De nouvelles recommandations relancent l’objectif d’élimination des hépatites B, C et Delta d’ici 2030

// New recommendations revive the goal of eliminating hepatitis B, C and Delta by 2030

Françoise Roudot-Thoraval
Service d’hépatologie, GHU Henri Mondor, Créteil ; coordinatrice du rapport 2023 sur la prise en charge des hépatites B, C et Delta

Le nouveau numéro thématique du Bulletin Épidémiologique hebdomadaire (BEH) consacré aux hépatites B, C et Delta fait la part belle aux données épidémiologiques récentes, à l’activité de dépistage des virus des hépatites B (VHB) et C (VHC), ainsi qu’aux insuffisances de dépistage, notamment de l’hépatite C. Quelles nouvelles stratégies de dépistage est-il opportun de mettre en place ? Qui dépiste et sur quels critères ? Ces différents articles sont en phase avec certains sujets portés par le nouveau rapport sur la prise en charge des personnes infectées par le virus de l’hépatite B, C ou Delta, dont les recommandations vont être prochainement diffusées. Ils permettent de faire un point sur le chemin restant à parcourir jusqu’à l’objectif d’élimination des hépatites.

Des progrès ont été faits en termes de vaccination contre l’hépatite B 1 : l’obligation vaccinale pour tout enfant né à partir du premier janvier 2018 a permis d’obtenir un taux de couverture vaccinale (3 doses) de 91,2%, dépassant pour la première fois les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au niveau mondial, qui sont de 90% 2, sans toutefois atteindre les 95% préconisés pour la région Europe. Il est raisonnable d’espérer que dans une dizaine d’années, les adolescents entrant dans la vie sexuelle auront une excellente couverture vaccinale contre le VHB. Ces bons résultats ne doivent cependant pas occulter la faible couverture vaccinale des adolescents actuels et de populations fortement exposées au risque d’infection, tels que les usagers de drogues.

Bien que l’activité de dépistage des hépatites virales B et C soit de plus en plus importante en France 3, plus de 5 millions de tests pour le dépistage du VHC et du VHB en 2021 et 25 millions de personnes testées entre 2014 et 2021, elle ne cible pas suffisamment les personnes les plus exposées au risque d’infection. Plusieurs éléments sont convergents pour penser que nombre de patients infectés par le VHC ou le VHB ne sont pas diagnostiqués et/ou pris en charge et traités : 1) le dépistage du VHC et du VHB concerne plus souvent les femmes que les hommes et davantage la classe d’âge des 18-39 ans, alors que les patients infectés par le VHC sont plus souvent des hommes de 40 à 59 ans et que les patients infectés par le VHB sont plus souvent des hommes de 30 à 49 ans ; 2) des discordances similaires sont observées en centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humain (CeGIDD) 1 entre la distribution âge-sexe des personnes dépistées et celle des personnes positives pour le VHB ou le VHC ; 3) le dépistage est pratiqué majoritairement par les médecins généralistes (MG), mais trop peu sur facteurs de risque (FR) dont la mise en évidence est souvent difficile en consultation de médecine générale, et plus facile a posteriori chez le spécialiste (usage de drogues ou transfusion avant 1992) ; 4) malgré l’accès universel aux agents anti-viraux directs (AAD), les traitements courts (8 ou 12 semaines) très efficaces et bien tolérés, le nombre de traitements initiés a fortement et régulièrement diminué quelques mois après l’ouverture des AAD à tous les patients 4, suggérant une baisse importante du réservoir de malades diagnostiqués restant à traiter, mais également une difficulté à atteindre certaines populations exposées éloignées du soin. Cependant, un ralentissement de la baisse du nombre de traitements initiés en 2022 et début 2023 est à noter.

L’article de I Rosa et coll. 5 sur les acteurs et les indications de dépistage du VHC chez les malades orientés dans les services d’hépato-gastro-entérologie des hôpitaux généraux montre bien les limites du dépistage ciblé sur FR : usage de drogues intraveineux (UDIV) et transfusion avant 1992 semblent méconnus des MG dans 50% des cas, mis en évidence par le spécialiste, uniquement une fois le diagnostic établi. Par ailleurs, 80% des malades diagnostiqués ont plus de 40 ans. Un tel retard au diagnostic s’avère délétère pour les patients, puisque 35% de ces patients nouvellement diagnostiqués ont une fibrose sévère (F3 ou F4), avec un risque de complications comme une décompensation hépatique ou un carcinome hépatocellulaire. Sans en conclure qu’il faut dépister tous les sujets de plus de 40 ans, cette étude fait ressortir le besoin d’une information large et répétée des professionnels de santé et de la population générale sur les FR les plus fréquents, souvent ignorés ou oubliés des malades eux-mêmes. Toute opportunité de dépistage doit être saisie et des expériences innovantes méritent d’être testées et évaluées, notamment en termes de coût-efficacité.

L’article de AJ Remy et coll. 6 illustre bien cette idée d’opportunité de dépistage : la proposition de dépistage du VHC à tous les patients de plus de 40 ans devant subir une endoscopie digestive paraît faisable, bien acceptée (par 97% des patients) et révèle un taux de positivité des anticorps anti-VHC de 6,8% dans cette population et de 2,8% d’infection active, bien supérieur au taux de positivité dans la population générale dépistée en France. Cependant, tous les patients nouvellement dépistés positifs avaient un FR « classique » et facilement identifiable : UDIV, transfusion avant 1992 ou naissance dans un pays de forte endémie. Ces résultats portant sur un faible échantillon de patients mériteraient cependant d’être confirmés par une étude à plus grande échelle.

Les consultations médicales de prévention, notamment celles prévues à 45 ans (et 65 ans), sont sûrement une opportunité de dépistage des hépatites, comme le proposent AJ Remy et coll., pas tant pour un dépistage systématique, que pour un questionnaire approfondi à la recherche de FR jusque-là ignorés ou occultés par les patients et qui pourraient permettre un dépistage ciblé des virus B et C.

Le nouveau rapport de recommandations de prise en charge des hépatites B, C et Delta, fait, à côté des recommandations thérapeutiques, la part belle à la prévention et au dépistage en s’appuyant sur les données épidémiologiques disponibles, les caractéristiques de différentes populations exposées au risque d’hépatites, qui vont déterminer leur parcours de soins. Ce n’est qu’avec l’effort de tous les acteurs que nous pourrons avancer sur la voie de l’élimination des hépatites B et C à l’horizon 2030.

Références

1 Tamandjou C, Laporal S, Lot F, Brouard C. Focus. Données épidémiologiques récentes sur les hépatites C, B et Delta. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(15-16):311-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/15-16/2023_15-16_5.html
2 World Health Organization. Combating hepatitis B and C to reach elimination by 2030. Advocacy brief. Geneva: WHO; 2016. 20 p. https://apps.who.int/iris/handle/10665/206453
3 Brouard C, Laporal S, Cazein F, Saboni L, Bruyand M, Lot F. Dépistage des hépatites B et C en 2021 en France, enquête LaboHEP. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(15-16):276-86. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/15-16/2023_15-16_1.html
4 Pioche C, Léon L, Vaux S, Brouard C, Lot F. Dépistage des hépatites B et C en France en 2016, nouvelle édition de l’enquête LaboHEP. Bull Épidémiol Hebd. 2018;(11):188-95. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2018/11/2018_11_1.html
5 Rosa I, Remy AJ, Causse X, Cadranel JF, Garioud A, Hamon H, et al. et le groupe ANGH Kidepist. Quels professionnels de santé dépistent l’hépatite C ? Résultats de l’Observatoire Kidepist de l’Association nationale des hépato-gastro-entérologues des hôpitaux généraux. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(15-16):302-10. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/15-16/2023_15-16_4.html
6 Remy AJ, Bellon S, Smadhi R, Bottlaender J, Rosa I, Vidon M, et al. Dépist C Endo : dépister l’hépatite C avant endoscopie en consultation externe d’hépato-gastroentérologie. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(15-16):287-92. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/15-16/2023_15-16_2.html

Citer cet article

Roudot-Thoraval F. Éditorial. De nouvelles recommandations relancent l’objectif d’élimination des hépatites B, C et Delta d’ici 2030. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(15-16):274-5. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/15-16/2023_15-16_0.html