Accélérons la réponse vis-à-vis du VIH et des infections sexuellement transmissibles pour tenir les objectifs de 2030

// Accelerate the response to HIV and sexually transmitted infections to meet
the 2030 targets

Dr Pascal Pugliese
Praticien Hospitalier, CHU de Nice, Président du Corevih Paca-Est, Membre du Conseil national du sida et des hépatites virales

Ce numéro thématique du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), consacré au VIH et aux infections sexuellement transmissibles (IST), est riche d’enseignements sur l’état de la santé sexuelle en France, et sur le chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre d’ici 2030 les objectifs fixés vis-à-vis de la lutte contre le VIH et, plus largement, sur ceux à mettre en œuvre pour une stratégie de santé sexuelle efficiente.

La crise sanitaire de la Covid-19 a eu un impact important sur le déploiement des stratégies de prévention combinée du VIH et des IST, sur l’offre de soins dédiée et sur le niveau de protection des personnes exposées au VIH.

Annie Velter et coll. 1 de Santé publique France, décrivent l’évolution de la protection contre le VIH parmi les hommes séronégatifs ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, à partir des données issues des trois éditions de l’enquête Rapport au sexe (Eras) réalisée en 2017, 2019 et 2021. Le niveau global de protection est élevé, mais diminue entre 2019 et 2021. Le préservatif reste l’outil de protection le plus utilisé, cependant une baisse continue de son usage est observée, tandis que la part des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), rapportant avoir été diagnostiqués pour une IST, augmente en 2021. Cette baisse est contrebalancée par l’augmentation significative de l’usage de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) (passant de 7% d’utilisation lors du dernier rapport anal avec un partenaire occasionnel en 2017, à 28 % en 2021). L’adoption de la PrEP reste néanmoins insuffisante puisque la majorité des participants séronégatifs inclus dans cette étude étaient éligibles à la PrEP selon les recommandations françaises 2. La crise sanitaire de la Covid-19 a freiné l’accès à l’offre de soins dédiée et a accru les vulnérabilités mentales de nombreuses personnes exposées au VIH, rendant urgente la relance d’une prévention du VIH dans une approche globale en santé sexuelle.

L’enquête Eras ne permet pas d’analyser aisément le niveau de protection des personnes nées à l’étranger. Hugues Cordel et coll. 3, du service des maladies infectieuses de l’Hôpital Avicenne à Bobigny, décrivent les résultats d’une enquête transversale auprès des prescripteurs sur la prise en charge en PrEP des personnes migrantes. Les prescriptions, principalement destinées aux HSH, restent rares parmi ces populations. Selon les prescripteurs interrogés, ce constat est principalement le fait d’une méconnaissance de la prévention biomédicale et des difficultés de suivi de ces populations. L’élargissement des indications 2 devrait être connue de tous les professionnels de santé et s’accompagner de programmes de recherche interventionnelle pour mieux caractériser les contextes de vie et d’expositions où la PrEP serait la plus utile à ces populations. Les femmes migrantes, comme d’autres femmes, ont aussi besoin d’accéder à la PrEP pour disposer d’un autre outil de prévention adapté à leurs besoins ou à leurs contraintes.

Les objectifs 2030 vis-à-vis du VIH ne pourront donc être tenus sans une approche globale de santé
auprès des personnes en vulnérabilité socio-économique. Parmi celles-ci, les personnes migrantes doivent pouvoir bénéficier d’un bilan de santé proposé dans leur parcours de vie et de soins : en soins primaires, en permanences d’accès aux soins de santé (Pass), centres de lutte antituberculeuse (Clat), services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUUMPS)…, incluant la santé sexuelle 4 et la connaissance de l’offre de prévention et de soins dédiée.

La nécessité d’une approche syndémique est aussi soulignée par les résultats de l’étude de Rémi Hanguehard et coll. 5 de Santé publique France, portant sur la couverture vaccinale contre les infections à papillomavirus humain (HPV) des filles âgées de 15 à 18 ans en France, et sur les déterminants de cette vaccination. S’appuyant sur les données de l’enquête Baromètre santé 2021, l’étude montre que la couverture vaccinale contre le HPV dans cette population n’était que de 43,6% (intervalle de confiance à 95% : [40,1-47,1]) en France métropolitaine en 2021, et plus basse encore dans les DROM. Même si cette couverture vaccinale s’est améliorée par rapport aux enquêtes précédentes, elle reste modérée et loin de l’objectif de 60% posé par le Plan cancer 2014-2019 6. La France compte parmi les couvertures vaccinales les plus faibles d’Europe, notamment dans les populations les moins favorisées économiquement. Ces résultats nous invitent à repenser la politique de vaccination contre le HPV, en proposant par exemple d’organiser cette vaccination par la médecine scolaire, en l’accompagnant d’actions d’éducation à la santé et à la sexualité, afin de limiter l’impact des inégalités sociales et territoriales en santé.

Cheick Kounta 7 et coll. de Santé publique France, présentent les données du dépistage du VIH et
des IST bactériennes en France entre 2014 et 2021. Elles indiquent une augmentation globale depuis plusieurs années de l’activité de dépistage, associée à une baisse de l’activité en 2020 liée à la crise sanitaire de la Covid-19. L'activité de dépistage ré-augmente en 2021 pour les IST bactériennes,
mais reste inférieure à celle de 2019 pour le dépistage du VIH.

Cette étude repose sur les données individuelles de remboursement du Système national des données de santé (SNDS). Ce système complète, sans les remplacer, les données issues des laboratoires de biologie médicale, des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic du VIH, des hépatites et des IST (CeGIDD) et des déclarations obligatoires (DO), dont les modalités de recueil sont à simplifier et à moderniser pour bénéficier d’une surveillance épidémiologique dynamique et exhaustive, indispensable au pilotage des actions de la stratégie nationale de santé sexuelle.

Le défaut d’exhaustivité de la DO du VIH représente ainsi une limite au travail présenté par Pierre Pichon et coll. 8 de Santé publique France, portant sur les découvertes d’infection à VIH chez les enfants entre 2010 et 2021 en France. Les données recueillies permettent néanmoins de souligner la persistance de diagnostics liés à une transmission du VIH de la mère à l’enfant (TME), malgré l’efficacité de sa prévention : le nombre d’enfants ayant découvert leur infection par le VIH est estimé à 581 [355‑808] en données corrigées sur la période. Près d’un tiers des TME concernent des enfants nés en France et sont liées à une découverte tardive de la séropositivité de la mère dans près de la moitié des cas. La couverture du dépistage des femmes enceintes et de leurs conjoints est à améliorer, en proposant par exemple de re-tester systématiquement les mères pendant la grossesse, voire en proposant la PrEP dans un contexte de vulnérabilité. Pour les enfants nés dans une zone d’endémie, la priorité reste celle d’un dépistage aussi précoce que possible après leur arrivée en France.

Les études publiées dans ce numéro soulignent donc de manière claire la nécessité d’accélérer la réponse vis-à-vis du VIH et des IST, dans une approche globale. Les objectifs 2030 fixés par la stratégie nationale de santé sexuelle ne seront tenus qu’avec une implication forte des pouvoirs publics et des professionnels de santé, associant une communication ciblée sur la prévention combinée du VIH et des IST, le déploiement large de la prescription et du suivi de la PrEP en soins primaires, un recueil épidémiologique efficient, le déploiement de la médiation en santé et la conduite d’actions territoriales visant à réduire les inégalités en santé. La relance de l’activité de dépistage du VIH, par tous les moyens dont nous disposons, reste une priorité pour atteindre le premier objectif de la cascade de prise en charge, à savoir que 95% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur séropositivité, pour bénéficier d’une prise en charge adaptée et réduire ainsi la transmission.

Références

1 Velter V, Ousseine Y, Dupire P, Roux P, Mercier A. Évolution du niveau de protection contre le VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes séronégatifs pour le VIH – Résultats de l’enquête Rapport au sexe 2017-2019-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):430-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/
24-25/2022_24-25_1.html
2 Haute Autorité de santé. Réponses rapides dans le cadre de la COVID-19 – Prophylaxie (PrEP) du VIH par ténofovir disoproxil / emtricitabine dans le cadre de l’urgence sanitaire. Saint-Denis La Plaine: HAS ; 2021. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3262060/fr/reponses-rapides-dans-le-cadre-de-la-covid-19-prophylaxie-prep-du-vih-par-tenofovir-disoproxil-/-emtricitabine-dans-le-cadre-de-l-urgence-sanitaire
3 Cordel H, Penot P, Lucarelli A, Ahouanto M, Michaud C, Diemer M, et al. La PrEP chez les migrants : y sommes-nous vraiment ? Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):438-45. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/
2022_24-25_2.html
4 Santé publique France. Aborder la sexualité et la santé sexuelle avec les personnes migrantes. Repères pour votre pratique. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. 13 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/sante-sexuelle/documents/depliant-flyer/aborder-la-sexualite-et-la-sante-sexuelle-avec-les-personnes-migrantes
5 Hanguehard R, Gautier A, Soullier N, Barret AS, Parent du Chatelet I, Vaux S. Couverture vaccinale contre les infections à papillomavirus humain des filles âgées de 15 à 18 ans et déterminants de vaccination, France, 2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):446-55. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_3.html
6 Ministère des affaires sociales et de la Santé. Plan Cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à tous, partout en France. Paris: ministère de la Santé; 2014. 152 p. https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/article/cancer
7 Kounta CH, Drewniak N, Cazein F, Chazelle É, Lot F. Dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles bactériennes en France, 2014-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):456-62. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_4.html
8 Pichon P, Cazein F, Dollfus C, Lot F. Découvertes d’infection à VIH chez les enfants en France, 2010-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2022;(24-25):463-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_5.html

Citer cet article

Pugliese P. Éditorial. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(24-25):428-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/24-25/2022_24-25_0.html