La PrEP chez les migrants : y sommes-nous vraiment ?

// PrEP among migrants in France: What is the real picture?

Hugues Cordel1,2 (hugues.cordel@aphp.fr), Pauline Penot2,3, Aude Lucarelli4, Marie Ahouanto5, Céline Michaud6, Myriam Diemer7, Pierre Leroy2,7,8, Nicolas Vignier1,2,9
1 Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis, Hôpital Avicenne AP-HP, Bobigny
2 Société française de lutte contre le sida, Nice
3 CeGIDD du Centre hospitalier intercommunal André Grégoire, GHT Grand Paris Nord-Est, Montreuil
4 Corevih, Centre hospitalier de Cayenne, Guyane
5 Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Bichat AP-HP, Paris
6 Coordination des centres délocalisés de prévention et de soins, Centre hospitalier de Cayenne, Guyane
7 Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Lariboisière AP-HP, Paris
8 Groupe hospitalier Sud Île-de-France, Melun
9 Université Sorbonne Paris Nord, UFR SMBH, IAME, UMR 1137, Bobigny
Soumis le 16.09.2022 // Date of submission: 09.16.2022
Mots-clés : PrEP | Migrants | Prescripteurs | Expériences
Keywords: PrEP | Migrants | Prescribers | Feedback

Résumé

Introduction –

Près de 40 000 personnes utilisent actuellement la prophylaxie pré-exposition (PrEP) en France, majoritairement des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). Les personnes migrantes et en particulier les femmes et les hommes originaires d’Afrique et des Caraïbes en restent éloignées.

Méthode –

Trois enquêtes transversales auprès des prescripteurs ont évalué en 2018, 2019 et 2021 la fréquence de prescription de la PrEP auprès des personnes migrantes (toutes orientations sexuelles), les obstacles rencontrés et les perspectives d’amélioration. L’expérience de certains répondants ayant développé des approches innovantes sont ensuite décrites.

Résultats –

De 60 à 113 professionnels ont répondu aux enquêtes annuelles. La fréquence de prescription à au moins une personne migrante a augmenté de 27% en 2018 à 70% en 2021. Une grande partie des prescripteurs l’ont prescrite à moins de 5 personnes migrantes. Les HSH migrants représentent une part importante des files actives. La proportion de femmes, d’hommes et de personnes trans migrants non HSH bénéficiaires de la PrEP a progressivement augmenté en 4 ans.

Les principaux obstacles rencontrés par les prescripteurs sont la difficulté à suivre les personnes migrantes mises sous PrEP, la méconnaissance de la PrEP par ces dernières, les barrières à l’accès aux droits et leur manque d’intérêt pour cet outil de prévention.

Conclusion –

La prescription de la PrEP chez les personnes migrantes est une réalité en France, mais reste rare et bénéficie surtout aux HSH nés à l’étranger. Elle doit être encouragée et facilitée par différentes approches novatrices.

Abstract

Introduction –

Nearly 40,000 people in France are currently using pre-exposure prophylaxis (PrEP), the majority of whom are men who have sex with men (MSM). Migrants, in particular women and men from Africa and the Caribbean, remain under-represented.

Method –

Three cross-sectional surveys of prescribers in 2018, 2019 and 2021 were used to assess the frequency of PrEP prescriptions among migrants (of all sexual orientations), as well as obstacles to treatment and prospects for improvement. Descriptions of innovative approaches used by certain prescribers were also recorded.

Results –

Between 60 and 113 health professionals responded to each annual survey. Frequency of PrEP prescription for at least one migrant patient increased from 27% in 2018 to 70% in 2021. A large proportion of prescribers delivered prescriptions to less than five migrant patients. MSM represent a significant proportion of migrant PrEP users, yet this proportion has gradually decreased from 65% in 2018 to 38% in 2021. There was a concomitant increase in the proportion of other key migrant populations (non-MSM men, women, transsexuals) receiving PrEP.

The main obstacles to treatment encountered by prescribers included difficulties in establishing patient follow-up, lack of knowledge about PrEP among migrants, barriers to accessing healthcare rights and lack of interest in PrEP treatment.

Conclusion –

PrEP prescriptions for migrants are being delivered but remain rare and concern mainly MSM. Innovative approaches could help encourage and facilitate wider use among migrant populations.

Introduction

La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un des moyens de la prévention combinée du VIH. Elle repose sur la prise d’un traitement antirétroviral de manière continue ou discontinue chez les personnes séronégatives à haut risque d’être exposées au VIH et a montré une bonne efficacité. Elle a été autorisée en France en 2015, d’abord dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation, puis d’une autorisation de mise sur le marché. Jusqu’à mi-2021, plus de 40 000 personnes avaient initié une PrEP en France, en majorité des hommes (97,5%) 1. Les études ayant montré l’efficacité de la PrEP ont été menées auprès de personnes hétérosexuelles en Afrique subsaharienne et d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) en Europe et en Amérique du Nord 2. Ce sont d’ailleurs les HSH qui représentent la majorité des utilisateurs de la PrEP en France.

Les personnes migrantes, entendues comme les personnes nées étrangères à l’étranger et résidant en France 3, et en particulier les femmes et les hommes originaires d’Afrique et des Caraïbes, représentent pourtant une part importante des découvertes d’infection par le VIH 4. Ces infections étaient acquises dans 30 à 50% des cas sur le territoire français selon l’enquête ANRS-Parcours menée en 2012-2013 en Île-de-France auprès de personnes originaires d’Afrique subsaharienne 5. Les données nationales de prescription de la PrEP, selon le groupement EPI-Phare 1, ne renseignent pas le pays de naissance. Dans la cohorte francilienne Prévenir 6, 82,5% des 3 056 utilisateurs inclus étaient nés en France hexagonale ou dans les outre-mer, 4,8% en Europe, 3,2% en Asie, 5% en Amérique ou dans les Caraïbes, et seulement 2,4% en Afrique subsaharienne. La grande majorité d’entre eux étaient des HSH (98,7%).

Par ailleurs, à partir des données d’Epi-Phare, la part des personnes étrangères sans-papiers et/ou en situation de précarité financière peut être évaluée selon le nombre de personnes bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME) ou de la Complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMU-C). Seuls 0,3% des PrEPeurs étaient bénéficiaires de l’AME et 7% de la CSS/CMU-C de 2016 à 2021. Ces données ne comptabilisent pas les personnes sans couverture maladie ayant bénéficié d’une délivrance de la PrEP gratuitement dans un centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic du VIH, des hépatites et des IST (CeGIDD) ou une permanence d’accès aux soins de santé (PASS). Ainsi, peu de données sont disponibles sur la prescription de la PrEP chez les personnes migrantes.

Différentes barrières relatives au déploiement de la PrEP auprès des personnes migrantes ont été avancées comme les facteurs socioéconomiques, culturels, liés au prescripteur, au défaut de perception du risque ou encore en lien avec une connaissance de l’outil 7. Des études françaises ont également confirmé cette méconnaissance de la PrEP chez certaines populations clés comme les personnes originaires d’Afrique subsaharienne en Île-de-France ou les femmes migrantes en Guyane française 8,9. Cependant, une fois informées, les personnes migrantes se disent fréquemment intéressées par ce nouvel outil de prévention, notamment les hommes ayant des partenaires multiples ou les femmes suspectant leur partenaire d’infidélité 10,11,12,13.

L’objectif de ce travail était ainsi de décrire les prescriptions de PrEP chez les personnes migrantes en France et les freins rencontrés par les acteurs de la santé sexuelle pour son déploiement.

Méthodes

Trois enquêtes transversales ont été menées en 2018, 2019 et 2021 auprès de médecins prescripteurs de PrEP de France par la « Commission migrants » de la Société française de lutte contre le sida (SFLS). Les questionnaires ont été transmis auprès des listes de diffusion de professionnels des commissions spécialisées (migrants, communications, médicaments) de la SFLS et de la Société de pathologie infectieuse en langue française (Spilf). Les questionnaires ne s’adressaient qu’aux médecins spécialisés en santé sexuelle prescripteurs de PrEP représentant près de 200 membres.

Les questionnaires évaluaient tout d’abord le nombre de prescriptions de PrEP à des personnes migrantes dans chaque centre prescripteur. Une définition précise des « personnes migrantes » n’était pas précisée et a été laissée à l’appréciation des répondants. Les obstacles à la prescription étaient ensuite explorés par des questions fermées. Dans le questionnaire de 2021, le pays de naissance des PrEPeurs n’était pas recueilli et des propositions fermées d’obstacles à la prescription n’y figuraient pas. En 2021, une question a été ajoutée sur les mesures pouvant faciliter l’utilisation de la PrEP chez les migrants. Enfin, la prescription chez les femmes migrantes a été également évaluée. Les questionnaires ont été diffusés sur les plateformes GoogleForm® pour le baromètre de 2018 et 2019 et Framaform® pour le baromètre de 2021. Elles ont été ensuite analysées de façon descriptive grâce au logiciel Stata 11® (StataCorpLLC, USA).

Dans un deuxième temps, un focus est réalisé sur quelques initiatives de promotion et de prescription de la PrEP. Les centres présentés ont été sélectionnés sur le caractère innovant de leur approche de sensibilisation et d’offre de PrEP aux personnes migrantes et sur leur capacité à fournir des données détaillées sur la population d’intérêt de ce travail. Le caractère innovant était apprécié sur la mise en place de partenariat avec des structures communautaires et médicosociales, l’ « aller-vers », la mise en place d’actions en dehors des murs de l’hôpital, un focus sur une population éloignée des structures de prévention, etc. Les données proviennent des rapports d’activités de chaque centre. Un recueil spécifique des prescriptions de PrEP chez les migrants avait également été réalisé dans le cadre du rapport d’activité 2021 du Comité de coordination régional de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le VIH (Corevih) d’Île-de-France (regroupant 57 centres), publié en mai 2022. Il est également présenté.

Résultats

En 2018, 113 médecins ont répondu à l’enquête, 84 en 2019 et 60 en 2021 (tableau 1). Les répondants exerçaient dans toutes les régions de France, l’Île-de-France étant la région la plus représentée (tableau 1).

Tableau 1 : Pratiques de prescription de la PrEP à des personnes migrantes en France en 2018, 2019 et 2021
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Prescription de la PrEP aux personnes migrantes (tableau 1)

Seuls 27% en 2018 et 32% en 2019 des répondants déclaraient avoir déjà évalué des personnes migrantes en vue d’une prescription de PrEP. La proportion de répondants ayant déjà prescrit au moins une fois une PrEP à une ou des personnes migrantes est passé de 24% en 2018, à 30% en 2019 et à 70% en 2021. Les files actives de PrEPeurs migrants étaient de petite taille : moins de 5 personnes dans 67% des cas en 2018 à 43% en 2021. À l’inverse les files actives de 21 à 50 PrEPeurs sont passées de 4% à 10% entre 2018 et 2021. Il s’agissait d’une augmentation de taille des files actives franciliennes et de Guyane et la création de nouvelles files actives en région.

Les HSH migrants représentent la majorité des personnes migrantes mises sous PrEP mais cette proportion a progressivement diminué, passant de 65% des files actives en 2018 à 38% en 2021, en lien avec l’apparition d’autres populations clés dans les files actives de personnes migrantes sous PrEP. Les femmes migrantes travailleuses du sexe représentaient 20% des files actives en 2018, contre 30% en 2021. Les femmes migrantes en situation de vulnérabilité, ainsi que les personnes migrantes hétérosexuelles multipartenaires et les personnes migrantes effectuant un voyage à destination de leur pays d’origine représentaient respectivement 8%, 22% et 13% des files actives en 2018, 2019 et 2021. Les personnes migrantes étaient originaires de différents territoires : par exemple, celles nées en Afrique subsaharienne représentaient 14% en 2018 et 54% en 2019 des files actives et ceux nés dans d’autres pays d’Europe 25% et 8% respectivement.

Obstacles à la prescription (tableau 1)

Les principales barrières rapportées par les prescripteurs étaient, en 2018 et 2019, la difficulté à suivre les personnes ayant débuté une PrEP (30% et 28% des répondants respectivement), ainsi que la méconnaissance de ce moyen de prévention par les populations migrantes (40% et 19%). L’accès aux droits (25%, 19% et 27% en 2018, 2019 et 2021) ainsi que la barrière de la langue (18%, 13%, et 47%) étaient aussi fréquemment rapportés. En 2021, le fait que la prévention du VIH ne soit pas une préoccupation pour les personnes migrantes était le principal obstacle rapporté (53%). Le manque de moyens (8%, 6% et 13%), et la longueur des consultations (2%, 3% et 15%) étaient également une préoccupation des prescripteurs.

Leviers à la prescription (tableau 2)

Tableau 2 : Faisabilité et leviers du déploiement de la PrEP auprès des personnes migrantes, enquête 2021 (N=60)
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En 2021, les meilleurs moyens pouvant faciliter l’utilisation de la PrEP par les personnes migrantes éligibles, étaient un partenariat avec les associations communautaires ou une maison de quartier, ainsi que des actions de médiation en santé.

Près de la moitié (48%) des répondants ne trouvait pas plus difficile de prescrire la PrEP chez une femme migrante que chez un homme. Néanmoins, 30% d’entre eux ne se prononçaient pas. De plus, seuls 15% des répondants étaient tout à fait d’accord, ou d’accord, avec le fait que la PrEP chez les migrants est facile à mettre en œuvre.

Expériences

La PrEP chez les personnes migrantes s’est développée sur tout le territoire, mais par leur localisation, certains centres ont des files actives plus importantes de personnes migrantes et/ou ont mis en place des initiatives d’intérêt que nous décrivons ici et résumons dans le tableau 3.

Tableau 3 : Présentation de quelques files actives choisies de PrEPeurs nés à l’étranger
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En Île-de-France, sur les 10 632 personnes sous PrEP recensées par la commission Inter-Corevih Île-de-France, 2 628 étaient des HSH nés à l’étranger (25%), 102 (1%) étaient des femmes hétérosexuelles nées à l’étranger, et 21 (0,2%) étaient des hommes hétérosexuels nés à l’étranger.

Dans quatre des centres hospitaliers franciliens ayant prescrit la PrEP à des personnes migrantes (Melun, Lariboisière, Montreuil et Avicenne), les bénéficiaires étaient principalement des HSH nés à l’étranger, mais aussi des femmes et hommes hétérosexuels issus de l’immigration. Ces usagers étaient le plus souvent originaires d’Afrique subsaharienne. Lorsque l’information était disponible, ces expériences concernaient dans 8% des cas des patients sans couverture maladie et ayant bénéficié d’une délivrance gratuite via la PASS ou le CeGIDD.

À Melun, la mise en place d’une consultation de prévention à orientation santé sexuelle dans une PASS ambulatoire associative a permis d’évaluer et de confirmer la vulnérabilité sexuelle de femmes et d’hommes migrants primo-arrivants, le plus souvent demandeurs d’asile, de les informer sur l’existence de la PrEP, de la proposer à 50 d’entre deux, parmi lesquels 22 l’ont acceptée, 10 ont été reçu en consultation PrEP et une seule femme était toujours sous PrEP lors de l’évaluation (6 femmes perdues de vue, 2 femmes et 1 homme n’étant plus en situation de vulnérabilité sexuelle) 14. À Avicenne, malgré des campagnes de promotion avec les associations communautaires dès 2016, dans une approche de « ramener vers », très peu de femmes migrantes en situation de précarité et de vulnérabilité sexuelle (définies par l’absence de logement personnel, de titre de séjour depuis au moins un an, de couverture maladie ou d’isolement social ou relationnel et la probabilité élevée de contracter une ou des IST, d’avoir une grossesse imprévue ou d’être victime de violences sexuelles) ont débuté un suivi PrEP.

En Guyane française, à la consultation PrEP du Centre hospitalier de Cayenne, récemment délocalisée en centre-ville, ce sont 77 usagers qui bénéficiaient de la PrEP en 2020, majoritairement des femmes travailleuses du sexe (TDS) originaires de République dominicaine (n=52) et des HSH, 45% étant arrivés en Guyane dans l’année de début de la PrEP et 59% n’avaient pas de couverture maladie 15.

Un accès à la PrEP a également été déployé dans les communes isolées de Guyane au sein des centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS) avec l’aide de l’association Aides. En 2021, 29 personnes s’étaient vu prescrire la PrEP, le plus souvent des femmes TDS (n=23), mais aussi des consultants pour accident d’exposition sexuelle (n=4) ou des hétérosexuels multipartenaires (n=4). Seules 11 étaient toujours sous PrEP à la fin de l’année, les motifs d’arrêt étant le plus souvent la tolérance, la difficulté de prendre un traitement au long cours ou la rupture de couverture maladie.

Des expériences d’ « aller-vers » consistant à une prescription hors des murs de l’hôpital, avant la généralisation de la prescription de la PrEP en ville en juin 2021, ont eu lieu 14,16,17 ou sont programmées 12. Elles démontrent la faisabilité de la démarche mais pointent les besoins nécessaires pour introduire la PrEP chez quelques personnes migrantes. L’expérimentation, dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, d’une consultation PrEP délocalisée dans une maison de santé pluridisciplinaire, a montré que sur 180 personnes interrogées, 43 étaient éligibles à la PrEP selon leur médecin généraliste, 21 l’ont débuté, 16 l’ont pris au moins pendant 3 mois et 5 étaient toujours sous PrEP à la fin de l’expérimentation 16.

Discussion

Après la baisse importante rapportée en 2020 de l’ensemble des prescriptions de PrEP, ces dernières sont revenues en 2021 à un niveau supérieur à celui de 2019 1. La prescription de PrEP aux personnes migrantes semble avoir augmenté ces dernières années mais reste encore marginale et se concentre sur les HSH dans l’hexagone. Si on peut se féliciter de l’accès et de l’utilisation de la PrEP par les HSH migrants, on le voit dans l’augmentation des effectifs de PrEPeurs le long des années, l’utilisation de la PrEP chez les autres catégories de migrants exposées est insuffisante. En particulier, la promotion de la PrEP chez les femmes en situation de vulnérabilité ou de travail du sexe est une nécessité et est un objectif déjà évoqué depuis plusieurs années 18.

Une meilleure compréhension des freins existants à l’utilisation et de l’état d’avancement de l’accès à la PrEP chez les personnes migrantes en France, en particulier chez celles en situation de vulnérabilité sexuelle, est susceptible d’aider à son déploiement. Des travaux ont déjà montré que la difficulté d’accès et de délivrance du traitement, ainsi que des doutes à propos de l’efficacité à prévenir le VIH étaient rapportés par certaines personnes migrantes 10. On peut rajouter la méconnaissance chez les populations les plus précaires et isolées des messages de santé publique. Enfin, les préoccupations quotidiennes des personnes migrantes primo-arrivantes par d’autres problèmes sociaux dans un contexte de survie les éloignent des démarches de prévention en général et de la PrEP plus particulièrement. Ces obstacles sont comparables à ceux rapporté dans une étude réalisée dans 34 pays européens alors que les politiques d’accès et de remboursement de la PrEP différaient selon le pays 19.

Les exemples d’initiatives innovantes de prescription de la PrEP par les acteurs de la santé sexuelle français permettent d’identifier des leviers mobilisables. Ces initiatives montrent que la PrEP peut être introduite chez des personnes migrantes non HSH, mais en utilisant des circuits différents de ceux habituellement dédiés à ces derniers. Ils nécessitent un engagement fort des différents acteurs. La coopération avec les acteurs du soin primaire et les associations communautaires, ainsi que les opérations de médiation en santé soulignent l’importance d’un travail pluridisciplinaire. Par exemple, au Royaume-Uni, une opération de médiation par les pairs auprès de femmes noires a permis de les informer sur la PrEP, mais pointe la nécessité d’un engagement important des promoteurs du projet pour le rendre pérenne 20. La PrEP chez les personnes migrantes doit ainsi s’inscrire dans une vision globale de la prévention et de la santé sexuelle des migrants.

Des travaux complémentaires explorant de façon qualitative les files actives avec de nombreuses femmes et hommes hétérosexuels migrants sous PrEP en France pourraient donner des pistes afin d’améliorer son déploiement chez les personnes migrantes à haut risque d’acquisition du VIH.

Notre étude a exploré l’attitude des prescripteurs de PrEP chez les personnes migrantes. Elle a néanmoins plusieurs limites. La définition de migrant (personne née étrangère à l’étranger) n’a pas clairement été définie et n’est probablement pas connue de tous les répondants et a ainsi pu conduire à une sous-déclaration de la prescription de la PrEP chez les HSH nés à l’étranger, en particulier de ceux nés dans les pays à haut niveau de revenu. Des HSH non français, mais européens ou même américains du Nord, n’ont peut-être pas été classés comme HSH migrants en raison de l’absence de vulnérabilité qui peut être sous-entendue par certains dans la notion de migrants. Par ailleurs, les questionnaires différaient légèrement selon les années, ainsi que le nombre de répondants, ce qui limite les comparaisons temporelles. Le taux de participation des prescripteurs est faible au regard du nombre de centres et de prescripteurs en France. Cependant les centres ayant les plus grosses files actives semblent avoir répondu régulièrement. La sur-représentation des HSH chez les migrants usagers de la PrEP et la difficulté de passage à l’échelle de la PrEP chez les migrants reste néanmoins visible à chaque enquête.

Conclusion

L’intérêt de la PrEP pour prévenir l’acquisition du VIH chez les personnes migrantes exposées est apparue rapidement après son déploiement. Plus de six ans plus tard, peu de personnes migrantes bénéficient effectivement de la PrEP. Le nombre de prescripteurs impliqués a pourtant augmenté et les expériences innovantes se sont multipliées. Ces initiatives doivent être soutenues et renforcées, notamment en médiation en santé, tout en continuant à innover avec de nouveaux circuits de délivrance de la PrEP intégrés dans une prise en soins globale des personnes migrantes les plus vulnérables ou exposées.

Remerciements

Les auteurs remercient tous les répondants des différentes enquêtes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Cordel H, Penot P, Lucarelli A, Ahouanto M, Michaud C, Diemer M, et al. La PrEP chez les migrants : y sommes-nous vraiment ? Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):438-45. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_2.html