diabète connu est traité pharmacologiquement à 90-93% aux Antilles et en Guyane ; à 82% à La Réunion, ce qui est plus élevé que dans l’Hexagone (79%).
L’étude Entred 3, réalisée à partir d’un échantillon de personnes atteintes de diabète de type 2 issu des données de l’Assurance maladie 7, permet de décrire leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques, mais aussi de facteurs de risque et de complications. Elle a été étendue pour la première fois aux DROM. Il faut essentiellement en retenir pour l’outre-mer quelques spécificités par rapport à l’Hexagone : une prédominance féminine, une part plus importante de patients avec un niveau socio-économique défavorable et une part importante de patients sans Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). La découverte en Guyane et à La Réunion d’un diabète de type 2 chez des personnes plus jeunes et de corpulence moindre interroge sur l’existence possible de susceptibilité génétique ou épigénétique.
Toutes ces données vont permettre dans l’avenir de mesurer les évolutions, donc de régulièrement interroger les actions de prévention et de soins mises en œuvre. D’ores et déjà, le constat fait à La Réunion peut être comparé à celui de 2014 8, montrant une certaine stabilité des facteurs de risque (obésité, hypertension artérielle, faible consommation de fruits et légumes, pratique d’activité physique insuffisante, excès de consommation d’alcool et de tabac (1)), ce qui devrait amener un renforcement du Programme réunionnais de nutrition et de lutte contre le diabète tenant compte des résultats de l’approche socio-anthropologique de la littératie en santé 9. Cette étude souligne l’importance de bien comprendre les représentations, la motivation et les compétences des individus à utiliser l’information qui leur est donnée, en sachant les situer dans leur contexte et environnement, notamment sociologique et familial. Il convient également de ne pas négliger les questions d’éducation thérapeutique du patient, de prise en charge et d’organisation des soins. Enfin, il faut prendre en compte les évolutions alimentaires observées dans les DROM, qualifiées par les experts de transition alimentaire : recul des féculents et tubercules traditionnels, des végétaux, et augmentation de consommation des protéines animales, des sucres et des produits transformés 10.
Cet éditorial est l’occasion de rappeler que les produits alimentaires d’outre-mer sont volontairement plus sucrés que dans l’Hexagone. La loi Hurel de 2013 visait à garantir que la quantité de sucres ajoutés dans les produits vendus dans les départements ultramarins ne soit pas supérieure à celle des produits mis sur le marché dans l’Hexagone. La Cour des comptes, dans son rapport de 2019 sur la prévention et la prise en charge de l’obésité, recommandait de simplifier les conditions d’application de cette loi et de mettre en œuvre des contrôles 11. Qu’en est-il aujourd’hui ? Toutes ces nouvelles données, je l’espère, donneront l’opportunité de franchir une étape de prévention en réinterrogeant l’application de la loi Hurel sur le sucre, mais aussi le développement dans les outre-mer du Nutri-Score, de l’encadrement de la publicité aux heures de grandes écoutes des enfants, du renforcement de la taxation des boissons sucrés (2), de la taxation de manière effective des produits particulièrement gras, sucrés et salés (ceux qui sont les plus mal classés par le Nutri-Score), de l’amélioration de l’offre alimentaire, de l’incitation à l’activité physique et du soutien attendu des initiatives locales prometteuses, comme le programme réunionnais de nutrition et de lutte contre le diabète, ou encore « La Martinique bouge », et bien d’autres…
Références
Citer cet article
1. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/20-21/2023_20-21_0.html